Le Coin de l’économie – croissance France – la transition énergétique – la productivité aux Etats-Unis – la City en perte de vitesse
Un recul de PIB en fin d’année mais pas de récession pour la France
Après une petite hausse du PIB au troisième trimestre, +0,2 %, une contraction est attendue au quatrième, selon l’INSEE. Elle pourrait être de 0,2 %. Elle serait le résultat du recul de la production industrielle et de la stagnation des services. La consommation des ménages serait en baisse assez marquée en raison d’une diminution des dépenses d’énergie en lien avec les conditions météorologiques clémentes en novembre et du changement des comportements. Après une forte augmentation durant la période estivale, les dépenses en hébergement-restauration seraient également en repli. L’investissement qui jusqu’à maintenant était dynamique marquerait le pas en fin d’année. Le commerce extérieur serait, en revanche, un peu plus porteur que lors des trimestres précédents grâce à la livraison de nombreux avions et de navires. Le début d’année 2023 sera pénalisé sur le plan économique par la hausse attendue des prix de l’électricité et du gaz, pour les entreprises comme pour les ménages. L’activité augmenterait légèrement au premier trimestre de +0,1 % prévu à la faveur du rebond attendu dans la cokéfaction-raffinage après les grèves de l’automne, et du redémarrage programmé de plusieurs réacteurs nucléaires. Au deuxième trimestre, la croissance pourrait atteindre +0,3 avec une accélération de l’activité dans les services. La France échapperait ainsi à la récession qui se matérialise par deux reculs trimestriels consécutifs du PIB.
Sur l’ensemble de l’année 2022, l’INSEE prévoit une augmentation du PIB de 2,5 % en 2022 (après +6,8 % en 2021). Pour 2023, l’acquis de croissance du PIB à mi-année (c’est-à-dire la croissance qui serait obtenue dans l’hypothèse où l’activité des troisième et quatrième trimestres resterait au même niveau que celui prévu pour le deuxième) serait positif mais modeste (+0,4 %). Pour les autres principaux pays de la zone euro, cet acquis à mi-année pour 2023 s’échelonnerait de -0,2 % pour l’Allemagne à +1,1 % pour l’Espagne, en passant par +0,3 % pour l’Italie.
Une décrue de l’inflation attendue au printemps
L’INSEE parie sur l’atteinte du pic d’inflation cet hiver à 7 % suivi d’un repli par effet de base. À la fin du premier semestre 2023, l’inflation devrait être revenue autour de 5,5 %. L’inflation sous-jacente resterait quant à elle supérieure à 5 %, compte tenu notamment de la poursuite du renchérissement des intrants. Dans ce contexte, les salaires devraient être orientés à la hausse du fait notamment de la revalorisation du Smic, des négociations salariales et de la mise en œuvre des primes de partage de la valeur. Les salaires réels continueraient de reculer.
Un pouvoir d’achat en hausse
Si le ressenti est tout autre, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages devrait enregistrer une forte hausse en fin d’année, soit +0,7 % prévu par unité de consommation, après +0,8 % au trimestre précédent. Le pouvoir d’achat a été porté par la suppression de la redevance TV, la poursuite de la réduction de la taxe d’habitation et la distribution de chèques énergie. En revanche, au premier semestre 2023, une contraction est prévue (-1,2 % prévu au premier trimestre, -0,5 % au deuxième) en raison du dynamisme des prix ainsi que du ralentissement attendu de l’emploi.
Emploi en hausse, productivité en berne
La croissance faiblit mais le marché de l’emploi demeure dynamique. Ce paradoxe étonne. Comme la production n’augmente que faiblement, la productivité par tête est en nette baisse. Au troisième trimestre 2022, l’emploi salarié se situe ainsi 3,6 % au-dessus de son niveau de la fin 2019, quand le PIB a progressé de 1,1 % sur la même période. La France fait figure d’exception en la matière. La productivité par tête a retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire en Allemagne, elle l’a dépassé en Italie, tandis qu’elle reste nettement en retrait en France et en Espagne. Ce recul de productivité en France s’explique à 50 % par l’essor de l’apprentissage qui a contribué depuis 2019 à environ un tiers de la croissance de l’emploi salarié, sans générer un surcroît de production équivalent. Certains secteurs comme la production d’énergie ou la production automobile ont, par ailleurs, enregistré des chutes de production sans réelle incidence sur le niveau de l’emploi. La hausse des arrêts maladie ou l’absence de travailleurs immigrés qui ne sont pas revenus depuis la crise sanitaire contribuent également à la dégradation de la productivité.
Selon l’INSEE, l’emploi ralentirait au cours des prochains trimestres (+0,2 % prévu au quatrième trimestre 2022, puis +0,1 % au premier comme au deuxième trimestre 2023). Le taux de chômage resterait stable à 7,3 % de la population active.
Les États-Unis en tête sur la zone euro pour la productivité
De part et d’autre de l’Atlantique, un écart de croissance est à l’œuvre depuis une dizaine d’années. Les États-Unis ont rebondi plus rapidement et plus fortement que la zone euro après la crise financière. Il en est de même après la crise sanitaire. Les États-Unis peuvent compter tout à la fois sur des gains de productivité importants et sur une augmentation de leur population active quand l’Europe est confrontée aux affres du vieillissement démographique et à une stagnation, voire un recul de sa productivité.
De 1998 à 2022, la productivité horaire du travail a progressé de 60 % aux États-Unis, contre 20 % en zone euro. Si la productivité américaine augmente constamment sur l’ensemble de la période, elle a tendance à stagner pour la zone euro depuis 2009. Le constat est le même pour la productivité globale des facteurs qui est calculée à partir du nombre d’heures travaillées et non en fonction du nombre d’emplois. Aux États-Unis, celle-ci a augmenté de 1998 à 2022 de 17 %, contre 5 % pour la zone euro.
La productivité est plus faible en Europe du fait d’une baisse importante de la durée de travail. De 1998 à 2022, elle a diminué de 8 % en zone euro contre 4 % aux États-Unis.
L’écart important de la productivité repose sur un déficit d’investissement pour les entreprises sur le vieux continent. Dans la zone euro, la préférence a été donnée à l’immobilier des ménages qui a accaparé une part importante de l’épargne. L’investissement en logements représente 5 % du PIB en zone euro, contre 3 % aux États-Unis. A contrario, le taux d’investissement net des entreprises est deux fois plus élevé aux États-Unis que dans la zone euro. L’Europe n’a pas réussi à combler son retard dans les nouvelles technologies. L’emploi salarié dans les TIC représente aux États-Unis 4, 2 % de l’emploi total contre 3 % pour la zone euro. Les dépenses totales en Recherche & Développement pèsent 3,5 % du PIB outre-Atlantique, contre 2,4 % en zone euro.
La structure par niveau d’éducation donne un avantage aux États-Unis. Dans ce dernier pays, 50,3 % de la population active à un niveau d’enseignement supérieur contre 34,3 % dans la zone euro. 8,3 % des actifs ont, au plus, un niveau de formation d’enseignement primaire, contre 23, % au sein de la zone euro.
Plusieurs facteurs jouent contre la productivité et la croissance en zone euro. Le déficit d’entreprises technologiques lié à une formation insuffisante des actifs, entretient la divergence des deux grandes économies occidentales. La zone euro est handicapée par la mauvaise allocation de l’épargne et par le caractère insuffisamment unifié de son marché de financement des entreprises.
Vers un rééquilibrage des revenus au profit des salariés ?
Dans les pays de l’OCDE, depuis les années 1980, en particulier aux États-Unis ou en Allemagne mais pas en France, le partage des revenus se déforme au profit des entreprises et au détriment des salariés. Ces dernières années, l’exigence de rentabilité réelle du capital avait progressé en lien avec la baisse des taux d’intérêt. Le maintien d’un chômage élevé dans certains pays a également joué au détriment des salariés tout comme la tertiarisation des économies. Depuis trois ans, plusieurs facteurs semblent avoir contribuéà un nouveau partage des revenus plus favorable aux salariés.
Des années 1980 au années 2010, déformation du partage des revenus au profit des entreprises
Depuis les années 1980, le partage des revenus s’est déformé dans les pays de l’OCDE au profit des entreprises. Les profits des entreprises, avant taxes et intérêts mais avant dividendes, s’élevaient à 16 % du PIB en 2022, contre 11 % en 1980. Cette progression résulte du fait que le recul des taux d’intérêt réels ou nominaux n’a pas été accompagné d’un recul de la rentabilité réelle ou nominale du capital. Au contraire, pendant que les taux d’intérêt réels sur les dettes baissaient, l’exigence de rentabilité réelle du capital augmentait.
Depuis quarante ans, le pouvoir de négociation des salariés baissait en lien avec la baisse du taux de syndicalisation. Au sein de l’OCDE, il est passé de 31 à 16 %. Dans certains pays, il ne dépasse pas 5 %. La réduction du poids de l’industrie qui permettait la concentration d’un nombre élevé de salariés sur un même lieux explique en partie ce recul. En France, l’industrie n’occupait en 2021 plus que 9 % de la population active, contre 40 % en 1973. La tertiarisation des activités s’accompagne d’un éclatement des structures de production moins favorable à l’engagement de luttes syndicales. Le chômage de masse, à compter des années 1980, a conduit également à une diminution des revendications salariales.
L’inversion des facteurs en faveur des salariés
Le mouvement inverse de celui observé depuis les années 1980 est à l’œuvre depuis la fin l’année 2021. Les taux d’intérêt nominaux sont orientés à la hausse en lien avec la progression de l’inflation. Les taux devraient être plus élevés dans les prochaines années que lors de la dernière décennie en raison des besoins élevés d’investissement générés par la transition énergétique, l’accroissement des dépenses d’équipement militaires et la santé.
Le rapport de force démographique devrait de plus en plus jouer en faveur des salariés. Avec les départs massifs à la retraite, dans les prochaines années, les problèmes de recrutement ne peuvent que s’amplifier. Depuis plus d’un an, les problèmes de main d’œuvre se multiplient. Aux États-Unis, plus de 45 % des entreprises étaient confrontées à des difficultés de recrutement. En zone euro, ce taux est également supérieur à 40 %. Plusieurs pays sont en situation de plein emploi (États-Unis, Allemagne, Tchéquie, etc.). À l’exception des États-Unis, la population active est en baisse. Elle se contracte chaque année, depuis 2012, de plus de 1 % au Japon et, depuis 2016, de 0,5 % en zone euro. Les tensions sur le marché de l’emploi devraient déboucher sur une augmentation des salaires. La crise sanitaire et l’inflation s’accompagne d’une progression des demandes de revalorisation salariale.
La remontée des taux d’intérêt sur les dettes, à l’inverse du mouvement observé des années 1980 à 2020, réduira l’écart entre rendement du capital et taux d’intérêt sur les dettes.
La transition énergétique imposera des investissements massifs (production et stockage d’énergies renouvelables, décarbonation de l’industrie et des transports, rénovation thermique des bâtiments et logements) qui se chiffrent, pour l’OCDE, en milliers de milliards de dollars par an sur de nombreuses années. Cet effort d’investissement suppose une augmentation de l’épargne et donc une réduction de la consommation. La transition énergétique est inflationniste, les énergies renouvelables étant moins efficientes que les énergies carbonées. La rentabilité des investissements relatifs à la décarbonation sont pour le moment source d’une moindre rentabilité, ce qui pèsera sur les marges des entreprises et pourrait se traduire par une érosion des bénéfices et donc du cours des actions.
Le partage des revenus pourrait donc être plus favorable aux salariés dans les prochaines années au vu de l’évolution de la démographie et des contraintes de financement. En revanche, les besoins en biens publics, santé, retraite, dépendance, éducation, défense et sécurité devraient conduire à une hausse des dépenses publiques nécessitant une progression des prélèvements obligatoires rognant le pouvoir d’achat des ménages.
Royaume-Uni : la City en perte de vitesse
En 2016, les tenants du Brexit, Boris Johnson en tête, estimaient possible de transformer le Royaume-Uni en place financière offshore. Six ans plus tard, force est de constater que ce pari est pour le moment perdu. La City de Londres a même perdu son rang de première place financière européenne au profit de Paris.
Le déclin du Royaume-Uni depuis le Brexit se traduit par un recul des ressortissants européens sur son territoire. Ces derniers étaient passés de 1,2 à 3,6 millions de 2002 à 2016 avant de revenir à 3,3 millions. L’investissement des entreprises est également en fort recul. Les relocalisations promises se font attendre et le déficit commercial, loin de se résorber, s’accroît. Ce déclin concerne également les marchés financiers.
Les entrées de capitaux au Royaume-Uni diminuent, surtout en ce qui concerne les investissements directs reçus de l’étranger. Le solde des investissements directs est négatif depuis 2018. Les flux nets de capitaux à court terme le sont également. La livre sterling par rapport à l’euro, a perdu 12 % de sa valeur depuis 2016. Le Royaume-Uni rencontre des problèmes de financement de son imposant déficit extérieur.
Les émissions d’actions ont nettement reculé depuis le Brexit. Les émissions nettes d’actions sont devenues négatives. La taille globale du marché des actions britanniques est orientée à la baisse. En monnaie nationale, le marché des actions britanniques est ainsi inférieur à celui du marché français, ce qui constitue une première.
Les émissions obligataires britanniques sont plus difficiles à placer, nécessitant des taux d’intérêt plus élevés. Le taux d’intérêt à 10 ans sur les emprunts d’État est passé de 0 à plus de 3 % de juin 2020 à décembre 2022 (avec une pointe à 4,4 % lors de la crise gouvernementale à l’automne 2022).
Les incertitudes politiques, le ralentissement de l’économie et l’unité européenne ont, pour le moment, empêché le Royaume-Uni de conserver son rôle de place offshore de la zone euro. Les activités financières européennes ont tendance à se concentrer entre Paris, Amsterdam et Francfort.
Les deux faces de la transition énergétique
Jamais dans l’histoire économique contemporaine, de manière plus ou moins réglementaire, les États n’ont décidé et mis en œuvre une substitution d’énergie. En moins de trois décennies, ces derniers sont censés décarboner leur production et leur consommation afin de limiter autant que possible le réchauffement climatique. L’effort d’investissement nécessaire devrait peser sur la consommation et sur la rentabilité des entreprises. À court et moyen terme, la transition énergétique réduira sensiblement la croissance en raison d’un prix plus élevé de l’énergie. En revanche, il est probable qu’à long terme, cette substitution soit favorable à la croissance.
Le prix de l’énergie restera élevé dans les prochaines années. Le développement des énergies renouvelables suppose la réalisation d’investissements coûteux. En raison du caractère aléatoire des énergies éolienne ou solaire, les pouvoirs publics doivent prévoir des centres de production de substitution et des capacités de stockage importantes, sources de surcoût. Par ailleurs, les énergies fossiles, en raison d’un sous-investissement pourraient souffrir d’un déficit d’offre durant la première partie de la transition. Toute chose étant égale par ailleurs, la production de pétrole aurait du mal à dépasser 120 millions de barils jour. Grâce au pétrole de schiste, elle avait pu passer de 75 à plus de 100 millions de barils jour entre 2002 et 2019.
Les énergies renouvelables provoquent des achats en biens d’équipement importants à l’étranger (Chine notamment), entraînant des transferts financiers qui pénaliseront la croissance. La demande interne devrait être pénalisée durant la période de montée en puissance des énergies renouvelables. La décarbonation de l’industrie ou la rénovation des bâtiments induisent des coûts sans améliorer réellement la productivité.
À long terme, en revanche, la transition énergétique stimulera la croissance. Une fois les investissements réalisés, les énergies renouvelables offrent l’avantage d’être peu coûteuses et d’être moins sensibles aux aléas économiques et géopolitiques. La diminution des importations d’énergies fossiles réduira les transferts financiers vers les pays producteurs qui représentent en 2022 plus de 7 % du PIB pour l’OCDE. La productivité devrait s’améliorer progressivement grâce à l’effort d’investissement et à une gestion plus stricte de l’énergie. De nouveaux procédés plus économes de production devraient s’imposer, ce qui favorisera la croissance.
La transition énergétique sera une valse à deux temps pour la croissance économique. Le temps 1 sera défavorable à cette dernière en raison de l’importance des investissements à réaliser et de l’obsolescence de biens non amortis. Le temps 2 sera plus favorable du fait d’une utilisation plus efficace de l’énergie et de la diffusion rapide d’innovations.