3 septembre 2022

Le Coin de l’Economie – euro – inflation – productivité

La dépréciation de l’euro en question

Au mois d’août 2022, l’euro a perdu 15 % de sa valeur par rapport au dollar du mois d’août 2021. En revanche, l’euro ne s’est pas déprécié par rapport aux autres grandes devises comme le yen ou la livre sterling. Les non-résidents accroissant encore leur détention d’actions en euros, la position nette ouverte sur l’euro n’est pas négative.

La baisse de l’euro est avant tout liée à une appréciation du dollar qui constitue une valeur refuge en période de crise et qui bénéficie du durcissement de la politique monétaire de la FED. Le taux de change de l’euro résiste assez bien compte tenu des incertitudes et des risques qui pèsent sur l’Europe : pénurie énergétique, baisse de la croissance, guerre en Ukraine. Cela peut également signifier que le potentiel de dépréciation de l’euro demeure élevé.

Depuis sa création en 1999, l’euro a été confronté à plusieurs crises qui ont pesé sur son cours. Dès 2000, avec l’éclatement de la bulle Internet, il a connu une forte dépréciation en lien avec la forte aversion des investisseurs pour le risque. Le 31 octobre 2000, un euro valait 0,84 dollar contre 1,1789 le 4 janvier 1999. L’euro s’est apprécié entre 2006 et le début du mois de juillet 2008. Il valait alors 1,58 dollars. La crise des subprimes a entraîné un mouvement de repli (1,29 dollar en mars 2009) puis la crise grecque a provoqué un nouvel accès de faiblesse (1,22 dollar en juillet 2012). Du fait d’une politique monétaire moins expansive que celle en vigueur aux États-Unis, l’euro s’apprécie entre 2012 et 2014 (1,39 en mars 2014). La décision de la BCE de s’engager à compter de 2015 dans une politique monétaire non conventionnelle a, à son tour, entraîné une dépréciation de l’euro (1,06 dollar en novembre 2016). Après avoir baissé durant le premier confinement, l’euro reprend des forces entre la mi 2020 et la mi 2021 (1,2 en juillet 2021) avant de s’éroder depuis (parité avec le dollar à la fin août).

Cours de l’euro/dollar

En 23 ans d’existence, l’euro n’a accru que marginalement son rôle en tant que monnaie de réserve, ce qui le fragilise. Au moment de sa création, l’euro représentait 19 % des réserves de change mondiale. Ce ratio a atteint 28 % en 2009 avant de se stabiliser à 20 % depuis 2015. Le poids du dollar est passé de 71 à 60 % de 1999 à 2021. Lors de son lancement, l’euro a pâti de la diminution de l’offre de monnaies qu’il a provoquée. Les investisseurs qui avaient le choix entre plusieurs devises européennes n’en avaient plus qu’une. Dans le cadre de la politique de diversification, ils ont opté pour d’autres monnaies (pays émergents, Australie, Japon, Angleterre, etc.). Cet effet s’est depuis estompé.

Depuis 2015, les non-résidents de la zone euro ont continué à acquérir des actions européennes. Ils ont en revanche réduit leurs achats en obligations. Les résidents européens ont de leur côté accru leurs achats d’actifs à l’extérieur de la zone euro en privilégiant les États-Unis et les pays émergents d’où une dépréciation de l’euro. L’encours des obligations détenues par les non-résidents est passé de 45 à 38 % du PIB de la zone euro de 2015 à 2021 quand celui en actions est passé de 100 à 125 % du PIB. L’encours en obligations et actions détenues par les résidents est passé de son côté de 120 à 162 % du PIB de 2015 à 2021.

La faiblesse de l’euro est la conséquence d’un différentiel défavorable en matière de taux d’intérêt et d’anticipations économiques négatives. Elle est aussi le résultat des problèmes d’approvisionnement en énergie de l’Europe, de la disparition de l’excédent commercial de la zone euro, et de tensions internes qui pourraient se multiplier en cas de difficultés économiques ou politiques. Le processus de dépréciation de l’euro pourrait donc se poursuivre surtout si les non-résidents vendaient leurs actions en euros en cas de forte récession. A contrario, le durcissement de la politique monétaire devrait conduire en 2023 à un rééquilibrage des taux de part et d’autre de l’Atlantique. Les anticipations sont peut-être exagérément pessimistes pour l’Europe.

Faut-il croire à la fin de l’inflation en 2024 ?

Contrairement à toutes les prévisions établies en 2020, au cœur de l’épidémie de covid-19, le taux de chômage a reculé rapidement et fortement au point d’être à son plus bas niveau au sein de la zone euro, depuis trente ans. Avant la crise des subprimes, en 2007, il était de 7 % quand il s’élevait à 6,5 % au milieu de l’année 2022. De nombreux économistes estiment qu’à ce niveau de chômage, l’inflation sous-jacente ne peut que progresser. Que ce soit en 2001 ou en 2007, avec des taux de chômage plus élevés, l’inflation sous-jacente avait déjà connu des progressions assez marquées. Cette corrélation intervient quand le taux de chômage devient inférieur au taux de chômage structurel. La seule façon d’éviter ce phénomène est d’abaisser le taux de chômage structurel en jouant sur le taux d’emploi et d’employabilité de la population active. En France, il est admis qu’il est difficile de descendre au-dessous de 7 % de chômage. Compte tenu des problèmes de recrutement et de l’augmentation du nombre d’emplois vacants, il est possible que le marché de l’emploi soit confronté à ce problème, ce qui pourrait induire des hausses de salaires et donc favoriser l’inflation.

Les investisseurs en phase les autorités publiques considèrent que l’inflation sera passagère et que les économies occidentales renoueront rapidement avec une hausse modérée des prix. Les swaps d’inflation à un an, horizon 2024, sont à moins de 2 %. Or, rien ne garantit en l’état, un retour à la faible inflation. La stagnation de la population active, voire sa diminution dans de nombreux pays européens, devrait maintenir de fortes pressions en faveur de l’augmentation des salaires, la faiblesse des gains de productivité ne permettant pas de compenser la hausse des salaires et l’absence de main-d’œuvre. Les gains de productivité, faibles en Europe depuis la crise des subprimes en 2008, ont disparu depuis 2019. La transition énergétique se traduira par un relèvement sensible du prix de l’énergie. Elle entraîne des tensions sur de nombreuses matières premières. Enfin, la politique économique menée par les gouvernements européens est de nature inflationniste. En soutenant le pouvoir d’achat des ménages, elle ne contribue pas au ralentissement de la demande qui serait susceptible de diminuer les tensions sur le marché de l’emploi et de réduire les déséquilibres entre offre et demande. Les déficits publics atteignent plus de 5 % du PIB et le retour à 3 % n’est pas attendu avant 2027. La hausse des taux directeurs des banques centrales reste en retrait par rapport à l’évolution de l’inflation. Les marges de manœuvre des autorités monétaires sont assez limitées. Ces dernières doivent prendre en compte le problème de la solvabilité des États et le risque associé de fragmentation de la zone euro.

Pourquoi la productivité décline-t-elle dans la zone euro ?

La zone euro connaît un ralentissement très important de la productivité du travail, depuis 2008, beaucoup plus important que les États-Unis. Cette baisse est un handicap pour la croissance et pour le niveau des rémunérations. Le repli de la productivité en Europe peut s’expliquer par le recul de la durée du travail, la diminution de l’accumulation de capital, le déclin du progrès technique, la baisse des compétences de la population active et la modification de la structure sectorielle de l’économie.

La zone euro a connu un réel décrochage de sa productivité par rapport aux États-Unis depuis trente ans. La productivité par tête n’a progressé que de 20 % en zone euro depuis 1990, contre plus de 80 % aux États-Unis. L’écart s’est creusé au début des années 2000 et après la crise de 2008. Les États-Unis connaissant néanmoins depuis 2019 également une stagnation, voire une diminution de leur productivité.

La baisse de la durée du travail en zone euro

La durée du travail dans la zone euro est en baisse constante surtout depuis 2008, et fortement depuis 2020. Si aux États-Unis, elle est stable depuis trente ans, elle s’est contractée de plus de 10 % au sein des États membres de la zone euro. La crise sanitaire a créé un nouveau décrochage. Moins de salariés européens sont disposés à effectuer un nombre important d’heures et à accepter les emplois avec des horaires décalés. Les entreprises sont contraintes de recourir à un plus grand nombre de salariés pour réaliser un même niveau de production. Ce phénomène induit ne baisse de la productivité par tête.

Le recul de l’accumulation de capital

Une accumulation plus faible du capital conduit normalement à moins de gains de productivité. De 1995 à 2022, le stock de capital net hors logement par emploi n’a augmenté que de 35 % en zone euro, contre 120 % aux États-Unis. Le stock de capital net hors logement a ainsi progressé de 60 % en trente-cinq ans en zone euro quand il a augmenté de 150 % aux États-Unis.

Stagnation et refus du progrès technique

L’Europe, continent des grandes découvertes industrielles et des grandes inventions qui ont changé le cours de l’économie à compter du XVIIIe, est devenue réfractaire au progrès technique. Elle est supplantée par les États-Unis et l’Asie. Depuis 2007, la productivité globale des facteurs ne progresse plus en Europe quand elle a progressé de plus de 15 % aux États-Unis. Les métiers scientifiques attirent peu en Europe et tout particulièrement en France où le niveau en mathématiques a connu un déclin sans précédent lors de ces vingt dernières années. La baisse des compétences de la population active est également mise en avant pour expliquer le décrochage de l’Europe mais celle-ci est également constatée outre-Atlantique. Les États-Unis sont en revanche plus en capacité d’attirer les talents extérieurs. Le taux d’emploi de la zone euro s’améliore tout en restant inférieur à celui des États-Unis où, en revanche, il régresse légèrement. Cette évolution devrait être favorable à la productivité européenne mais pour le moment cela n’est pas constaté.

Une structure de production défavorable à la productivité en Europe

Si la structure sectorielle de l’emploi se déforme au profit d’emplois peu qualifiés, peu productifs, les gains de productivité se réduisent. La tertiarisation a été souvent jugée responsable de l’évolution de la productivité. Le développement des emplois dans les services dits domestiques (services à la personne en particulier) ne favorise pas la diffusion du progrès technique. Cette tertiarisation ne saurait expliquer l’écart de productivité entre les États-Unis et l’Europe. L’emploi industriel a diminué plus rapidement outre-Atlantique que sur le vieux continent. En 2021, son poids au sein de la population active était respectivement de 8 et de 13 %. Les emplois de services peu sophistiqués (services à la personne, distribution, hébergement- restauration, loisirs, transports) représentent 33 % des emplois aux États-Unis, contre 31 % en zone euro. Ces dernières années, l’emploi dans les Nouvelles Technologies progresse plus vite dans la zone euro qui rattrape son retard sur les États-Unis. En revanche, en matière de services financiers, l’écart de part et d’autre de l’Atlantique reste conséquent. Les emplois dans ce secteur représente 6 % de l’emploi aux États-Unis, contre 2 % en zone euro.

Le ralentissement de la productivité du travail dans la zone euro s’explique essentiellement par le recul de la durée du travail et par une moindre accumulation du capital ainsi que par un rapport dégradé au progrès technique. La zone euro paie l’absence de grandes entreprises dans le secteur des nouvelles techniques de l’information et de la communication. Elle est également handicapée par la fragmentation de son marché en particulier au niveau financier, ce qui limite les capacités de croissance des entreprises européennes.