13 mai 2023

Le Coin de l’Economie – crédits – productivité – monnaie

L’absence de gains de productivité pose-t-elle un problème ?

Depuis 2018, la productivité par tête stagne dans la zone euro et recule en France. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont amplifié une tendance en cours depuis plusieurs années. Une baisse de la productivité non compensée par une augmentation du volume de travail est synonyme d’appauvrissement. La disparition des gains de productivité fait donc peser une épée de Damoclès sur les pays européens et tout particulièrement sur la France.

Au sein de la zone euro, la productivité a augmenté de 10 % de 2002 à 2022. Elle a connu deux périodes de forte baisse, entre 2008 et 2010 lors de la crise des subprimes et entre 2020 et 2021 lors de l’épidémie de covid. En 2022, elle a peiné à retrouver son niveau de 2019. En France, la productivité avait progressé de 16 % entre 2002 et 2019. Durant la crise sanitaire, elle a chuté de 8 %. Fin 2022, elle demeurait inférieure de 3,5 % à son niveau de 2019.

Tout recul de la productivité menace la croissance potentielle. Il s’accompagne d’une attrition de la valeur ajoutée, d’une baisse possible des recettes fiscales et des rémunérations. Pour maintenir la production, les entreprises sont contraintes d’avoir un nombre de salariés plus important ce qui génère des coûts supplémentaires. Depuis 2018, ce phénomène est constaté en zone euro et en particulier en France. Malgré la faiblesse de la croissance, les entreprises créent des emplois. La productivité depuis quatre ans progresse moins vite que l’emploi quand c’était l’inverse entre 2002 et 2018.

Ce recours à l’emploi pour compenser la baisse de la productivité n’est pas sans limite. Il conduit à une réduction du taux de marge des entreprises. Par ailleurs, il suppose l’existence d’une population active disponible ; or avec le vieillissement de la population, les marges en la matière se réduisent. Au fur et à mesure, les entreprises sont contraintes d’employer des actifs de moins en moins productifs ayant des formations qui ne sont toujours adaptés à leurs besoins. Cette situation participe à l’accélération de la baisse de la productivité. Le taux de chômage en France en 2022 était, par exemple, de 12 % pour les salariés ayant un niveau d’études primaires, contre 6 % pour ceux ayant un niveau de formation secondaire et de moins de 4 % pour ceux ayant un niveau d’études supérieures.

La baisse de la productivité en Europe est à mettre en parallèle avec le processus de désindustrialisation. L’économie européenne est de plus en plus dominée par les services qui génèrent de plus faibles gains de productivité que l’industrie. Ce phénomène est marqué en France où l’emploi industriel n’occupe plus que 9 % de la population active. En France, les créations d’emplois sont principalement observées dans les secteurs des services aux entreprises et à la personne ainsi que dans les loisirs.

La spécialisation de l’économie dans les services domestiques est une source de stagnation de la croissance avec à la clef des rémunérations faibles. Cette spécialisation est la conséquence de l’essor du tourisme et des besoins en services liés au vieillissement de la population. Elle est également la conséquence d’un manque de diplômés de l’enseignements supérieur.

Quelle monnaie et quelle politique monétaire pour demain ?

Du troc aux monnaies digitales, les moyens de paiement ont fortement évolué au fil des siècles, expression et moteurs du progrès des techniques. Certains rêvent de s’affranchir des monnaies officielles au profit des cryptomonnaies, d’autres espèrent mettre un terme au dollar et à la toute-puissance des États-Unis. Dans le domaine sensible des monnaies, les notions de confiance et d’efficience prédominent.

L’économiste Stuart Mill écrivait, au XIXe siècle que « la monnaie est un instrument qui permet de faire vite et commodément ce que l’on pourrait faire sans lui moins vite et moins commodément ». Le recours à une monnaie pour faciliter les échanges date de plus de 3 000 ans. Les premières devises sont souvent issues des unités de poids. Les premières pièces de monnaie métallique auraient vu le jour dans le Royaume de Lydie où régna le fameux Crésus. Les Chinois ont émis les premiers billets voici plus de 2 000 ans. Dès 2300 avant Jésus-Christ, des écritures comptables sont réalisées pour gérer dettes et créances en se fondant sur la comparaison de la valeur des biens produits et échangés en prenant comme référence des valeurs étalons admis de tous. En Égypte, avant même la circulation de la monnaie fiduciaire, des unités de compte sont utilisées couramment comme le Sha et ou le Quite par les scribes. Dès l’Antiquité, la notion de confiance est associée à celle de monnaie ou d’unité de compte. Ainsi, « crédit » provient du latin « credere », croire, avoir confiance et « fiduciaire » du latin « fiducia », la confiance.

La monnaie est une unité de compte qui permet de mesurer et de comparer des biens et des services hétérogènes. Elle offre la possibilité d’effectuer des comparaisons dans le temps et en des lieux différents. La monnaie est un facilitateur d’échanges en permettant le règlement facile des achats. Elle remplace le troc qui est une relation bilatérale complexe. La monnaie fluidifie les échanges. Les agents économiques doivent de ce fait avoir confiance en elle. Elle doit être facilement transférable et difficile à contrefaire.

La monnaie joue un rôle d’arbitrage. Elle offre la possibilité de créer une grille générale des valeurs et est donc indispensable au fonctionnement du système de prix. Sans elle, il serait impossible d’avoir une vision complète des prix et des coûts dans une économie mondialisée comptant un nombre très important de biens et de services. Tout calcul économique serait impossible si le troc était resté la règle. Le nombre d’échanges aujourd’hui se compte, en effet, en dizaines de milliards chaque année.

La monnaie est un instrument de réserve. Pour reprendre Keynes, elle sert à faire « le lien entre le passé et le présent et l’avenir ». L’actif monétaire permet de reporter un achat ou le règlement de ce dernier et d’épargner en vue d’une consommation. La monnaie dispose d’un pouvoir bien supérieur à celui du troc. Certes, si avec la sophistication croissante de l’économie, le troc est devenu marginal, son esprit a pesé et pèse encore sur les échanges internationaux à travers notamment le principe de l’équilibre des balances des paiements des États et des systèmes de compensation. Des importateurs d’un État peuvent avoir besoin d’acquérir des devises étrangères pour réaliser leurs achats si les exportateurs n’acceptent pas leur monnaie. Cela suppose qu’ils puissent accéder à ces devises étrangères auprès de leurs établissements financiers qui devront en acquérir sur les marchés ou auprès de la banque centrale du pays importateur. In fine, des ventes d’actifs financiers ou physiques peuvent être nécessaire pour solder un déficit. Si les échanges sont réglés dans la monnaie du pays importateur (exemple les États-Unis) ou si une monnaie joue le rôle d’étalon international (le dollar), il en résulte la constitution de réserves de change qui peuvent être placées ou le cas échéant converties en or si le système monétaire le permet.

Dans les prochaines années, les États ne sont pas disposés à abandonner leur droit de seigneuriage au profit de structures privées. La monnaie demeure l’expression de la puissance publique aux côtés de la police ou de l’armée. C’est un outil de contrôle et de coercition sur un territoire donné. La monnaie permet de financer des déficits que comme les dernières crises l’ont prouvé. La base monétaire est passé de 1000 à 9000 milliards de dollars aux États-Unis de 2002 à 2022 et de 800 à 6000 milliards d’euros en zone euro. Perdre ce pouvoir affaiblirait les États. Les banques centrales feront tout pour limiter la montée en puissance de monnaies privées. Elles ont ainsi bloqué le projet Libra de Facebook.

Le passage à un système de monnaies digitales de banque centrale avec une gestion sur la blockchain évoqué ces dernières années n’est pas en soi une évidence. Il réduirait les dépôts bancaires et pourraient entraver le crédit. Il supprimerait le rôle d’intermédiation joué par les banques. Pour éviter une contraction du crédit, les banques centrales devraient reprêter aux banques l’argent collecté sous la forme de monnaie digitale de banque centrale. Le système pourrait être bien moins fluide qu’aujourd’hui.

L’abandon des monnaies au profit des cryptomonnaies n’est pas non plus réellement d’actualité. Les cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’ethereum ne remplissent pas toutes les conditions pour être de véritables monnaies. Leur caractère hautement spéculatif les disqualifie pour être tout à la fois des étalons monétaires ou, des monnaies d’échange et de réserves. Le cours du bitcoin a été divisé par trois en quelques mois en 2022. Son encours est passé de 1200 à 400 milliards de dollars, bien loin de l’encours des réserves en dollars, 13 000 milliards en 2022. Le cours des cryptomonnaies obéissent à des considérations encore plus obscures que celles des monnaies officielles. La création est, en outre, de plus en plus critiquée en raison de son coût énergétique.

Dans les prochaines années, la monnaie restera donc avant tout créée par les banques, comme aujourd’hui, la quantité disponible étant influencée par les politiques monétaires des banques centrales. Ces dernières seront néanmoins confrontées à un défi : veiller à la crédibilité de la monnaie tout en permettant le financement des investissements nécessaires à la transition énergétique ou au vieillissement. D’un côté, les États ont des besoins financiers importants, de l’autre la lutte contre l’inflation exige une réduction de la base monétaire. Une inflation débridée pourrait amener des doutes sur les monnaies et inciter les agents économiques à s’en détourner.

Depuis 1980, les banques centrales ont réussi à contenir l’inflation en utilisant l’arme des taux. Avec des dettes publiques qui dépassent 100 % du PIB, cette arme n’est pas sans limite comme le prouvent les difficultés rencontrées par le secteur bancaire aux États-Unis. La sensibilité de l’opinion vis-à-vis des hausses de taux est plus élevée aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Les banques centrales doivent tenir compte tout à la fois des réactions de la population ainsi que de la solvabilité des États et des banques. Pour lutter contre l’inflation, les banques centrales auront besoin de l’appui des États qui devront freiner la demande en jouant sur la fiscalité et les dépenses. Les banques centrales seront dans les faits certainement moins indépendantes que dans le passé.

La fin du crédit facile et ses conséquences

Après la crise des banques régionales aux États-Unis, un rationnement du crédit aux entreprises est redouté. Ce rationnement pourrait également concerner la zone euro, en particulier pour les crédits immobiliers des ménages. Un durcissement de l’accès aux crédits se traduit par une contraction de l’investissement et de la demande induisant assez rapidement une récession.

Les crédits immobiliers ont connu une forte progression tant aux États-Unis comme en zone euro. En 2021 et 2022, la croissance était de 7,5 % en rythme annuel aux États-Unis et de plus de 5 % en zone euro. Depuis la fin de l’année 2022, la croissance est inférieure à 5 % toujours en rythme annuel aux États-Unis et à 4 % en zone euro. Depuis le début de l’année 2023, une baisse de 0,5 % est constatée.

Cette baisse au niveau des crédits immobiliers est la conséquence de la hausse des taux d’intérêt nominaux et du durcissement de leurs conditions d’attribution. Au sein de la zone euro, les taux d’intérêt à taux fixe pour les ménages dépassent désormais, en moyenne, 3,6 %. Aux États-Unis, le taux d’intérêt des mortgages à 30 ans ont atteint plus de 6 %. En zone euro, les banques veillent à ce que les remboursements des emprunts immobiliers ne représentent pas plus de 30 % des revenus des ménages. L’étude de la BCE sur l’accès au crédit du premier trimestre 2023 souligne une baisse forte de la demande et des conditions d’accès nettement resserrés.

Aux États-Unis, la croissance des crédits aux entreprises s’est étiolée depuis le troisième trimestre 2022. Avec la crise des banques régionales, la production est étale.

Une contraction du crédit signifierait une baisse de l’investissement qui depuis deux ans portait la croissance. Aux États-Unis, depuis 2021, celui-ci augmentait de plus de 5 %. En zone euro, après une forte chute durant les confinements, un rebond a été enregistré mais qui en train de s’estomper rapidement. En France, l’investissement des entreprises était en recul au premier trimestre 2023.

La contraction de l’investissement est une mauvaise nouvelle pour la croissance d’autant plus qu’avec la résurgence de l’inflation, la consommation est bridée. Sa croissance est nulle tant en zone euro ou aux États-Unis. L’investissement a, en outre, un effet multiplicateur important sur la croissance.

Face à une réduction de l’accès aux crédits, les entreprises pourront essayer de se financer auprès des fonds d’investissement mais cela risque de générer des surcoûts. Cette possibilité ne concerne peu ou pas les PME et les TPE. La diminution de crédits de la part des ménages devrait se traduire par une baisse des prix de l’immobilier ainsie que par celle des transactions.