24 octobre 2024

Le Coin de l’économie

La bataille de l’innovation est engagée

L’intelligence artificielle et la transition écologique donnent lieu à une compétition internationale dans le domaine de la recherche, notamment entre l’Europe, les États-Unis, la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Une grande partie de la croissance de demain dépend des investissements actuels en recherche fondamentale et en développement.

L’Europe en pointe pour la recherche fondamentale

En 2023, les dépenses en recherche fondamentale représentaient 0,2 % du PIB en Chine, 0,36 % aux États-Unis et 0,48 % dans l’Union européenne. L’Union européenne compte 23,5 % des chercheurs au niveau mondial, contre 18,1 % pour les États-Unis et 21,2 % pour la Chine. En 2021, la Chine a déposé 6 106 familles de brevets triadiques, les États-Unis 14 341, et l’Europe 11 230. En 2022, 2 000 brevets portant sur des technologies de rupture ont été déposés aux États-Unis, contre 1 200 en Europe et 360 en Chine. L’Europe tient également son rang en ce qui concerne le nombre de publications scientifiques. En 2023, la Chine a produit 1 040 000 publications, les États-Unis 714 000 et l’Union européenne 1 030 000. La part des publications mondiales réalisées dans l’Union européenne est de 20 %. Parmi les 10 % des articles scientifiques les plus cités, 54 000 étaient d’origine chinoise, 36 000 d’origine américaine et 32 000 d’origine européenne en 2022.

Un retard réel en Recherche-Développement dans les entreprises

Les dépenses de Recherche-Développement (R&D) atteignent 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,5 % en Chine et 2,4 % dans l’Union européenne. Parmi les 2 500 entreprises mondiales qui investissent le plus en R&D en 2021, 32 % étaient américaines, 24 % chinoises et 16 % européennes. En Europe, ces dépenses sont principalement concentrées dans le secteur de l’automobile, qui traverse une grave crise, tandis qu’aux États-Unis, et dans une moindre mesure en Chine, elles sont davantage orientées vers les nouvelles technologies (hardware et logiciels). Aux États-Unis, 54 % de la R&D est consacrée aux technologies de l’information et de la communication (TIC), contre 36 % en Chine et 15 % en Europe. Le secteur de l’automobile absorbe près du tiers des dépenses de R&D en Europe, contre 4 % aux États-Unis et 7 % en Chine. Cependant, grâce à son avance technologique dans le domaine des batteries, la Chine prend des parts de marché à l’industrie automobile européenne.

Les deux problèmes majeurs de l’Europe

Les deux principaux problèmes de l’Europe sont l’insuffisance des liens entre la recherche universitaire et la recherche en entreprise, ainsi que la faible taille du capital-risque au sein de l’Union européenne. En 2021, les levées de fonds en capital-risque ont atteint 330 milliards de dollars aux États-Unis, 104 milliards en Chine, et seulement 33 milliards dans l’Union européenne. Le marché des capitaux reste étroit et fragmenté en Europe, comme l’a récemment souligné le rapport de Mario Draghi. La capitalisation boursière représente 75 % du PIB dans l’Union européenne, contre 150 % aux États-Unis. En Europe, les entreprises se financent principalement par le crédit bancaire, tandis qu’aux États-Unis, elles ont davantage recours aux marchés financiers. Ce mode de financement est plus adapté à la recherche, car les actionnaires sont prêts à accepter plusieurs années sans dividendes dans l’espoir de rendements futurs. À l’inverse, les entreprises qui se financent par emprunt doivent rembourser leurs crédits, quels que soient leurs résultats.

Outre la fragmentation du marché financier européen, il faut également souligner la faible propension des épargnants à prendre des risques. En la matière, les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité. En France, par exemple, le nombre important de produits d’épargne de court terme réglementés n’incite pas les ménages à opter pour des produits de long terme plus risqués. La création annoncée d’un Livret Industrie ne contribuera pas à un changement de comportement

La Suède, un modèle pour la France ?

La France est confrontée à une forte augmentation de son déficit public, qui pourrait dépasser 6 % du PIB en 2024. Cette dégradation est imputable à une progression moindre des recettes en raison de l’atonie de la consommation et à la poursuite de l’augmentation des dépenses, en lien avec le vieillissement démographique et les nombreuses sollicitations catégorielles auxquelles l’État central doit faire face. Le gouvernement est censé ramener le déficit à 3 % du PIB d’ici 2029. Pour 2025, il a prévu, dans le cadre des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale, 60 milliards d’euros d’économies et de hausses de prélèvements. Depuis la présentation du budget, le gouvernement est accusé à la fois de vouloir imposer une cure d’austérité et d’augmenter les impôts.

Ces dernières décennies, d’autres pays confrontés à des difficultés budgétaires majeures ont réussi à les surmonter. C’est notamment le cas de la Suède, dont le déficit public, qui atteignait 10,6 % du PIB en 1993, s’est transformé en excédent de 0,8 % du PIB en 1998. Cette réduction du déficit n’a pas été le résultat d’une hausse de la pression fiscale, mais d’un changement profond dans l’organisation du secteur public.

Le système notionnel de retraite

En s’inspirant des recommandations de la Commission Lindbeck, le gouvernement suédois a réduit le niveau des dépenses publiques, qui sont passées de 68 % à 56 % du PIB entre 1992 et 1999. Les dépenses de protection sociale (retraite, santé, emploi, famille) ont été maîtrisées, passant de 17 % à 14 % du PIB sur la même période. Les régimes de retraite ont été réformés à partir de 1994 avec la mise en place progressive d’un système unique notionnel. Chaque salarié dispose d’un compte de retraite qui détermine le montant de sa pension en fonction de l’âge auquel il choisit de partir à la retraite (à partir de 61 ans). L’équilibre du système est assuré, année après année, en tenant compte de l’espérance de vie et de l’évolution du PIB. Depuis cette réforme, les dépenses de retraite oscillent entre 10 % et 11 % du PIB.

L’adoption d’une règle d’or

Les pouvoirs publics suédois ont adopté une règle budgétaire stricte, prévoyant l’absence de déficit public pour les collectivités locales, un objectif d’excédent budgétaire de 1 % du PIB en moyenne sur le cycle économique, et un plafond pour les dépenses publiques calculé sur trois ans. Depuis son adoption, la règle d’un léger excédent sur le cycle économique a été respectée. Pendant la crise de la Covid-19, le déficit public a atteint 3 % du PIB en Suède, contre près de 9 % en France. Depuis, le solde budgétaire varie entre -1 % et +1 % du PIB.

Des agences de droit privé

L’administration centrale en Suède repose sur une organisation souple. Elle comprend une quinzaine de ministères et environ 250 agences, chacune en charge d’une mission de service public. Il existe, par exemple, une agence dédiée à l’école, une autre aux transports, une autre au budget, etc. Le nombre de fonctionnaires ayant un statut spécifique est faible en Suède, environ 4 600. Les 250 000 salariés des agences relèvent du droit privé. Ces agences sont auditées et doivent respecter l’enveloppe budgétaire qui leur est attribuée.

Une large ouverture à la concurrence

Pour diminuer le coût de certains services publics, les gouvernements suédois ont favorisé leur ouverture à la concurrence. Cela a concerné, en particulier, les secteurs des transports aériens, des maisons de retraite, des taxis, des postes et télécommunications, des chemins de fer, du fret ferroviaire, de l’électricité, des pharmacies, des agences pour l’emploi, ainsi que des écoles maternelles. L’ouverture de ces secteurs à la concurrence, combinée à un effort important en Recherche-Développement, a conduit à une progression rapide de la productivité.

Une augmentation des dépenses de recherche

Les dépenses de R&D sont passées de 2,6 % à 4 % du PIB entre 1990 et 1999. En 2023, elles représentaient 3,5 % du PIB, tandis que dans la zone euro, elles étaient inférieures à 2,5 %. La productivité par tête a augmenté de 70 % entre 1990 et 2024, soit plus de deux fois la progression observée dans la zone euro. Cette hausse de productivité a permis de maintenir un niveau correct de croissance, augmentant ainsi les recettes fiscales.

Une réforme accompagnée d’une baisse du taux d’épargne

Sur le plan économique, l’effet récessif de la diminution des dépenses publiques a été compensé par une baisse assez importante du taux d’épargne des ménages, ainsi que par la dévaluation de la couronne suédoise en 1992, qui a favorisé la progression des exportations.

L’importance du consensus

Les différentes réformes ont été mises en œuvre relativement facilement grâce à un large consensus. Leur adoption a été précédée d’un long processus d’expertise et de négociation entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Dès le départ, le principe de stabilisation des impôts a été retenu et respecté. La France pourrait s’inspirer de la Suède en responsabilisant davantage les collectivités locales. Celles-ci devraient recevoir de l’État des recettes selon des critères objectifs (nombre d’habitants, PIB par habitant) et bénéficier d’une péréquation horizontale plus forte. La création d’agences pourrait également être envisagée. En matière de retraite, l’instauration d’un système notionnel offrant la liberté de choisir l’âge de départ pourrait être explorée. Enfin, pour doper la croissance et les recettes publiques, un effort accru en matière de recherche serait nécessaire.