4 septembre 2021

Le Coin de la Conjoncture – vieillissement population – argent trop rare – politique monétaire

Vieillissement démographique, un défi protéiforme

La population mondiale s’est engagée dans un processus de vieillissement, phénomène unique dans l’histoire de l’humanité tant par son ampleur que par sa rapidité. Ce vieillissement qui touche tous les continents est, en théorie, synonyme de ralentissement économique et d’augmentation des besoins de financement public. Le Japon qui est le premier pays à être entré de plain-pied dans ce processus démontre que des failles importantes existent entre la théorie et la réalité.

Le vieillissement démographique se caractérise par la hausse de la proportion des plus de 65 ans au sein de la population et par le recul de la croissance du nombre de personnes en âge de travailler (20-64 ans). Au niveau mondial, la proportion des plus de 65 ans est passée de 6 à 10 % de 1990 à 2020 et devrait atteindre plus de 14 % en 2040. Le taux de croissance de la population active qui était supérieur à 2,25 % en 1990 n’était plus que de 1 % en 2020. Il ne s’élèverait qu’à 0,6 % en 2040 (sources ONU).

Au Japon, pays le plus avancé dans le processus de vieillissement de sa population, la proportion de plus de 65 ans s’élevait en 2020 à près de 30 % et devrait atteindre 35 % en 2040. L’Union européenne suit de près avec des chiffres respectifs de 20 et 30 %. Parmi les pays avancés, les États-Unis ont la dégradation la moins marquée avec une part des plus de 25 ans qui se maintiendra autour des 20 % à l’horizon 2040. En Chine, les plus de 65 ans sont passés de moins de 5 % en 1990 à 12 % en 2020. Ils représenteront 25 % de la population chinoise en 2040. Les pays africains seront les seuls à compter moins de 5 % de plus de 65 ans en 2040. De 2020 à 2040, les populations actives diminueront au Japon, en Europe, en Chine, en Russie et en Amérique latine. Elles continueront à croître rapidement en Afrique (+2 % par an) et aux États-Unis (+0,5 % par an).

Le vieillissement de la population est censé générer de nombreux effets économiques. En théorie, il conduit à une hausse de l’inflation. La baisse du nombre d’actifs favorise la progression des salaires. Celle-ci est également alimentée par l’augmentation de la demande de services. Les entreprises compensent la baisse de la population active par une recherche de gains de productivité. Pour le moment, ces aspects annoncés du vieillissement ne sont pas visibles. Au Japon, l’inflation est aux abonnées absentes depuis plus de trente ans. En Europe, la menace, de ces dernières années, a été non pas la hausse des prix mais la désinflation. Compte tenu des tonneaux de liquidités injectées dans l’économie mondiale et les goulots d’étranglement qui apparaissent au sein du marché du travail, l’inflation pourrait revenir dans les prochaines années même si, au Japon, les salaires augmentent faiblement malgré la contraction de la population active. Les rapports de force entre capital et travail sont défavorables au second depuis plusieurs années avec la désindustrialisation et l’ubérisation des activités. La flexibilité du travail joue à l’encontre des revalorisations salariales. La baisse de la population active a été freinée au Japon comme au sein des autres pays occidentaux par le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite.

Dans un monde en vieillissement, le taux d’épargne devrait diminuer. Les retraités sont supposés puiser dans leur patrimoine pour maintenir leur niveau de vie. Par ailleurs, pour verser des revenus à un nombre croissant de retraités, les fonds de pension sont amenés, logiquement, à céder des actifs. La diminution des flux d’épargne devrait provoquer une hausse des taux d’intérêt et une baisse de l’investissement.

Pour le moment, aucun mouvement de désépargne n’est constaté. Au contraire, le taux d’épargne à l’échelle mondiale tend à augmenter. Il est passé de 24 à 27 % du PIB de 1990 à 2019 (source FMI). Au lieu de monter, les taux d’intérêt diminuent tant en raison de l’abondance de l’épargne que des politiques monétaires expansionnistes mises en œuvre par les banques centrales. Le recul de l’investissement pourrait être provoqué par une moindre demande de capital. Celle-ci serait imputable à la diminution de la population active et au moindre besoin d’infrastructures (établissements d’enseignement, logements, etc.). Cet argument est à relativiser car, en contrepartie, les besoins en hôpitaux, en maisons de retraite ou en EHPAD augmentent. D’autres facteurs plus importants joueront sur l’investissement dans les prochaines années comme la digitalisation et la transition énergétique.

La seule grande certitude en ce qui concerne le vieillissement concerne les finances publiques. Ces trente dernières années, les dépenses publiques de retraite et de santé ont augmenté à l’échelle mondiale de plus de deux points de PIB. En France, les dépenses liées au vieillissement sont responsables de plus de la moitié de l’augmentation des dépenses publiques constatée entre 2000 et 2019. La crise sanitaire a prouvé la sensibilité des finances publiques aux dépenses de santé. Compte tenu de l’évolution de la composition des populations, ces dernières ne peuvent qu’augmenter rapidement jusqu’au milieu de ce siècle. Les dépenses de santé et de retraite représentent le quart voire plus du PIB en France, en Allemagne, aux États-Unis ou au Japon. Dans les pays à faible protection sociale comme la Chine, les ménages sont contraints d’épargner fortement, jusqu’à 40 % de leur revenu, pour faire face aux éventuelles dépenses. Cette épargne élevée pèse par ricochet sur la consommation.

Le vieillissement des populations est un phénomène mondial qui a déjà commencé à se faire ressentir comme le prouve la crise sanitaire. Au-delà des aspects économiques, le vieillissement soulève des questions sociologiques et politiques parmi lesquelles figurent la répartition des charges entre les générations et l’adaptation de la société (travail, équipements collectifs, etc.). Si dans le passé, une part non négligeable des coûts liés au vieillissement était prise en charge par les familles (obligation légale), avec la montée de l’individualisme, la déstructuration des familles, la mutualisation et socialisation de ceux-ci devrait se poursuivre. Il est imaginable qu’une mobilisation plus importante du patrimoine soit demandée à ceux qui en sont pourvus afin d’alléger la facture sur les actifs. Face à la problématique de l’augmentation des dépenses de retraite, le report de l’âge de départ à la retraite est apparu comme la solution la plus efficace, bien que difficile à adopter. Or, ce report n’est pas sans limite. Le vieillissement de la population active entraîne une augmentation des dépenses de santé, d’invalidité voire de chômage. Il peut provoquer un transfert de charges entre les régimes de la Sécurité sociale. Il suppose en outre une adaptation du monde professionnel afin de garantir un taux d’emploi élevé au-delà de 50 ans.

De l’argent sans limite à l’argent rare

Si grâce à l’action de la Banque Centrale Européenne et des autres Banques Centrales, l’argent public est aujourd’hui abondant, permettant de financer l’accroissement sans précédent des dépenses publiques en période de paix, il pourrait devenir rare et donc plus cher. Or, les besoins publics à court, moyen et long terme apparaissent incommensurables. Les pouvoirs publics doivent faire face à une situation inédite en devant financer en même temps le combat contre l’épidémie, le vieillissement de la population, la transition énergétique et l’adaptation de la société au digital (dépenses de formation).

Les besoins financiers pour la protection sociale sont importants au sein de tous les pays avancés. Avec l’épidémie, la santé est devenue une priorité. Les populations et les professionnels de santé demandent une augmentation des crédits afin d’améliorer la prise en charge. Tous les pays et en particulier la France ont, ces dernières années, freiné les dépenses de santé en jouant sur le montant des rémunérations du personnel soignant et en différant certains investissements. En France, le Ségur de la Santé de 2020 devrait en partie combler le retard accumulé. Il a prévu une augmentation des dépenses de 12 milliards d’euros. L’accord qui en a résulté aboutit à un plan de revalorisation salariale à l’hôpital et en Ehpad, ainsi qu’au lancement d’un plan d’investissement et de reprise de la dette hospitalière. Le « Ségur » a coûté 1,5 milliard d’euros en 2020, 8,2 milliards en 2021 puis encore 2,1 milliards en 2022 (soit 11,8 milliards au total). À ces mesures pérennes, doivent être ajoutées les dépenses en lien direct avec l’épidémie. Pour 2022, le gouvernement français compte provisionner 5 milliards d’euros pour lutter contre le covid. Cette enveloppe doit permettre la prise en charge de la troisième dose de vaccin. En 2021, l’épidémie devrait coûter plus de 10 milliards d’euros pour les seules dépenses de santé. La dépense de dépistage a été réévaluée en juin dernier à 4,9 milliards. Ce montant pourrait être dépassé avec la décision d’instaurer le pass sanitaire le 12 juillet dernier. Le nombre hebdomadaire de tests a atteint 5,7 millions. Au rythme actuel, le coût de la facture pourrait dépasser pour les seuls tests 6 milliards d’euros. Leur déremboursement partiel à partir du mois d’octobre devrait néanmoins alléger la facture l’année prochaine. Le coût de la vaccination pour 2021 a été évalué à 4,6 milliards d’euros. Ce montant devrait être dépassé avec le lancement d’une campagne de rappel vaccinal pour les plus de 65 ans et les personnes immunodéficientes, soit plus de 18 millions de personnes. Avec l’élargissement de la vaccination aux jeunes enfants et l’apparition de nouveaux mutants, le principe d’une vaccination annuelle contre le covid est de plus en plus à l’étude. Les rappels annuels pourraient coûter entre 4 et 6 milliards d’euros.

Les gouvernements occidentaux devront également faire face à une augmentation rapide des dépenses de retraite du fait de la poursuite de l’arrivée à l’âge de la retraite des générations du baby-boom. Le nombre de retraités passera en France de 17 à 25 millions de 2020 à 2060. Le vieillissement induit une progression des dépenses de santé et en particulier de dépendance. En France, ces dernières devraient doubler d’ici le milieu du siècle.

La transition énergétique devrait occasionner des dépenses se chiffrant en centaines de milliards d’euros pour chacun des États membres de l’Union. Elle nécessite la substitution de sources d’énergie renouvelables aux sources d’énergie carbonée. Elle oblige à la réalisation d’infrastructures nouvelles et à l’engagement d’importants programmes de recherche. Par ailleurs, dans un monde plus instable et avec l’isolationnisme croissant des États-Unis, les États européens devront consentir un effort budgétaire plus important en matière de défense.

Ces défis interviennent au moment où le niveau des dettes publiques atteint des sommets. En 2020, l’endettement public français a atteint 118 % du PIB, contre 60 % en 2002 ou 21 % en 1981. Depuis quarante ans, les gouvernements ont profité d’un argent abondant et de moins en moins coûteux. La France a ainsi émis pour plus de 260 milliards d’euros en 2020 à un taux moyen nul. En 2002, le taux moyen des obligations d’État à 10 ans pour la France était supérieur à 5 %. Le service de la dette, le paiement des intérêts, comptabilisé dans le budget de l’État est inférieur, en 2021, à son niveau de 1997 malgré une dette deux fois plus importante. L’argent prolifique est également la conséquence des rachats réalisés par la Banque Centrale européenne qui détenait, fin 2020, 25 % de la dette de l’État, contre moins de 5 % en 2014. Ces rachats jouent à deux niveaux. Ils garantissent à l’État que ces emprunts seront placés quoi qu’il arrive tout en pesant sur les taux d’intérêt.

Si les besoins publics perdurent de nombreuses années, l’argent a-t-il vocation à demeurer abondant ? L’arrêt des rachats d’obligation par la BCE interviendra de manière progressive entre 2022 et 2024. À ce moment-là, la France et la plupart des pays de la zone euro seront confrontés à des niveaux élevés de dette publique et seront dans l’obligation de stabiliser ou de réduire leurs dépenses publiques pour éviter une hausse nouvelle des impôts. La France sera un des pays les plus exposés à ce problème étant donné que son niveau de prélèvements obligatoires représente 45 % du PIB, soit six points au-dessus de la moyenne de la zone euro (hors France). Lors des crises précédentes, en France, les gouvernements ont privilégié l’instrument fiscal aux économies budgétaires. Les marges de manœuvre seront plus que limitées dans les prochaines années contraignant à rechercher une plus grande efficience en matière de dépenses publiques et à réaliser des arbitrages dans les priorités. Le souhait des pouvoirs publics et de la population de relocaliser une partie des activités productives ne peut être réalisé que par une modération des prélèvements sur les entreprises. Face à l’augmentation du prix des logements, l’évolution du pouvoir d’achat des ménages sera une question sensible dans les prochaines années. Or, la désindustrialisation de ces trois dernières décennies a entraîné la perte de nombreux emplois qualifiés (9 % d’emplois manufacturiers en 2020, contre 15 % en 1995). Ces emplois étaient générateurs de recettes fiscales et de dépenses de consommation compte-tenu de leur niveau de rémunération. En outre, la désindustrialisation a provoqué l’apparition d’un déficit commercial chronique et important. Si les recettes issues du tourisme et des services permettaient d’équilibrer la balance des paiements courants, cela n’est plus le cas depuis quelques années, amenant à un accroissement de la dette extérieure française. Or, celle-ci n’est pas extensible à l’infini. A défaut d’amélioration de la compétitivité extérieure française, un plan de rigueur pourrait s’avérer nécessaire  pour ralentir les dépenses des ménages et ainsi les importations. Pour améliorer la compétitivité, l’économie française a le choix entre la montée en gamme ou la réduction des coûts salariaux. Ce dernière option est évidemment peu populaire.

Ces dernières années, pour attirer les entreprises étrangères et favoriser la création d’emplois, les États se sont engagés dans une concurrence fiscale aboutissant à une forte réduction du poids de l’impôt sur les sociétés. Le taux moyen d’imposition sur les bénéfices au sein de la zone euro est ainsi passé de 45 à 28 % de 1995 à 2020. L’accord intervenu au sein de l’OCDE et la pression des opinions publiques semblent avoir mis un terme à cette spirale de réduction de l’impôt sur les sociétés. Il ne mettra pas, en revanche, un terme à la compétition économique entre les États. Les politiques de localisation d’activités, d’accueil des investissements étrangers reposeront davantage sur la réalisation d’infrastructures de santé, de transports et de télécommunication de qualité, par un niveau de formation élevé des salariés, par la disponibilité des équipements culturels et par la présence d’établissements scolaires reconnus. À l’image des entreprises qui cartographient leurs risques, afin de probabiliser leur survenue et provisionner à due concurrence, cette pratique devrait se généraliser dans la sphère publique. Le caractère pluriannuel des budgets de l’État qui s’est imposé depuis les années 1990 devrait être élargi afin de prendre en compte des risques de moyen et de long terme. La bataille contre le covid durera plusieurs années tout comme la transition énergétique. Le réchauffement climatique peut provoquer des déplacements de populations ou des changements agricoles qu’il convient d’anticiper afin d’en réduire les coûts.

Les politiques monétaires expansionnistes sont-elles efficaces ?

Depuis les années 1950, jamais les bilans des banques centrales n’avaient connu un tel gonflement. En vingt ans, la base monétaire de la Réserve Fédérale est passée de 800 à 8 000 milliards de dollars, celle de la Banque Centrale Européenne de 500 à 6 000 milliards d’euros. Dans le même temps, les taux d’intérêts sont passés de 6% à 0% au sein de la zone euro et de 6% à 1,2% pour les États-Unis. Ces politiques monétaires ultra-accommodantes ont eu peu d’effets sur la demande de biens et de services des secteurs privés.

Le bénéfice net réalisé pour une unité de capital n’a pas augmenté depuis 2002, voire il a diminué malgré la baisse des coûts de financement. Cette stagnation du ROE (return on equity) peut expliquer la faiblesse de l’investissement sur longue période tant aux États-Unis qu’en Europe. La baisse des taux d’intérêt n’a pas entraîné une baisse des taux d’épargne des ménages. Depuis la crise financière de 2008, ils ont même tendance à augmenter aux États-Unis comme en Europe et cela avant même la crise sanitaire. En raison de la succession des crises et de la montée de la précarité, les ménages épargnent davantage. Par ailleurs, le rendement des produits de taux diminuant, ils sont contraints de mettre plus d’argent de côté pour atteindre leurs objectifs patrimoniaux. Malgré la baisse des taux, l’investissement des ménages en logement est passé de 6 à 3 % du PIB de 2004 à 2019 aux États-Unis et de 6,5 à 5,8 % du PIB au sein de la zone euro. Certes, sans soutien monétaire, la demande des ménages et l’investissement auraient peut-être baissé. Il est admis qu’il a évité la déflation mais sans atteindre l’objectif qui lui était assigné : la remontée de l’inflation et la relance durable de l’économie. En zone euro, avant la crise sanitaire, les effets des politiques monétaires accommodantes donnaient déjà des signes d’essoufflement.

En réduisant le coût des emprunts, ces politiques ont également favorisé un endettement rapide de la part des États et des agents économiques privés. La dette publique de la zone s’élevait en 2020 102 % du PIB et pour les États-Unis à 140 % du PIB, contre respectivement 70 et 60 % en 2002. Pour la zone euro, le coût de l’endettement a été réduit par plus de deux, passant, pour les administrations publiques, de 3,5 à 1,4 % du PIB. Pour les États, les ratios respectifs sont 4 et 3,5 %. Avec la crise sanitaire, les déficits publics ont atteint des niveaux sans précédent en période de paix, 15 % du PIB aux États-Unis et 9 % en France. Les effets sur la consommation ou sur l’investissement sont relativement faibles. En revanche, les déficits ont permis de neutraliser les conséquences récessives de l’épidémie et ont contribué à augmenter le niveau d’épargne. Les politiques monétaires accommodantes sont jugées incontournables même si leur efficacité à terme se pose.