8 septembre 2018

Le Coin de la Conjoncture du 8 septembre 2018

A la recherche des origines de l’anormalité française

Depuis quatre ans, la croissance de la France est inférieure à la moyenne de la zone euro. Ce résultat est d’autant plus inquiétant que sa natalité dynamique devrait conduire naturellement à avoir une croissance plus forte. Ce résultat est également étonnant au regard de la politique budgétaire plus expansionniste en France qu’ailleurs. Depuis 2008, le déficit public français est constamment supérieur à la moyenne de la zone euro. En 2017, l’écart était de plus de 1,5 point de PIB.

La demande devrait être également soutenue par l’augmentation des salaires, augmentation qui ne s’est pas tarie même après les crises de 2008 et de 2012. Par rapport à nos partenaires, les salaires augmentent 0,5 point de plus. Les salaires ont diminué dans les pays ayant rencontré des problèmes de déficits commerciaux et de déficits publics tels que l’Espagne, le Portugal ou la Grèce mais pas en France.

Les entreprises et les ménages français ont, également de manière plus importante que leurs voisins, eu recours au crédit depuis la mise en place de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale Européenne. La croissance du crédit aux ménages est de 4 points supérieure en France par rapport à celle constatée en moyenne au sein de la zone euro.

Cette incapacité française à renouer avec une croissance forte et durable semble reposer sur des problèmes liés à des facteurs d’offre (freins à la hausse de la production : coûts de production et niveau de gamme, compétences de la population active et difficultés d’embauche, fiscalité créant des distorsions).

La demande intérieure française est en partie freinée par le maintien d’un fort taux d’épargne. Celui-ci se maintient autour de 14 % du revenu disponible brut pour les ménages depuis une vingtaine d’années quand il est inférieur à 12 % chez nos partenaires. Les deux tiers de l’effort d’épargne en France sont contraints du fait du poids du remboursement du capital des emprunts immobiliers qui s’élèvent à plus de 800 milliards d’euros. Du fait de l’augmentation de l’endettement provoqué par l’achat de biens immobiliers, cet effort d’épargne ne peut que se maintenir. Il est notamment la conséquence de la cherté de l’immobilier en France.

L’investissement progresse plus faiblement en France que dans la zone euro. Cette situation pèse sur la demande mais surtout sur l’offre, avec une modernisation insuffisante du capital. La reprise de l’investissement depuis 2014 est moins forte que dans le reste de la zone euro. L’écart est important en matière de haute technologie et dans le secteur des techniques de l’information et de la communication (TIC). En moyenne, l’investissement dans les TIC s’élève à 1,2 % du PIB, en 2016, au sein de la zone euro et à 0,6 % en France. Comparé à l’emploi manufacturier, le stock de robots est 30 % plus faible en France que chez nos partenaires de la zone euro.

Le coût salarial y est plus élevé à l’exception de celui enregistré dans quelques pays d’Europe du Nord. Ce facteur est souvent mis en avant de manière brute sans prendre en compte la question du positionnement « produit ». Les politiques publiques en étant centrées sur la question du travail non qualifié n’ont pas suffisamment pris en compte la perte de compétitivité de l’ensemble d l’économie.

Le niveau des prélèvements obligatoires est fréquemment cité comme facteur expliquant la résistance de la France à la croissance. Le poids des cotisations sociales atteint ainsi plus de 11 % du PIB quand elles s’élèvent, en moyenne, à 7 % au sein de la zone euro hors France. Mais le poids des prélèvements n’explique pas tout au regard des résultats enregistrés par les pays d’Europe du Nord qui se caractérisent par des niveaux de prélèvements proches de celui de la France.

La France souffre surtout d’un outil économique anémié avec comme conséquence un très faible taux d’emploi, 65 % contre 70 % aux États-Unis, 75 % en Allemagne ou 76 % au Japon.

Les problèmes d’offre peuvent s’expliquer par la faiblesse des compétences de la population active. Selon l’enquête PIAAC de l’OCDE, la France se situe au 21ème rang loin derrière le Japon et les États d’Europe du Nord. Ce niveau insuffisant de compétences expliquerait les problèmes qu’éprouvent les entreprises à embaucher malgré un taux de chômage élevé.

Le maintien d’un déficit commercial élevé, et cela depuis 15 ans, synthétise la situation économique française marquée par une dégradation de sa compétitivité et un mauvais positionnement de son offre productive. La nécessité de monter en gamme en augmentant le niveau de compétence des actifs constitue une priorité mais exige du temps et de la persévérance.

 

L’Afrique, le compte n’y est pas encore

Dans son rapport « Dynamiques du développement en Afrique en 2018 », l’OCDE souligne que, depuis le début du siècle, l’Afrique est la deuxième région du monde à la croissance la plus rapide après l’Asie, avec un taux de croissance annuel moyen du produit intérieur brut (PIB) de 4,7 % entre 2000 et 2017. Cette croissance n’est malheureusement pas suffisante pour enclencher un cercle vertueux. L’augmentation de la population est telle qu’il faudrait au minimum 7 % de croissance afin de réduire réellement la pauvreté et limiter les migrations. L’Afrique est le dernier continent à être confronté au phénomène de transition démographique. La baisse de la fécondité ne compense pas les gains générés par la diminution de la mortalité notamment infantile. Par ailleurs, ce sont des cohortes de jeunes femmes très nombreuses nées dans les années 2000 qui arrivent à l’âge de la fécondité. De ce fait, d’ici 2050, la population africaine doublera pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. Un quart de la population mondiale sera alors africain.

Avec la croissance, la proportion de pauvres a effectivement baissé mais leur nombre en valeur absolue a augmenté. Entre 1990 et 2013, le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90 dollar par jour est passé de 280 à 395 millions de personnes. La moitié des pays africains (27) affichent toujours des taux de pauvreté supérieurs à 25 %. Contrairement à quelques idées reçues, ce sont les pays riches en ressources qui sont à l’origine de la plus grande part de cette augmentation, 65 % soit 68 millions de personnes. De ce fait, ces pays africains ne sont pas parvenus à faire refluer la pauvreté que de 5 points de pourcentage, de 41 à 36 %, malgré une croissance soutenue depuis 2000. Ailleurs dans le monde, les pays riches en ressources comme en Asie et en Amérique Latine et Caraïbes ont obtenu de meilleurs résultats en la matière.

La plupart des pays africains peinent à connaître des cycles longs de croissance. Les épisodes de croissance tendent à être plus courts en Afrique. Ainsi, comme dans le reste du monde, l’Afrique a été touchée par la Grande récession de 2008. Elle a connu un deuxième passage à vide en 2010, largement lié au Printemps arabe et au développement du terrorisme. En 2016, la croissance du continent a temporairement été de nouveau orientée à la baisse par la contraction des cours des matières premières qui a déstabilisé de nombreuses grandes économies tributaires des ressources naturelles. Depuis 2017, un rebond est constaté. En 2018, la croissance du PIB devrait se redresser lentement, pour atteindre 2.8 %, en partie grâce à la hausse des cours du pétrole.

La volatilité de la croissance varie fortement d’un pays à l’autre, selon la structure des exportations et de la production. Entre 2000 et 2017, l’écart-type de la croissance annuelle est sensiblement plus élevé pour les pays africains riches en ressources (9.0 points) que pour les pays africains pauvres en ressources (3.2 points), les pays en développement d’Asie (4.1 points) et les pays en développement de l’ALC (2.6 points).

Certains pays arrivent à se dégager des cycles des matières premières grâce au développement des services et en jouant sur l’investissement. Ainsi l’Éthiopie, le Kenya et le Rwanda ont réussi à stimuler leur croissance par les investissements publics (surtout dans les grands projets d’infrastructure) et grâce à un secteur des services dynamique.

Pendant la première moitié du plan (2013-2017), le PIB en volume du continent a progressé au rythme annuel de 3.4 %. Pour les cinq prochaines années (2018-2022), les prévisions tablent sur un taux de 3.9 %. Avec un retard supérieur à 3 points de pourcentage par an, l’Afrique est loin de la cible de 7 % par an. L’Afrique de l’Est a bénéficié d’une croissance économique plus forte et plus résiliente que les autres régions, soit plus de 4 % par an depuis 1990, grâce à une économie plus diversifiée. L’Afrique australe connaît une croissance qui tend à s’étioler avec une forte montée des inégalités. Le Maghreb doit faire face à un défi démographique important avec en conséquence un fort sous-emploi chez les jeunes.

La croissance ne créée pas suffisamment d’emplois stables et convenablement rémunérés. En Afrique, 282 millions d’individus occupent des emplois précaires. Toute chose étant égale par ailleurs, 66 % des emplois resteront vulnérables en 2022.

Les emplois de qualité restent rares sur le continent. 34 % des travailleurs africains étaient soit salariés, soit employeurs en 2017. 66 % avaient un emploi vulnérable en tant que travailleurs à leur compte ou travailleurs familiaux. Le taux de chômage ne s’élevait qu’à 7,2 % de la population active en 2017 mais 30 % des travailleurs sont pauvres. Les jeunes sont victimes de sous-emploi et de pénurie d’emplois salariés. Près de 42 % des jeunes qui travaillent vivent avec moins de 1,90 dollar par jour (en parité de pouvoir d’achat). Dans les pays africains à faible revenu, seuls 17 % des jeunes qui travaillent (7 % du total des jeunes) sont employés à plein temps. En Afrique du Nord par exemple, 26,1 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans ne sont ni au travail, ni à l’école, ni en formation (NEET), soit le deuxième taux le plus élevé du monde (OIT, 2018). Dans cette région, les jeunes constituent plus de 34 % de la totalité des chômeurs alors qu’ils ne représentent que 15 % environ de la population active. En Afrique du Sud, la part des jeunes NEET reste élevée, à plus de 30 %.

Malgré tout, le continent a accompli des progrès indéniables dans la lutte contre la pauvreté extrême. La part de la population africaine vivant avec 1,90 dollar par jour ou moins a reculé, d’un taux moyen de 49 % dans les années 1990 à 36 % sur la période 2013/2017. Six pays – l’Algérie, l’Égypte, le Maroc, Maurice, les Seychelles et la Tunisie – ont pratiquement éradiqué l’extrême pauvreté. Au Maroc par exemple, l’initiative nationale pour le développement humain (INDH) lancée en 2005 a aidé les groupes vulnérables à travers le soutien à des activités rémunératrices et des mesures de protection sociale comme la couverture santé. Fin 2015, environ 8,5 millions d’individus appartenant aux ménages pauvres ou les plus vulnérables du Royaume avaient accès à des services de santé gratuits (ou partiellement gratuits) dans les hôpitaux publics. Dans six autres pays – le Burkina Faso, la Guinée, le Libéria, le Niger, la Tanzanie et le Tchad – le rythme de la réduction de la pauvreté depuis 2000 est identique à celui observé en Chine entre 1996 et 2013. Grâce au plan d’allègement des dettes, les pays africains pauvres en ressources ont réussi à diminuer leur taux de pauvreté qui est passé de 57 à 37 %. Néanmoins cette amélioration est précaire. Le programme d’allègement des dettes arrive à son terme. Les pays concernés devront déployer de nouvelles approches pour financer les programmes de réduction de la pauvreté.

Les pays africains disposent de nombreux atouts, à savoir une population jeune et entreprenante, des territoires en pleine mutation avec des campagnes en croissance et une urbanisation rapide, ainsi que des ressources naturelles considérables. Pour autant 45 % de la population gagnent entre 1,90 et 5,50 dollars par jour. Le chômage des jeunes constitue un véritable risque pour la stabilité politique et sociale de nombreux États. Les migrations peuvent déstabiliser des régions entières. Par ailleurs, un développement mal structuré peut entraîner des désastres écologiques et sanitaires. La résurgence du choléra en Algérie démontre la précarité des progrès dans des pays connaissant une progression rapide de leur population.