22 juillet 2023

Le Coin de l’Economie – Chine – base monétaire – mondialisation – Allemagne

La Chine en mal de croissance

Les dirigeants chinois rêvent que leur pays surclasse les États-Unis d’ici 2049, année du centenaire de la République Populaire. La réalisation de cette ambition a longtemps été portée par une croissance potentielle, élevée, somme de la croissance de la population active et de la productivité du travail, après lissage des variations conjoncturelles. Le vieillissement démographique et le recul des gains de productivité pourraient freiner leurs ambitions.

La Chine est confrontée depuis quelques années à un recul rapide de la population en âge de travailler. Cette dernière diminue de 1 % par an quand elle continue à augmenter, aux États-Unis, de 0,4 % par an. Cette contraction de la population active, en Chine, est liée à forte baisse du taux de fécondité. Le nombre d’enfants par femmes est passé de 1,6 à 1,2 de 1995 à 2022. L’abandon de la règle de l’enfant unique n’a eu qu’un effet temporaire entre 2013 et 2019, le taux est remonté provisoirement à 1,9 avant de rechuter. Le taux de natalité est passé de 17 ‰ en 1995 à 7 ‰ en 2021.

La productivité par tête est passés de 10 % en 2007 à 5 % entre les années 2010 et 2019. En 2022, la hausse a été de 2 % (lissée sur 4 ans). Aux États-Unis, la productivité lissée sur 4 ans se situe autour de 2 % depuis la crise de 2007/2009. Le recul des gains de productivité en Chine s’explique par le vieillissement de la population et par l’affaiblissement de l’investissement des entreprises. La croissance de l’investissement qui était de 10 % entre 1995 et 2010 est désormais de 4 %.

La croissance potentielle de la Chine décline rapidement. Lissée sur 4 ans, elle est passée de 14 % en 1995 à 10 % en 2009 puis à 6 % en 2017. En 2022, elle ne s’élevait qu’à 5 %. L’érosion de la croissance potentielle américaine est plus faible. Elle est passée de 4 à 2 % du début du siècle à 2022. D’ici 2030, les taux de croissance potentielle des deux pays devraient converger. Entre 2025 et 2030, la population en âge de travailler reculera en moyenne de 0,9 % par an en Chine et augmentera en moyenne de 0,3 % par an aux États-Unis. Les gains de productivité en Chine seront insuffisants pour faire la différence avec les États-Unis.

Pour contrecarrer la baisse de sa croissance potentielle, la Chine sera tentée de la doper en ayant recours à des plans de soutien. La banque centrale chinoise a ainsi décidé d’abaisser ses taux directeurs. Le gouvernement entend également prendre des mesures pour améliorer l’employabilité des jeunes dont le taux de chômage reste élevé. Ce dernier a atteint 21 % lors du premier semestre 2023.

Entre les États-Unis et la Chine, les jeux ne sont pas encore faits pour le leadership mondial. L’attractivité des premiers demeure élevée, leur permettant d’attirer de nombreux actifs de toute la planète quand l’Empire du Milieu reste assez réfractaire à l’immigration. Si la productivité, aux États-Unis, est en net recul depuis la crise sanitaire, les capacités de recherche de ce pays sont importantes. La baisse de l’investissement des entreprises, en Chine, constitue un handicap important face au dynamisme des entreprises américaines.

Base monétaire et taux d’intérêt, quel lien ?

Depuis la crise financière des années 2007/2009, les banques centrales occidentales ont accru l’offre de monnaie, de manière sans précédent, afin de lutter contre la déflation. La création monétaire a contribué à une forte baisse des taux d’intérêt. Depuis 2022, elles entendent réduire la taille de leur bilan afin d’atténuer les tensions inflationnistes et revenir à une pratique un peu plus classique de la monnaie.

Les taux d’intérêt à long terme dépendent des taux directeurs des banques centrales, des anticipations d’inflation et de la base monétaire (le total du bilan de la banque centrale). De 1999 à 2009, la base monétaire est passée de 1 000 à 4 500 milliards de dollars aux États-Unis et de 800 à 3 000 milliards d’euros en zone euro. Avec la crise sanitaire, la base monétaire a fortement progressé atteignant respectivement 9 000 milliards de dollars et 6 500 milliards d’euros. Au Royaume-Uni, la base monétaire est passée de 100 à 1 200 milliards de livres entre 1999 et 2022.

Selon des études économétriques (Natixis-Patrick Artus), une hausse de 1 000 milliards de dollars (aux États-Unis), de 1 000 milliards d’euros (dans la zone euro) ou de 100 milliards de livres sterling (au Royaume-Uni) de la base monétaire provoque une baisse du taux d’intérêt à 10 ans de :

  • 20 points de base aux États-Unis ;
  • 26 points de base dans la zone euro ;
  • 29 points de base au Royaume-Uni.

Compte tenu des évolutions constatées depuis 2008 de la taille du bilan des banques centrales, les taux d’intérêt à long terme de ont été diminué de :

  • 146 points de base aux États-Unis ;
  • 130 points de base dans la zone euro ;
  • 266 points de base au Royaume-Uni.
  • 92 points de base aux États-Unis ;
  • 73 points de base dans la zone euro ;
  • 115 points de base au Royaume-Uni.

Si la base monétaire avait augmenté comme dans les années 1990, le taux d’intérêt à 10 ans sur les swaps serait aujourd’hui de :

  • 5,3 % et non 3,8 % aux États-Unis ;
  • 4,3 % et non 3,0 % dans la zone euro ;
  • 7,3 % et non 4,6 % au Royaume-Uni.

La réduction du bilan des banques centrales contribuera à l’augmentation des taux d’intérêt à long terme. La hausse pourrait être plus importante en Europe qu’aux États-Unis. D’autres facteurs pourraient également contribuer au maintien de taux d’intérêt plus élevés que dans le passé : besoins de financement publics en hausse, raréfaction de l’épargne avec le vieillissement de la population, diminution des excédents commerciaux de l’Union européenne, persistance d’une inflation plus forte que prévu.

Quelle est la responsabilité de la mondialisation dans le recul de l’emploi industriel ?

La désindustrialisation en Occident est imputée à la mondialisation et aux délocalisations qu’elle aurait provoquées. La diminution de l’industrie a entraîné une forte baisse de l’emploi industriel. Si les importations de produits industriels en provenance des pays émergents ont indéniablement augmenté, ils ne sont pas responsables de la totalité du recul de l’emploi dans l’industrie au sein des différents pays de l’OCDE. La baisse de la demande en biens industriels, la spécialisation des différents pays occidentaux et les gains productivité expliquent également cette contraction.

Au sein des pays occidentaux, l’emploi industriel a fortement diminué depuis le début du siècle. Entre 1995 et 2022, au sein de l’emploi total, il est passé de 16 à 8 % aux États-Unis, de 15 à 8 % au Royaume-Uni, de 15 à 9 % en France, de 22 à 16 % en Allemagne, de 22 à 15,5 % au Japon, de 21 à 15 % en Italie et de 18 à 10 % en Espagne.

La réorientation de la demande en biens industriels

Plus un pays s’enrichit, plus le poids relatif des achats en biens industriels au sein de la consommation des ménages est censé diminuer au profit des services. Ce phénomène serait également accentué par le vieillissement de la population. Plus les personnes sont âgées, plus elles consomment de services au détriment des biens manufacturés. La demande en biens industriels a été stable au sein de l’OCDE de 1995 à 2019 avec une érosion plus marquée en Espagne par rapport aux autres pays. Les confinements ont conduit à un redressement éphémère de la demande en biens industriels. Depuis une trentaine d’années, la demande en biens industriels est portée par les pays émergents et, en premier lieu, par les pays asiatiques. Il n’est donc pas illogique que les entreprises industrielles aient installé au sein de ces pays des usines.

L’effet de la productivité sur l’emploi industriel

L’industrie dégage des gains de productivité supérieurs à ceux des autres secteurs. Ces gains permettent de réduire les prix et de diminuer l’intensité en main d’œuvre. Aux États-Unis, la productivité a augmenté, dans le secteur manufacturier, 75 % de plus que dans l’ensemble de l’économie entre 1995 et 2022. Au Royaume-Uni, ce taux est de 120 %, de 60 % au Japon, de 50 % en France, de 40 % en Allemagne, de 30 % en Espagne et de 25 % en Italie.

Des transferts de production essentiellement aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Espagne et en France

Entre 1995 et 2021, le déficit de la balances commerciale des produits manufacturés avec les pays émergents pour les États-Unis est passé de 5 à 20 % de la valeur ajoutée manufacturière. La balance pour le Royaume-Uni est passée d’un excédent de 2 % de la valeur ajoutée manufacturière à un déficit de 40 %. Les valeurs respectives pour la France sont +5 et -5 % ; pour l’Espagne +2 et 22 % et pour l’Italie +8 et -4 %. Les seuls pays à avoir conservé des balances commerciales positives sont l’Allemagne (+5 %, +1 %) et le Japon (+5 %, +4 %). La dégradation de la balance commerciale a donc été forte pour les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Espagne.

Le développement des importations de biens manufacturiers en provenance des pays émergents sans, en contrepartie, un essor des exportations vers ces mêmes pays traduit un processus de désindustrialisation sur fond de délocalisation. Indéniablement, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni ont été confrontés à ce problème. L’Allemagne et le Japon ont réussi à adapter leur outil industriel à la nouvelle donne, née de la mondialisation. L’Allemagne s’est spécialisée dans la vente de voitures de luxe et de machines-outils quand le Japon a continué à exporter des biens électroniques et informatiques. Selon les calculs de l’économiste en chef de Natixis, le rôle des délocalisations sur le recul de l’industrie est prépondérant au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est important en Espagne et en Italie. Il est moindre pour la France.

Cercle de l’Épargne – données Natixis

En France, les gains de productivité et la demande en services seraient les principaux facteurs du déclin de l’emploi industriel. Le positionnement en gamme moyenne de l’industrie française aurait accentué cette tendance tout comme la difficulté des entreprises à recruter de la main-d’œuvre qualifiée.

En Occident, le déclin de l’industrie trouve ses origines dans un grand nombre de facteurs : la baisse de la demande, le positionnement de gamme, les coûts de la main-d’œuvre, le manque de techniciens et d’ingénieurs, les contraintes urbanistiques à l’installation d’usines potentiellement polluantes. Le retour de l’industrie suppose donc de lever plusieurs de ces hypothèques. Les États-Unis comme l’Union européenne entendent, dans le cadre de la transition énergétique, favoriser l’industrie. Face aux problèmes de pénurie de main-d’œuvre, les entreprises devront jouer sur les gains de productivité. L’industrie en Occident pourrait à nouveau créer des emplois dans les prochaines années, mais de manière relativement limitée.

L’Allemagne, une économie en plein doute

Dans les années 2 000 et 2010, l’Allemagne a connu un cycle économique favorable caractérisé par le développement de ses exportations notamment en direction de l’Asie, par un faible taux de chômage et par une réduction de son endettement public. Après la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et la montée du protectionnisme, le modèle de croissance allemand est mis à dure épreuve.

Le PIB de l’Allemagne a commencé à reculer à partir du quatrième trimestre 2022. Moins touchée durant la crise sanitaire que les autres pays européens, l’Allemagne l’est, en revanche, davantage par la guerre en Ukraine qui a remis en cause son approvisionnement pétrolier et gazier. Depuis quarante ans, l’Allemagne a assis sa croissance sur une énergie chère et abondante permettant de compenser des coûts salariaux élevés. Sa croissance reposait également sur les exportations à destination des autres pays européens mais surtout sur celles à destination des pays émergents. La demande interne n’était pas un facteur de croissance. Celle-ci est aujourd’hui peu porteuse en raison d’un fort taux d’épargne des ménages qui dépassait, au début de l’année 2023, 20 % du revenu disponible brut, soit deux points au-dessus de son niveau d’avant la crise sanitaire. En la matière, l’Allemagne et la France sont dans la même situation et demeurent parmi les pays de l’Union européenne ayant les plus forts taux d’épargne. Le taux d’épargne en Espagne est de 8 % et en Italie de 10 % du revenu disponible brut. Cette propension à l’épargne induit un recul de consommation d’autant plus que les pouvoir d’achat est en baisse en raison de l’inflation. Depuis le début de l’année 2023, en Allemagne comme en France, la consommation recule à la différence de ce qui est constaté en Italie ou en Espagne.

Les exportations ont été longtemps le moteur de la croissance allemande. Or, celles-ci sont en baisse depuis 2021. L’industrie allemande a été pénalisée par les problèmes d’approvisionnement après la crise sanitaire réduisant sa production. Elle subit de plein fouet l’évolution du commerce international. La guerre en Ukraine a limité son commerce avec la Russie. La Chine, son premier client, achète moins de biens industriels que dans le passé du fait d’une croissance en baisse et d’une réorientation de la demande intérieure en faveur des produits locaux. La montée du protectionnisme constitue une menace pour les exportateurs allemands. La construction automobile, un des principaux secteurs d’exportation du pays, est confrontée à une profonde mutation. Le passage aux motorisations électriques modifie la chaîne de valeurs des véhicules, les batteries étant l’élément principal en lieu et place des moteurs. En la matière, l’Allemagne est dépendante, en grande partie, de la Chine.

Avec une demande intérieure atone et des exportations en recul, la production de biens d’équipement et de matériel de transport est en baisse depuis la crise de la Covid. Au premier trimestre 2023, elle était 8 % en-deçà de son niveau de 2019. Plusieurs entreprises allemandes ont été contraintes d’arrêter, en 2022, leurs chaînes de production en raison du prix élevé du gaz et du pétrole. Avec la décrue des prix de l’énergie depuis le début de l’année 2023, la situation s’améliore sur ce terrain.

Dans ce contexte peu porteur, l’investissement des entreprises allemandes progresse moins vite que celui des entreprises françaises ou italiennes. Le taux d’investissement des entreprises, en 2022, s’élevait à 13 % du PIB, contre 14 % en France et une moyenne de 13,5 % en zone euro. L’investissement des ménages en logement est également en panne avec un recul de près de 4 % au cours du premier trimestre 2023. La hausse des taux d’intérêt freine les achats de logement.

La récession en Allemagne pourrait perdurer. L’ensemble des moteurs de croissance sont à l’arrêt. Le pays a besoin d’une énergie abordable et d’une reprise en Chine. La réorientation de son industrie automobile vers l’électrique prendra quelques années et suppose un important effort d’investissement. Les pouvoirs publics ont décidé d’accroître leurs efforts en la matière tout comme leurs dépenses de défense ce qui devrait soutenir l’activité dans ce secteur.