Le Coin de l’Economie – Etats-Unis, Europe – conjoncture – dette – pouvoir d’achat
Alerte sur la dette publique sur fond de contexte économique complexe
Dans son analyse économique du mois de juin, la Banque de France croit au maintien d’un fort taux d’inflation en 2022 et 2023. Cette conviction est renforcée par l’idée que le bouclier tarifaire ne pourra pas être maintenu indéfiniment. Ainsi, selon la Banque de France, l’inflation ne reviendrait progressivement autour de 2 % qu’en 2024, soit l’objectif de l’Eurosystème, un rythme proche de celui de la période 2002-2007. La banque centrale française prévoit un taux de croissance de 2,3 % en 2022 (son estimation précédente était de 2,7 %). La croissance serait affectée par le niveau actuel de l’inflation qui pèse sur le pouvoir d’achat, par la détérioration de la conjoncture économique internationale ainsi que par le contexte géopolitique très incertain qui dégrade la confiance de tous les agents économiques. Pour 2023, l’institut monétaire table sur une croissance de 1,2 %. Cette diminution de la croissance serait imputable à la persistance des tensions sur les marchés du pétrole et des matières premières et à l’arrêt, du moins partiel, des mesures de soutien des pouvoirs publics. En 2024, la croissance retrouverait un rythme plus soutenu, à +1,7 % en moyenne, avec une demande intérieure assez dynamique. Dans ce contexte, l’emploi résisterait globalement assez bien, et le taux de chômage avec une hausse modérée resterait à des niveaux historiquement favorables. Compte tenu de la dégradation de l’activité, le retour du déficit à 3 % du PIB prévu pour 2024 sera difficile voire impossible à réaliser. La décrue de la dette publique serait également retardée. La Banque de France a établi un deuxième scénario en retenant l’idée de tensions fortes sur les marchés des matières premières et de l’énergie aboutissant à un recul du PIB de 1,3 % en 2023 et à une croissance de 1,3 % en 2024. Toujours dans ce scénario, l’inflation dépasserait 6 % en 2022 et 2023 avant un repli plus marqué en 2024. Le déficit public et la dette publique subiraient dans ce contexte une forte hausse.
Pas de récession dans l’immédiat
Ainsi, au premier trimestre, le PIB a diminué de -0,2 % avec un recul marqué de la consommation des ménages (-1,5 %) et des exportations moins dynamiques qu’attendu. Au deuxième trimestre, selon la Banque de France, la croissance serait positive de l’ordre de 0,25 point. Certains secteurs des services, notamment l’hôtellerie-restauration profiteraient de la suppression des dernières restrictions sanitaires, en particulier en ce qui concerne le tourisme international. En revanche, les secteurs de l’industrie et du bâtiment subissent toujours des difficultés d’approvisionnement et le renchérissement des coûts de production.
Pour le second semestre, l’activité resterait modérée, affectée notamment par la hausse des prix de l’énergie et des matières premières alimentaires et par l’évolution de la conjoncture internationale. La Banque de France retient pour ses prévisions un cours moyen du baril de pétrole de 105,8 dollars sur l’année 2022, contre un baril à 93 dollars retenu dans le scénario de mars.
Ces facteurs défavorables, renforcés par le niveau élevé d’incertitude qui entame la confiance des ménages et des investisseurs, pèseraient sur la croissance annuelle en 2022. Celle-ci s’élèverait ainsi en moyenne à 2,3 %. La Banque de France estime que la demande adressée à la France par ses partenaires étrangers sera plus faible que prévu.
La prévision de croissance de 2022 à 2,3 % s’explique essentiellement par l’effet d’acquis résultant de la reprise dynamique au second semestre 2021. Les trimestres de l’année en cours contribueraient peu à la croissance de 2022, avec un glissement annuel en fin d’année de seulement 0,5 point environ.
Pour 2023, des facteurs contradictoires devraient peser sur la croissance. La réduction des soutiens publics jouera négativement quand la progression de la demande extérieure, en lien avec une normalisation de la situation internationale (réduction des problèmes d’approvisionnement), favorisera la croissance qui atteindrait alors 2,3 %. Le coût total de la guerre en Ukraine pour l’économie serait une perte cumulée de l’ordre de 2 points de PIB sur la période 2022-2024.
Une consommation contrainte
Après la baisse du premier trimestre, la Banque de France parie sur une augmentation de la consommation des ménages au cours du deuxième trimestre grâce aux transports et au tourisme. Elle resterait néanmoins en retrait sur le reste de l’année du fait d’un maintien d’un fort taux d’épargne. Les contraintes d’approvisionnement pourraient également entraver la consommation des ménages au cours des prochains trimestres, en particulier dans le secteur automobile. En 2022, la consommation des ménages progresserait de 2,9 %, croissance essentiellement due à des effets d’acquis. En 2023 et 2024, la croissance de la consommation reviendrait à un rythme supérieur à 2 % par an.
L’inflation, une décrue attendue pour 2024
La hausse de l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) s’est poursuivie au cours de ces derniers mois, passant de 5,1 % en rythme annuel en mars à 5,4 % en avril, puis 5,8 % en mai. Les prix des produits alimentaires étaient en rythme annuel en hausse en mai de 3,8 % et les prix des produits manufacturés affichent eux aussi une hausse à 3,8 % (en glissement annuel), soutenue par le renchérissement des coûts de production observé depuis le second semestre 2021 (forte reprise de la demande post-Covid). En mai, l’augmentation des prix des services a atteint 3,2 % en glissement annuel.
La Banque de France a revu la hausse des prix pour l’année à 5,6 % contre 4,4 % prévue en mars. Elle parie sur un retour au-dessous de 2 % au cours de l’année 2024, sous l’hypothèse d’une normalisation progressive des prix du pétrole et des prix agricoles mondiaux. L’inflation en France resterait significativement inférieure à celle de la zone euro en 2022 (attendue à 6,8 % selon l’Eurosystème). Cet écart de 1,2 point de pourcentage en faveur de la France s’explique en majeure partie par le bouclier tarifaire sur les prix du gaz et de l’électricité supposé maintenu tout au long de l’année 2022. Les prix du gaz et de l’électricité expliqueraient environ trois quarts de l’écart d’inflation entre la France et la zone euro en 2022. Les produits pétroliers auraient une contribution relativement faible à l’explication de cet écart, de nombreux pays de la zone euro ayant pris des mesures similaires à la remise sur les prix des carburants pour freiner la hausse des prix à la pompe. Le reste de l’écart serait à mettre au compte d’une hausse des prix alimentaires qui est moindre en France. Cette modération des prix alimentaires pourrait être remise en cause par les négociations entre producteurs et distributeurs, prévues par la loi EGalim 2. L’inflation hors énergie et alimentation aurait une dynamique similaire en France et en zone euro (à 3,3 % en 2022). En 2023, l’inflation de l’énergie devrait poursuivre son reflux graduel qui devrait débuté vers la fin du second semestre 2022, en lien avec une baisse du prix du pétrole telle qu’indiqué aujourd’hui par les contrats à terme. De leur côté, les hausses des prix des biens alimentaires et des produits manufacturés, après leurs pics atteints en fin d’année 2022, se normaliseraient à un rythme très progressif, traduisant une persistance liée à la diffusion graduelle des prix des matières premières et des contraintes d’approvisionnement. L’inflation dans les services, entretenue par la progression des salaires, resterait dynamique. Au total, l’inflation totale s’établirait à 3,3 % en moyenne sur l’année en 2023. En 2024, l’inflation totale, à 1,9 % en moyenne annuelle, serait bien au-dessus du rythme annuel moyen, trop bas, enregistré au cours de la dernière décennie et plus proche de son rythme des années 2000.
Une hausse des salaires attendue en 2022
La résurgence de l’inflation conduit à des effets sur les salaires nominaux. Compte tenu de la formule de revalorisation automatique, le salaire minimum a connu trois réévaluations successives entre octobre 2021 et mai 2022 qui ont conduit à une hausse globale de près de 6 % sur un an, soit plus que l’inflation à fin mai. Deux nouvelles augmentations en octobre 2022 et octobre 2023 devraient intervenir en plus des hausses habituelles de janvier. Ces augmentations se diffuseraient en partie par la suite au reste de l’échelle des salaires, notamment par le biais des négociations de salaires de branche : pour 2022, les négociations de début d’année se sont conclues par de premières hausses des salaires négociés se situant déjà autour de 3 %, alors qu’elles étaient plus proches de 1 % ces dernières années. Après la hausse du salaire minimum de mai dernier, un certain nombre de branches ont vu leurs minima repasser sous le niveau du SMIC, ce qui devrait les conduire à lancer de nouvelles négociations. Les salaires nominaux, soutenus également par les difficultés de recrutement et la situation favorable sur le marché du travail, devraient enregistrer en 2022 et 2023, une croissance annuelle de 5 % du salaire moyen par tête dans le secteur marchand (hors effets mécaniques liés au chômage partiel), avant de retrouver progressivement, en 2024, un rythme de croissance annuelle de l’ordre de 3 %, proche de la croissance des salaires de la première décennie des années 2000. Le salaire réel serait ainsi simplement stable en 2022. Sa croissance reprendrait ensuite en 2023 et 2024 à un rythme proche de celui de la productivité.
Diminution relative du taux de marge des entreprises
Dans ce contexte, le taux de marge des sociétés non financières, qui avait artificiellement augmenté en 2019 en raison du double compte du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), et en 2020 et 2021 par les différentes mesures mises en place pour faire face à la crise Covid, se dégraderait d’environ 2,5 points entre 202é et 2024. Cette dégradation serait d’une ampleur bien moindre que celle d’environ 4 points qui avait pu être observée à l’époque des chocs pétroliers des années 1970. Finalement, le taux de marge se rapprocherait en 2024 de son niveau d’avant-crise (environ 32 % en 2018), aidé par la baisse des impôts de production en 2021. Cette situation moyenne ne doit toutefois pas faire oublier une hétérogénéité sectorielle : les taux de marge dans les branches manufacturières (hors cokéfaction-raffinage) seraient encore fortement pénalisés par le renchérissement des matières premières, tandis qu’ils seraient beaucoup moins affectés dans les services marchands seraient et qu’ils augmenteraient dans les branches liées à l’énergie.
Baisse du pouvoir d’achat des ménages
Malgré la progression des salaires nominaux, le pouvoir d’achat des ménages se replierait en 2022, après sa hausse de 2021. En dépit des mesures de soutien au pouvoir d’achat déjà mises en place (bouclier tarifaire, ristournes à la pompe, refonte du barème kilométrique) ou annoncées pour le projet de loi de finances rectificative (relèvement du point d’indice de la fonction publique, revalorisation des prestations sociales, suppression de la redevance audiovisuelle), il se contracterait en 2022 de 1 %, baisse qui ferait suite à la hausse de 2 % de 2021. En 2023, il augmenterait de 0,5 % et de 1,5 % en 2024.
Une décrue retardée du taux d’épargne
En 2022, le taux d’épargne demeurerait élevé, à 16,5 % du revenu disponible brut. Il ne retrouverait son niveau d’avant crise sanitaire (15 %) qu’en 2023. À un niveau agrégé, le surplus d’épargne financière, cumulé en 2020-2021, ne serait donc que faiblement dépensé à l’horizon 2024. Des différences existent entre les différentes catégories de ménages, les plus modestes étant contraints de puiser dans leur épargne covid.
L’investissement en retrait mais toujours au-dessus
Alimenté par le surplus d’épargne, l’investissement des ménages a augmenté en 2021. Le rebond s’atténue en raison du renchérissement de la construction lui-même lié aux difficultés d’approvisionnement en matériaux de construction et aux difficultés de recrutement structurelles dans le secteur du bâtiment. Le taux d’investissement des ménages, en repli à l’horizon 2024, resterait cependant à un niveau élevé par rapport à sa moyenne historique.
L’investissement des entreprises est resté dynamique au premier trimestre 2022, toujours porté par les dépenses dans les technologies numériques. Il se stabiliserait sur le reste de l’année, en conséquence de la baisse des marges et des comportements attentistes liés à la guerre en Ukraine. Le taux d’investissement des sociétés non financières passerait de 25,6 à 24,6 % de leur valeur ajoutée de 2021 à 2022. Il reprendrait ensuite une progression semblable à celle observée depuis 2015.
Un commerce extérieur sans couleur pour la croissance française
En 2023, la demande adressée à la France progresserait de seulement 2,6 %. Les exportations françaises retrouveraient leur niveau d’avant crise à l’horizon 2024. Ce rétablissement proviendrait de la normalisation progressive dans les secteurs traditionnellement moteurs des exportations françaises mais très affectés par la crise Covid, en particulier l’aéronautique et le tourisme. La prévision de croissance de la Banque de France est de près de 8 % en 2022 avant de revenir à 4 % en 2024. Le ralentissement de la demande intérieure devrait impacter celui des importations qui ont fortement augmenté en 2021. En 2023 et 2024, un regain pour les importations est attendu. Le commerce extérieur net contribuerait, dans ces conditions, peu à la croissance du PIB sur tout l’horizon de prévision.
Légère augmentation du taux de chômage prévisible
Le tassement de l’activité entraînerait une légère remontée du taux de chômage autour de 8 % en 2023-2024, un niveau encore inférieur à celui pré-crises de 2019. En mars 2022, le taux de chômage était de 7,3 %. La progression sur quatre trimestres de l’emploi salarié marchand fin 2022 serait de 77 000. Fin 2021, la France comptait 400 000 emplois de plus qu’en 2019.
Avec de nombreuses créations d’emploi depuis 2020 et une stagnation de la production, la productivité est nettement en-deçà de sa tendance d’avant-crise qui était de l’ordre de 0,7 % par an sur la période 2010-2019. Le ralentissement de l’emploi s’accompagnerait dans cette projection d’un retour progressif de la productivité par tête vers sa tendance d’avant-crise en fin d’horizon de prévision.
Un déficit public en réduction lente
En 2022, malgré le fort rebond économique et le versement des fonds européens de Facilité pour la reprise et la résilience (RRF), le déficit public serait de -5,0 %% du PIB en 2022, après -6,5 % en 2021, en raison de mesures encore massives de lutte contre la crise sanitaire, le soutien au pouvoir d’achat des ménages et la poursuite du déploiement des mesures de relance quand dans le même temps le taux des prélèvements obligatoires diminuerait légèrement. Cette baisse du taux des prélèvements résulterait des mesures déjà engagées comme la suppression progressive de la taxe d’habitation, la diminution du taux d’impôt sur les sociétés et de nouvelles mesures de réduction d’impôts (notamment la baisse temporaire de 8 milliards d’euros de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité pour 2022), et malgré des assiettes fiscales nominales plus dynamiques que le PIB.
Les dépenses publiques resteraient fortes en 2022 du fait de dépenses de santé encore élevées pour faire face à la crise sanitaire, couplées à la poursuite du déploiement du plan France Relance. À cela s’ajoutent les mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages pour faire face à l’augmentation des prix de l’énergie (pour environ 15 milliards d’euros de dépenses en 2022, portant le total depuis 2021 à 20 milliards d’euros), comprenant notamment le chèque énergie et le bouclier tarifaire. De nouvelles mesures sont en outre attendues durant l’été.
À législation inchangée, le solde public s’améliorerait en 2023-2024, sous l’effet de la fin des mesures temporaires et d’une croissance encore soutenue, sans pour autant atteindre, avec nos hypothèses actuelles, le seuil des -3 % du PIB.
Le ratio de dette publique diminuerait progressivement en 2022 et 2023, aidé en cela par le tirage des 75 milliards d’euros de trésorerie publique accumulés en 2020 et non encore résorbés en 2021. La dette publique se stabiliserait un peu au-dessous de 110 % du PIB, en 2023-2024.
Demain ne sera pas une sinécure
Depuis la crise sanitaire, le temps économique s’accélère. Le passage de la croissance à la récession et vice-versa est de plus en plus rapide. L’économie française comme celle de ses partenaire subit plusieurs chocs extérieurs auxquels s’ajoutent ceux du vieillissement de la population et de la transition énergétique. Si depuis une quarantaine d’années, l’argent était abondant, cette situation de fait pourrait s’évanouir avec l’abandon progressif de la politique monétaire non conventionnelle. Le gouverneur de la Banque de France a souligné que le niveau élevé de dette publique constituait désormais un facteur de risque sur le plan financier et économique dans un contexte de remontée des taux. Si l’inflation est censée être jugulée d’ici 2024, la question du financement de la dette publique pourrait perdurer durant plusieurs années.
Les économies européenne et américaine, pas sur le même rail
La baisse de la croissance constatée aux États-Unis n’est pas comparable à celle enregistrée en Europe. Les deux grandes zones économiques évoluent selon des logiques différentes. Aux États-Unis, la chute de l’activité s’explique par le déstockage, le recul des dépenses publiques et la dégradation du commerce extérieur. En revanche, la demande intérieure privée reste dynamique au 1er trimestre aux États-Unis, avec le recul du taux d’épargne des ménages et la profitabilité élevée des entreprises. Au sein de la zone euro, la croissance est affectée par le recul du pouvoir d’achat des ménages en lien avec l’augmentation rapide de l’inflation et par le freinage de l’investissement des entreprises. La contribution positive du commerce extérieur et le maintien de mesures de soutien n’arrivent pas à compenser intégralement les effets récessifs. Une asymétrie économique entre la situation des États-Unis et celle de la zone euro est ainsi constatée.
La confiance des entreprises et des ménages se dégrade davantage dans la zone euro qu’aux États-Unis. L’Europe est touchée plus directement par le conflit en Ukraine qui remet en cause la distribution du gaz et du pétrole ainsi qu’un certain nombre de biens intermédiaires. Les États-Unis sont autosuffisants ou presque sur le plan de l’énergie. Le prélèvement opéré par les hausses des hydrocarbures représente 3 % du PIB en zone euro. La balance commerciale énergétique s’est améliorée aux États-Unis de près de 100 milliards de dollars quand elle s’est détériorée de 400 milliards de dollars au sein de la zone euro entre 2020 et 2022.
L’augmentation du cours du pétrole ou du gaz conduit à des transferts internes au sein de l’économie américaine quand elle provoque un transfert extérieur en Europe. Le taux d’épargne qui avait fortement augmenté durant la crise sanitaire au sein des deux zones économiques a nettement baissé aux États-Unis depuis le début de l’année 2021, retrouvant son niveau d’origine (5 % du revenu disponible brut) quand, en revanche, il reste à un niveau élevé en zone euro (autour de 19 % en 2022, contre 14 % en 2019). Les ménages européens conservent un volant important de liquidités par crainte de l’avenir et réduisent leur consommation. Leurs homologues américains ont, à l’inverse, décidé de maintenir voire d’accroître leurs dépenses de consommation.
L’asymétrie au niveau des situations économiques de part et d’autre de l’Atlantique conduit à des politiques monétaires différentes. La banque centrale américaine est confrontée à une inflation interne avec un risque élevé de transmission aux salaires dans un contexte de plein emploi quand, au sein de la zone euro, l’inflation est avant tout provoquée par l’augmentation des prix de l’énergie et des matières premières. La mise en œuvre d’une politique monétaire restrictive s’impose ainsi davantage aux États-Unis qu’en Europe en raison d’une demande intérieure dynamique et d’un commerce extérieur qui se dégrade. L’écart de taux entre les États-Unis et la zone euro ne peut donc qu’augmenter avec, à la clé, une dépréciation de la monnaie européenne.
Des chocs d’offre pluriels
Durant les années 1990/2000, les pays de l’OCDE ont bénéficié d’un choc d’offre positif en lien avec la mondialisation qui a diminué le prix d’un nombre important de biens finaux et de biens intermédiaires. Ils ont profité de l’ouverture au commerce international de plusieurs pays émergents et en développement dont évidemment la Chine. La mondialisation a généré un supplément de croissance et une diminution de l’inflation. Depuis la crise sanitaire, les pays de l’OCDE renouent avec des chocs externes négatifs sur le modèle de ceux de 1973 et 1980. Les embargos et les tentations protectionnistes se traduisent par une augmentation des prix et par une ponction sur le pouvoir d’achat. En conséquence de quoi, la croissance risque d’être moins importante.
Les importations de l’OCDE depuis l’ensemble des pays émergents hors producteurs de pétrole sont passées de 2,8 à 9 % du PIB de 1990 à 2020. L’intégration des pays émergents et de la Chine dans l’économie mondiale a accru l’offre de travail avec plus de deux milliards d’actifs supplémentaires, soit quatre fois celui des pays de l’OCDE. La valeur ajoutée manufacturière des pays émergents représentait 8 000 milliards de dollars en 2019, contre moins de 2 000 en 1997. Sur cette même période, la valeur ajoutée manufacturière des pays de l’OCDE est passée de 4 000 à 5 800 milliards de dollars est donc, désormais, inférieure à celle des pays émergents. Les coûts de production des pays émergents sont quatre fois inférieurs à ceux des pays de l’OCDE. Cet écart a permis la réalisation de gains de productivité grâce aux importations et à une augmentation du pouvoir d’achat relatif des ménages occidentaux.
Dans les années 2020, les pays occidentaux doivent faire face à une série de chocs d’offre négatifs. Le premier est de nature structurelle, le vieillissement de la population. Les plus de 65 ans représentent 25 % de la population de l’OCDE, contre 16 % en chine et 10 % au sein des pays émergents (hors Chine). La population active diminue au sein de l’OCDE comme pour la Chine depuis 2015. La contraction de la population active réduit l’offre de travail quand l’augmentation du nombre de retraités accroît les besoins en services.
Le retrait de la Russie de l’économie mondiale et les destructions d’activités en Ukraine génèrent des chocs pluriels concernant les matières premières, l’énergie et les produits agricoles.
Le poids de la Russie dans la production mondiale atteint :
- 44 % pour le palladium ;
- 16,6 % pour le gaz naturel ;
- 16,4 % pour le titanium ;
- 12,1 % pour le pétrole ;
- 10,6 %pour le blé ;
- 7 % pour le nickel ;
- 4,2 % pour le cuivre ;
- 3,8 % pour l’acier.
De son côté, en 2019, l’Ukraine était le 7e producteur mondial de minerai de fer (réserves 28 milliards tonnes), le 8e producteur de manganèse (réserves 3 milliards de tonnes), le 6e producteur mondial de titane, le 7e de graphite et le 8e d’uranium. Le pays est le 6e producteur mondial de blé et de maïs, le 4e producteur de pommes de terre (20 millions de tonnes). Il produit 9,6 millions tonnes de légumes et 2,1 millions tonnes de fruits. Il est le premier exportateur d’huile de tournesol, le 2e pour le colza, le 3e pour les noix et le miel ; le 4e pour le maïs, l’orge et le sorgho et le 5e pour le blé. En 2019, l’Ukraine est le deuxième plus gros fournisseur de produits bio européen.
Les pays d’OCDE doivent donc faire face à une réduction de la population active doublée d’une perte de production liée au conflit en Ukraine. Ces deux phénomènes sont de nature récessive. Le transfert provoqué par les surcoûts des matières premières et de l’énergie atteint plus de 550 milliards d’euros soit un quart du PIB de la France.
À ces chocs, la relocalisation pourrait en ajouter un autre. Le retour de certaines productions en occident s’accompagnera par une hausse des prix et donc par une diminution du pouvoir d’achat des ménages. La remise en cause du libre-échange est dangereuse pour la croissance. De tout temps, le protectionnisme est synonyme d’appauvrissement.
Comment compenser la perte de pouvoir d’achat ?
Le pouvoir d’achat des ménages recule aux États-Unis et dans la zone euro avec des hausses des salaires inférieures à l’inflation. En France, la contraction depuis le début de l’année dépasse 2,5 %. Cette diminution est censée peser sur la demande des ménages sauf si elle est compensée par une baisse du taux d’épargne ou d’une augmentation des crédits à la consommation.
Aux États-Unis, les ménages ont décidé de ralentir leur effort d’épargne qui est passé de 25 à 5 % du revenu disponible brut de 2020 à 2022. En zone euro, le recul du taux d’épargne est plus faible. Sur la même période, Il est passé, en effet, de 20 à 17 %. Les ménages n’ont pas puisé réellement dans leur épargne covid. Que ce soit aux États-Unis ou en zone euro, les liquidités restent à des niveaux records. Les dépôts des ménages s’élèvent à 16 000 milliards de dollars aux États-Unis et à 9 000 milliards d’euros en zone euro. Pour la France, les dépôts à vue ont battu un record en mars 2022 à 522 milliards d’euros.
Pour faire face à la baisse de leur pouvoir d’achat, les ménages peuvent recourir à l’endettement. Celui-ci progresse rapidement aux États-Unis mais pas en zone euro. Le taux de croissance est de 8 % aux États-Unis pour le crédit à la consommation au début de l’année 2022, contre 1 % en zone euro. Dans cette dernière, le crédit à l’habitat demeure dynamique avec un taux de croissance autour de 4 %. Aux États-Unis, le recours aux crédits alimente la consommation et favorise l’inflation. Cette situation incitera la banque centrale à relever plus fortement ses taux directeurs. Cette hausse des taux devrait freiner la distribution de crédits et ralentir l’économie. En zone euro, la situation est différente. Les ménages demeurent prudents en maintenant un fort taux d’épargne et en ne recourant pas massivement à l’emprunt sauf pour le logement. L’augmentation des taux directeurs devrait y être plus faible. Elle devrait pénaliser l’immobilier et plus faiblement la consommation. En revanche, le maintien d’un taux d’épargne élevé pèse sur la demande interne.