13 février 2021

Le Coin de la Conjoncture – économie française – le Covid et l’économie, Etats-Unis vs UE – liquidation d’entreprises

La résilience de l’économie française

Selon la Banque de France et l’INSEE, l’économie française ferait preuve d’une réelle résilience. Cette analyse, bienvenue en période de grande morosité, ne saurait masquer le fait que le pays a été l’un des plus touchés économiquement par la crise sanitaire. Si le rebond de la croissance a été important au troisième trimestre 2020, il faisait suite à deux trimestres de fort recul. Par ailleurs, à la différence de l’Allemagne, de l’Espagne ou des Pays-Bas, le PIB français s’est à nouveau contracté au dernier trimestre 2020. La France, à la différence de ses principaux partenaires, a perdu de nouvelles parts de marché à l’exportation avec, à la clef, un déficit industriel en forte augmentation.

La Banque de France estime que l’activité économique se maintient aussi bien que possible dans un contexte de fortes restrictions sanitaires. Selon son enquête mensuelle de conjoncture (EMC), menée entre le 27 janvier et le 3 février auprès de 8 500 entreprises ou établissements, l’activité de décembre à janvier évolue peu dans l’industrie, les services et le bâtiment et demeure extrêmement dégradée dans l’hébergement et la restauration. La Banque de France estime à -5 % la perte de PIB sur le mois de janvier par rapport au niveau d’avant‑crise, soit le même niveau qu’en décembre. La perte était de -7 % en novembre et de -3 % en octobre.

Dans l’industrie, le taux d’utilisation des capacités de production s’élèverait à 74 % en moyenne en janvier (il était de 79 % avant la crise). Le secteur de l’automobile s’inscrit en hausse, de 68 à 70 % ainsi que l’aéronautique et les autres transports, de 64 à 66 %. En revanche, le taux d’utilisation des capacités de production enregistre un tassement dans la chimie, passant de de 82 à 80 %.

Dans les services, la situation est très variable en fonction des secteurs. L’activité demeure évidemment à un niveau bas dans l’hébergement et la restauration. En revanche, les services aux entreprises sont bien orientés, notamment la publicité et le conseil de gestion, ainsi que la location de matériels et d’automobiles. Les services à la personne (salons de coiffure notamment), après un mois de décembre marqué par un niveau d’activité très élevé, en lien avec le rattrapage consécutif au deuxième confinement, l’activité s’est ralentie au mois de janvier, les horaires du couvre‑feu et les craintes liées à la situation sanitaire jouant à la baisse. Dans le bâtiment, l’activité est dans l’ensemble stable en janvier et reste proche de son niveau d’avant‑crise, à plus de 96 %.

Dans l’industrie, l’opinion sur la trésorerie continue de s’améliorer en janvier et se situe au‑dessus de son niveau moyen de long terme. Dans les services, elle demeure, en revanche, très en deçà de son niveau d’avant‑crise.

En février, l’activité serait quasi stable dans l’industrie comme dans le bâtiment. Dans les services, les dirigeants anticipent une légère baisse de leur activité dans la plupart des secteurs, sauf dans les services à la personne qui seraient stables, ainsi que dans les activités juridiques et comptables et les services d’information qui progresseraient.

Pour le mois de février, la perte de PIB par rapport au niveau d’avant‑crise resterait autour de -5 %. Les entreprises semblent anticiper une relative stabilité de leur niveau d’activité en février, dans un contexte sanitaire toutefois très incertain. L’activité serait donc comparable à celle de janvier. Dans les secteurs de l’hébergement‑restauration et du commerce de détail, l’activité serait néanmoins affectée par la fermeture des structures des domaines skiables et des centres commerciaux de 20 000 m2 et plus.

Un monde économique à la croisée de nombreux chemins

La crise sanitaire et sa gestion marqueront le cours des États durant de très nombreuses années. Depuis le XIVe siècle, le monde a connu quatorze grandes épidémies qui ont laissé des traces profondes. Elles ont été à l’origine de nombreux progrès sanitaires à travers notamment l’organisation stricte de l’assainissement en milieu urbain. Elles ont nourri la méfiance de l’étranger porteur susceptible de virus. La mise en quarantaine avec la construction de lazarets en est l’un des symboles. Dans le passé, les épidémies laissaient des traces dans la mémoire des populations sur au moins quarante ans. Le souvenir de la grippe espagnole qui fut la dernière grande pandémie à avoir touché l’ensemble de l’Occident entre 1918 et 1920, s’est estompé avec la disparition des générations nées avant 1914, c’est-à-dire il y a une vingtaine d’années. Pour celles nées dans les années 1970-1980, le SIDA est la principale épidémie à laquelle elles ont pu être confrontées. Cette dernière est malgré le nombre élevé de mots, une trentaine de millions depuis le début des années 1980 n’a pas les mêmes conséquences dans la vie quotidienne que celle de Covid-19. De même, le virus Ebola en restant cantonné en Afrique subsaharienne n’a pas, malgré sa forte létalité, généré les mêmes effets économiques que les grandes épidémies de grippe, de peste ou de choléra. Face à la menace virale, les pays occidentaux se sentaient  protégés par la puissance de leur industrie pharmaceutique et surtout par l’absence d’épidémie généralisée depuis une centaine d’années, et cela d’autant plus que celle liée au virus H1N1 avait fait long feu. Ce sentiment d’invulnérabilité, doublé d’un soupçon d’arrogance, expliquent les tergiversations au printemps dernier. Le refus d’instaurer un système de contrôle sanitaire de nature policière a favorisé la diffusion de l’épidémie sur l’ensemble des territoires occidentaux.

Cette crise sanitaire est intervenue dix ans après la crise des subprimes dont les stigmates peinaient à s’effacer et dans un contexte environnemental anxiogène. Dans de nombreux pays, et surtout en France, la défiance à l’égard du pouvoir, des élites et de la science est devenue la norme rendant difficile un consensus face à l’épidémie. Les gouvernements, quels qu’ils soient, ont utilisé les outils expérimentés lors de la crise de 2008/2009 pour contrer les effets économiques de la pandémie même si la nature de la crise était tout autre. La combinaison des politiques monétaires et des politiques budgétaires expansives a, pour le moment, empêché un réel effondrement de l’économie de marché au prix d’un interventionnisme sans précédent. La crise sanitaire a rapproché les différents régimes politiques et économiques, des autoritaires aux libéraux.

L’évolution des systèmes économiques dans les prochaines années dépendra de nombreux facteurs : la date de disparition des contraintes sanitaires, la politique budgétaire menée, l’évolution de la politique monétaire, l’inflation, la solidité du système financier, l’utilisation de l’épargne « Covid », la coopération internationale, etc. Plusieurs scénarii sont possibles en fonction de l’évolution de l’épidémie et des choix politiques qui seront effectués dans les prochains mois.

La question de la levée des contraintes sanitaires

Au début du mois de février, selon l’indice d’Oxford de sévérité des restrictions sanitaires liées à la Covid-19, les pays de l’OCDE se situaient à un niveau proche de celui d’avril 2020 (88 contre 0 en janvier 2020). De nombreux pays restent confinés, soumis à des mesures de couvre-feux ou de fermetures administratives de plusieurs secteurs d’activité. Les frontières sont également difficilement franchissables. Tant que les contraintes sanitaires resteront élevées, la reprise économique est différée même si les économies ont réussi à s’adapter à un contexte dégradé d’activité. La Chine qui, pour le moment, a réussi à maîtriser l’épidémie, a renoué très rapidement avec la croissance, voire a renforcé ses positions en raison de son rôle clef dans la fabrication de produits essentiels (masques, médicaments, électronique, informatique, etc.).

Avec le maintien du risque sanitaire, le sous-emploi ne peut que perdurer sous forme de chômage partiel ou de destruction d’emplois. La poursuite de l’épidémie conduit les entreprises à reporter leurs investissements, ce qui pèsera à terme sur le niveau de la croissance. Dans un tel contexte, la menace déflationniste perdurera. Le maintien des aides publiques pour compenser les pertes générées par les contraintes sanitaires accroît les déficits publics et l’endettement. Au sein de l’OCDE, les déficits devraient se situer autour de 8 % du PIB en 2021, contre -10 % en 2020. En 2022, ils s’élèveraient encore à 6 %. Les banques centrales seront obligées de prolonger leur politique de bas taux d’intérêt et de rachats d’obligations plus longtemps que prévu. Entre les aides publiques et les faibles taux d’intérêt, les règles économiques traditionnelles seront inopérantes, rendant plus complexe le retour à la normale. Le nombre de liquidations d’entreprises pourrait s’accroître brutalement avec la levée des actuelles mesures de soutien aujourd’hui accordées. Il en est de même pour les licenciements. Même en cas de forte reprise, un ajustement est probable.

En l’état actuel des connaissances, les prévisions sur la levée des contraintes sont incertaines. Une normalisation est envisagée à partir du mois d’avril avec le retour du beau temps et la montée en puissance de la vaccination. La diffusion des variants pourrait évidemment remettre en cause ce scénario en rendant inopérante tout ou partie de la campagne de vaccination. Compte tenu de l’impossibilité de vacciner l’ensemble de la population mondiale d’ici l’été, voire d’ici 2022, de nombreux foyers d’infection resteront actifs. Cette situation aura de lourdes conséquences sur le secteur du tourisme et du transport. L’obligation d’un permis sanitaire avec mention du vaccin pourrait s’imposer à l’échelle mondiale. Celle de la réalisation d’un test préalable à tout passage de frontière pourrait être maintenue tant que l’épidémie restera vivace. L’élaboration de traitements efficaces en complément des vaccins pourrait à terme atténuer ces contraintes. Les pays à dominante touristique comme la France, l’Espagne ou l’Italie éprouveront plus de difficultés pour retrouver le niveau d’activité d’avant-crise que les pays spécialisés dans les exportations industrielles comme l’Allemagne ou la République tchèque.

Les politiques de soutien à la crise

Les différents États de l’OCDE ont engagé des sommes très importantes pour atténuer les effets de la crise. Les réactions ont été différentes de part et d’autre de l’Atlantique. L’Europe a privilégie les prêts et les garanties quand les États-Unis ont opté pour des soutiens budgétaires. Les Américains ont ainsi dépensé près de deux fois plus, en pourcentage du PIB, que l’Europe (respectivement 19,2 % du PIB, contre 10 % du PIB en 2020). La contraction du PIB en 2020 a été deux fois plus faible aux États-Unis        (-3,5 %) qu’en Europe (-6,4 %). Les États-Unis bénéficient de l’apport des entreprises du digital qui sont les grandes gagnantes économiques avec celles du secteur de la santé de la crise sanitaire. L’Europe ne devrait pas retrouver son niveau économique d’avant-crise avant 2022. Les États occidentaux se sont engagés dans des politiques de relance qui devraient produire leurs effets à compter du second semestre 2021. L’incertitude sanitaire pourrait remettre en cause ces plans dont le déploiement pourrait être retardé.

Des politiques monétaires expansionnistes pour longtemps ?

Dans le prolongement des crises des subprimes et des dettes souveraines, les banques centrales ont pérennisé leur politique dite non conventionnelle reposant sur des taux bas ainsi que sur des rachats d’obligations. Si initialement, cette politique visait à lutter contre la menace déflationniste, elle a désormais comme objectifs le soutien à l’économie et la solvabilisation des États. L’arrêt du dopage monétaire ne pourra guère intervenir avant 2023 compte tenu du niveau d’endettement des agents économiques. En cas de retour de l’inflation, des tensions entre les gouvernements et les banques centrales, en particulier au sein de la zone euro, pourraient survenir. Le soutien monétaire pourrait se révéler plus important en Europe qu’aux États-Unis car ces derniers pourraient avoir besoin d’attirer un volume croissant de l’épargne étrangère, ce qui nécessiterait des taux d’intérêt plus élevés.

Que faire de l’épargne « Covid » ?

Depuis le mois de mars dernier, les ménages comme les entreprises ont accru leur épargne. En un an, le taux d’épargne privé est passé de 24 à 33 % du PIB pour les pays de l’OCDE. L’utilisation de cette épargne forcée et de précaution influera sur la reprise. En cas de persistance de la crise sanitaire, les ménages conserveront une poche importante d’épargne de précaution. Si à partir du second semestre 2021, la détérioration du marché de l’emploi reste mesurée, l’épargne « Covid » pourrait être allouée en partie à la consommation et conforter la reprise. Il est toutefois peu probable que le dégonflement de la cassette soit total. Lors des précédentes récessions, les ménages ont toujours conservé in fine un encours d’épargne supérieur à son niveau d’avant crise. La répétition des crises, la montée de la précarité et le vieillissement sont autant de facteurs qui expliquent ce crantage de l’épargne à des niveaux de plus en plus élevés. Le maintien d’un fort taux d’épargne devrait faciliter le financement des États ; en revanche, sa baisse pourrait provoquer une hausse des taux d’intérêt. Cette hausse pourrait être favorisée par la sortie des politiques monétaires très expansionnistes.

L’inflation, la belle inconnue

L’inflation des pays de l’OCDE est aujourd’hui très faible mais il existe de nombreux facteurs structurels d’inflation. L’inflation sous-jacente (hors prix des matières premières, de l’énergie, des produits agricoles et des prix administrés) s’élevait en janvier à 0,8 % au sein des États membres. Plusieurs facteurs pourraient contribuer à l’augmentation de ce taux. Les revalorisations des salaires d’un certain nombre d’emplois (secteur de la santé par exemple) ou l’augmentation du salaire minimum aux États-Unis (15 dollars l’heure) devraient concourir à une augmentation des prix. Les relocalisations et le recours croissant aux productions locales auront le même effet. En diminuant le nombre d’actifs et en favorisant la consommation, le vieillissement de la population devrait logiquement conduire à un relèvement de l’inflation. Ce facteur est à relativiser au vu de la situation qui prévaut au Japon. Dans ce pays, le vieillissement est déflationniste. Les retraités consomment moins et épargnent davantage. Par ailleurs, la diminution de la population réduit le marché de consommation et les besoins en logement, ce qui est, en soi, déflationniste. Au niveau de l’OCDE, la proportion des plus de 65 ans par rapport à la population âgée de 20 à 64 ans passera de 25 à 42 % de 2020 à 2030.

La crise sanitaire conduit à des reports d’investissement qui seront ressentis au niveau de la production dans les deux à trois années à venir. Avant même la crise, le niveau de l’investissement était faible. Des augmentations de prix pourraient concerner les matières premières, l’énergie et également certains produits clefs. Des goulets d’étranglement pourraient se multiplier. Ainsi, en raison d’une forte demande, plusieurs secteurs industriels dont celui de l’automobile sont contraints déjà, en février, de restreindre leur production ne pouvant s’approvisionner en quantité suffisante de  microprocesseurs. Les plans de relance qui sont mondiaux pourraient provoquer des déséquilibres entre offre et demande, contribuant à la hausse des prix. En outre, si le nombre de faillites augmente, la concurrence sera moins importante ce qui est également favorable à l’inflation.

Un rebond de l’inflation entraînera un relèvement des taux d’intérêt, ce qui pourrait mettre en difficulté certains États ou certains agents économiques fortement endettés. Les banques centrales auront alors un choix cornélien à réaliser : accepter une dose plus forte d’inflation ou augmenter les taux afin de l’endiguer au risque de mettre les États en difficulté et de la ralentir la croissance.

Des revenus dopés mais pour combien de temps ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les revenus des ménages ont été, en règle générale, préservés. En France, la baisse est inférieure à 5 %. Certaines catégories de la population sont plus affectées par cette crise. Les intérimaires, les CDD, les salariés qui bénéficiaient d’un fort volant d’heures supplémentaires, les étudiants qui disposaient d’un travail à temps partiel, subissent potentiellement des pertes de revenus supérieures à 5 %. Malgré tout, le maintien du pouvoir d’achat a permis un rebond rapide de la consommation après les confinements. Le chômage partiel ainsi que l’attribution d’aides à certaines professions et aux jeunes ont permis de limiter les pertes de pouvoir d’achat. Dans les prochains mois, cette bonne tenue des revenus devrait encore jouer favorablement à la croissance. Une augmentation du chômage en lien avec celle des liquidations pourrait changer la donne et freiner la reprise. Au sein de l’OCDE, le revenu disponible brut des ménages a enregistré une hausse de 1 % en 2020 ; pour 2021, elle pourrait être de 2 %. Une contraction des revenus dans les prochains mois aurait de lourdes conséquences sur la plan politique et social. Un accompagnement dans la durée est fortement probable.

Un système bancaire pris en étau

Plus la période de taux bas se prolongera, plus la rentabilité des banques diminuera. Elles sont, en outre, confrontées à la digitalisation de leurs activités qui les oblige à restructurer en profondeur leurs activités. Ce contexte peu porteur pourrait les conduire à restreindre le volume des prêts d’autant plus qu’un nombre important d’entreprises pourrait faire faillite. Les banques européennes, plus pénalisées, ont une moindre profitabilité que leurs homologues américaines avec des taux durablement plus bas depuis maintenant près de dix ans. La question du retraitement des prêts garantis par l’État se posera dans les trois à quatre prochaines années. Les banques craignent d’être mises à contribution pour effacer en partie cette dette « Covid ». Les prêts pourraient être transformés en titres participatifs. Face à la multiplication des créances douteuses, les banques devront disposer de fonds propres importants, ce qui les oblige à restaurer leur rentabilité. Elles pourraient, de ce fait, augmenter leurs tarifs. Les assureurs sont pénalisés par les taux bas au regard des engagements pris au niveau des fonds euros. Une forte et brutale augmentation des taux leur serait préjudiciable en entraînant d’importantes moins-values sur le stock d’obligations à taux bas qu’ils détiennent. Une remontée progressive et organisée des taux constitue le scénario souhaitable pour ce secteur d’activité.

La gestion des bulles d’actifs

Les politiques monétaires très expansionnistes avec la forte progression de l’offre de monnaie conduisent, au travers de son réinvestissement dans les autres classes d’actifs immobiliers et actions en priorité, à l’augmentation rapide de la valeur de ces derniers. Au sein de l’OCDE, le prix des logements a progressé depuis 2010 de 40 %. Sur la même période, l’indice boursier a connu une hausse de 180 %, résultat en grande partie due par la valorisation des valeurs technologiques. La constitution de bulles d’actifs génère des inégalités patrimoniales qui sont de plus en plus difficilement supportés, d’autant que les revenus salariaux n’augmentent pas ou peu. La proportion du patrimoine détenue par les 1 % des ménages les mieux dotés en la matière, au sein de l’OCDE, est passée de 29 à 32 % entre 2002 et 2020. Face aux tensions sociales qui se multiplient, les États seront conduits soit à accroître la redistribution des revenus au risque d’aggraver les déficits publics, soit à taxer plus lourdement le patrimoine

La dette publique, un mistigri ?

La Présidente de la Banque Centrale européenne, Christine Lagarde, a souligné que « l’annulation de la dette d’État détenue par la Banque centrale européenne est inenvisageable. Ce serait une violation du traité européen qui interdit strictement le financement monétaire des États. Cette règle constitue l’un des piliers fondamentaux de l’euro ». Cette prise de position vise à mettre un terme au débat sur la possibilité d’effacer ou de transformer en dette perpétuelle les 3 000 milliards d’euros d’obligations détenue par la Banque centrale. Une centaine d’économistes parmi lesquels figure Thomas Piketty ont demandé cette annulation afin de donner aux États de nouveaux moyens permettant leur reconstruction écologique ou de diminuer les inégalités sociales. Cet effacement qui concernerait 25 à 30 % de la dette publique pose le problème du jour d’après. Devant cette banqueroute partielle, les investisseurs exigeraient des taux bien plus élevés qu’aujourd’hui, augmentant le coût de la nouvelle dette. Cette mesure serait une incitation au non-remboursement des dettes quelles qu’elles soient. Les États en développement, les particuliers ou les entreprises seraient tentés de demander une annulation totale ou partielle de leurs crédits. En outre, l’effacement ne pourrait être conduit qu’à l’échelle internationale, ce qui suppose un large consensus. Il n’est pas certain que ce consensus soit possible au sein même de la zone euro ; un effacement reviendrait à absoudre de leur mauvaise gestion les États dépensiers. Pour ses partisans, l’annulation des dettes ne semble pas marquer le retour à l’orthodoxie budgétaire mais bien au contraire un moyen de dépenser plus.

Olivier Blanchard, ancien chef économiste du Fonds monétaire international, a sur ce sujet indiqué que les propositions d’annulation étaient stupides. Christine Lagarde a également souligné que « si l’énergie dépensée à réclamer une annulation de la dette par la BCE était consacrée à un débat sur l’utilisation de cette dette, ce serait beaucoup plus utile ».

Le retour du multilatéralisme ou la progression du nationalisme ?

L’ancien Président Donald Trump avait rejeté le multilatéralisme, préférant les relations bilatérales. Il avait également engagé des bras de fer avec la Chine et l’Europe au sujet des échanges commerciaux. Il avait tenté, en vain, de mettre un terme à la coopération des banques centrales. Son successeur Joe Biden, entend jouer la carte de la coopération internationale. À l’Ouest comme à l’Est, l’Union européenne doit faire face à une montée du nationalisme. À l’Ouest, cela a conduit au Brexit. À l’Est, les relations avec la Hongrie, la Bulgarie et la Pologne sont de plus en plus compliquées. Plusieurs pays comme la France ou les Pays-Bas doivent également faire face à des tensions internes fortes. Les épidémies ont de tout temps abouti au repli. Celle de la Covid-19 intervient à un moment charnière au niveau de la mondialisation. Celle-ci est depuis une dizaine d’années contestée sans pour autant être fondamentalement remise en cause. L’idée des relocalisations, des circuits courts, de la limitation de l’immigration est de plus en plus prégnante. La transition énergétique devient un leitmotiv renforcé par la crise sanitaire.

La coopération internationale sera-t-elle remise en cause par la pandémie ? A priori, la lutte contre le virus comme celle contre le réchauffement climatique exigent plutôt plus que moins de coordination et de régulation internationale.

La question sociale et politique

Les crises de grande ampleur aboutissent à des transferts de richesse entre les pays et en leur sein. Certains pays peuvent sortir gagnants grâce à leur positionnement économique ou à leur capacité de réaction. D’autres peuvent connaître un réel déclin, du fait de la structure de leur économie ou du poids des dettes. La Chine pour le moment est dans la catégorie des gagnants quand les États d’Europe du Sud sont fragilisés en raison de leur dépendance aux activités touristiques. À l’intérieur des pays, la crise sanitaire peut accentuer les inégalités sociales sur fond de montée des précarités. Le fort volant d’aides a pour le moment permis d’éviter une augmentation de la pauvreté. Le moment charnière interviendra lors de la reprise quand les frustrations s’exprimeront. Les gagnants de la crise seront pointés du doigt si dans le même temps le chômage augmente, ce qui est fort possible. Entre l’amélioration et son ressenti, un délai est constaté. Il peut atteindre plus d’un an.

Les perspectives économiques pour les trois prochaines années dépendront d’un nombre élevé de facteurs soumis à d’importants aléas. Le maintien d’une politique monétaire expansive est quasiment acquis même si elle peut provoquer des tensions en matière de maîtrise de l’inflation et des bulles d’actifs. Les ménages devraient rester attentistes, ce qui les amènera à conserver un fort volant d’épargne de précaution. En sortie de crise, les tensions sociales tendent à s’aiguiser. Les gouvernements devront gérer concomitamment le retour progressif à l’équilibre des comptes publics, la montée éventuelle du chômage et la recherche d’une plus grande égalité.

Liquidation d’entreprise, chronique d’une histoire incertaine

Avec les politiques de soutien à l’économie, le nombre de liquidations d’entreprise a fortement diminué au cours de l’année 2020. 32 184 procédures ont été enregistrées quand ce nombre se situe entre 50 000 et 60 000 en moyenne. En règle générale, les faillites interviennent entre un et deux trimestres après le début de la récession. Les aides publiques, le chômage partiel, le report des cotisations sociales et des impôts ainsi que les prêts garantis ont contribué à sauver de nombreuses entreprises de la faillite. Certaines qui logiquement auraient dû disparaître ont pu survivre en raison de la crise et des soutiens des pouvoirs publics.

Quand le régime de soutien s’allègera, des entreprises risqueront de se retrouver en situation difficile du fait des emprunts à rembourser et d’une baisse de leurs profits. Le nombre de faillites dépendra de la situation financière des entreprises et bien évidemment du secteur dans lequel elles évoluent. Les prévisions demeurent discordantes au sujet du nombre potentiel de faillites qui pourraient intervenir dans les prochains mois

Avec la crise sanitaire, les profits après taxes et intérêts mais avant dividendes ont baissé d’au-moins 20 % (source INSEE – DATASTREAM). Ils ne devraient plus représenter que 11 % du PIB en 2021, contre 14 % du PIB en 2019. Le taux d’autofinancement des investissements qui était de plus de 100 % avant la crise, est désormais inférieur à 90 %. Cette détérioration intervient dans un contexte de recul de l’investissement, autour de 5 % en 2021 par rapport à 2019.

La dette des entreprises est en forte hausse, passant de 55 à près de 90 % du PIB de 2008 à 2020. Elle représentait, l’année dernière, sept années de bénéfices, contre cinq en 2008. Cette dégradation doit être relativisée par la forte augmentation des dépôts des entreprises qui ont atteint, fin 2020, plus de 800 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros en 2008. Les entreprises ont placé en liquidités les sommes obtenues par les prêts garantis par l’État. Par ailleurs, la charge de la dette, les intérêts versés s’élevait à 2,5 % du PIB en 2020, contre 6 % en 2008.

Selon une étude Natixis, près de 13 000 entreprises pourraient faire l’objet d’une liquidation en sortie de crise en plus des 50 000 constatées traditionnellement chaque année. La hausse des faillites serait ainsi de 25 %. Si cette prévision s’avérait exacte, ce rebond serait faible compte tenu de la faiblesse des liquidations en 2020.

États-Unis et zone euro, des politiques différentes face à la crise

Les États-Unis et l’Union européenne n’ont pas adapté les mêmes politiques économiques face à la pandémie. Les États-Unis ont opté pour un large programme de dépenses publiques quand la zone euro privilégie une politique de crédits peu chers. Les États-Unis ont accru de 15 points de PIB leur déficit public. Le plan de Joe Biden de 1 900 milliards d’euros (qui s’ajoute aux mesures prise sous l’administration Trump) représente 10 % du PIB. Le plan français de relance s’élève à 100 milliards d’euros, soit 4 % du PIB.

L’Union européenne n’est pas un pays unifié. Elle est composée d’États dont certains ont une tradition de rigueur en matière budgétaire quand d’autres sont plus enclins au déficit. Le plan de relance de 750 milliards d’euros a été décidé après de longs et difficiles débats. Le processus de ratification étant complexe, sa mise en œuvre interviendra certainement à partir du deuxième semestre 2021. La part revenant à la France est de 40 milliards d’euros et servira à financer le plan national de relance.

La monnaie est le point d’ancrage des États membres avec la Banque Centrale Européenne qui joue un rôle de fédérateur et de garant en dernier ressort du système. Dans ce contexte, il n’est pas illogique que la politique monétaire y tienne une place plus importante qu’aux États-Unis. La stratégie de la Réserve Fédérale semble être aujourd’hui d’accompagner la reprise de l’économie, ou la perspective de reprise dans le futur, par une politique monétaire un peu moins expansionniste : freinage des achats de dette, acceptation de taux d’intérêt à long terme un peu plus élevés.

Depuis la fin de la première vague, la Réserve Fédérale opte pour une politique plus prudente que celle de la Banque Centrale Européenne. Depuis le troisième trimestre de 2020, elle a ralenti les rachats d’obligations. La base monétaire a été, depuis le mois de juillet dernier, stabilisée autour de 7 000 milliards de dollars, contre 4 000 milliards de dollars en janvier 2020. La banque centrale américaine laisse les taux d’intérêt réels à long terme se redresser légèrement. Après s’être abaissés à 0,6 % au deuxième trimestre 2020, ils sont depuis le quatrième trimestre 2020 repassés au-dessus en ce qui concerne les obligations de l’État fédéral à 10 ans. La courbe des taux est moins aplatie qu’en Europe. Il n’en demeure pas moins que les taux restent à des niveaux très faibles par rapport à la croissance attendue. Les taux réels restent toujours négatifs pour les emprunts d’État à 10 ans.

La Banque centrale européenne poursuit depuis le début de la pandémie son programme de rachats d’obligations. La base monétaire est passée de 3 200 à 5 000 milliards d’euros de mars 2020 à janvier 2021. Les achats d’obligations ont été importants entre avril et août, jusqu’à 400 milliards d’euros mensuels. Après une baisse à l’automne, ils sont en forte augmentation depuis le mois de décembre, autour de 250 milliards d’euros mensuel.

Les taux d’intérêt au cœur de la zone euro demeurent à des niveaux historiquement bas. Le taux moyen des obligations d’État à 10 ans pour la zone euro est nul depuis le troisième trimestre 2020 quand celui pour l’obligation d’État allemand est négatif de 0,5 %. L’écart avec les États-Unis est d’un point à un point et demi pour l’Allemagne, ce qui est conséquent. Les investisseurs anticipent une inflation plus forte aux États-Unis qu’en Europe ainsi qu’une dépréciation du dollar en raison de l’important programme de dépenses publiques décidé par Joe Biden.

La politique américaine préserve la santé des établissements financiers et des épargnants. La sortie de crise sera de ce fait plus facile aux États-Unis, ces derniers s’appuyant moins sur les outils non conventionnels de la politique monétaire. Le choix de laisser les taux d’intérêt augmenter est également lié à la nécessité d’attirer une partie de l’épargne internationale afin de financer l’abondant déficit américain. Il est également facilité par le rôle du dollar au sein de l’économie mondiale (plus de 60 % des réserves de change sont en dollars). Sur le terrain de la croissance, la politique américaine sort pour le moment gagnante avec un recul plus faible du PIB en 2020 et un rebond effectif depuis le troisième semestre même si un ralentissement est constaté depuis le mois de décembre. La bonne tenue de l’économie américaine n’est pas imputable exclusivement à l’association politique monétaire/politique budgétaire, elle s’explique par le poids des entreprises du numérique. Le plan de relance est critiqué aux États-Unis par son ampleur jugée excessive. Plusieurs experts s’inquiètent de ses potentiels effets inflationnistes. L’économie américaine serait dans l’incapacité de répondre aux stimuli de la demande qui risquent d’accroître le volume des importations en provenance notamment de Chine.