20 avril 2024

Le Coin de l’Economie – endettement – déficits publics – Etats-Unis

Soutien aux ménages et endettement ne font pas bon ménage

Les pouvoirs publics, en Europe, ont pris l’habitude d’atténuer les effets des chocs économiques sur les ménages. Depuis 2008 et surtout depuis le début de la crise sanitaire, les mesures de soutien se sont multipliées. La faible croissance et le niveau de l’endettement rendent la poursuite de ces politiques de plus en plus problématique.

La zone euro et la France en particulier sont confrontées à des difficultés budgétaires, la soutenabilité de leur endettement public n’étant pas assurée. L’endettement public est soutenable s’il y a un excédent budgétaire primaire (hors intérêts sur la dette) supérieur au produit du taux d’endettement public et de l’écart entre taux d’intérêt réel à long terme et croissance potentielle. En 2023, le déficit primaire de la France atteint 3,8 % du PIB et celui de la zone euro 1,5 % du PIB. Depuis 2010, la France a toujours connu un déficit primaire quand la zone euro a dégagé un excédent entre 2014 et 2020.

Le taux d’intérêt réel (déflaté de l’inflation) à long terme a été globalement négatif de 2015 à 2021 que ce soit pour la France ou pour la zone euro. Il est redevenu par la suite positif. Au premier trimestre 2024, ce taux était de 0,78 % pour la zone euro et de 0,53 % pour la France.

La croissance tend à s’éroder depuis une quinzaine d’années. Entre 202 et 2023, elle était en moyenne de 0,91 % par an au sein de la zone euro et de 0,52 % pour la France. Dans ce contexte, la zone euro est soumise à un risque d’emballement de sa dette publique.

La dégradation du solde primaire des États en Europe est essentiellement imputable aux politiques de soutien aux ménages, mises en œuvre ces dernières années. Les pouvoirs publics ont compensé les effets du ralentissement de la croissance afin d’éviter les pertes de pouvoir d’achat. Les revenus des ménages augmentent plus vite que les salaires. Le revenu disponible brut des ménages a progressé entre 2010 et 2023 de 15 % en zone euro quand la masse salariale n’augmentait que de 10 %. Ce phénomène est accentué par la diminution de la productivité par tête. Celle-ci a commencé à baisser en zone euro à compter de 2017 et en 2019 pour la France. La contraction atteint 3 % pour la zone euro et plus de 5 % pour la France.

Les ménages européens n’ont pas, depuis une dizaine d’années, réellement subi de pertes de pouvoir d’achat même si leur ressenti est tout autre. Les gouvernement ont socialisé les pertes avec comme conséquence une forte augmentation des dettes publiques, +20 points de PIB en cinq ans. La baisse de la productivité, en pesant sur le taux de croissance potentielle, rend la perpétuation de cette politique de soutien aux revenus de plus en plus difficile.

Comment réduire déficit public de la France ?

La France a enregistré, en 2023, son cinquantième déficit public consécutif. Depuis une dizaine d’années, le déficit de la France est toujours supérieur à la moyenne de la zone euro. En 2023, l’écart est d’environ 3 points de PIB. Il s’est révélé 0,6 point au-dessus des prévisions du gouvernement. La France se distingue ainsi de pays comme le Portugal qui a enregistré un excédent budgétaire en 2023 ou de l’Espagne qui a fortement réduit le sien.

Est-ce que ce déficit est problématique ? Le cas échéant, quels sont les moyens dont le gouvernement dispose pour le réduire ?

Pour le moment, la France arrive à financer sa dette publique. Les taux d’intérêt sur les obligations d’État à 10 ans ont augmenté depuis la fin de la politique monétaire non-conventionnelle mais l’écart avec le taux allemand reste assez stable. Dans ce contexte, pourquoi faudrait-il assainir les finances publiques au moment où les besoins en investissement public (transition énergétique, défense, recherche, santé, éducation, etc.) sont importants ? La France profite de la monnaie commune, l’euro en pouvant emprunter à des conditions relativement généreuses. La France, depuis 1999, ne connait plus de crise de changes, contrairement aux années 1980. Mais, l’euro est un bien commun dont la crédibilité suppose que les États membres respectent un minimum d’orthodoxie. L’euro risquerait d’être affecté si tous les États optaient pour des politiques budgétaires expansionnistes. Il y a une responsabilité collective face à la monnaie. L’endettement n’est pas sans limite même avec l’euro. La Grèce l’a prouvé en 2010. Si les investisseurs doutent à un moment donné de la capacité de la France à rembourser, ils exigeront des taux de plus en plus élevés. Or, le service de la dette, c’est à dire le paiement des intérêts, avec la remontée des taux, coûtera cher dans les prochaines années. Son montant serait de 70 milliards d’euros, soit les quatre cinquièmes de l’impôt sur le revenu. Il est fréquemment affirmé que l’endettement n’est pas à bannir car il permet de financer des dépenses d’investissement qui sont nécessaires pour la croissance de demain. Or, les déficits publics sont en France essentiellement occasionnés par les dépenses de fonctionnement et non pas les dépenses d’investissement qui ont tendance à se réduire ces vingt dernières années.

La réduction du déficit public a mauvaise presse car elle signifie la réalisation d’arbitrages sensibles dans les dépenses publiques. Des économistes comme ceux de l’OFCE ou Patrick Artus, mettent en avant que la diminution du déficit accentuerait le caractère récessif de l’actuelle politique monétaire de la BCE. Afin de relever le taux de la croissance potentielle, les pouvoirs publics auraient tout avantage à augmenter les dépenses d’investissement en faveur de la transition écologique, la réindustrialisation, la recherche ou la défense. En France, les dépenses publiques d’investissement, de Recherche & Développement et d’éducation sont passées de 18,5 à 16,5 % de 2010 à 2022. Leur augmentation serait susceptible d’endiguer la baisse de la productivité. Elle supposerait une réorientation des dépenses et la diminution de celles liées à la protection sociale ce qui, évidemment, est difficile compte tenu des attentes de la population.

L’autre solution serait le relèvement des prélèvements obligatoires. Ils dépassent, en France 44 % du PIB et sont deux points au-dessus de leur niveau de 2010. Leur hausse aurait également un effet négatif sur la croissance. Une augmentation des impôts de production ou sur le capital entraînerait une diminution de l’investissement. Un relèvement des taux de TVA jouerait contre la consommation des ménages. La TVA est l’impôt qui rapporte le plus, 200 milliards d’euros par an. Certains imaginent l’augmenter en baissant en contrepartie les cotisations sociales. Ce transfert ne change rien sur la ponction finale. A contrario, la hausse des cotisations sociales pénaliserait la compétitivité des entreprises.

Le gouvernement dispose de peu de marges de manœuvre en matière budgétaire, sachant qu’il est susceptible d’être censuré sur ce sujet sensible à l’Assemblée nationale. Il n’existe pas de majorité pour une rationalisation des dépenses sociales ou des dépenses des collectivités locales tout comme il n’y en a pas sur les questions fiscales.

États-Unis, France : des déficits mais des différences

La France a enregistré un déficit public de 5,5 % du PIB en 2023. La possibilité de ramener le déficit du pays à moins de 3 % d’ici 2027 s’est amoindrie. Dans le même temps, les États-Unis ont connu, toujours en 2023, un déficit de 7,5 % du PIB. Les deux pays, de taille différente, sont dans des situations assez comparables. Ni aux États-Unis ni en France, les investisseurs, n’émettent, pour le moment, un avis négatif sur l’ampleur des déficits.

Le déficit élevé aux États-Unis a tiré vers le haut la croissance qui a atteint 2,5 % en 2023. Celle de la France a été de 0,9 %, supérieure à la moyenne de la zone euro (+0,5 %). En France, comme aux États-Unis, la croissance a été soutenue par les dépenses publiques. Les deux pays se caractérisent, notamment par leur politique économique de nature keynésienne, par leur important déficit commercial ainsi que par un déficit de la balance des paiements. Ce dernier est financé grâce à l’apport de capitaux extérieurs. Ces entrées de capitaux de non-résidents aux États-Unis et en France excluent le déclenchement d’une crise de balance des paiements. Les entrées de capitaux des deux pays représentent en moyenne 4 % du PIB ces dix dernières années.

Si des similitudes existent entre les États-Unis et la France concernant leur déficit, des différences importantes sont néanmoins à souligner. Le déficit américain est la conséquence de la réforme fiscale engagée par Donald Trump en 2017 qui s’est traduite par une diminution des taux d’imposition pour les ménages et les entreprises. Il est également provoqué par les mesures de soutien à l’investissement dans le cadre de la transition écologique (Inflation Reduction Act et Chips Act). Enfin, la hausse des taux d’intérêt a accru le service de la dette de l’État fédéral. Ces intérêts représentent 4 % du PIB en 2023, contre 3,5 % en 2020. Le déficit français résulte avant tout de la faiblesse de la croissance et du taux d’emploi. Le service de la dette a légèrement progressé ces deux dernières années mais reste faible, 1,7 % du PIB en 2023 contre 2,7 % en 2010. La croissance française avoisine en moyenne, a peine 1 % sur longue période. Elle est deux fois inférieure à celle des États-Unis. Le rôle des transferts publics aux ménages différencie les deux pays. En France, ces derniers pèsent 30 % du PIB, contre moins du quart aux États-Unis. Le déficit est, en France, en grande partie imputable aux dépenses de fonctionnement quand pour les seconds il est lié à celles d’investissement. Les États-Unis consacrent une part plus importante de leur budget à la recherche que la France. Par ailleurs, celle-ci est confrontée à une baisse de la productivité qui handicape sa croissance potentielle. De 2010 à 2023, la productivité par tête s’est accrue de 22 % aux États-Unis, contre 3 % en France. Chez cette dernière, elle a baissé de plus de 5 % entre 2019 et 2023.

La France est, avec l’Italie, le seul pays membre de l’Union européenne à avoir un déficit public supérieur à 5 % du PIB. Il est également un des rares pays de l’Union européenne à avoir enregistré une détérioration de ses comptes publics l’année dernière. À la différence des États-Unis, la France ne peut pas compter sur la croissance pour réduire son déficit. Tant que les capitaux étrangers accepteront d’investir en France, la situation est tenable mais elle pourrait rapidement se compliquer en cas de retournement des investisseurs.