6 septembre 2024

Le Coin de l’économie – Etats-Unis – Allemagne – zone euro

Le programme économique de Kamala Harris

Aux États-Unis, la candidate démocrate Kamala Harris était attendue sur son programme économique. Devant à la fois assumer le bilan de l’actuel président en tant que vice-présidente, elle doit également s’en démarquer. Exercice périlleux, d’autant plus que Donald Trump met l’accent sur les conséquences de l’inflation de ces dernières années sur le niveau de vie des Américains.

Face à l’épineuse question du pouvoir d’achat, Kamala Harris a refusé de nier la réalité et a tenté de retourner les critiques qui lui sont adressées. Son objectif est de réduire les coûts supportés par les familles américaines. Elle souhaite ainsi abaisser les coûts du logement, de l’alimentation, des soins médicaux et des impôts. Elle a exprimé le souhait de voir construire 3 millions de nouveaux logements d’ici 2028. À cette fin, elle a proposé une réforme de la délivrance des permis de construire et préconise une aide fédérale en faveur de la construction. Pour y parvenir, Kamala Harris a prévu un budget de 40 milliards de dollars, qui serait alloué aux gouvernements locaux. Elle a également annoncé le versement de 25 000 dollars aux primo-accédants pour les acomptes sur les prêts hypothécaires. Toutefois, la demande de logements étant toujours supérieure à l’offre, cet apport pourrait contribuer à la hausse des prix. La pénurie de logements est en effet estimée entre 4 et 7 millions d’unités. Kamala Harris promet également de s’attaquer aux investisseurs, qu’elle accuse de « racheter et de majorer les prix des logements ». Ce phénomène, bien que relativement limité, donne lieu à une importante polémique outre-Atlantique sur le rôle des investisseurs financiers dans le marché immobilier.

Concernant les produits alimentaires, Kamala Harris n’a pas exclu la possibilité d’imposer un gel des prix. Les États-Unis n’ont pas connu de blocage des prix depuis la présidence de Richard Nixon, au début des années 1970, une période marquée par une vague inflationniste. La proposition de la candidate démocrate est contestée, car la hausse des prix de ces derniers mois n’est pas, selon la Réserve fédérale, le résultat d’une augmentation des marges du commerce de détail, mais bien de la hausse des prix des matières premières, de l’énergie, et des pénuries. Une intervention publique dans la fixation des prix pourrait avoir un effet inflationniste. La hausse des prix de nombreux produits, des voitures au jambon, a servi de signal aux entreprises pour améliorer leur productivité et aux consommateurs pour réduire leur demande. La proposition de gel des prix ne devrait pas être adoptée par le Congrès. Toujours dans l’optique de lutter contre l’inflation, Harris souhaite durcir la politique antimonopole. En l’état actuel de la législation, la Federal Trade Commission éprouve de grandes difficultés à empêcher les fusions-acquisitions, en particulier dans le secteur de la grande distribution.

Sur le terrain de la santé, Kamala Harris souhaite réduire les coûts médicaux, qui sont élevés aux États-Unis. L’instauration de prix plafonds pour certains médicaments ou d’un plafond de dépenses remboursées par patient pourrait toutefois provoquer une hausse des assurances complémentaires privées. La candidate démocrate a déclaré qu’elle travaillerait avec les États pour annuler les dettes médicales qui grèvent le budget de millions d’Américains. Une telle annulation résoudrait ponctuellement le problème de financement de la santé pour les ménages, mais le problème de fond subsisterait.

Face à Donald Trump, qui propose de réduire la fiscalité, Kamala Harris a dû réagir en annonçant des réductions d’impôts ciblées. Pour les familles à revenus faibles et moyens, elle augmenterait le crédit d’impôt pour enfant, qui passerait à 6 000 dollars la première année, contre 2 000 dollars actuellement. Le crédit d’impôt pour les ménages modestes serait également élargi.

À la différence du candidat républicain, Kamala Harris ne prévoit pas une hausse des tarifs douaniers. Elle récuse cette proposition, qu’elle considère comme nuisible au pouvoir d’achat des Américains. Elle souhaite, en revanche, maintenir la politique d’aides aux entreprises américaines, jugées protectionnistes par d’autres pays.

Toutes les mesures proposées par la candidate démocrate risquent d’accroître encore un peu plus le déficit public, qui dépasse déjà 7 % du PIB, un niveau auparavant associé aux guerres ou aux récessions. Le candidat Donald Trump, avec son programme, n’est pas plus économe des deniers publics. Ni l’un ni l’autre n’ont présenté un plan crédible d’assainissement des comptes publics. Certes, Kamala Harris a indiqué qu’elle poursuivrait le plan du président Joe Biden visant à relever les taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 % et à augmenter l’impôt sur le revenu pour les personnes gagnant plus de 400 000 dollars par an. Cependant, ces deux mesures sont loin de couvrir le surcroît de dépenses généré par son programme. Le coût net de ce dernier a été évalué par la banque d’investissement Piper Sandler à 1 400 milliards de dollars sur la prochaine décennie ; un montant bien inférieur à celui du programme de Donald Trump, estimé à plus de 4 500 milliards de dollars.

L’Allemagne, panne conjoncturelle ou structurelle ?

L’économie allemande est à la peine depuis la fin de l’épidémie de Covid et, surtout, depuis le début de la guerre en Ukraine. Son PIB a diminué au deuxième trimestre, alors que celui de l’ensemble de la zone euro a progressé de 0,3 point. Plusieurs facteurs expliquent les mauvais résultats de la première puissance économique de la zone euro : stagnation du commerce international, faibles niveaux de consommation et d’investissement, et politiques budgétaires restrictives.

La panne de croissance

De 2010 à 2020, la croissance allemande était légèrement supérieure à la moyenne de la zone euro. Depuis 2021, ce n’est plus le cas : elle est constamment plus faible. La production manufacturière, longtemps la force de l’Allemagne, connaît une forte baisse. Elle a diminué de 15 % entre 2019 et 2024, contre moins de 5 % pour celle de la zone euro. L’industrie allemande a été pénalisée par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, ainsi que par les pénuries de biens intermédiaires. Les secteurs fortement consommateurs d’énergie, comme la sidérurgie, la chimie ou l’automobile, ont réduit leur production de manière significative en 2022 et en 2023.

La faible croissance du commerce international

L’économie allemande dépend fortement des exportations, qui représentent 45 % de son PIB, contre 32 % pour la France. Cette dépendance s’est accrue pour l’Allemagne au cours des quinze dernières années, la part des exportations dans le PIB ayant progressé de 10 points, contre 6 points pour la France.

Depuis 2018, les exportations allemandes stagnent. Elles sont même en recul vers la Chine et l’Union européenne. Plusieurs facteurs expliquent cette rupture, qui met à mal le modèle de croissance de l’Allemagne. La demande en biens industriels progresse, en dehors de la période Covid, moins vite que les services. Le positionnement de l’industrie allemande n’apparaît plus optimal. Les entreprises allemandes sont principalement présentes dans les secteurs de l’automobile, de la chimie, des biens d’équipement et des biens intermédiaires. Ces secteurs subissent de plus en plus la concurrence chinoise. L’industrie automobile allemande doit faire face à la montée en puissance des constructeurs chinois de véhicules électriques. Entre 2019 et 2023, la production dans l’industrie automobile et les biens d’équipement a enregistré des baisses de 10 à 15 %. Seule l’industrie des biens de transport hors automobiles progresse de plus de 20 %, grâce aux ventes d’avions.

La baisse des exportations s’explique également par le ralentissement de la croissance en Chine et en Europe. La montée du protectionnisme pèse également sur les échanges.

La faiblesse de l’investissement des entreprises

Le mauvais positionnement sur le marché et le recul de la rentabilité des entreprises sont à la fois la cause et la conséquence de la faiblesse de l’investissement. Depuis 2016, le taux d’investissement des entreprises allemandes est en moyenne inférieur de deux points à celui de la zone euro. Ce déficit d’investissement sera préjudiciable pour la croissance des prochaines années. Les entreprises allemandes préfèrent investir à l’étranger, ce qui nuit à la croissance du pays.

La consommation en panne

Depuis 2022, la consommation des ménages stagne. Ces derniers préfèrent épargner. Les augmentations de salaires, qui sont plus élevées que dans la zone euro, ne sont pas affectées aux dépenses courantes ou à l’investissement. Le taux d’épargne des ménages allemands dépasse 21 % du revenu disponible brut, soit deux points de plus qu’avant la crise sanitaire. Ce phénomène est également observé en France. Le taux d’épargne des Allemands est désormais supérieur de plus de 6 points à celui de la zone euro.

Le maintien de politiques budgétaires restrictives

La coalition SPD, FDP et Verts, bien que divisée sur le plan économique, maintient malgré tout une politique budgétaire restrictive. Le déficit public a été ramené à 2 % du PIB en 2023. Pourtant, l’Allemagne a un besoin important de modernisation de ses infrastructures. Le taux d’investissement public demeure faible, autour de 2,7 % du PIB, contre 3,3 % en moyenne au sein de la zone euro. Ce choix nuit à la croissance actuelle et pourrait peser sur celle des prochaines années.

Un modèle de croissance à réinventer

La sortie de crise pour l’Allemagne suppose une mutation de son modèle de croissance. Les entreprises allemandes doivent se repositionner pour tenir compte des impératifs de la transition écologique. Elles doivent monter en gamme pour échapper à la concurrence directe de leurs homologues chinoises. Pour ce faire, elles devront consentir à un effort accru d’investissement. Il en va de même pour les pouvoirs publics, qui auraient tout intérêt à dénouer les cordons de la bourse pour moderniser les infrastructures du pays. Pour relever les défis auxquels l’Allemagne est confrontée, ces entreprises peuvent compter sur une rentabilité encore correcte et sur le niveau élevé de formation de leurs salariés.

Au sujet de la divergence Zone euro / Etats-Unis

Les deux grandes zones économiques occidentales divergent depuis 2020, les États-Unis enregistrant une croissance au moins deux fois supérieure à celle de l’Union européenne. Cette divergence se traduit par un écart croissant de niveau de vie de part et d’autre de l’Atlantique. L’évolution de la productivité, de la population ainsi que celle de l’investissement expliquent en grande partie la différence de croissance entre les États-Unis et la zone euro.

Une divergence de productivité

La première différence majeure entre les États-Unis et la zone euro réside dans les gains de productivité. Aux États-Unis, ces gains sont élevés, tandis qu’ils sont faibles, voire négatifs, dans la zone euro depuis 2018. La productivité par tête a augmenté de 42 % entre 2002 et 2023 aux États-Unis, contre seulement 10 % en zone euro. De 2018 à 2023, elle a progressé de 10 % aux États-Unis, alors qu’elle a baissé de 3 % en zone euro.

Cet écart de productivité est largement imputable au moindre effort d’investissement de la zone euro dans les technologies de l’information et de la communication. En 2023, cet effort représentait 1,1 % du PIB aux États-Unis, contre 0,7 % en zone euro. L’écart est encore plus important en ce qui concerne les dépenses en recherche et développement, atteignant 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,3 % en zone euro en 2023. En vingt ans, cet écart est passé de 0,7 à 1,3 point de PIB.

Une inflation salariale plus importante dans la zone euro

Depuis 2017, la zone euro connaît une inflation salariale plus élevée que les États-Unis. En sept ans, le coût salarial unitaire a augmenté de 16 % aux États-Unis, contre 19 % pour les États membres de la zone euro. Cette dernière ne peut pas compter sur les gains de productivité pour compenser les hausses de salaires.

Une population active en hausse aux États-Unis

Le dynamisme de l’économie américaine repose en partie sur l’immigration. En 2023, le pays a enregistré un solde net de 3 millions d’entrées. Ces arrivées massives contribuent à la croissance de la population active, alors qu’en zone euro, celle-ci tend à s’éroder.

La croissance potentielle dépend essentiellement de l’évolution combinée de la population active et de la productivité, deux facteurs où la zone euro est en retrait par rapport aux États-Unis.

La plus forte profitabilité des entreprises américaines

Le taux de marge bénéficiaire (rapport entre le prix du PIB et le coût salarial unitaire) a progressé de 17 % entre 2002 et 2023 aux États-Unis, alors qu’il a baissé de 2 % dans la zone euro. Depuis 2021, ce taux est en constante diminution dans la zone euro, tandis qu’il continue de croître outre-Atlantique. Les entreprises américaines bénéficient de gains de productivité plus élevés et d’un partage de la valeur ajoutée plus favorable.

Un écart de croissance qui perdure

Compte tenu des différences en matière d’investissement et de population, l’écart de croissance entre les États-Unis et la zone euro risque de se maintenir. Entre 2002 et 2023, le PIB américain a augmenté de 60 %, contre moins de 30 % pour la zone euro. Le premier décrochage a eu lieu après la crise financière de 2008. La politique monétaire accommodante mise en place par la Réserve fédérale dès 2009 a sans nul doute favorisé l’investissement aux États-Unis. La Banque centrale européenne n’a suivi cette voie qu’à partir de 2015. Entre 2010 et 2014, la zone euro a été pénalisée par la gestion de la crise des dettes souveraines.

L’Europe peut néanmoins se targuer de la stabilisation des inégalités. L’indice de Gini, qui mesure ces dernières, est resté stable à 0,31 entre 2002 et 2022, tandis qu’il est passé de 0,36 à 0,39 aux États-Unis. Le taux de pauvreté (calculé par rapport au seuil de 60 % du revenu disponible médian) aux États-Unis était, en 2025, de 24 %, contre 18 % en zone euro.

Un modèle de croissance à questionner

Les performances indéniables des États-Unis sont-elles le résultat d’un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux entreprises, ou bien d’une plus grande appétence pour le progrès ? Le modèle entrepreneurial américain, associé à une forte immigration, semble plus favorable à la croissance que celui de l’Europe, qui met davantage l’accent sur la justice sociale. Le défi pour cette dernière est de générer suffisamment de croissance pour financer son modèle.