Le Coin de l’Economie – dette – Europe – vieillissement – capital productif
L’Europe à la croisée des chemins
L’été européen a été marqué par de nombreux incendies et inondations ainsi que par le maintien d’un inflation élevée sur fond de ralentissement de la croissance. Le taux d’inflation a été, en août, de 5,3 %. Elle a été enregistrée en hausse dans plusieurs pays dont la France (5,7 %). Les indices des directeurs d’achat (indices PMI) semblent suggérer l’imminence d’une récession.
La Banque centrale européenne est confrontée à un choix cornélien, poursuivre le durcissement de sa politique monétaire pour revenir le plus rapidement possible à un taux d’inflation de 2 % ou temporiser afin d’éviter une récession susceptible de générer d’importantes tensions sociales. Jusqu’à maintenant, Christine Lagarde privilégie une politique d’atterrissage rapide de l’inflation de peur qu’une spirale de hausse des prix s’installe en Europe.
L’inflation de la zone euro s’avère tenace. Si elle est essentiellement liée à la hausse des prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles, elle se nourrit également des pénuries de main-d’œuvre qui favorise la hausse des rémunérations. Le rebond du cours du pétrole, depuis le mois de juillet, alimente également l’inflation. L’inflation sous-jacente (inflation hors alimentation et énergie) tarde à baisser. La résistance de celle-ci à la hausse des taux d’intérêt s’explique par le maintien d’une demande relativement élevée. Cette dernière est rendue possible par l’importance de l’épargne accumulée par les ménages depuis le début de l’épidémie de covid et par les politiques de soutien au pouvoir d’achat instituées par les pouvoirs publics. Les ménages se plaignent d’une dégradation de ce dernier, or il est depuis 2022 relativement stable. La décrue de de la demande de crédits est réelle mais elle est lente sachant que celle-ci avait atteint des niveaux sans précédent en 2021 et au début de l’année 2022. Les entreprises continuent d’investir grâce notamment aux aides publiques afin d’accélérer la transition énergétique et de limiter la dépendance à l’encontre de la Chine (microprocesseurs, batteries, etc.). Le maintien de la demande explique que la récession annoncée au milieu de l’année dernière ne soit pas encore survenue.
En cette fin d’été 2023, le secteur le plus touché est celui de la construction, secteur sensible à l’évolution des taux d’intérêt. Selon Goldman Sachs, la hausse de ces derniers aurait provoqué une baisse de la croissance d’au moins 0,4 point de PIB. Par ailleurs, les faillites d’entreprises qui ont atteint un point bas en 2021, progressent. En Europe, au deuxième trimestre, elles seraient en hausse, en rythme annuel de 8 % par rapport au premier trimestre.
Si la politique budgétaire se durcit, ce qui est inévitable vu le niveau actuel des déficits publics, la croissance devrait ralentir en Europe, dans les prochains mois. La question est de savoir si ce ralentissement aura des effets sur les prix. Pour les produits énergétiques, les pays européens n’ont pas la main sur les prix. En ce qui concerne les salaires, les demandes de revalorisation sont importantes. Jusqu’à maintenant, faute de gains de productivité, les entreprises ont répercuté ces hausses sur leurs prix de vente ce qui alimente l’inflation. La persistance des pénuries de main-d’œuvre, en lien avec le vieillissement démographique, demeure un facteur de hausse des prix. Il en est de même avec la transition énergétique qui devrait mobiliser les acteurs publics comme privés jusqu’au milieu du siècle. Les énergies renouvelables, en l’état actuel des technologies, sont plus coûteuses que celles qui sont carbonées. Le changement des processus de production ne génère pas ou peu de gains de productivité qui sont logiquement nécessaires pour absorber les augmentations de coûts.
La BCE devrait relever ses taux directeurs assez rapidement et notamment lors de sa réunion du 14 septembre. Plus elle attendra pour le faire, plus elle sera sous le feu de l’opinion publique qui risque de l’accuser d’alimenter la récession.
L’Occident en manque de capital productif
Les capitalisations boursières battent record sur record mais, pourtant, les économies occidentales manquent de capitaux. Le marché « actions » est avant tout un marché secondaire et non un marché de financement. Depuis la crise financière de 2008/2009, l’accumulation du capital productif s’est ralenti. Le taux d’investissement a diminué et les exigences des actionnaires en termes de rendement ont augmenté, conduisant notamment à la multiplication des plans de rachat d’actions.
Le taux d’investissement des entreprises est, au sein de l’OCDE, passé de 15 à 14 % du PIB ces vingt dernières années quand celui des ménages (logements) s’est contracté de deux points pour s’élever à 4 % en du PIB en 2022.
La progression du stock de capital net est passée de 2,5 % en 2008 à 1,4 % par an en 2022. En parallèle, le ROE (bénéfice net de l’entreprise/ capitaux propres de l’entreprise) était de 14 en 2022, contre 10 avant la crise financière de 2008/2009. Cette augmentation est l’expression d’une aversion aux risques plus marquée, les investisseurs demandant un rendement plus important pour le capital investi au sein des entreprises.
Le sous-investissement chronique depuis une dizaine d’années explique en partie le recul de la croissance tendancielle de la productivité du travail. La croissance productivité par tête lissée sur quatre ans n’était plus que de 0,75 % en 2022, contre 1,8 % en 2007. Cette baisse est également la conséquence de la tertiarisation de l’économie et de l’intégration dans la sphère de l’emploi de salariés moins productifs. En cas de plein emploi, les entreprises sont contraintes d’employer des actifs à faible productivité.
Depuis trente ans, la propension des ménages à consommer demeure élevé. Au sein de l’OCDE, la consommation des ménages représentait, en 2022, 92 % du revenu disponible brut et 60 % du PIB. Dans quelques pays, le taux d’épargne reste élevé, en France, en Allemagne ou au Japon. En revanche, celui-ci est au plus bas aux États-Unis. Un faible taux d’épargne conduit à un sous-investissement. Par ailleurs, les entreprises ont tendance à conserver des volumes de liquidités de plus en plus importants pour faire face aux aléas de conjoncture. L’encours des liquidités détenues par les entreprises de l’OCDE est passé de 15 à 22 % du PIB de 2007 à 2022.
Ce sous-investissement des entreprises ne peut pas durer compte tenu de l’objectif de neutralité carbone prévu pour le milieu du siècle, de la faible progression voire du déclin de la population en âge de travailler et de la digitalisation des activités. Une augmentation de l’investissement suppose celle de l’épargne et une moindre aversion aux risques.
La dette extérieure, quand le vieillissement démographique n’explique pas tout !
En théorie, les pays où la population est plus jeune, qui sont moins affectés par le vieillissement démographique, accumulent des actifs extérieurs en ayant un excédent de leur balance courante. Ayant des capacités de production plus importantes que les pays à population âgée, ils peuvent consacrer une partie de cette dernière à l’exportation. A contrario, les pays ayant un grand nombre de retraités ont de faibles capacités de production et privilégient les services au détriment de l’industrie. Pour financer les retraites, ils ont traditionnellement besoin de capitaux en provenance de l’extérieur.
La population de plus de 65 ans représente 31 % de la population totale au Japon, 25 % pour la zone euro et 20 % pour les États-Unis. Ce ratio est de 19 % pour la Chine et de 10 % pour les pays émergents (hors Chine, Russie et OPEP). Le Japon et la zone euro devraient avoir des actifs extérieurs décroissants et un déficit de leur balance courante quand les pays émergents, les États-Unis et la Chine devraient enregistrer une croissance de ces derniers avec un excédent de leur balance courants. La situation de la Chine est conforme sur moyenne période à la théorie avec des avoirs nets représentant 20 % du PIB. Ces avoirs n’augmentent plus depuis cinq ans en lien avec le vieillissement et les difficultés que rencontrent la Chine. Les États-Unis qui ont une démographie plus favorable que la zone euro enregistrent une dette nette de plus de 70 % du PIB en 2022. Elle était de 10 % en 2002. Les pays émergents ont une dette extérieure nette de 18 % du PIB qui a tendance à se réduire. Les actifs nets de la zone euro sont de 5 % du PIB grâce aux excédents de l’Allemagne et des Pays-Bas. Ces derniers ont disparu en 2022 en raison de l’augmentation du prix du pétrole. L’Allemagne qui est un des pays les plus engagés dans le processus de vieillissement démographique est celui a contribué le plus fortement aux excédents de l’Union européenne ces vingt dernières années. Cette situation s’applique également au Japon où la population décroît d’environ 300 000 par an. Ces actifs nets extérieurs dépassent 75 % du PIB en 2022, contre 30 % en 2002.
Les facteurs démographiques n’expliquent pas, à eux seuls, l’évolution des balances courantes. Les pays à population vieillissante se caractérisent par des taux d’épargne élevés, l’Allemagne, le Japon ou la France quand ceux à population plus jeune ont des taux d’épargne plus faibles (États-Unis). En Chine, compte tenu de la faiblesse de la couverture retraite, les ménages épargnent en achetant en particulier des biens immobiliers et des actifs à l’étranger. Dans les pays émergents, les besoins en capitaux sont importants dans le cadre du processus de rattrapage économique ce qui explique leur dette nette extérieure. Aux États-Unis, la propension à consommer y est forte induisant de faibles capacités d’épargne. La balance commerciale américaine est structurellement en déficit. Ce dernier est compensé par l’arrivée des capitaux en provenance du monde entier. Les investisseurs étrangers recherchent la rentabilité et la sécurité ce qu’offrent les placements américains. Le rôle du dollar comme monnaie mondiale de réserve contribue à ces flux financiers dont bénéficient les États-Unis. L’Allemagne ou le Japon ont de leur côté de solides traditions industrielles leur amenant des excédents courants. La France, en revanche, se caractérise par un solde industriel négatif compensé en partie par un excédent de sa balance des services en lien avec son activité touristique. Ces dernières années, cet excédent est insuffisant pour compenser le déficit commercial.
Théoriquement, les Etats vieillissant enregistrent des déficits extérieurs. Or, pour financer leurs investissements et leurs prestations sociales, ils ont besoin de capitaux d’’origine étrangère. Or, actuellement, le vieillissement ne se traduit pas par une baisse de l’épargne nationale, les retraités continuant à épargner. Par ailleurs, certains Etats comme le Japon ou l’Allemagne ont des modèles qui reposent sur l’exportation. Si celle-ci venait à s’affaiblir, ils pourraient être en difficulté. La France bénéficie d’une forte épargne intérieure mais d’une position extérieure chancelante. Les Etats-Unis compte sur leur attractivité en lien avec la valeur refuge du dollar.