21 janvier 2023

Le Coin de l’Economie – épargne – productivité – Chine – dettes souveraines

De part et d’autre de l’Atlantique, les épargnants ne sont pas les mêmes

Après avoir atteint des sommets en 2020, le taux d’épargne diminue progressivement tant aux États-Unis qu’en zone euro. Au cœur de l’été 2020, en pleine crise sanitaire, il a dépassé 30 % du revenu disponible brut aux États-Unis et 20 % en zone euro. Aux États-Unis, durant la troisième vague, au début de l’année 2021, il a connu un nouveau pic à près de 24 %. La hausse n’a pas été d’une ampleur comparable au sein de la zone euro. Depuis le milieu de l’année 2021, le taux d’épargne baisse mais pas dans des proportions différentes de part et d’autre de l’Atlantique. Il reste au-dessus de sa moyenne d’avant crise sanitaire en Europe (autour de 16 %) quand il est repassé, dans le courant de l’année 2022, en-dessous aux États-Unis.

Préférence à la consommation d’un côté, aversion aux risque d’un autre côté

Les ménages américains et européens n’ont pas les mêmes comportements, les premiers conservant une préférence à la consommation quand les seconds ont une propension à l’épargne. Les crédits à la consommation ont progressé de plus de 10 % aux États-Unis, à la fin de l’année dernière, contre moins de 6 % en zone euro. La confiance en l’avenir demeure plus élevée chez les Américains que chez les Européens qui se caractérisent par une forte aversion aux risques. Face à la montée des prix, ces derniers ont accru leur épargne de précaution par crainte de ne pas pouvoir financer leurs dépenses demain et après-demain. L’effort d’épargne est nourri également en Europe par la crainte de la retraite et par celle des hausses d’impôt à venir. Aux États-Unis, les actifs disposent depuis longtemps de fonds de pension pour compléter les pensions par répartition qui y sont relativement faibles.

En Europe, la prise de conscience de la dégradation du taux de remplacement (rapport entre le montant des pensions et celui des derniers revenus d’activité) est plus récente et induit une hausse de l’épargne. Aux Etats-Unis, la faiblesse des régimes par répartition incite les ménages à cotiser à des fonds de pension. En Europe, ce phénomène est moins marqué en raison du poids des régimes par répartition. Avec les difficultés que ces derniers rencontrent, l’épargne en vue de la retraite tend à augmenter.

La crainte des Européens de devoir subir des hausses d’impôt peut se justifier par le montant des déficits publics. Ces derniers atteignent en moyenne 4,5 % du PIB en zone euro, contre 3 % aux Etats-Unis. Si les déficits sont plus élevés en Europe, en revanche, la dette publique américaine est supérieure de 20 points de PIB (120 % contre 98 % du PIB fin 2022). Si les taux d’intérêt réels sont plus élevés aux États-Unis qu’en Europe, les anticipations joueraient dans le sens inverse. Or, une hausse importante des taux pourrait générer un problème de soutenabilité de la dette publique et conduire dirigeants européens à adopter des plans de rigueur.

L’épargne européenne au service des déficits publics

Le surcroît d’épargne en Europe ne contribue pas au financement des investissements des entreprises, celui-ci étant plus faible qu’aux États-Unis. Entre les deux zones, un écart de deux points de PIB est constaté depuis de nombreuses années. L’épargne européen est orientée vers les administrations publiques et vers des financements extérieurs.

Avec l’inflation qui perdurera un peu plus longtemps en Europe qu’aux États-Unis, le pouvoir d’achat des ménages pourrait être à nouveau en recul en 2023, conduisant à une baisse des capacités d’épargne. Quel que soit le niveau de son épargne, l’Europe aurait tout à gagner à la réorienter afin de financer la transition énergétique. Les entreprises devraient également accroître leurs investissements dans le digital. Cette réorientation suppose une réduction de l’aversion aux risques de la part des ménages européens.

Une crise des dettes souveraines est-elle réellement possible en Europe ?

Avec la hausse des taux d’intérêt, la crainte d’un retour du risque souverain se fait jour en Europe. Depuis la crise grecque de 2011, la situation économique et financière en zone euro a évolué. Les pays dits périphériques sont moins exposés à ce risque. Les investisseurs seraient-ils donc exagérément pessimistes sur ce sujet ?

Une faible croissance potentielle, source d’inquiétude

L’inquiétude des investisseurs est liée à la faiblesse de la croissance potentielle avec notamment le déclin de la population active et la baisse de la productivité par tête. Faute de croissance, les États éprouveront des difficultés croissantes à maîtriser leurs finances publiques et à rembourser leurs dettes. L’Italie est le pays le plus exposé avec, depuis vingt ans, une quasi-stagnation de son PIB en volume. Il n’a progressé que de 3 % depuis 2022 quand ceux de la France, de l’Espagne et l’Allemagne ont augmenté de plus de 25 %.

Les doutes sur les capacités de rembourser les dettes publiques conduisent à des écarts de taux avec l’Allemagne qui atteignent deux points pour l’Italie et un point pour l’Espagne (écarts de taux sur les obligations publiques à 10 ans). En fin d’année 2022, une légère tension sur les taux des États du Sud de l’Europe est apparue, signe que les investisseurs persistent à croire en un éventuel problème de solvabilité de leurs dettes publiques. Le taux italien à 10 ans a ainsi dépassé les 4,6 % au mois de décembre avant de diminuer au mois de janvier et de revenir à 4 % au milieu du mois janvier.

La menace des taux est à relativiser

Les taux d’intérêt réels à long terme (taux d’intérêt – l’inflation) sont encore négatifs pour les États de la zone euro à l’exception, certes de l’Italie. Pour ce dernier, néanmoins, en prenant en compte non pas la hausse des prix mais l’inflations sous-jacente, les taux d’intérêts réels demeurent négatifs. Les taux d’intérêt réels à long terme étant inférieurs à la croissance potentielle, les conditions de soutenabilité de la dette publique sont satisfaites. La situation diffère nettement de celle qui prévalait lors de la crise de la zone euro entre 2011 et 2013. Depuis cette crise, les États d’Europe du Sud ont rééquilibré leur balance des paiements l’Allemagne et les Pays-Bas ayant réduit leurs acquisitions d’emprunts en provenance de ces pays. Le solde la balance courante est passée de -10 % du PIB en 2008 à +0,5 % en 2021 pour l’Espagne et de -2,5 % à +0,2 % pour l’Italie. Les États d’Europe du Sud ont été amenés à réduire leur demande intérieure pour effacer leur déficit extérieur. En 2022, la demande intérieure était de 8 % inférieure à son niveau de 2008 en Espagne et de 5 % pour l’Italie. Elle est étale depuis près de vingt ans dans ce dernier pays. Par rapport à période de la crise des dettes souveraines, les déficits extérieurs des pays d’Europe du Sud sont faibles voire nuls. Or, en matière de financement, les déficits extérieurs sont plus dangereux que les déficits publics. Dans le premier cas, le pays doit solder des comptes avec des pays étrangers ce qui est plus complexe que de solder des comptes internes. En outre, jusqu’à la crise sanitaire, les pays du Sud de l’Europe dégageaient des excédents primaires (avant prise en compte des intérêts de leur dette). Leur déficit public depuis trois ans est dans la moyenne de la zone euro. Le financement national des dettes et une certaine maîtrise des déficits rendent moins probables la survenue d’une crise en Italie ou en Espagne. Des experts pointent du doigt que la France dont l’endettement continue à augmenter et qui accumule des déficits commerciaux pourrait être le maillon faible de la zone euro. Si la balance commerciale est fortement déficitaire, plus de 150 milliards d’euros en 2022, grâce aux excédents générés par les services et notamment le tourisme, la balance des paiements courant l’est beaucoup moins. Son déficit devrait être pour 2022 de 2 % du PIB.

La France, un risque limité

La France peut compter sur la force de son système financier et sur l’épargne importante des ménages. Malgré la baisse de la natalité de ces dernières années, la population française continue à croître ce qui favorise la croissance potentielle. Cette situation diffère de celle que connaît, par exemple, l’Italie. Enfin, la France bénéficie d’un système de recouvrement des impôts et des cotisations sociales efficace, ce qui est un gage de sécurité pour les investisseurs étrangers même si en la matière les marges d’augmentation des prélèvements obligatoires deviennent de plus en plus faibles. En ce début d’année 2023, la France n’est pas sous la surveillance des marchés financiers, comme le prouve la faiblesse de l’écart de taux d’intérêt avec l’Allemagne (0,5 point).

L’inquiétante baisse de la productivité du travail en France

À la fin de l’année 2022, la France comptait un million d’emplois de plus qu’en 2019 pour un PIB légèrement supérieur. Plus d’emplois pour une production quasi-identique signifie une baisse de la productivité par tête. La baisse est plus marquée en France que dans les autres pays. Cette situation est liée à la structure économique du pays et à un changement de comportement de la part des salariés et des employeurs.

Entre le quatrième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2022, la productivité par tête a reculé de 2,8 % en France, contre 2,1 % en Espagne et 0,1 % en Allemagne. Elle a augmenté de 1,7 % en Italie.

Depuis le début de la crise sanitaire, le temps de travail par tête diminue en France. Les salariés effectuent moins d’heures supplémentaires que dans le passé. Les entreprises sont dans l’obligation de doubler certains postes en raison de leur pénibilité. Les problèmes d’approvisionnement ont pesé sur la production de ces derniers mois sans pour autant que les entreprises réduisent leurs effectifs. L’économie française se caractérise par le développement des services domestiques, un secteur qui dégage de faibles gains de productivité. L’industrie emploie de moins en moins de salariés, soit moins de 10 % de la population active, ce qui contribue également à une baisse de la productivité par tête. La baisse de la productivité amène à un affaiblissement de la profitabilité des entreprises françaises. Les profits après taxe et intérêts mais avant dividendes ont diminué de deux points au cours de ces deux dernières années en lien notamment avec la progression des coûts salariaux, autour de 6 % en 2022.

La France se différencie des autres pays de la zone euro par le fort recul de la productivité du travail qui n’est causé qu’à hauteur de 1/3 par le recul de la durée du travail par salarié. Ce recul est à la fois la cause et la conséquence des créations d’emploi. Il concerne tous les secteurs d’activité. L’industrie est pénalisée par des problèmes d’approvisionnement quand les services doivent faire face à des difficultés de recrutement pour des postes à horaires décalés ou à forte pénibilité. La France semble avoir une plus forte appétence aux loisirs que l’Allemagne ou l’Italie. Le phénomène de la « grande démission » constaté aux États-Unis existe en France mais sous une autre forme. Les salariés démissionnent au profit d’emplois moins pénibles, situés dans des communes attractives (à proximité des façades maritimes).

La Chine à la recherche de nouveaux marchés

Les autorités chinoises sont confrontées à une hostilité commerciale croissante de la part des États-Unis et de l’Union européenne qui les accusent d’inciter les entreprises occidentales à se délocaliser dans leur pays et à subventionner de nombreuses activités. Pour contrecarrer les éventuelles mesures de rétorsion, la Chine renforce ses échanges avec les pays africains et d’Amérique latine.

La réorientation du commerce extérieur chinois est réelle. Elle s’explique par la forte croissance des échanges commerciaux réalisés par les pays d’Amérique latine et centrale ainsi que par les pays africains. Les exportations chinoises vers l’Amérique latine et centrale ont progressé de 80 % depuis 2019 quand celles des États-Unis et de l’Union européenne n’ont augmenté que de 25 %. Les exportations de la Chine vers l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud représentent 40 % de celle des États-Unis et de l’Union européenne, contre seulement 25 % sur la période 2012/2019. Si pour l’Afrique, le commerce avec les États-Unis et l’Union Européenne stagne à un niveau bas depuis 2014, celui avec la Chine et augmente constamment depuis 2019. Il a désormais la même taille en 2022 que celui entre les États-Unis et l’Europe, d’une part, et l’Afrique, d’autre part, quand, encore en 2020, il était plus de deux fois plus faible.

La Chine entend être moins dépendante des États-Unis et de l’Union européenne que dans le passé et se protéger des conséquences d’éventuelles rétorsions commerciales. Sa présence commerciale plus importante en Afrique comme en Amérique du Sud s’explique également par sa volonté de sécuriser ses approvisionnements en matières premières, énergies et produits alimentaires. La part de la Chine dans la consommation mondiale d’énergie en 2022 a atteint 58 %, celle en produits agricoles et métaux plus de 22 %. La progression des échanges avec les pays de ces deux continents s’explique également par l’essor des investissements réalisés par dans les infrastructures et dans les entreprises. La Chine a consenti, depuis dix ans, en moyenne, 85 milliards de dollars par an en prêts aux pays émergents, ce qui représente plus de 10 % du PIB des pays en développement.