Le Coin de l’Economie -économie de guerre – inflation – impôts
Vous avez dit « économie de guerre » ?
Une économie de guerre signifie la mise entre parenthèses des règles économiques traditionnelles. Les États, dans un tel contexte, sont amenés à fixer certains prix, voire tous, à imposer des contingentements, à orienter la production, à contrôler le crédit et à taxer les plus-values ou les bénéfices exceptionnels. Ces régimes d’exception ont eu cours en Europe durant les deux conflits mondiaux. Avec la crise sanitaire, avec la guerre en Ukraine et au nom de la transition énergétique, des voix s’élèvent pour instaurer une économie de guerre qui offrirait la possibilité de s’affranchir de certaines contraintes monétaires et budgétaires. Au-delà de ces demandes, les autorités européennes ont décidé, du moins pour le moment, de conserver les règles de fonctionnement normales de l’économie de marché en programment un retour de l’inflation à 2 % pour 2024 et une restauration des équilibres budgétaires d’ici la fin de la décennie. À la différence des crises inflationnistes précédentes, les gouvernements soutiennent le pouvoir d’achat des ménages par des mesures budgétaires. Dans le passé, ils avaient choisi de laisser jouer les règles d’indexation avant de les supprimer. Les entreprises avaient dû supporter une forte réduction de leurs marges dans les années 1970 avec, par voie de conséquence, une dégradation de leur compétitivité. Il en avait résulté une augmentation du taux de chômage. La situation de 2022 est différente car la population active tend à stagner quand lors des deux chocs pétroliers, elle augmentait rapidement. En 2022, le choix opéré par les gouvernements européens est d’éviter l’enclenchement d’une spirale inflationniste prix/salaire. Pour le moment, ce pari tient, les salaires nominaux augmentant de moins de 5 % en rythme annuel au sein de la zone euro. Le contribuable national et l’épargnant sont chargés de financer les mesures de soutien aux consommateurs. Le déficit public de la zone euro qui aurait dû se réduire cette année, restera donc supérieur à 5 % du PIB, quand il n’atteignait que 0,5 % du PIB avant la crise sanitaire. La dette publique s’élève désormais à plus de 95 % du PIB, contre 85 % en 2019. L’augmentation brutale de l’inflation et du déficit public est la conséquence de chocs sans précédent qui rappellent les effets d’une guerre. La multiplication par deux du prix du pétrole et par trois de celui du gaz ainsi que la forte hausse du cours des produits agricoles et des matières premières déséquilibrent l’ensemble des économies.
Les États membres de la zone euro sont confrontés à une série de dépenses publiques qui dépassent la tendance de fond de ces dernières années. Ainsi, ils sont amenés à accroître leurs dépenses militaire et financer la transition énergétique. Les premières étaient inférieures à 1,2 % en 2020 contre 3 % dans les années 1980. L’objectif est de les porter à 2 % du PIB quand la transition énergétique mobilisera des centaines de milliards d’euros dans les prochaines années (développement de l’énergie renouvelable, réalisation d’unités de stockage, isolation des logements, etc.).
En économie de guerre, logiquement, la banque centrale maintient des taux bas et ne lutte pas contre l’inflation. Cela fut le cas tant lors de la Première que lors de la Seconde guerre mondiale. La BCE a décidé d’amorcer un mouvement de hausse de ses taux directeurs en juillet. Depuis le mois de janvier, les taux des obligations d’État sont en augmentation. Celui de l’OAT est passé de 0,2 à 1,7 % de janvier à juillet. La Commission essaie de limiter la dérive des déficits publics et rappelle à l’ordre les États qui tentent de faire passer des dépenses courantes dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire.
Si le principe de l’économie de guerre s’imposait, il s’accompagnerait d’une forte hausse des prélèvements qui se situent déjà à un niveau élevé, autour de 40,5 % du PIB. Il y a 20 ans, ils s’élevaient à 38 % du PIB. le surcroît d’impôt améliorerait la soutenabilité des dettes publiques mais irait à l’encontre de la volonté des pouvoirs publics de ne pas faire supporter la crise aux citoyens. Si économie de guerre, il y a, il convient de préserver le consommateur. Les épargnants sont, en revanche, mis à contribution du fait de la permanence de taux d’intérêt inférieurs à l’inflation. Cette situation est rendue possible par l’excès d’épargne. Elle pourrait être modifiée en cas d’emballement de l’inflation qui réduirait les capacités d’épargne. Une hausse forte et globale des prix pourrait conduire les ménages à opter pour une liquidité totale ou pour des valeurs refuge comme l’or. Pour le moment, ce n’est pas le cas. La survenue de pénuries à l’automne pourrait, en revanche, changer la donne. Un triplement du prix du pétrole que certains ont annoncé serait à même de basculer les économies européennes dans une autre dimension avec des blocages des prix et l’instauration d’un système administré. En l’absence de forte coordination européenne, des tensions entre les États membres pourraient alors intervenir. Ces derniers pourraient mettre en place des politique peu coopératives en matière d’accès à l’énergie. Les pays d’Europe de l’Est et l’Allemagne ainsi que l’Italie sont les plus exposés en cas d’absence de gaz russe. La France pourrait tout autant l’être, en raison de l’arrêt d’un grand nombre de ces centrales nucléaires, près de 27 réacteurs sur 56. Une augmentation brutale des prix de l’énergie provoquerait une réduction de la croissance et une progression des déficits publics et des déficits extérieurs. Cette conjonction pourrait provoquer une forte hausse des taux d’intérêt en particulier à l’encontre des États surendettés et générer une crise des dettes publiques.
Ce scénario noir n’est pas une certitude. La Russie est condamnée à vendre ailleurs son gaz et son pétrole ce qui à terme devrait provoquer une normalisation du marché. Les États européens se sont mobilisés dès la fin du printemps dans la constitution de réserves pour l’hiver 2022/2023. Les États-Unis font pression sur l’Arabie Saoudite pour accroître sa production, et ont décidé de puiser dans leurs réserves stratégiques.
Impôts, vous avez dit impôts
Les gouvernements des pays occidentaux, après avoir compensé le manque à gagner généré par la crise sanitaire, se sont engagés à réduire les effets sur les ménages de la guerre en Ukraine. Il en résulte une dégradation importante des finances publiques. Le ralentissement de la croissance provoqué par l’augmentation des prix de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles et par la multiplication des goulets d’étranglement tant au niveau des biens intermédiaires qu’au niveau de la main d’œuvre réduit le montant des recettes publiques quand, au même moment, les dépenses publiques sont en forte hausse. Les États, en plus des mesures de soutien au pouvoir d’achat sont confrontés à une série de dépenses en lien avec la transition énergétique et le vieillissement de la population. La modernisation des systèmes de santé, la réindustrialisation, l’accroissement de l’effort de défense, etc. D’ici 2024, la question des modalités du financement de ces dépenses pourrait se poser avec acuité.
Les déficits des États de la zone euro se situent entre -4 et -6 % du PIB quand en moyenne ils ne dépassaient pas 0,5 % du PIB avant la crise sanitaire. Par rapport à 2020, année de récession en Europe, la réduction du déficit a été 3 points mais le retour à l’équilibre a été compromis par la survenue de la crise ukrainienne. L’espoir mis dans la croissance pour réduire la composante conjoncturelle et assainir les finances publiques s’est évanoui. Les besoins de financement public sont en forte hausse, de plusieurs points de PIB afin de financer les dépenses militaires, les dépense de santé, de retraite, d’éducation et celles liées à la transition énergétique. Le soutien public à la compensation de la perte de pouvoir d’achat représente en année pleine, en France, 2 % du PIB. Ces dernières années, les États ont bénéficié de la baisse des taux d’intérêt qui a fortement réduit le poids du service de la dette. Ce dernier est passé, pour l’ensemble de la zone euro, de plus de 3 % du PIB à 1,5 % du PIB de 2010 à 2020. Face à la résurgence de l’inflation, les banques centrales sont contraintes de relever leurs taux directeurs, ce qui, avec l’arrêt des programmes de rachat d’obligations, entraîne une hausse des taux d’intérêt. Un point de taux en plus entraîne sur trois ans une dizaine de milliards d’euros de plus à payer pour l’État en France.
Comment réduire les déficits budgétaires primaires ?
Depuis 2020, les administrations ont pris l’habitude d’intervenir sans compter pour lutter contre la pandémie puis, depuis le début de l’année, pour tenter de limiter les effets du choc énergétique liés à la guerre en Ukraine. Les politiques monétaires accommodantes mises en œuvre depuis 2015 ont donné l’impression qu’il n’y avait plus de limite à la dépense publique. Les tenants de la Nouvelle Théorie Monétaire ont relégitimé le concept keynésien de déficit public tout en soulignant que l’interventionnisme étatique était justifié tant qu’il ne générait pas d’inflation. Depuis une quarantaine d’années, à l’exception de la Grèce, les populations, surtout celle de la France, se sont habituées à vivre avec un endettement croissant sans que cela ne pèse sur leurs conditions de vie. Elles n’estiment donc pas nécessaire de changer la donne en la matière. Pour autant, la question de la soutenabilité des dettes publiques pourrait se poser plus rapidement que prévu d’autant plus que la hausse des intérêts à payer grèvera le budget des États. La réduction des déficits devrait revenir d’actualité en 2023. Compte tenu des tensions sociales qui traversent de nombreux pays, les gouvernements rechignent, pour le moment, à augmenter les prélèvements sur les particuliers. A contrario, ils sont appelés à taxer les impôts sur les entreprises et en particulier sur celles qui réaliseraient des profits sur les marchés des matières premières ou de l’énergie. les entreprises énergétiques de la zone euro réalisent depuis le début de l’année, en base annuelle, des bénéfices évalués à 30 milliards d’euros, contre une vingtaine en temps normal. Il ne faut pas oublier qu’elles avaient enregistré une perte d’une vingtaine de milliards d’euros en 2020. Le secteur de l’énergie est cyclique avec des fortes variations. Il exige des investissements importants et cela d’autant plus que la décarbonation suppose la réalisation de nouveaux équipements. Par ailleurs, croire qu’en taxant les entreprises, les gouvernements épargnent les ménages est une vue de l’esprit. Ce n’est pas en taxant une vache que la vache paie la taxe. Une augmentation des prélèvements sur les entreprises conduit soit à une augmentation des prix, soit à une moindre progression des salaires ou à une diminution des dividendes versés aux actionnaires. La taxation revient à modifier les règles de répartition de la valeur ajoutée. Elle peut se justifier pour des raisons sociales ou économiques si l’usage de la rente est inefficiente. Depuis plusieurs années, l’idée d’une taxation des entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication s’est diffusée. Ces entreprises disposeraient de positions dominantes leur permettant de générer d’importants bénéfices. Elles ne feraient pas profiter les autres secteurs des gains de productivité. Les bénéfices accumulés ne seraient pas utilisés de manière optimale. Ils serviraient à réduire la concurrence à travers des opérations de rachats de startup. Selon la théorie libérale, les bénéfices ont vocation à disparaître et non à s’accroître au fur et à mesure de la montée de la concurrence.
À défaut d’accroître l’impôt sur les sociétés, certains estiment qu’il conviendrait d’augmenter le taux d’imposition des plus-values en capital réalisées (pas latentes) dues à la hausse des prix des actifs, hausse provoquée notamment par les politiques monétaires expansionnistes. Depuis 2018, le taux de croissance des prix de l’immobilier résidentiel en zone euro se situe entre 6 et 10 %. La crise sanitaire n’a pas entraîné de décélération. La hausse des taux d’intérêt pourrait néanmoins provoquer un retournement sur le marché immobilier.
La taxation des rentes peut apparaître légitime puisqu’elles ne résultent ni d’investissements, ni de bonne gestion, ni d’innovations, mais de plus-values ou de profits dus à des hausses anormales de prix ou de positions dominantes. Le prélèvement peut donc se justifier sous réserve que son usage soit performant. Les gouvernements sont de plus en plus enclins à prélever et à subventionner les mêmes. Ainsi, les entreprises du secteur énergétique sont taxées tout en bénéficiant d’aides pour assurer la décarbonation de leurs activités.
1990/2022, de la désinflation au retour de l’inflation
Depuis une vingtaine d’années, les pays occidentaux ont bénéficié de facteurs favorables qu’ils ont plus ou moins bien valorisé. La mondialisation a été une source de gains de productivité importante. L’intégration des travailleurs des pays émergents dans les circuits de production avec en parallèle l’éclatement des chaînes de valeurs ont réduit les coûts. L’essor du pétrole et du gaz de schiste a permis une forte décrue du prix de l’énergie de 2008 à 2020. Les politiques monétaires accommodantes ont réduit le prix de l’argent et facilité l’endettement. Cette conjonction de facteurs a abouti à une déformation, essentiellement au sein des pays anglo-saxons, du partage des revenus au détriment des salariés. Elle a contribué à l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre. Le retour de l’inflation dans un contexte de fragmentation géopolitique, de transition énergétique et de durcissement des politiques monétaires modifie la donne.
Les pays de l’OCDE ont bénéficié, des années 1990 à 2020, d’une inflation de plus en plus faible, passant de 4 à moins de 2 % en lien les politiques de maîtrise des masses monétaires élaborées par les banques centrales. Les taux directeurs des banques centrales ont connu une baisse, au sein de l’OCDE, de 1990 à 2020 en passant de 8 à 0 %. Les taux d’intérêt des emprunts d’État ont connu une évolution parallèle. Ils sont passés sur la même période de 9 à moins de 1 %. L’ouverture des échanges avec les pays émergents et tout particulièrement avec la Chine où les coûts de production sont faibles ont favorisé le mouvement de repli de l’inflation en Occident. Les importations depuis les pays émergents hors OPEP sont passées de moins de 3 % du PIB en 1990 à plus de 9 % en 2021. L’écart au niveau des coûts de production entre l’OCDE et les pays émergents est de 42 % en 2022. Il était de 62 % en 1992. L’industrie s’est fortement délocalisée vers les pays émergents et la proportion des emplois industriels, qui sont des emplois de qualité, dans les pays de l’OCDE a reculé. De 1990 à 2022, la production industrielle de l’ensemble de l’OCDE est restée étale quand elle a été multipliée par 14 au sein des pays émergents. L’emploi manufacturier est passé au sein de l’OCDE de 20 à 11 % de l’emploi total. Pour certains pays, comme la France, le Royaume-Uni ou les États-Unis, la baisse a été encore plus marquée.
Les pays occidentaux ont bénéficié dans les années 2010 d’une énergie abondante et bon marché. L’essor du pétrole de schiste a provoqué une forte baisse des cours du pétrole qui a été jugulée par un accord de régulation associant l’OPEP et la Russie à compter de 2016. L’essor du pétrole et du gaz de schiste est la conséquence d’un effort d’investissement sans précédent. De 1990 à 2012, leur montant a été multiplié par plus de dix. La faiblesse des prix de l’énergie a retardé a décrue des émissions des gaz à effet de serre. Les émissions de CO2 ont augmenté de 15 % de 1990 à 2008 avant de se contracter. En 2022, elles représentent 85 % de leur niveau de 1990.
Les politiques de désindexation salariale et un partage de la valeur ajoutée moins favorable aux employés ont également contribué à la baisse de l’inflation. Au sein de l’OCDE, mais pas en France ou en Italie, le salaire réel a progressé moins vite que la productivité par tête entre 1990 et 2022, respectivement +22 % et +52 %. Les actifs ont connu une faible augmentation de leurs revenus professionnels lors de ces trente dernières années mais ont bénéficié d’un baisse du niveau de prix relatif des biens industriels (électronique, vêtements, etc.). La persistance d’un chômage de masse dans certains pays dont la France, l’Italie ou l’Espagne, a contribué à la modération des salaires.
Les facteurs qui ont favorisé la déflation ces trente dernières années, tombent les uns après les autres. La mondialisation a atteint un maximum en 2008. Depuis, les échanges progressent moins vite que le PIB. L’éclatement des chaînes de valeur est contesté tant sur le plan écologique qu’au niveau de l’indépendance stratégique. La volonté de relocaliser une partie de la production industrielle au sein des pays occidentaux augmente surtout depuis la crise sanitaire. Les difficultés rencontrées par la Chine dans la gestion du covid provoquent des augmentations de prix en raison des problèmes de livraison.
Au sein des pays de l’OCDE, les populations actives sont en déclin, favorisant l’émergence de pénuries de main d’œuvre et, par ricochet, l’augmentation des salaires. Les emplois pénibles, à horaires décalés ou mal rémunérés peinent à trouver preneurs. La crise sanitaire a mis l’accent sur la nécessité de mieux rémunérer certains métiers. L’énergie abondante est devenue rare avec la guerre en Ukraine. Le sous-investissement, ces dernières années, dans les énergies carbonées, aboutit à une stagnation de la production quand la demande tend avec la croissance des pays émergents et en développement à augmenter. La transition énergétique est structurellement inflationniste car elle entraîne la réalisation d’infrastructures coûteuses et l’obsolescence d’équipements non amortis. Elle suppose la réalisation de centres de stockage pour l’énergie renouvelable qui est dépendante des aléas climatologiques.
L’inflation bénéficie d’un carburant abondant pour se développer, les banques centrales ayant, pendant des années, inondé les économies en liquidités. Une partie d’entre elles s’est logée dans les actions et l’immobilier. Si un déplacement vers les marchés des biens et services s’opérait, une accélération des prix s’en suivrait. Les aides multiples et les plans de relance décidés par les pouvoirs publics lors de la crise sanitaire ont généré, surtout aux États-Unis, une brutale hausse de la demande qui, du fait de l’incapacité de l’offre à suivre, a été inflationniste.
Les banques centrales espèrent ramener l’inflation dans la cible des 2 % d’ici 2024. Elles affichent cet objectif afin de générer des anticipations désinflationnistes mais il n’est pas certain qu’elles soient convaincues de revenir à un tel taux. Avec des dettes publiques qui ont augmenté de 20 points de PIB depuis 2019, un surcroît d’inflation pourrait être salvateur pour les États. Une inflation entre 3 et 5 % pourrait être jugée nécessaire pour diminuer l’étreinte de l’endettement. Tout concourt pour que la période qui s’ouvre soit un peu plus inflationniste que la précédente.