30 juillet 2022

Le Coin de l’Economie – conjoncture – démographie – taux d’intérêt

Économie mondiale, un atterrissage brutal ou pas ?

Selon le Fonds Monétaire International (FMI), les trois plus grandes économies du monde, les États-Unis, l’Europe et la Chine connaissent un net ralentissement de leur croissance en lien avec la résurgence de l’inflation. L’économie mondiale, qui ne s’est pas encore remise de la pandémie, doit désormais faire face aux conséquences la guerre en Ukraine.

L’inflation qui devait s’atténuer en 2022 perdure, en particulier aux États-Unis et dans les pays européens. Ce retour de l’inflation contraint les banques centrales à durcir leur politique monétaire bien plus vite que prévu. En Chine, la stratégie du zéro covid conduit à un ralentissement de l’économie, également plus prononcé qu’attendu. Dans ce contexte, la production mondiale s’est donc contractée au deuxième trimestre de cette année.

Selon les prévisions du FMI, la croissance passerait de 6,1 % l’année dernière à 3,2 % cette année et à 2,9 % l’année prochaine, soit une dégradation de 0,4 et 0,7 point de pourcentage par rapport aux chiffres d’avril.

Aux États-Unis, une baisse du pouvoir d’achat des ménages et un resserrement de la politique monétaire réduisent la croissance à 2,3 % cette année et à 1 % l’année prochaine. En Chine, des reconfinements et l’aggravation de la crise de l’immobilier ont ramené la croissance à 3,3 % cette année, soit le taux le plus faible en plus de quarante ans si l’on exclut la pandémie. Dans la zone euro, la croissance est révisée à la baisse, à 2,6 % cette année, grâce aux acquis de 2021, et 1,2 % en 2023. Le PIB de la Russie devrait décliner de 6 % cette année, soit un peu moins que celui estimé précédemment, grâce à la hausse du prix des hydrocarbures.

Le FMI a développé un scénario plus pessimiste pour l’économie mondiale destiné à mesurée la croissance potentielle en cas de blocage des livraisons de gaz et d’amplification de l’inflation. Le taux de croissance de l’économie mondiale n’atteindrait que 2 % en 2023, ce qui serait alors l’une des performances les plus faibles de ces cinquante dernières années pour la planète. La croissance mondiale n’a été aussi basse que 5 fois, en 1973, 1990, 1991, 2009 et 2020.

L’inflatidéon devrait atteindre cette année 6,6 % dans les pays avancés et 9,5 % dans les pays émergents et les pays en développement, soit une révision à la hausse de 0,9 et 0,8 point de pourcentage, respectivement. Pour le FMI, l’inflation devrait rester élevée durant les prochains mois. Elle s’est en outre étendue à de nombreux pays sous l’effet des tensions sur les prix provoquées par les perturbations des chaînes d’approvisionnement et une pénurie de main-d’œuvre historiquement forte. Les pays émergents et en développement sont durement touchés par l’augmentation des prix de l’énergie et des produits agricoles. La hausse des taux d’intérêt provoque une onde choc mettant sous tension les pays les plus endettés. Les pays émergents sont, de ce fait, de plus en plus nombreux à demander une aide du FMI. Le Bangladesh a ainsi demandé 4,5 milliards de dollar. Le Sri Lanka est en défaut de paiement et négocie un prêt d’urgence avec le FMI. La Tunisie a également fait appel au FMI. Le Ghana vient officiellement de demander le secours financier de l’organisation internationale. Le Pakistan a obtenu la semaine dernière un prêt de 6 milliards de dollars afin d’éviter un défaut. Le Laos est aussi en difficulté.

Les responsables du FMI estiment possible une récession mondiale même s’ils estiment que ce scénario n’est pas encore certain. Le ralentissement concomitant de toutes les zones économiques peut provoquer une telle récession. L’évolution de la consommation américaine sera déterminante pour apprécier la probabilité de survenue de la récession.

Contradictions à tous les étages

Quand une politique économique poursuit plusieurs objectifs, elle n’en atteint aucun. Cette règle classique pourrait bien se vérifier dans les prochains mois. Les gouvernements occidentaux, en particulier celui de la France, ont décidé de soutenir le pouvoir d’achat des ménages afin de limiter les effets de l’inflation avec, comme conséquence, le maintien de déficits publics élevés. Ce choix compréhensible sur un point de vue sociale entre en revanche en contradiction avec les objectifs économiques des pouvoirs publics.

En France, le gouvernement a décidé de consacrer en 2022 plus de 50 milliards d’euros au soutien du pouvoir d’achat avec le bouclier tarifaire, la ristourne sur le prix des carburants et les chèques alimentaires. Elle accroît le déficit public de 2 points de PIB. Cette politique devrait permettre de compenser la quasi-totalité des pertes de pouvoir d’achat entraînes par l’augmentation des prix. Les années 2019/2022 pourraient ainsi s’avérer malgré un contexte économique dégradé comme jamais comme favorables au pouvoir d’achat des ménages.

Le choix du gouvernement n’est pas sans conséquences économiques et financières. Les dépenses de soutien en faveur du pouvoir d’achat limitent les marges d’action des pouvoirs publics dans d’autres domaines, en particulier au niveau de l’investissement. Les dépenses en faveur de la transition énergétique, de l’éducation, de la réindustrialisation, etc., peuvent en souffrir. En augmentant le déficit public, elles participent à la hausse des taux d’intérêt. Le déficit public en France devrait se situer entre 5 et 6 % du PIB cette année. Le déficit a comme limite la soutenabilité des dettes publiques dans une situation où les taux d’intérêt ne sont plus inférieurs au taux de croissance. Les taux d’intérêt des obligations à 10 ans sont passés de 0 à 1,7 % de 2020 à mi 2022. Les taux d’intérêts réels qui étaient négatifs de 2 points en 2021 ne le sont plus que d’un point en 2022. Avec une dette qui est de 115 % du PIB, les pouvoirs publics disposent de moins en moins de marges de manœuvre pour préparer l’avenir et accroître leur effort d’investissement, surtout dans un contexte d’argent plus rare et plus cher. Les mécanismes de soutien anesthésient mais ne règle pas le problème. Ils peuvent générer des situations de rente.

Le bouclier tarifaire et les blocages partiels des prix comme pour les loyers faussent le signal prix. Ce dernier ne joue plus son rôle d’expression de la rareté. Ils n’incitent pas à la réalisation d’économies ou à la recherche de gains de productivité. L’arrêt des dispositifs de soutien sera délicat car il pourra conduire à des phénomènes de ressauts.

Les mesures en faveur du pouvoir d’achat peuvent alimenter l’inflation en maintenant la demande des ménages de manière artificielle. Elles entrent en opposition avec la politique monétaire de la Banque centrale européenne qui souhaite ralentir l’économie pour peser sur la hausse des prix.

La prise en charge de la vague d’inflation par les pouvoirs, phénomène sans précédent, n’est pas sans poser des problèmes économiques. Si elle perdurait, elle pourrait entraîner des conséquences non seulement au niveau de la soutenabilité des dettes mais aussi sur le plan de l’efficience des dépenses publiques et du système économique avec une remise en cause du rôle des prix en tant qu’arbitre de la rareté des ressources. L’arrêt des dispositifs de soutien sera un exercice difficile à mener car ils contribuent à l’illusion que le quoi qu’il en coûte ou le tout est possible demeurent d’actualité.

L’Europe au temps des différences démographiques

Les États membres de la zone euro ne sont pas tous égaux sur le terrain de la démographie. Les écarts en ce domaine ne sont pas sans incidence au niveau de l’emploi et de la croissance.

La diminution de la population active sera faible entre 2022 et 2040 pour la France, mais elle sera élevée en Italie, en Espagne et en Allemagne avec des contractions en rythme annuel se situant entre -1 et -2 % par an. En 2040, la population de plus de 65 ans représentera ainsi plus de 34 % en Italie, 33 % en Espagne, 30 % en Allemagne et 26 % en France. En 2000, pour tous ces pays, cette part était inférieure à 20 %. Le vieillissement sera donc important en Italie en Allemagne et en Espagne quand il sera plus modéré en France. Il en résulte une croissance potentielle faible en Italie qui doit en outre gérer une dette publique élevée. La France dispose d’un potentiel de croissance plus important que celui de l’Allemagne. Cette situation explique en partie l’acceptabilité par les investisseurs d’une dette importante et en augmentation. Les taux d’intérêt demandés à l’Italie et à l’Espagne prennent en compte la réduction de leur population active. L’Allemagne échappe à cette règle grâce à sa spécialisation industrielle et par l’apport, ces dernières années, de l’immigration.

Logiquement, le vieillissement de la population s’accompagne d’une baisse du taux d’épargne, les retraités réduisant leur effort en la matière pour maintenir leur pouvoir d’achat. Or, en Europe, ce phénomène ne se vérifie pas. Le taux d’épargne est élevé en Allemagne comme en Italie ou en France. Du fait d’un niveau de vie supérieur à la moyenne de la population, les retraités continuent à épargner. De même, une population active en diminution amène théoriquement un déficit de la balance courante. Les importations sont censées augmenter en raison de l’attrition des capacités de production. Les gains de productivité avec la robotisation permettent de compenser le déficit de main-d’œuvre. Cette compensation joue avant tout pour les pays disposant d’une industrie puissante. Ces dernières années, l’Allemagne mais aussi l’Italie et l’Espagne n’ont pas connu une dégradation de leur balance des paiements courants. Plus d’inactifs entraînent une augmentation des dépenses sociales et une réduction de la base fiscale et sociale. Le financement des régimes de retraite et du système de santé est plus compliqué. L’Italie comme la France sont confrontées à ce problème. Les dépenses de retraite dépassent 14 % en France et en Italie.

Le vieillissement de la population pourrait accentuer la fragmentation de la zone euro avec des pays confrontés à des dépenses sociales en augmentation et à une croissance potentielle en diminution. Les solutions apportées à cette évolution de la structure de la population diffèrent d’un pays à un autre en fonction de leur culture ou de leur tradition. L’Allemagne joue la carte des exportations avec le cas échéant un recours à l’immigration, à la différence de la France ou de l’Italie. Ce vieillissement pourrait accroître les tensions sur le plan financier avec des dettes publiques de plus en plus élevées, en particulier au sein des États d’Europe du Sud.

Les taux d’intérêt, le début d’un nouveau cycle

Depuis l’été 2021 et surtout depuis le début de l’année 2022, aux États-Unis et dans la zone euro, les  taux d’intérêt réels à long terme (taux d’intérêt nominaux à 10 ans et swap d’inflation à 10 ans) sont orientés à la hausse. Ils sont revenus à zéro pour la zone euro et sont même devenus légèrement positifs pour les États-Unis. Plusieurs facteurs poussent ces taux à la hausse. Contrairement aux espoirs des pouvoirs publics, les tensions inflationnistes pourraient perdurer. Dans un contexte d’abondantes liquidités, l’économie est confrontée à la multiplication des raretés : travail, énergie, matières premières, biens intermédiaires. La détérioration de la structure de la demande en faveur des biens manufacturés accentue les situations de rareté. Les banques centrales seront amenées à lutter durablement contre l’inflation, ce qui nécessitera une hausse des taux d’intérêt réels. La diminution de la population active génère des problèmes de recrutement et provoque par ricochet une hausse des salaires. Après plusieurs décennies de stagnation salariale, les demandes de revalorisation des rémunérations se multiplient. Les énergies renouvelables nécessitent des métaux rares dont les cours augmentent, cela avant même la guerre en Ukraine. Les énergies fossiles ne bénéficient plus d’investissement conséquents et devraient coûter de plus en plus chères, en raison du tarissement des réserves. La transition énergétique est inflationniste. Elle exige la réalisation d’importantes infrastructures et aboutit à un renchérissement du coût de l’énergie. Des investissements supplémentaires sont nécessaires pour la décarbonation de l’industrie et des transports, pour la production et le stockage d’énergies renouvelables, pour la rénovation thermique des bâtiments et logements. Une hausse d’investissement  de 2 à 4 points de PIB au niveau de l’OCDE serait indispensable pour le respect des Accords de Paris.

Le vieillissement de la population doit logiquement, même si ce n’est pas le cas pour le moment, conduire à une diminution de l’épargne. La proportion des plus de 65 ans au sein de la population de l’OCDE devrait passer de 25 à 30 % de 2020 à 2030.

La fragmentation idéologique du monde et la remise en cause de la mondialisation sont une source d’inflation. La relocalisation de certaines activités devrait aboutir à une augmentation des coûts de production. Les pays émergents et exportateurs de matières premières pourraient ne plus investir leur excès d’épargne dans les actifs financiers des pays de l’OCDE, ce qui ferait monter les taux d’intérêt réels d’équilibre dans les pays de l’OCDE. Un recul des réserves de change des pays émergents et exportateurs de matières premières investies dans les actifs financiers des pays de l’OCDE pourrait intervenir. Fin 2021, les réserves de change des pays émergents représentaient 9 500 milliards de dollars, contre 6 500 en 2010.

Depuis la première moitié des années 1980, les taux d’intérêt réels à long terme des pays de l’OCDE ont reculé au point de devenir négatifs. Ce processus s’est interrompu et un cycle haussier pourrait s’enclencher, induisant alors des changements au niveau de l’immobilier et du cours des actions.