Le Coin de l’économie – dette publique – Italie – aversion aux risques – épargne – taux d’intérêt
L’augmentation de la dette publique est-elle utile ?
En économie, une dette est jugée utile sous réserve qu’elle génère un surcroît de richesse supérieur à son coût global. Ces gains ne sont certes pas toujours faciles à identifier quand ils prennent la forme d’externalités positives. Une augmentation des dépenses publiques en faveur de l’éducation financée par emprunt pourrait déboucher sur des gains de productivité pour de nombreux secteurs privés. Il en est de même pour la recherche. Une infrastructure routière ou ferroviaire peut ne pas être rentable pour les pouvoirs publics mais favoriser l’essor d’un territoire. Des dépenses en faveur de l’environnement n’obéissent pas à des critères de rentabilité immédiate mais visent à garantir la pérennité de la croissance et des conditions de vie.
Depuis 1995, les États occidentaux ont fortement accru leur dette publique. Elle a notamment augmenté de 20 points de PIB aux États-Unis et de 50 points de PIB au Royaume-Uni. Or, dans ces deux pays, la croissance de la productivité par tête est en baisse. Elle est passée de 3 à 2 % aux États-Unis et 2 à 0,5 % au Royaume-Uni entre 1995 et 2022 (productivité lissée sur quatre ans). Le constat est le même pour l’Allemagne dont la dette a augmenté de 15 points de PIB et la France dont la dette a progressé de plus de 50 points de PIB. Ainsi, dans tous les pays de l’OCDE, l’accroissement des dépenses publiques ne s’est pas traduit par une augmentation des gains de productivité. Les pays qui se sont le plus endettés n’en tirent aucun avantage. Ces vingt dernières années, l’essentiel de la dette a été occasionné par une montée des dépenses sociales et n’ont pas profité aux dépenses d’investissements. Dans de nombreux pays de l’OCDE, le poids des dépenses publiques en faveur de l’investissement a diminué.
L’absence de lien positif entre hausse de l’endettement public et hausse des gains de productivité peut poser à terme un problème de solvabilité. Le choix de la dette pour financer des dépenses courantes met sous pression les Banques centrales à qui revient le soin de veiller à la soutenabilité des dettes publiques par des politiques monétaires anormalement expansionnistes.
Les investisseurs sont-ils injustes avec l’économie italienne ?
Depuis des années, l’Italie est considérée comme un des maillons faibles de la zone euro en raison du poids de sa dette et de sa faible croissance. Cette situation se matérialise par des écarts de taux de deux points pour les obligations d’État (10 ans) avec l’Allemagne. Pour autant, l’Italie a consenti de réels efforts de maîtrise de ses dépenses publiques. Avant la pandémie, elle dégageait un excédent primaire (avant paiement des intérêts de la dette), ce qui n’est pas le cas de la France. Sa balance commerciale a été nettement positive de 2015 à 2021 quand la France a accumulé de déficits croissants. Le poids du secteur industriel est bien plus important au-delà des Alpes qu’en-deçà.
Une croissance atone depuis plus de vingt ans
Depuis son entrée dans la zone euro, en 1999, l’Italie a une croissance économique atone, le PIB par habitant étant, en 2022, plus faible que celui d’il y a vingt ans. De 1999 à 2022, le PIB de l’Espagne a progressé de 50 %, celui de la France de 35 %, celui de l’Allemagne de 32 % quand celui de l’Italie n’a augmenté que de 10 %.
L’Italie a commencé à enregistrer de sérieux problèmes économiques avant son entrée dans l’euro. Les deux chocs pétroliers et l’instabilité politique chronique sur fond de scandales, de règlements de comptes plus ou moins mafieux et de terrorisme d’extrême-gauche, ont miné la compétitivité de la péninsule italienne. Cette dernière s’est construit, par ailleurs, sur une série de dévaluations qui permettaient de corriger le caractère inflationniste de l’économie. Dans les années 1990, avant la création de la monnaie unique, la lire italienne s’était dépréciée de 20 % par rapport au mark. Dépendant économiquement de l’Allemagne, l’Italie a perdu en compétitivité extérieure. Elle a, par ailleurs, subi le fait que son voisin germanique, avec la chute du Mur de Berlin, s’est tourné vers les États d’Europe de l’Est aux coûts plus faibles pour la sous-traitance.
Le poids élevé des dépenses publiques et des prélèvements
Compte tenu de la dérive de ses dépenses publiques en lien avec l’instabilité gouvernementale, l’Italie a connu une forte augmentation de ses prélèvements obligatoires, caractéristique qu’elle partage avec la France. La pression fiscale en Italie était en 2021 de 43 % du PIB (45 % pour la France), contre 35 % en 1990. En 1999, l’Italie n’a pas réellement contenu ses dépenses publiques. Son intégration est poussée par la France qui a souhaité disposer d’un allié face à l’Allemagne et aux États d’Europe du Nord.
Une administration insuffisamment productive
L’Italie souffre par ailleurs de l’inefficacité de l’appareil administratif. Le ratio entre les dépenses publiques hors masse salariale des fonctionnaires et le nombre de fonctionnaires y est relativement faible. La France se situe néanmoins derrière l’Italie en la matière. Les dépenses publiques par fonctionnaire atteignent 200 millions d’euros en France, contre 250 millions en Italie et 300 millions en Allemagne.
Une démographie hautement pénalisante
L’Italie est le pays de la zone euro qui connaît le plus fort vieillissement de sa population. La proportion des personnes en âge de travailler y est stable depuis 1999 quand elle a progressé de 10 % en Allemagne, de 17 % en France et de 40 % en Espagne. Dans les prochaines années, la population active italienne devrait diminuer fortement d’autant plus que les autorités sont hostiles à toute immigration.
L’investissement italien en recul
L’investissement des entreprises en Italie est faible. En vingt-trois ans, Il a augmenté de 20 %, contre +40 % en Allemagne et +70 % en France. Cette faiblesse de l’investissement des entreprises italiennes peut être reliée à celle de leur profitabilité. Les profits après taxes, intérêts et dividendes représentent 10 % du PIB en Italie, 12 % en France et 14 % en Allemagne comme en Espagne. Cette faible profitabilité, liée à des coûts salariaux et des impôts élevés, handicape les entreprises italiennes pour investir. La faiblesse de l’investissement des entreprises restreint les capacités de production. En 2010, au moment où l’Allemagne arrête de financer les déficits extérieurs des pays périphériques, l’Italie est confrontée à une crise de financement extérieur qui impose une contraction de sa demande intérieure. Celle-ci est nécessaire pour résorber son déficit extérieur. Le résultat sera réel mais au prix de l’appauvrissement des Italiens. Ce scénario pourrait s’appliquer prochainement à la France au vu de l’importance de son déficit commercial, malgré la compensation assurée par le solde positif des services. La balance commerciale italienne était déficitaire de près de 4 points de PIB en 2011. En réduisant la demande intérieure de 15 % de 2011 à 2015, le solde commercial est devenu positif à hauteur de 2 points de PIB. Il a même atteint 4 points de PIB en 2019 avant de revenir à l’équilibre en 2022.
Un système éducatif peu performant
L’Italie est handicapée par la faible qualité du système éducatif, problème qu’elle partage également avec la France. Ces deux pays figurent parmi les derniers grands pays occidentaux au sein des classements PISA et PIAAC. La faiblesse de l’effort de recherche constitue un autre point noir de l’économie transalpine. Les dépenses en R&D s’élevaient, en 2021, à 1,5 % du PIB, contre 2,3 % en France et 3,1 % en Allemagne.
Le cercle vicieux de l’endettement
La croissance potentielle de l’Italie est entravée par une population active stagnante voire en déclin, par un faible niveau de la productivité privée et publique, par un déficit d’investissement et par une demande intérieure contrainte pour permettre un excédent commercial. Cette absence de potentiel de croissance entraîne une prime de risque ajoutée aux taux d’intérêt de la part des investisseurs. Cette prime de risque renchérit le coût de la dette, limitant d’autant les possibilités d’investissement des pouvoirs publics. L’absence de croissance contribue à la montée de la dette publique qui représente 150 % du PIB, dette qui est, après celle de la Grèce, la plus importante de la zone euro. Elle devance celles de l’Espagne (118 %) et de la France (115 %).
L’Europe bouc-émissaire et soutien de l’Italie
L’Italie ne peut pas accuser la zone euro de tous les maux. Le vieillissement de la population active, la faiblesse du système éducatif, l’effort réduit de recherche, l’inefficacité du système administratif sont des problèmes qui relèvent de l’Italie et non de l’Europe. Si cette dernière a imposé à l’Italie un assainissement budgétaire, elle n’a pas appliqué de sanctions financières contrairement à ce qui était prévu dans les traités. L’Italie a, par ailleurs, bénéficié à plusieurs reprises du soutien de la BCE et des institutions européennes pour faire face à ces problèmes budgétaires. L’Italie est le pays qui reçoit le plus de crédits du plan « Next Generation » mis en place après la pandémie. Si durant les campagnes électorales, la Commission de Bruxelles est vouée aux gémonies, elle fait l’objet de moins de critiques après.
L’aversion aux risques de part et d’autre de l’Atlantique
Les épargnants européens sont réputés pour avoir une aversion aux risques plus importante que leurs homologues américains. Cette aversion entraîne des conséquences dans l’allocation de l’épargne et dans le financement de l’économie. Le déficit européen dans le digital trouverait une partie de son origine dans cette aversion.
La proportion des actions et des obligations d’entreprises détenues par les ménages et par les investisseurs institutionnels dépasse 62 % de l’ensemble des actifs aux États-Unis, contre 50 % pour la zone euro. Cet écart est mis en avant pour expliquer celui qui est constaté au niveau de la croissance depuis une vingtaine d’année de part et d’autre de l’Atlantique. De 2002 à 2022, le PIB s’est accru de 50 % aux États-Unis, contre 28 % en zone euro.
L’aversion aux risques pourrait expliquer une partie du retard d’investissement de la part des entreprises européennes. De 2002 à 2022, l’investissement des entreprises a doublée aux États-Unis quand il n’a progressé que de 20 % au sein de la zone euro. L’effort de recherche y est également plus faible qu’aux États-Unis, avec respectivement un effort de 2,4 % du PIB, contre 3,5 % du PIB en 2022. L’écart entre les deux zones s’est accru lors de ces deux dernières décennies. Il est passé de 0,7 à 1,1 point de PIB.
Les fonds levés en private equity par les entreprises nationales atteignent 1 500 milliards de dollars aux États-Unis, contre 503 milliards de dollars en Europe dont 199 milliards de dollars pour le Royaume-Uni. Pour les « business angels », l’Europe fait jeu égal avec les États-Unis (322 000 contre 305 000) mais pour une population supérieure de 150 millions d’habitants.
La faiblesse des fonds de pension en Europe contribue à la mauvaise allocation de l’épargne et cela d’autant plus que la réglementation européenne pénalise les placements dits risqués. Les fonds de pension gèrent des actifs représentant 98 % du PIB aux États-Unis, contre 18 % en zone euro. Les investisseurs institutionnels ont calqué leur gestion sur les préférences des épargnants, aidés en cela par les normes prudentielles.
La priorité donnée aux placements de court terme et à faibles risques en Europe devrait conduire les États à intervenir en investissant à long terme. Or, ces dernières années, ils ont réduit leur effort d’investissement. Pour contrecarrer ce mouvement, il convient d’œuvrer en faveur d’un approfondissement du marché unique financier au niveau européen qui demeure segmenté, comme l’ont demandé François Villeroy de Galhau (Gouverneur de la Banque de France), Joachim Nagel (Président de la Bundesbank) dans une tribune publiée au quotidien Les Echos (14 novembre 2022).
Les taux d’intérêt bas sont-ils irréversibles ?
Depuis plus de cinq ans, les agents économiques se sont habitués aux taux d’intérêt bas. Le processus de baisse engagé par les banques centrales après la crise des subprimes devait être exceptionnel et s’étaler sur une période courte. En 2022, le retour de l’inflation contraint les banques centrales à remonter leurs taux. Ce retournement provoque des tensions au sein des États concernés. Les ménages et les entreprises doivent accepter des taux d’intérêt plus élevés, voire renoncer à emprunter. La hausse des taux est accusée, ce qui est pourtant son objectif, de ralentir la croissance. Avant la crise sanitaire, de nombreux commentateurs de l’économie jugeaient anormaux les taux historiquement bas. Aujourd’hui, c’est leur remontée qui est perçue de la sorte. Le ressenti des opinions sur les taux et surtout par rapport aux récessions semble plus accentué que dans le passé. Dans les années 1980 et 1990, les banques centrales avaient osé fixer des taux supérieurs à 10 % pour lutter contre l’inflation et pour maintenir les taux de change. De tels taux sont aujourd’hui peu imaginables même s’ils ont cours dans de nombreux pays en développement ou émergents. Un des obstacles majeurs au relèvement des taux d’intérêt est à chercher dans le niveau élevé de l’endettement public comme privé. Le potentiel de lutte contre l’inflation des Banques centrales s’est certainement réduit.
Au Japon, la Banque centrale a peu de marges pour remonter ses taux d’intérêt, sous peine de provoquer la faillite de l’État, compte tenu du niveau de la dette publique. La dette publique y représente plus de 250 % du PIB, en hausse de 110 points de PIB en vingt ans. Sur cette période, les taux d’intérêt des titres publics à 10 ans sont passés de 2 à 0,2 %, permettant de réduire à 1,4 % du PIB le service de la dette. En 2002, ce même service de la dette représentait 2,7 % du PIB. La banque centrale japonaise maintien des taux directeurs à zéro ou presque et a effectué d’importants rachats d’actifs. La base monétaire du Japon a été ainsi multipliée par plus de trois depuis 2012. La faiblesse de l’inflation facilite le maintien des taux bas au Japon mais quoi qu’il en soit, la banque centrale a peu de marges de manœuvre.
Le Royaume-Uni a expérimenté les effets d’une remontée brutale des taux d’intérêt. L’annonce du programme budgétaire de Liz Truss, avec une baisse des impôts et une hausse massive des dépenses publiques, a conduit à une forte hausse des taux d’intérêt à long terme et à une crise des fonds de pension qui avaient utilisé un levier d’endettement élevé. En quelques jours, les taux ont augmenté de quatre points obligeant la Banque d’Angleterre à relancer des opérations de rachats d’obligations aux fonds de pension (Quantitative Easing) pour leur fournir des liquidités. Le niveau élevé de la dette publique et privée au Royaume-Uni empêche sa banque centrale d’avoir une politique monétaire réellement indépendante avec la lutte contre l’inflation comme seul objectif.
En matière de hausse de taux, les États-Unis semblent disposer de marges de manœuvre plus importantes que les États européens. La dette publique est en grande partie détenue par les banques centrales des États fédérés. Le dollar bénéficie de son rôle de valeur refuge garantissant, en période trouble, un flux important d’entrée de capitaux. La hausse des taux devrait néanmoins provoquer dans les prochains mois une correction des prix de l’immobilier. Celle-ci pourrait affecter la solvabilité des banques et des ménages, comme lors des précédentes récessions. La banque centrale américaine pourrait, de ce fait, atténuer son resserrement monétaire dans les prochains mois.
Dans la zone euro, le relèvement des taux directeurs des banques centrale a comme limite la soutenabilité des dettes publiques. Le risque de crise financière est moindre qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Le système prudentiel devrait limiter les problèmes pour l’assurance vie, premier vecteur d’épargne sur le continent européen même en cas de remontée rapide des taux d’intérêt. Pour une mise sous tension de ce produit, il faudrait une forte mobilité des détenteurs de contrats d’assurance vie, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les rachats par les assurés restent dans des fourchettes relativement classiques que ce soit en France ou en Italie. Une forte hausse des taux pourrait, en revanche, mettre en danger les États fortement endettés et à faible croissance potentielle. L’Italie est fortement exposée à ce risque qui est totalement pris en compte par la BCE. Il limite sans nul doute le potentiel de hausse des taux d’intérêt.
Au sein des pays occidentaux, les banques centrales ne peuvent pas déterminer leur politique monétaire sur les seules considérations liées à la lutte contre l’inflation. Au Japon et en zone euro, l’endettement public est un frein à la hausse des taux. Au Royaume-Uni, le niveau de l’endettement privé et les engagements des fonds de pension limitent également la liberté d’action de la banque centrale. Aux États-Unis, le risque de crise immobilière constitue un frein en la matière.