Le Coin de la Conjoncture du 7 janvier 2017
Quand l’immigration n’est pas l’ennemi de l’emploi
Quelles sont conséquences de l’immigration au niveau de la croissance ? Quels sont ses effets sur le marché de l’emploi ? Plusieurs études reposant sur d’importantes données statistiques donnent quelques éléments de réponse. Pour mesurer l’impact des travailleurs immigrés, dans les analyses retenues pour ce papier, il n’est pas pris en compte les conséquences des travailleurs détachés qui ne sont pas des travailleurs immigrés.
L’arrivée massive de migrants est communément considérée comme un facteur déstabilisant pour le marché du travail. Cet argument est souvent mis en avant pour empêcher l’entrée de nouveaux immigrés au sein de nombreux pays de l’Union européenne, voire également aux Etats-Unis avec le projet de mur avec le Mexique. Plusieurs études économiques sur le sujet prouvent pourtant l’inverse. Ainsi, selon les économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg, en 1980, plus de 125 000 Cubains ont quitté leur île pour s’installer essentiellement en Floride dont la moitié d’entre-eux à Miami. La population active s’est accrue dans cette ville de 7 % en quelques mois. Une étude a été réalisée afin de comparer les zones affectées par les mouvements migratoires et des zones similaires aux Etats-Unis n’ayant pas connu d’afflux de migrants. Miami a été ainsi comparé avec 43 autres villes américaines (article de David Card « the impact of the Mariel Boatlift on the Miami Labor Market » 1990). Or, il y a apparait que les salaires et le chômage n’ont pas été touchés par l’accroissement rapide de la population active. Cela vaut pour toutes les catégories d’emplois y compris ceux n’exigeant pas de qualification. Ce résultat n’est pas spécifique aux Etats-Unis. Ainsi, entre 1992 et 1995, l’Autriche a accueilli plus de 100 000 réfugiés bosniaques ce qui a eu peu d’effets négatifs. Il en a été de même en Suisse avec l’arrivée des réfugiés du Kosovo et de Bosnie entre 1992 et 1997. Même si le suivi statistique était plus lâche, il n’en demeure pas moins que la croissance française s’est accélérée après l’arrivée massive des rapatriés d’Algérie.
Un afflux rapide de population en âge de travailler génère tout à la fois une offre de travail ainsi qu’une demande de biens et de services. Une population jeune et relativement bien formée est une source de gains de productivité.
Les résultats positifs en termes économiques de l’arrivée de migrants prouvent que la théorie de Malthus sur les effets négatifs de l’augmentation de la population ne se vérifie pas dans les faits. Le travail n’a jamais été un gâteau à partager entre convives ; c’est un espace dynamique qui s’accroît en fonction de la taille de la population et de la productivité.
Le caractère perturbateur de l’arrivée massive de migrants intervient quand le marché du travail est sur-réglementé empêchant l’intégration d’éléments extérieurs. Les immigrés, en règle générale, occupent des emplois délaissés par les nationaux du fait de leur pénibilité ou de leur faible rémunération. A défaut d’immigrés légaux, les employeurs sont contraints de recourir à des travailleurs détachés ou à des travailleurs illégaux.
Il sera donc intéressant d’étudier statistiquement l’évolution du marché du travail et la croissance de l’Allemagne dans les prochaines années. Du fait d’un vieillissement rapide de sa population, le nombre d’actifs était en diminution avant l’arrivée des migrants.
Et si l’inflation repartait….
Depuis plusieurs années, l’inflation est attendue comme le messie. Elle est censée effacer en douceur une partie des dettes accumulées par les pouvoirs publics depuis la Grande Récession de 2008. Les recettes fiscales augmenteraient plus rapidement. Elle offrirait du grain à moudre sous forme d’illusion monétaire.
Pour 2017, certains imaginent que le taux d’inflation en France pourrait dépasser 1,1 %. D’autres imaginent même un taux d’inflation au-delà de 1,5 %. En Allemagne, le taux d’inflation atteint déjà 1,7 %, ce qui provoque des protestations des épargnants à l’encontre de la BCE. Depuis 2008, toutes les prévisions sur son retour ont été démenties. La relance budgétaire opérée à l’échelle mondiale, en 2009, devait se traduire par le retour d’une forte inflation tout comme les politiques monétaires non-conventionnelles ; que nenni ! Dans les faits, seuls le pétrole et les matières premières ont eu quelques effets sur les prix.
Selon l’INSEE, « l’’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix ». Elle suppose bien souvent un effet de transmission, en particulier entre les prix des biens et services sur les salaires.
Plusieurs facteurs pourraient contribuer, dans les prochaines années, à la hausse des prix même si sur ce sujet, les incertitudes sont importantes.
La fin du freinage des salaires
Les mouvements de déréglementation du marché du travail arrivent à leur terme. La dérèglementation des marchés du travail a commencé dans les années 1980 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, dans les années 1990-2000 au Japon, dans les années 2000 en Allemagne et, après 2010, en Espagne, en Italie ainsi qu’en France. Cela a conduit au ralentissement des hausses des salaires et des coûts salariaux unitaires. Les nouvelles libéralisations génèrent une contestation croissante de l’opinion. Dans certains Etats aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, des hausses du salaire minimum ont été décidées ; au Japon, le gouvernement a demandé une hausse des salaires aux entreprises.
Par ailleurs, la diminution de la population active pourrait provoquer des pénuries de main d’œuvre et générer des augmentations de salaire. Le plein emploi comme en Allemagne, en République Tchèque et dans plus Etats d’Europe du Nord aboutit à des augmentations de salaire. Néanmoins, dans plusieurs pays d’Europe, le taux de chômage demeure élevé. En outre, il est difficile d’évaluer les sureffectifs dans certaines activités tertiaires pouvant donner lieu à de nombreux licenciements dans les prochaines années.
Le rattrapage des coûts salariaux des pays émergents
Les salaires, charges comprises, augmentent au sein des pays émergents. Les hausses peuvent atteindre 20 % en Chine. Cela devrait conduit à une augmentation des prix des biens de consommation et d’équipement. Néanmoins, les capacités de production excédentaires sont importantes. En outre, les entreprises des pays émergents réalisent des gains de productivité en recourant notamment à la robotisation.
Baisse des gains de productivité
Depuis plusieurs années, les gains de productivité ont tendance à s’étioler. Ce phénomène constaté dans les pays avancés s’étend également au sein des pays émergents.
Cette baisse des gains de productivité s’explique par un coût croissant de l’innovation et par la tertiarisation de l’économie. Les services génèrent moins de gains de productivité que l’industrie. Plusieurs études soulignent que les gains de productivité diminuent également dans les secteurs des nouvelles technologies. Par ailleurs, le digital semble, pour le moment, offrir plus de conforts que de véritables gains de productivité.
Cette chute des gains de productivité est également la conséquence du vieillissement de la population. Ce vieillissement réduit les besoins en biens de consommation et d’équipement ; il ralentit par ailleurs la diffusion du progrès technique.
Les prix des matières premières devraient augmenter
Compte tenu de l’évolution naturelle de la demande et de la standardisation des modes de consommation, les prix des matières premières devraient augmenter. La généralisation des taxes sur le CO2 pourrait renchérir le coût des énergies fossiles. En outre, le sous-investissement de ces dernières années pourrait provoquer sous peu un accès de fièvre sur les prix.
Plusieurs facteurs pourraient jouer en défaveur de l’inflation
Le principal est lié au vieillissement de la population. Celui-ci réduit les besoins en biens d’équipement et de consommation comme cela a été mentionné ci-dessus. En effet, les besoins se réduisent avec l’âge. Par ailleurs, une population en diminution consomme par définition moins qu’une population jeune en forte croissance. Le Japon prouve que déclin démographique est synonyme de faible inflation surtout si la concurrence demeure vive au niveau de la production.
Le vieillissement a également plusieurs conséquences sur la valeur des actifs. Les populations âgées sont peu enclines à prendre des risques. Elles privilégient les placements sans risque, ce qui conduit à des faibles taux d’intérêt. Cela limite d’autant la demande finale tant par la faiblesse des revenus générés que par celle de l’investissement des entreprises qui peuvent être amenées à manquer de débouchés et de capitaux. Le faible attrait des seniors pour les actions conduit à leur sous-appréciation ; ce qui a un effet déflationniste.
L’augmentation du nombre de retraités pourrait avoir comme conséquence une diminution de la valeur des actifs immobiliers et financiers. Les caisses de retraite par capitalisation pourraient être vendeurs nets d’actifs afin de faire face à l’augmentation des pensions à verser. Par ailleurs, la progression des décès entraîne la remise sur le marché d’un plus grand nombre de biens ce qui en fait baisser le prix.
Le digital, la concurrence et les coûts marginaux nuls
Internet accroît la concurrence. Il a entraîné le développement d’un nouveau circuit de distribution.
Les plateformes collaboratives génèrent de nouvelles offres dans les secteurs de l’hébergement (Airbnb, booking.com), des transports (Uber, Chauffeurs privés), du financement (crowdfunding), des services, etc.. Que ce soit en augmentant l’offre ou en permettant une comparaison immédiate des prix, les plateformes et les applications pèsent sur les prix.
Le budget de fonctionnement de Wikipédia est d’environ 60 millions de dollars quand le chiffre d’affaires des éditeurs d’encyclopédies papier se chiffrait en milliards de dollars. Le prix marginal de consultation d’une encyclopédie a donc fortement baissé.
Le passage d’une société de l’usage, du partage en lieu et place d’une société de la propriété est également déflationniste en réduisant les goulets de production.
Les coûts de production numériques sont décroissants. Il y a peu de blocage de production en cas de forte demande. L’écoute de la musique passe aujourd’hui par le streaming et le téléchargement et de moins en moins par le CD. Auparavant, il fallait produire en quantité suffisante des disques ce qui nécessitait d’acheter de la matière première et de les diffuser sur tous les points de vente. La hausse des coûts de transports et de commercialisation était imputée sur le prix de vente. Aujourd’hui, il y a peu de limite matérielle à la diffusion sur toute la planète du dernier disque des Rolling Stones.
Certes, les effets déflationnistes du participatif ou du digital devraient s’estomper dans les années à venir. Le retour à des business model plus rationnel avec une professionnalisation de l’offre devrait aboutir à une augmentation des prix.