17 mai 2024

Le Coin de l’Economie – déficits publics – économie capitalistique – création monétaire et valeurs des actifs

Déficits publics et leur effet éventuel d’éviction

Un déficit public élevé est susceptible de provoquer un effet d’éviction au détriment de l’investissement privé. Les épargnants préfèrent, en effet, prêter de l’argent à l’État,  jugé être un débiteur sans risque, que de financer des entreprises, considérées plus risquées. L’augmentation des besoins de financement des États génère une hausse des taux d’intérêt ce qui pénalise les entreprises non seulement en les privant de capitaux mais en renchérissant leurs coûts de financement.

Aux États-Unis, malgré la nette dégradation du solde public qui est passé de -1 à 7,5 % du PIB de 1995 à 2023, le taux d’investissement des entreprises est globalement stable voire en légère augmentation. En 2023, il s’élevait à 14,8 % du PIB, contre 14 % en 1995. En ne retenant que le secteur privé, l’investissement apparaît en léger recul 15,2 % du PIB en 2005 et 15 % en 2023).

Le Royaume-Uni a connu sur ces trente dernières années une forte augmentation de son déficit public. À l’équilibre à la fin du siècle dernier, le solde public est négatif de 4,5 points de PIB en 2023. Le taux d’investissement total des entreprises privées est, en revanche, stable autour de 16 % du PIB.

En Allemagne, les pouvoirs publics ont réussi sur la période 1995/2023 à maîtriser leur solde publics. Si entre 1995 et 2003, le déficit public était, en raison de la réunification, important, il a laissé place à un excédent entre 2005 et 2007 et entre 2012 et 2019. La crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont provoqué une détérioration du solde public mais limitée. Le déficit public s’est élevé à moins de 3 points de PIB en 2023. L’investissement privé a, de son côté, décliné de 2007 à 2015 avant de retrouver son niveau de 1995, autour de 16 % du PIB.

La France se caractérise entre 1995 et 2023 par une accumulation de déficits publics élevés, dépassant fréquemment 3 points de PIB. Sur cette période, le taux d’investissement privé tend à progresser passant de 15 à 23 % du PIB.

L’Espagne a enregistré d’importants déficits publics avec la crise des subprimes et la crise des dettes souveraines entre 2008 et 2013, atteignant près de 10 points de PIB certaines années. Le déficit a été réduit entre 2014 et 2020 avant de s’accroître pendant l’épidémie de covid. L’aggravation du solde public a été temporaire. Le déficit n’était que de 3,7 % du PIB en 2023. Le taux d’investissement des entreprises privées qui avait atteint un sommet à 25 % du PIB en 2007 a décliné pour ne représenter, en 2023, que 18 % du PIB.

L’Italie a, de 1995 à 2023, enregistré des déficits publics variant de 2 à 9 points de PIB avec un niveau moyen de 4 points de PIB. Le taux d’investissement des entreprises du secteur privé s’est légèrement érodé après 2007, mais, sur longue période (1995 – 2023), il est stable autour de 20 points de PIB.

Depuis 1995, au Japon, le déficit publics dépasse en moyenne 5 % du PIB. La dette publique japonaise, fin 2023, représentait 255 % du PIB. L’investissement privé est en léger déclin sur la période passant de 25 à 23 % du PIB.

L’effet d’éviction reste pour le moment relativement limité. Cette situation s’explique par l’augmentation du taux d’épargne en lien avec le vieillissement démographique et par l’internationalisation du financement des dettes publiques. Depuis les années 1980, avec la mutation des marchés financiers et leur déréglementation, les États occidentaux ont réussi à faire appel à l’épargne internationale pour financer leurs déficits. Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, le Japon ou la Chine ainsi que ceux de l’OPEP ont, grâce à l’importance de leurs excédents commerciaux, disposé de capacités de financement élevées.

Dans les prochaines années, la donne pourrait être différente. Les besoins d’investissement des entreprises pourraient augmenter en lien avec la digitalisation et la décarbonation de leurs activités. La transition écologique impose à tous les États à réaliser des investissements importants. Cela concerne en premier lieu les pays du Golfe qui doivent préparer leur économie à l’après pétrole. Ils pourraient disposer de moins de liquidités à investir en Occident. La fragmentation des marchés en lien avec la multiplication des tensions internationales peut également freiner les mouvements de capitaux. Enfin, le vieillissement démographique avec plus de retraités et moins d’actifs pourrait à terme peser sur l’épargne. Même si ce n’est pas le cas pour le moment, les retraités pourraient être contraints de puiser dans leur patrimoine pour maintenir leur niveau de vie si les régimes de pensions se révélaient moins généreux.

Création monétaire et rééquilibrage patrimonial

Depuis 2019, l’encours de monnaie détenu par les agents économiques non bancaires a progressé de 50 % depuis le début de 2019 aux États-Unis et de 30 % dans la zone euro, symbole d’une forte création monétaire. Cet accroissement est le produit des politiques monétaires non conventionnelles engagées par les grandes banques centrales après la crise des subprimes de 2007/2009. Les États ont financé leurs mesures de soutien aux ménages et aux entreprises en transférant indirectement leur dette publiques auprès des banques centrales. La hausse du poids de la monnaie dans la richesse totale (monnaie, obligations, actions, immobilier) a déclenché un mouvement de rééquilibrage de portefeuille.

Les actifs monétaires détenus par les agents économiques non bancaires (billets, dépôts à vue, comptes d’épargne, dépôts à terme, fonds de marché monétaire) sont passés de 2019 à 2023 de 17 000 à 25 000 milliards de dollars aux États-Unis et de 12 500 à 16 500 milliards d’euros en zone euro. Cette création monétaire s’est accompagnée d’une appréciation du prix de l’immobilier du moins jusqu’en 2022 et de celle des actions. Cette valorisation de certains actifs peut s’expliquer par un processus de rééquilibrage. Si le poids de la monnaie dans la richesse financière ou dans la richesse totale s’accroît en raison d’une création monétaire rapide, les agents économiques vont acheter d’autres actifs (obligations, actions, immobilier) pour rééquilibrer le poids des différents actifs dans la richesse totale. Ces achats rééquilibrent la structure de la richesse en raison de la hausse des prix des actifs achetés (des actifs non monétaires dans le cas où c’est le poids de la monnaie dans la richesse totale qui devient anormalement élevé). Le ratio entre les différents actifs est, sur longue période, globalement stable, si un des actifs augmente rapidement, les autres s’ajustent progressivement.

La richesse totale ou le patrimoine qui est la somme de la monnaie (numéraire), de l’encours de tous les titres financiers et de la valeur globale des biens immobiliers a fortement augmenté ces dernières années. Elle est passée, de 2002 à 2023, de 38 000 à 125 000 milliards de dollars aux États-Unis et de 38 000 à 90 000 milliards d’euros en zone euro. Le patrimoine financier (hors immobilier) est passé sur la même période de 2 000 à 8 000 milliards de dollars aux États-Unis et de 2 000 à 5 000 milliards d’euros en zone euro. Le poids des liquidités dans la richesse nationale est en baisse légère, depuis 2010, en tendance aux États-Unis, tout en restant nettement plus élevé par rapport à son niveau moyen des années 2004/2008. Il représentait, en 2023, 20 % de la richesse globale. En ne retenant que les actifs financiers, le poids des liquidités a retrouvé aux États-Unis son niveau de 2002, 32 %. Pour la zone euro, le niveau des liquidités reste élevé fin 2023. Il représente 18,5 % de la richesse globale quand sur la période 2002/2017, la moyenne était proche de 17 %. Ce poids ne dépassait pas 16 % en 2015. Rapporté au patrimoine financier, les liquidités représentent 34 % en 2023, contre 27 % en 2002.

Au vu des données statistiques, le mouvement de rééquilibrage de portefeuille n’est pas achevé. Les cours boursiers disposent d’un potentiel de croissance encore important. De 2002 à 2023, l’indice S&P 500 a été multiplié par quatre et l’indice Eurostoxx 50 par deux. Les valeurs boursières sont plus susceptibles d’augmenter dans les prochaines années au nom de la théorie du rééquilibrage. Par ailleurs, l’immobilier pourrait également connaître une nouvelle progression dès que les taux d’intérêt diminueront.

L’offre et la demande au service de la réduction du déficit public

Après la période épidémique marquée par une récession et un rebond de grande ampleur, les États européens renouent avec une croissance faible. La hausse des prix de l’énergie et la hausse des taux d’intérêts provoquée par la guerre en Ukraine ne saurait être les seules raisons pour expliquer la stagnation européenne. Celle-ci est bien plus ancienne, la disparition des gains de productivité en étant la manifestation la plus préoccupante.

De 2019 à 2022, en France, la productivité a reculé de 5 %. La population âgée de 15 à 64 ans diminue à un rythme de 0,1 à 0,2 % par an depuis 2015. Ces deux facteurs pèsent négativement sur la croissance. Le seul facteur jouant pour le moment positivement est le taux d’emploi. Il est passé de 65 à 68,5 % de 2015 à 2023. Un des objectifs de la réforme des retraites de 2023 est justement d’accélérer ce taux d’emploi.

Toute chose étant égale par ailleurs, l’augmentation de la croissance est en France, pour les prochaines années, sera particulièrement difficile à obtenir. Pour autant, le pays a un besoin urgent de croissance. Si la croissance était de 1,5 % chaque année d’ici 2027, et non de 0,8 %, le niveau du PIB serait supérieur de 2,8 points en 2027, et le déficit public serait inférieur de près de 1,5 point de PIB à son niveau tendanciel.

Pour atteindre un taux de croissance de 1,5 %, la productivité du travail doit se redresser. Dans cette optique un surcroît d’investissement dans les nouvelles technologies, une augmentation des dépenses de Recherche-Développement, une baisse de l’absentéisme et une revalorisation de la valeur « travail » sont incontournables. La demande doit également augmenter. Ces dernières années, en zone euro et en France tout particulièrement, les ménages ont privilégié l’épargne au détriment de la consommation. Le taux d’épargne reste 3 points au-dessus de son niveau d’avant la crise sanitaire. Les ménages ont, par ailleurs, réduit leurs dépenses d’investissement avec la hausse des d’intérêt.

Une baisse du taux d’épargne est une condition sine qua non pour une reprise de la consommation. Les entreprises doivent accroître leurs dépenses d’investissement afin que l’offre puisse répondre à la hausse de la demande des ménages, faute de quoi le solde commercial se dégradera. Si seule la productivité se redresse, il y aura excès d’offre de biens et services sans stimulation de la demande et de la croissance.

La politique économique du gouvernement devrait agir sur les deux fronts, celui de la consommation et de l’investissement. L’obtention de gains de productivité suppose, par ailleurs, une amélioration du niveau de formation, objectif de long terme mais incontournable.

Pourquoi les économies deviennent-elles plus capitalistiques ?

Avec la tertiarisation des économies, les besoins en capital auraient dû diminuer ; or, c’est le phénomène inverse qui est constaté. Les États-Unis comme la zone euro sont devenus de plus en plus capitalistiques. Le ralentissement de la productivité et, plus globalement, du progrès technique exigent un recours accru au capital pour maintenir la production.

Aux États-Unis et dans la zone euro, le taux d’investissement net des entreprises (une fois la consommation de capital fixe déduite) est supérieur au taux de croissance du PIB en volume. Aux États-Unis, en 2023, l’investissement net des entreprises s’est élevé à 5 % du PIB quand le PIB a augmenté de 2,7 %. En zone euro, les taux respectifs sont 1 et 0,5 %. Le stock de capital est, de 1990 à 2023, passé de 140 à 218 % du PIB aux États-Unis, et de 140 à 180 % du PIB en zone euro. Pour obtenir un point de croissance, les besoins en capitaux augmentent au fil des années. Cette évolution tend à prouver l’idée du rendement décroissant de la recherche. En effet, aux États-Unis, de 1990 à 2023, les dépenses d’investissement dans les technologies de l’information et de la communication sont passées de 2,5 à 3,8 % du PIB. Pour la zone euro, elles sont passées de 2 à 2,6 % sur la même période.

Les États-Unis et la zone euro sont confrontés à une baisse de la productivité globale des facteurs. La tertiarisation de l’économie avec en particulier le développement des services domestiques (services à la personne, services de logistiques) pèse sur la productivité. Pour tenter de maintenir la production, les entreprises sont contraintes d’investir des sommes de plus en plus importantes notamment dans le domaine de l’informatique. La transition écologique est également une source d’investissement mais sans s’accompagner de gains de productivité. La substitution de mode d’énergies ne vise pas à améliorer l’efficience des circuits de production mais de les décarboner. La transition écologique provoque par ailleurs l’obsolescence d’équipements pas obligatoirement amortis, ce qui nuit à la productivité.

Le recul des taux d’intérêt réels à long terme ont pu conduire les entreprises à utiliser des technologies plus capitalistiques, le coût de l’argent étant faible. Le taux d’intérêt réel à 10 ans sur les emprunts de l’État fédéral américain est passé de 4 % à 1 % de 1990 à 2023 et de 5 à 1 % pour les emprunts d’État à 10 ans de la zone euro.