17 octobre 2025

Le Coin de l’économie – Etats-Unis – Chine – France – agences de notation

Les agences de notation sont-elles faillibles ?

Les agences de notation se présentent comme les vigies de la finance mondiale. Par leur grille de notation fondée sur un grand nombre de paramètres, elles établissent un classement des différents actifs financiers en mesurant les risques encourus par les investisseurs. Dans les faits, elles ne prévoient rien, mais établissent avant tout un constat.

La myopie du court terme

Les agences de notation — Standard & Poor’s, Moody’s, Fitch — prétendent juger de la capacité d’un État ou d’une entreprise à honorer ses engagements dans la durée. Or, leurs évaluations reposent essentiellement sur des variables de court terme : le niveau actuel du déficit public, de la dette, la croissance observée, le climat politique immédiat.

La France, notée AA- avec perspective négative, est évaluée sur la base d’un déficit public de 5,4 % du PIB et d’une dette avoisinant 115 %. Ces chiffres exacts ne disent rien de la trajectoire future du pays ni de son potentiel de redressement.

À l’inverse, l’Espagne, dont la dette publique dépasse 108 % du PIB et dont la productivité reste inférieure à celle de la France, conserve une notation A+ stable. Les agences valorisent sa croissance immédiate (2,5 % en volume), ce qui donne l’illusion d’une dynamique vertueuse.

L’Italie, avec une dette publique à 140 % du PIB et une croissance inférieure à 1 %, a vu sa note relevée par Fitch, cette dernière ayant retenu la nette amélioration récente des finances publiques — amélioration qui pourrait pourtant se révéler temporaire.

Les tendances structurelles négligées

La productivité est en recul sur la période 2017-2024 en France (-2,2 %). En Italie, elle est stable depuis vingt ans. En Allemagne, en revanche, elle progresse de 5 % depuis 2019. Ces différences conditionnent la capacité future des États à financer leur dette. Au vu de la productivité, la France comme l’Italie devraient être dégradées.

Autre facteur susceptible de justifier une révision des notes : la démographie.

La France, avec un taux de fécondité de 1,68, vieillit plus lentement que l’Allemagne (1,45), mais plus vite que les États-Unis (1,72). La trajectoire française, en la matière, est alarmante : son taux de fécondité converge à toute vitesse vers la moyenne européenne. Autrefois atout, la démographie devient désormais un facteur négatif pour l’économie française.

Le capital humain, un maillon faible

Autre élément qui plaide pour une révision à la baisse de la note française : le capital humain. Selon l’OCDE, le niveau de compétence moyen (PIAAC) des adultes français est inférieur de 10 % à celui des Allemands et de 15 % à celui des Néerlandais. Cette faiblesse pèsera sur la croissance potentielle dans les prochaines années.

À l’inverse, certains facteurs militent pour une note plus élevée :

le taux d’épargne des ménages reste élevé (près de 19 % du revenu disponible brut), le système bancaire est solide, et la croissance potentielle, bien que modeste, demeure proche de la moyenne de la zone euro. La France bénéficie, en outre, de l’appui de la monnaie unique et du rôle central de la Banque centrale européenne.

Les biais des modèles d’évaluation

Les agences de rating affirment intégrer des facteurs de long terme dans leurs grilles d’analyse — gouvernance, stabilité institutionnelle, environnement réglementaire, etc. — mais, dans la pratique, ces variables restent secondaires.

L’essentiel de la note repose sur deux ratios : dette/PIB et déficit/PIB.

Ainsi, un pays qui augmente temporairement ses dépenses publiques pour investir dans la transition énergétique ou la défense — comme la France avec sa loi de programmation militaire (413 milliards d’euros sur 2024-2030) — est pénalisé. À l’inverse, un pays qui réduit ses investissements publics pour afficher un déficit plus faible voit sa note améliorée, même s’il compromet son potentiel de croissance.

Des erreurs récurrentes

Dans le passé, les agences de notation se sont lourdement trompées.

En 2008, à la veille de la crise des subprimes, elles attribuaient les meilleures notes à des produits financiers adossés à des crédits immobiliers qui se sont révélés toxiques. Elles n’ont pas anticipé l’effondrement de ces actifs, lequel a provoqué la plus grande crise financière depuis 1929.

Vers une approche plus complète

Les agences devraient mieux intégrer :

  • la stratégie d’investissement : un pays qui consacre 3 % de son PIB à la R&D devrait être noté plus favorablement qu’un autre qui se contente de réduire ses dépenses ;
  • la soutenabilité démographique : la dynamique de la population active est un indicateur clé de la capacité future à rembourser la dette ;
  • la cohérence politique et institutionnelle : la stabilité des politiques économiques à long terme, au-delà des alternances, conditionne la confiance des marchés.

Les agences de notation incarnent la contradiction d’un monde financier qui tente, par tous les moyens, de délimiter les risques tout en recherchant des rendements élevés.

L’analyse de court terme l’emporte souvent sur la vision de long terme.

Elles privilégient les données tangibles retraçant une situation passée et, par prudence, s’aventurent peu sur le terrain des prévisions.

La France, par certains aspects, pourrait se voir attribuer une note bien plus mauvaise, et par d’autres, une note relevée. En définitive, sa note actuelle est peut-être, paradoxalement, la plus juste.

La productivité : le talon d’Achille de la France

Longtemps, les responsables politiques ont mis en avant que la France pouvait s’enorgueillir de posséder l’un des taux de productivité les plus élevés parmi les pays de l’OCDE. Ce haut niveau de productivité était censé compenser une faible ardeur au travail. Or, ce n’est plus le cas : depuis 2019, la productivité du travail a reculé de plus de 2 %. Dans le même temps, les dépenses publiques ont progressé de 7,6 % en termes réels. Ce décalage explique à lui seul l’essentiel de l’ouverture du déficit public français, qui dépasse désormais cinq points de PIB. Le pays vit à crédit parce qu’il ne produit pas assez.

Une productivité en recul dans une économie immobile

Depuis le début de l’année 2019, la France a vu sa productivité du travail reculer de plus de 2 %. La productivité par tête, qui progressait encore régulièrement jusque dans les années 2010, stagne désormais. L’explication tient à une combinaison de facteurs structurels :

  • un sous-investissement dans les nouvelles technologies ;
  • la faiblesse du secteur numérique ;
  • un déficit chronique de compétences au sein de la population active ;
  • un vieillissement démographique qui réduit la mobilité du travail.

Ce recul de la productivité est d’autant plus préoccupant qu’il ne s’accompagne d’aucune contraction des dépenses publiques. Bien au contraire : dans un pays où le mot réforme suscite aussitôt la peur du déclassement, l’augmentation de la dépense sert de béquille à la croissance défaillante. À chaque crise, le montant des dépenses s’accroît fortement. Le retour à la normale ne s’accompagne jamais d’une réduction correspondante. Elles se figent ainsi à un niveau toujours plus élevé.

L’augmentation continue des dépenses publiques

Entre 2019 et 2024, les dépenses publiques ont augmenté de 7,6 % en termes réels, soit plus rapidement que la croissance du PIB. Sur cette période, les dépenses de protection sociale ont progressé de 3,4 % en volume. Après l’épidémie de Covid, les gouvernements ont maintenu plus longtemps qu’ailleurs les dispositifs de soutien aux entreprises et aux ménages afin d’atténuer les effets de la vague inflationniste.

Les pouvoirs publics ont été incapables de démonter l’ensemble des aides, face à la pression de la population pour leur maintien. À force d’amortir tous les chocs, la France a neutralisé les mécanismes d’adaptation naturelle de l’économie.

La mécanique du déficit

Ce décalage entre productivité et dépenses conduit mécaniquement à l’augmentation du déficit public. Entre 2019 et 2025, celui-ci a progressé de plus de deux points de PIB. Si la productivité baisse, la richesse nationale stagne. Si, dans le même temps, les dépenses publiques continuent d’augmenter, alors le déficit se creuse, l’État redistribuant une richesse qu’il ne crée plus. En France, la productivité du travail est désormais inférieure à son niveau de 2019, alors que les dépenses de santé, de retraite, d’éducation et de subventions publiques sont en forte hausse. Le poids de la protection sociale, qui représente 33 % du PIB, agit comme un multiplicateur budgétaire inversé : ces dépenses soutiennent le revenu des ménages à court terme, mais freinent l’ajustement productif à long terme.

Le déni collectif

Le refus de l’adaptation est assez logique de la part de la population. Nul ne souhaite partir à la retraite plus tard ni accepter un reste à charge plus élevé en matière de santé. Selon le baromètre Elabe de septembre 2025, 69 % des Français refusent le report de l’âge de la retraite, 63 % rejettent l’idée de travailler davantage chaque année, 59 % s’opposent à toute économie sur la santé, et 72 % refusent la suppression de l’abattement fiscal des retraités.

Pendant des années, le respect du seuil des 3 % du PIB faisait l’objet d’un relatif consensus au sein de la classe politique. Or, par populisme, ce consensus s’est délité. Plusieurs partis réclament désormais une augmentation des dépenses sociales ou des dépenses en faveur des services publics, sans pour autant accepter le principe d’un accroissement du volume de travail.

Comment regagner de la productivité ?

La France devrait accroître ses dépenses dans la recherche et la formation. En 2024, le pays ne consacrait que 0,7 % de son PIB à l’investissement dans les technologies de l’information et de la communication, contre 1,2 % en Allemagne et 1,8 % aux États-Unis. Le poids du secteur des technologies numériques reste faible : 4 % du PIB, contre 7 % en Allemagne et 8 % outre-Atlantique.

En matière de formation, la France obtient un score médiocre dans le classement PIAAC de l’OCDE : 253 points, bien en deçà de la Finlande (289), du Japon (285) ou de l’Allemagne (267). Cette faiblesse du capital humain pèse lourdement sur la productivité du travail. Le problème ne tient pas au niveau des dépenses d’éducation, mais à leur efficience. Le pays dépense plus que la moyenne européenne pour ses écoles et universités, mais obtient des résultats inférieurs.

Une crise de production avant d’être budgétaire

La crise budgétaire de la France est avant tout une crise de la production. Le pays continue de raisonner comme s’il pouvait dépenser sans lien avec la productivité réelle. Tant que les taux d’intérêt étaient quasi nuls, cette illusion demeurait tenable.

Mais avec un taux à dix ans revenu à plus de 3,5 %, la charge de la dette augmente d’année en année et dépasse désormais 50 milliards d’euros. Ce poids réduit d’autant la capacité de l’État à investir. Plus la dette croît, moins il est possible d’investir ; moins on investit, plus la productivité recule, et plus la dette s’alourdit encore. Pour enrayer cette spirale, la France doit absolument regagner de la productivité et accroître son volume de travail.

Quand Donald Trump donne les clefs du monde à la Chine

Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump s’est-il engagé dans un grand sabordage de l’économie américaine ou poursuit-il une vision de long terme pour son pays dans les trente prochaines années ? Le président américain est parti d’un constat : celui d’un déclin des États-Unis, exploités selon lui par des nations qui profiteraient du travail et de la richesse des Américains. Cette analyse, a priori surprenante au regard du taux de croissance et des gains de productivité enregistrés ces dernières années, s’appuie sur l’évolution de la balance commerciale et sur le processus de désindustrialisation.

Pour rétablir l’équilibre des échanges commerciaux et réindustrialiser son pays, Donald Trump a opté pour une politique de repli fondée sur la majoration des droits de douane et une réduction drastique de l’immigration. Reste à savoir si cette stratégie permettra de préserver la suprématie américaine pour les prochaines décennies ou si elle entraînera, au contraire, le basculement du centre de gravité économique mondial vers la Chine et l’Asie.

Le rejet de l’immigration

Depuis mars 2025, le nombre d’immigrés ayant un emploi aux États-Unis a reculé de 1,5 million de personnes. Ce changement de cap historique n’est pas sans conséquences. Les immigrés jouent un rôle essentiel, comme en Europe, dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie, de la logistique ou du bâtiment. Mais ils sont également présents au cœur de la haute technologie : 29 % des entrepreneurs américains sont issus de l’immigration, alors qu’ils ne représentent que 15 % de la population totale. 44 % des fondateurs de licornes (entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars) sont d’origine étrangère. 26 % des immigrés travaillent dans les secteurs des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques.

La vitalité de la Silicon Valley, la puissance d’innovation américaine, la productivité globale du pays reposent en grande partie sur ces talents venus d’ailleurs. Nombre de figures emblématiques, symboles de la réussite américaine — Elon Musk pour Tesla, Andrew Grove pour Intel — sont des immigrés. Longtemps, l’immigration hautement qualifiée a permis de compenser les faiblesses du système de formation américain.

L’anti-politique climatique

Depuis le début de l’année 2025, les émissions de CO₂ américaines ont augmenté de 4,2 % par rapport à l’année précédente, conséquence directe d’une hausse de 14 % de la consommation de charbon pour produire de l’électricité. Donald Trump a décidé de retirer à nouveau les États-Unis des Accords de Paris, qui visent la décarbonation des activités humaines d’ici 2050. Les États-Unis empruntent ainsi une trajectoire inverse de celle de toutes les grandes économies développées.

Tandis que la Chine, paradoxalement, accélère ses investissements dans les énergies renouvelables, l’Amérique de Donald Trump rouvre des mines, annule des projets solaires et supprime les subventions aux filières vertes. Le coût économique de ce virage est considérable. En affaiblissant ses filières technologiques vertes (batteries, éoliennes, cellules photovoltaïques), les États-Unis compromettent leurs positions industrielles sur les marchés de demain.

La désorganisation sanitaire

En 2025, le ministère de la Santé a été amputé d’un tiers de ses effectifs : 25 000 licenciements sur 82 000 agents. Cette mesure sans précédent a été décidée par le nouveau secrétaire d’État à la Santé, Robert Kennedy Jr., connu pour avoir défendu plusieurs thèses dites complotistes. Le budget des National Institutes of Health a été réduit de 18 %, tandis que les programmes de recherche médicale sont gelés. Le budget de Medicaid, assurance santé destinée aux plus modestes, devrait être amputé de 610 milliards de dollars sur dix ans. Ce démantèlement du système de santé américain risque d’accélérer le recul de l’espérance de vie à la naissance, amorcé depuis 2016 et toujours en baisse. Celle-ci atteint désormais 77 ans, soit quatre ans de moins qu’en France.

Le freinage de la productivité : le talon d’Achille américain

Les conséquences de ces politiques se lisent déjà dans plusieurs chiffres. La productivité par tête stagne depuis 2023, après deux décennies de progression continue. La croissance du PIB réel ralentit à moins de 1,5 %, et les créations d’emplois sont désormais inférieures à 100 000 par mois.

La Chine trace sa route

Malgré le déclin de sa population, la Chine continue de progresser et de gagner des parts de marché à l’échelle mondiale. Ses investissements en recherche et développement ont atteint 723 milliards de dollars en 2023, presque à parité avec les 784 milliards des États-Unis. Ses dépenses publiques ciblent massivement les secteurs d’avenir : semi-conducteurs, intelligence artificielle, batteries, biotechnologies.

En parité de pouvoir d’achat, le PIB chinois devrait dépasser celui des États-Unis de près de 4 000 milliards de dollars (40 000 milliards contre 36 000). Même en valeur nominale, le croisement des courbes pourrait survenir avant 2030. Dans de nombreux domaines — terres rares, batteries, voitures électriques, informatique — la Chine est désormais incontournable. Les grandes entreprises américaines de haute technologie exercent une forte pression sur Donald Trump pour qu’il mette un terme à la guerre commerciale. La Chine, de son côté, entend devenir le numéro un mondial dans tous les domaines à l’horizon 2049, centenaire de la prise de pouvoir du Parti communiste.

Une erreur de vision

En optant pour le protectionnisme, Donald Trump pense protéger les États-Unis et défendre leur souveraineté nationale. Mais en réalité, il risque de priver le pays de son moteur historique : sa capacité à absorber le monde, à transformer la diversité en innovation. Les politiques menées depuis 2025 tournent le dos à celles qui ont fait la grandeur des États-Unis au cours des quatre-vingts dernières années.

Donald Trump estime que la Chine mène une politique hostile à l’Amérique, ce qui l’obligerait à réagir avec fermeté. Mais ces mesures apparaissent avant tout comme un aveu de faiblesse de la part de la première puissance mondiale.

Le déclin des grandes puissances provient plus souvent de l’intérieur que de l’extérieur. Les États-Unis n’ont pas, à ce jour, de raisons objectives de se sentir menacés par la Chine. Pourtant, leurs dirigeants adoptent une politique qui pourrait, à terme, renforcer leur rival. La Chine, pragmatique, disciplinée, investit, innove, apprend. Les États-Unis, eux, doutent et contestent. Le XXIᵉ siècle pourrait bien être marqué par le retour de la Chine à la première place des puissances économiques et militaires mondiales — non pas parce que Pékin l’aura conquise, mais parce que Washington l’aura abandonnée.