Le Coin de la Conjoncture – Russie – Chine – Afrique – OCDE – inflation -ménages
Vers le retour de la logique des blocs ?
Jusqu’au début de la guerre en Ukraine, la Russie avait deux partenaires commerciaux clefs : la Chine et l’Union européenne. Jusqu’au mois de mars 2022, 40 % des exportations russes étaient destinées à l’Union européenne et 12 % à la Chine. La part des exportations à destination de l’Union qui avait atteint 60 % en 2007 était en baisse régulière depuis une quinzaine d’années, celle à destination de la Chine suivant le chemin inverse. Les importations depuis l’Union sont passées de 45 % du total des importations en 2014 à 30 % en 2021 quand celles en provenance de Chine sont passées de 20 à 30 %. Depuis le rattachement de la Crimée en 2014, la Russie a renforcé ses liens économiques avec plusieurs États d’Afrique. Elles ont doublé en sept ans.
Un bloc d’échanges associant la Chine, l’Afrique et certains pays d’Amérique latine se constitue face à celui rassemblant les pays de l’OCDE. Le Brésil qui tente d’intégrer cette dernière instance semble, en revanche, hésiter sur son positionnement.
En 2021, la Chine, la Russie et l’Afrique représentaient 27 % du PIB mondial, un quart des échanges mondiaux et 37 % de la population mondiale. Ce groupe pèsera de plus en plus en termes de population grâce à l’Afrique dont le nombre d’habitants passera de 1,4 à 2,5 milliards de 2020 à 2050. À l’échelle mondiale, ce bloc produit 23 % du gaz, 20 % du pétrole, 27 % de la production agricole et 58 % des métaux. Au niveau des réserves de change, le poids de ce bloc est passé de 12 à 35 % de l’ensemble des réserves au niveau mondial de 2002 à 2022. Il est à l’origine du tiers de l’épargne mondiale en 2021, contre 10 % en 2002. 26 % des dépenses de recherche/développement mondiales étaient réalisées par la Chine, la Russie et l’Afrique en 2021, contre 4 % en 2002. Un bloc dominé par la Chine et la Russie, s’étendant aux pays africains, aurait des positions dominantes dans l’énergie et les matières premières. La Chine pourrait ainsi sécuriser ses approvisionnements et fournir ses nouveaux alliés en produits industriels. Les pays occidentaux seraient contraints de maintenir un minimum de relations avec la Chine et certains pays d’Afrique pour accéder à certains biens et matières premières ainsi qu’aux énergies carbonées. La fragmentation de la planète en deux blocs – d’un côté les démocraties, de l’autre, les dictatures – ne serait pas une partition totale. Des espaces d’échanges demeureraient avec le risque d’être soumis à des rapports de force assez violents.
Que font les ménages quand le prix de l’énergie augmente ?
Face à l’augmentation rapide des prix, à défaut de pouvoir bénéficier d’augmentation de salaires, les ménages n’ont pas d’autre solution que de réduire leur consommation en particulier d’énergie ou de puiser dans leur épargne pour limiter les pertes de pouvoir d’achat. À chaque progression rapide des cours du pétrole, ils ont eu tendance à accroître leur effort d’épargne par crainte des augmentations de prix futures. Ils ont eu également tendance à diminuer leur achats de biens durables et notamment de biens immobiliers. Depuis le début de l’année, que ce soit aux États-Unis ou en zone euro, les consommateurs sont confrontés à des hausses importantes des prix de l’énergie, soit +30 % en rythme annuel.
Lors des précédents chocs pétroliers (1973, 1979, 2007 et 2012), la consommation a faibli et le taux d’épargne a progressé. Les ménages ne puisent pas dans leur épargne surtout au début des processus de hausse. Bien au contraire, ils augmentent leur encaisse par précaution. Face à l’inflation qui érode la valeur du patrimoine financier, les ménages tentent en épargnant davantage d’en maintenir la valeur réelle. Chaque ménage se fixe un objectif patrimonial qu’il tente d’atteindre.
Que ce soit en 1973, en 1980, en 2003/2007 ou en 2012, les augmentations des tarifs énergétiques ont provoqué une baisse de la consommation d’énergie de 5 à 8 % par les ménages qui ont conduit à d’importantes économies. Les ventes de voitures ont baissé à chaque fois, sachant qu’elles sont déjà à un niveau très faibles en 2022. Les problèmes d’approvisionnement et le changement des normes en lien avec la transition énergétique pénalisent ce secteur. La hausse du prix de l’essence se surajoute à ces problèmes. En rythme annuel, les ventes de voitures s’élèvent au début de l’année 2022 à 7,5 millions en zone euro, contre 11 millions avant la crise sanitaire. Aux États-Unis, elles sont passées de 17 à 15 millions. Lors des précédents chocs énergétiques, les achats de biens manufacturiers ont souffert à la différence de ceux qui concernent les services. Aux États-Unis, plus qu’au sein de la zone euro, les achats de biens immobiliers ralentissent fortement durant les périodes d’augmentation des tarifs énergétiques. Cette corrélation est liée à la hausse des taux d’intérêt générée par l’augmentation des prix.
Face à la hausse du prix de l’énergie, les consommateurs aux États-Unis réduisent leur consommation, en particulier en énergie. Les achats de logements diminuent également. Dans la zone euro, les ménages freinent leur consommation totale, les achats de voitures et de produits manufacturés et leur consommation en énergie. Lors des derniers épisodes de hausses d’énergie, un report des achats de logements a également été constaté.
Les États-Unis, l’inflation et les taux d’intérêt
Depuis le mois de février, la Réserve Fédérale américaine insiste sur la nécessité de juguler l’inflation. Pour autant, est-ce réellement son objectif ? Les déclarations de ses responsables semblent indiquer dans les faits une certaine mansuétude face à la hausse des prix. Les décisions sont loin de celles prises durant les décennies précédentes.
En prévoyant un train de six à sept hausses, la ligne de Réserve Fédérale semble être dure. Elle détonne avec la pratique en cours depuis 2008. Les annonces de Jerome Powell, le Président de la FED, ont provoqué une hausse visible des taux d’intérêt. Le taux d’intérêt sur les obligations d’État à 2 ans est passé de 0,3 à plus de 2 % et celui des obligations à 10 ans de 1,7 à 2,6 % de janvier à avril 2022. Si ces augmentations constituent des ruptures par rapport à la situation des années précédentes, elles demeurent nettement inférieures à la hausse des prix. Le taux d’inflation était de près de 8 % aux États-Unis à la fin du premier trimestre.
Dans les années 1980, face à la montée des prix provoquée par le deuxième choc pétrolier, la FED avait augmenté ses taux au-delà de 15 %. En 2008, quand le baril de pétrole Brent avait atteint 140 dollars, la banque centrale américaine avait porté ses taux à plus de 5 % afin de bloquer la reprise de l’inflation. La hausse de ses taux directeurs lui fut reprochée avec la survenue de la crise des subprimes. Compte tenu de la hausse de l’inflation en cours, en retenant les pratiques antérieures, les taux directeurs devraient atteindre près de 9 %. Selon la prévision de la FED, les taux directeurs seraient portés entre 1,75 % et 2 % d’ici la fin de l’année. À l’horizon de la fin 2023, le taux directeur est désormais attendu à 2,8 %.
Au sein du Conseil de politique monétaire, un débat existe pour accélérer la hausse des taux. Ainsi, la gouverneure de la FED, Lael Brainard, a déclaré le 5 avril 2022 que la « tâche la plus importante est de s’employer à lutter contre l’inflation », ajoutant que la banque centrale devra également s’atteler à la réduction de la taille de son bilan dès le mois de mai, et à un « rythme rapide », afin de ramener sa politique vers « une position plus neutre » dans le courant de l’année. Elle s’est prononcée en faveur d’un relèvement d’un demi-point du taux des fonds fédéraux le mois prochain. Si le débat sur un relèvement plus rapide existe, nul n’imagine qu’il puisse amener les taux à 5 ou 6 %. Les investisseurs n’anticipent pas une augmentation forte des taux dans les prochains mois. Certes, ils ont ajusté leur schéma, le taux à 10 ans de l’obligation d’État américaine étant passé de 1,6 à 2,6 % du 7 mars au 7 avril 2022.
Si la réaction des banques centrales et en particulier celle de la FED est différente en 2022 de ce qu’elle était dans les années 1980, elle s’explique par une sensibilité accrue des économies aux taux d’intérêt. L’expérience de la crise de 2008/2009 demeure prégnante. Une hausse de taux déclenche des effets dominos parfois incontrôlables. Le niveau d’endettement élevé des agents économiques empêche les banques centrales de se focaliser exclusivement sur le taux d’inflation. Ce dernier devrait rester élevé de nombreux mois avec en parallèle la persistance de taux réels négatifs. Pour les emprunts d’État à 10 ans, le taux d’intérêt réel aux États-Unis était de -6 % fin mars 2002, contre 0 % fin 2019.
Même si la remontée des taux reste limitée, elle pourrait peser sur l’activité économique dans les prochains mois avec en particulier un recul de l’investissement résidentiel. Au cours du premier trimestre 2022, 1,8 million de mises en chantier étaient enregistrées en rythme annuel. Une baisse de 10 à 15 % est attendue d’ici la fin de l’année.
Étant donné que l’inflation est en grande partie générée par les produits importés, matières premières, énergie, produits agricoles, la hausse des taux directeurs aura un effet limité sur celle-ci. La valeur des actions et de l’immobilier pourrait rester élevée en jouant un rôle de paratonnerre contre l’inflation et les rendements réels obligataires négatifs.