Le Coin de l’Economie – énergie – inflation et politique monétaire – le bonheur – l’euro
Un déficit chronique de pétrole et de gaz
Si les années 1990/2010 ont été marquées par un accroissement des dépenses d’investissement dans le secteur de l’énergie en lien avec la montée en puissance du pétrole et du gaz de schiste, elles se sont fortement contractées depuis la chute des prix intervenue entre 2015 et 2016. La transition énergétique conduit également à une réorientation des capitaux vers les énergies renouvelables au détriment de celles qui sont carbonées. Le déficit de pétrole et de gaz pourrait perdurer quelles que soient les suites de la guerre en Ukraine. Le retour d’une énergie bon marché ne semble pas le scénario le plus probable, sauf découverte majeure dans les prochaines années.
Depuis 2015, l’investissement en Exploration-Production de pétrole et de gaz naturel du Monde est considérablement inférieur à celui de la période antérieure. En 2022, les dépenses d’investissement en la matière ont, atteint 400 milliards de dollars à l’échelle mondiale, contre 900 milliards de dollars en 2014. Cette contraction conduit à un recul de la capacité de production de pétrole et de gaz naturel. La consommation annuelle dépasse désormais le montant des réserves découvertes. Malgré une demande qui n’a pas encore retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire (96 millions de barils jour au premier semestre 2022, contre 100 millions de baril jours en 2019), les prix sont orientés à la hausse. Ils dépassent 100 dollars le baril, contre moins de 80 en 2019. Pour le gaz, le même constat peut être réalisé avec un prix qui a été multiplié par cinq en trois ans.
Le sous-investissement a provoqué une décorrélation entre le prix du gaz ou du pétrole et la croissance. De 1995 à 2019, le prix du pétrole évoluait comme le cycle économique. Depuis le début de 2021, il y a ralentissement cyclique et hausse du prix du pétrole.
Dans ce contexte, une récession aurait un effet négatif sur les prix du pétrole et du gaz naturel bien plus faible que dans le passé, d’autant plus que les exportations du pétrole et du gaz russe vers l’Europe reculent. Pour le gaz, les flux de gaz russe ont été divisés par deux depuis le début de la guerre en Ukraine.
Ce sous-investissement chronique provoque une diminution des capacités de production ainsi que des anticipations haussières alimentées par les faibles découvertes de nouveaux gisements. Le tarissement progressif des gisements en cours d’exploitation devrait provoquer le maintien de fortes tensions sur les prix de l’énergie. Pour contrecarrer ce phénomène, la montée en puissance des énergies renouvelables et du nucléaires apparait comme la seule solution.
Les banques centrales, l’inflation et l’endettement public
Un taux d’endettement public élevé rend très difficile pour les banques centrales de relever, en toute liberté, leurs taux directeurs pour contrôler l’inflation, quand une poussée d’inflation apparaît. En cas de relèvement important, les banques centrales pourraient être à l’origine d’une crise de la dette publique. La Banque du Japon a choisi de maintenir le Yield Curve Control (les taux d’intérêt à long terme presque nuls) sachant que la dette publique japonaise dépasse 250 % du PIB. En revanche, la Réserve Fédérale a décidé de monter assez fortement ses taux d’intérêt pour juguler l’inflation mais la dette américaine est avant tout gérée par le réseau des banques centrales des Etats fédérés. La Banque d’Angleterre et la BCE ont pour l’instant opté pour une position intermédiaire de relèvement gradué de leurs taux.
La BCE peut-elle encore conserver un objectif d’inflation en gérant, comme elle l’a annoncé, avec des pays fortement endettés, le risque étant l’envolée des écarts de taux. Si les taux d’endettement public continuent à augmenter, la zone euro, comme le Japon, pourrait être dans l’obligation d’abandonner son objectif d’inflation à 2 %.
En 2022, au niveau de l’OCDE, les taux d’endettement public atteignent 75 % du PIB pour l’Allemagne, 115 % en France, 123 % pour les Etats-Unis, 150 % pour l’Italie ou 250 % pour le Japon. Toute remontée des taux directeurs par effet de contamination sur les taux longs peut provoquer un réel problème de soutenabilité des dettes publiques. Les taux d’intérêt réels à 10 ans sur les emprunts d’Etat en prenant en compte l’inflation anticipée redeviennent positifs, que ce soit pour les Etats-Unis et la zone euro. Pour le moment, seuls le Japon et la Royaume-Uni restent en territoire négatif. Face au dilemme, laisser l’inflation progresser ou risquer une crise des dettes souveraines, les Banques Centrales ne réagissent pas de manière identique. La FED a décidé de relever rapidement et fortement ses taux. La prévision des membres du comité de politique monétaire de la Fed (le FOMC, Federal Open Market Committee) donne désormais un taux directeur à 3,4 % en fin d’année et à 3,8 % en 2023, alors que leurs prévisions de mars le plaçaient à 1,9 % en décembre de cette année. A contrario, la Banque centrale du Japon a décidé de ne pas modifier ses taux directeurs. Il est à souligner que ce pays connaît une faible inflation par rapport à celle des autres Etats membres de l’OCDE. Elle dépasse légèrement 2 %. La BCE et la Banque d’Angleterre sont dans une situation intermédiaire. Le relèvement des taux a été plus tardif et apparaît plus progressif. La BCE doit tenir compte du niveau des dettes publiques dont la stabilisation ne s’est pas complètement opérée en raison de la guerre en Ukraine. La BCE doit trouver la solution pour à la fois peser sur l’inflation sans enclencher une crise des dettes souveraines. Elle travaille sur un mécanisme qui empêche l’ouverture des spreads de taux d’intérêt entre les Etats membres. Ce mécanisme n’est pas simple à élaborer. Il doit être conforme au droit européen et être accepté par les Etats du cœur de l’Europe. Par ailleurs, il se doit d’être efficace. Si le taux d’intérêt sur la dette allemande monte jusqu’à 3 %, et si le spread de taux d’intérêt entre l’Italie et l’Allemagne est stabilisé à environ 200 points de base par l’action de la BCE, le taux d’intérêt sur l’Italie va monter jusqu’à 5 %, ce qui est difficilement supportable avec la croissance potentielle nulle de l’Italie. Et la situation est pire pour la Grèce. Les moyens de réduction des écarts de taux ne sont pas sans limite surtout que les investisseurs pourraient à plusieurs reprises tester la solidité de la zone euro.
Pour éviter une fragmentation de la zone euro, la BCE sera certainement contrainte d’être moins stricte que dans le passé sur l’objectif de taux d’inflation. Les Etats membres de la zone euro ont intérêt à avoir un peu plus d’inflation que dans le passé pour éroder le montant de la dette à rembourser. Pour ceux de l’Europe du Nord, un dépassement de l’objectif de 2 % sera plus simple à vendre qu’un mécanisme de soutien inconditionnel aux Etats endettés du Sud.
Dépréciation de l’euro, les gagnants et les perdants !
Depuis le début de la crise sanitaire, l’euro connait un épisode d’effritement par rapport au dollar au point d’avoir atteint la parité au mois de juin, phénomène qu’il n’avait pas connu depuis le mois de décembre 2022. Du mois de juillet 2021 à celui de 2022, il a ainsi perdu près de 15 % de sa valeur par rapport au dollar. Ce décrochage s’explique par le décalage des politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique. La Banque centrale européenne a retardé le plus longtemps possible la sortie des politiques monétaires accommodantes. En période de crise économique et géopolitique, le dollar constitue la valeur monétaire refuge de référence. Depuis 2011, l’euro est handicapé par la menace d’une crise des dettes publiques. L’endettement élevé des Etats d’Europe du Sud ferait peser une épée de Damoclès sur la monnaie commune. Il empêcherait la BCE de relever les taux, ce qui induit une préférence pour le dollar. L’Europe est, en outre, plus exposée que les Etats-Unis à l’embargo sur le gaz et le pétrole russe. Les Etats membres de la zone euro se caractérisent par une croissance potentielle plus faible que celle des Etats-Unis notamment en lien avec la stagnation voire le déclin de leur population active.
La dépréciation de l’euro génère des avantages et des inconvénients. Côté avantages, figure l’amélioration de la compétitivité des exportations en dollars, essentiellement en-dehors de la zone euro. Le prix des exportations en dollars a progressé de 15 % en trois ans. La compétitivité-coût de la zone euro a été forte entre 1999-2000, en 2014 et en 2022 du fait de la dégradation du taux de change de l’euro. Cet avantage concerne les entreprises industrielles qui exportent en-dehors de la zone euro. Il doit être relativisé car ce sont des entreprises qui ont souvent une comptabilité dollar et/ou qui ont des couvertures de change. Malgré tout, l’aéronautique, les services de transports, le tourisme, l’industrie agro-alimentaire pourraient bénéficier de la dépréciation. Autre avantage, un euro faible attire les investisseurs des pays à monnaie forte. Les inconvénients sont, en revanche, nombreux. Quand le taux de change se déprécie, le prix relatif des importations augmente, ce qui réduit le pouvoir d’achat des ménages et des entreprises. L’Europe est dépendante de l’extérieur pour l’énergie et les matières premières ainsi que pour de nombreux biens industriels qui sont essentiellement libellés en dollars. L’appréciation du dollar renchérit les coûts de production. En outre, l’Europe a connu un déclin de son industrie limitant d’autant ses capacités d’exportation en la matière. Le poids de la valeur ajoutée industrielle dans le PIB, au sein de la zone euro, est passé de 14 à moins de 12 % de 1999 à 2022. De plus en plus, les produits importés n’ont plus de substitut domestique. Leur consommation dépend peu du taux de change. Pour l’informatique ou l’électronique, la baisse de l’euro n’a aucune conséquence sur le montant des achats importés. La balance commerciale française s’est ainsi dégradée en 2021 et au début de l’année 2022 au point d’enregistrer un déficit annuel de 100 milliards d’euros au premier trimestre. La dépréciation de l’euro amplifie l’augmentation du prix des matières premières et de l’énergie et pourrait donc peser sur la croissance de la zone euro. Les Allemands qui tirent leurs richesses de leurs exportations industrielles sont des partisans d’une monnaie forte qui permet tout à la fois de réduire le prix des intrants et d’avoir des gains élevés à l’exportation. Une devise forte oblige à une maîtrise des coûts et à une montée en gamme par l’investissement. Ce cercle vertueux a fait la puissance de l’Allemagne. A contrario, la France qui a longtemps fait le choix d’une devise faible, a retardé sa modernisation et a subi une inflation importée ainsi qu’une dérive de ses coûts de production.
Le bonheur est-il soluble dans les finances publiques ?
Quel est l’objectif d’une politique économique menée par un gouvernement ? Assurer le bien-être de sa population ! Premier écueil, il faut déterminer ce que c’est le bien-être. Second écueil, ce bien-être doit-il être immédiat ou s’inscrire dans la durée ?
Depuis que Saint Just a déclaré le 3 mars 1794 que « le bonheur est une idée neuve en Europe », celui-ci s’est imposé dans le débat public. Aujourd’hui, tout gouvernement démocratique se doit de travailler pour le bonheur de son peuple. Mais en quoi cela consiste-t-il. Le gouvernement doit évidemment assurer la sécurité de ces concitoyens, les protéger des menaces extérieures et leur permettre d’accéder à l’éducation. Il doit garantir une protection sociale de qualité et veiller à ce que tout à chacun puisse trouver un emploi voire un logement. Il doit lutter contre les inégalités sociales. Depuis plusieurs années, la liste des droits tend ainsi à augmenter. Le droit à pouvoir partir en vacances est de plus en plus mis en avant. Face aux aléas de la nature, de l’économie et de la géopolitique, les Etats sont appelés à en compenser les conséquences. Les Etats sont également encouragés à protéger l’environnement et à réaliser la transition énergétique sans pour autant que cela puisse nuire à la vie des uns et des autres. La gouvernance est également un facteur pris en compte pour déterminer le bonheur collectif. Plus le bien-être est au cœur du débat, moins les populations sont heureuses, du moins sur le plan macroéconomique. Assez étrangement, si les Français sont critiques à l’extrême vis-à-vis des pouvoirs publics et pessimistes concernant l’avenir de leur pays, ils sont plus confiants en ce qui concerne leur situation individuelle.
Le bonheur collectif ou public ne saurait se résumer à des critères économiques et sociaux. Il intègre également « la liberté », la liberté de déplacement, de pensée et d’expression. La crise sanitaire a montré que la protection de la santé de la population et la liberté pouvaient entrer en conflit. La vaccination en a été un exemple flagrant. Pour protéger l’ensemble de la population, il est nécessaire que le plus grand nombre de personnes soient vaccinées, ce qui a contraint les pouvoirs publics à opter pour le « pass », perçu comme une atteinte à la liberté individuelle pour certains. Si une majorité de Français est convaincue de la nécessité d’opérer une décarbonation de l’économie, le consensus est plus fragile dès qu’il s’agit de remettre en question les comportements de chacun et de chacune. Le partage des efforts donne lieu à des débats de plus en plus complexes au sein des sociétés occidentales fragmentées.
La France est confrontée à une série de défis qui pourraient miner le bonheur collectif dans les prochaines années : la transition énergétique, le vieillissement, la lutte contre les inégalités sociales. Pour améliorer la situation en la matière, l’augmentation des dépenses publiques apparait comme incontournable, sachant qu’elles sont proches de 60 % du PIB et que la France doit faire face à un déficit de plus de cinq points de PIB. Les marges de manœuvre sur le plan fiscal sont assez limitées au vu du niveau atteint par les prélèvements obligatoires, 45 % du PIB.
En matière de décarbonation des activités, les efforts à réaliser sont importants. Chaque année, la France émet pour plus de 280 millions de tonnes de CO2, soit 100 millions de moins qu’en 2002. L’objectif de neutralisation des émissions en 2050 suppose leur division par six. Si le poids de la consommation d’énergies renouvelables est passée de 6 à 14 % de 2002 à 2020, il reste faible en comparaison des efforts consentis par certains de nos partenaires. D’importants investissements d’infrastructures sont nécessaires, ce qui suppose une augmentation des dépenses publiques.
Pour lutter contre les inégalités sociales, le meilleur moyen est d’améliorer le taux d’emploi qui demeure sructurellement faible en France. Il s’élève à 68 % contre 77 % en Allemagne. La France souffre d’un sous-emploi chronique chez les jeunes actifs et chez les seniors. Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est de 16 % en France, contre moins de 5 % en Allemagne. Le taux d’emploi des 55/64 ans est de 55 % en France quand il dépasse 70 % dans les Etats d’Europe du Nord. En France, il y a un attachement profond à un départ précoce à la retraire, considéré comme un élément important du bonheur. Il y a donc en la matière une contradiction entre la nécessité d’améliorer le taux d’emploi pour financer les dépenses publiques – notamment celles en faveur des retraites, de la santé et de la dépendance – et le souhait des Français d’arrêter autour de 60 ans de travailler.
Les Français sont sensibles au taux de pauvreté et à la montée supposée des inégalités. Après redistribution, la France se caractérise par un faible taux d’inégalités mais il n’en demeure pas moins que le sentiment des Français est tout autre. Sans redistribution, en revanche, les inégalités sont importantes, ce qui peut expliquer ce décalage de perception. La faiblesse des revenus nets liés au travail est en partie la conséquence des prélèvements sociaux et fiscaux nécessaires pour financer la redistribution publique. Les cotisation sociales et impôts sur la production représentent plus de 14 % du PIB en France, contre 8 % en Allemagne.
Si les politiques économiques visent à accroître le bien-être (accélération de la transition énergétique, hausse du taux d’emploi, réduction des inégalités et de la pauvreté), elles exigent une hausse des prélèvements obligatoires et pourraient porter atteinte à certaines libertés individuelles (réduction de consommation de l’énergie, de l’eau, allongement de la durée de travail). Dans les prochaines années, la conciliation du bonheur collectif et du bonheur individuel ne sera probablement pas sans provoquer quelques tensions.