Le Coin de l’Economie -France forces et faiblesses – zone euro – capitalisme
Forces et faiblesses de la France
Deuxième puissance économique de la zone euro, après l’Allemagne, la France est souvent pointée du doigt pour ses faiblesses. Elle n’en conserve pas moins quelques atouts non négligeables qui pourraient permettre à terme un redressement. La liste des faiblesses économiques de la France est longue et connue. Figurent dans cette liste, le taux d’emploi faible, la désindustrialisation, la disparition des gains de productivité, le recul du niveau des compétences et la progression de l’endettement. Parmi les atouts, peuvent être cités la force de l’épargne, la reprise de l’investissement des entreprises et l’augmentation des dépenses de Recherche – Développement.
Un déficit criant d’emplois en France
La France se caractérise par un taux d’emploi faible même s’il est en hausse depuis 2020. Selon l’OCDE, il s’élève à 67,5 % en 2022, contre 74,8 % au Royaume-Uni, 75 % en Suède, 76 % en Allemagne, 77,5 % au Japon et 80 % aux Pays-Bas. Ce déficit d’emplois réduit la production. Il pèse sur le montant des recettes publiques et conduit les pouvoirs publics à financer des prestations sociales. Il est responsable, en grande partie, de l’écart de déficit public avec les États d’Europe du Nord, et donc de la hausse de l’endettement. Il est enfin un facteur de montée des inégalités.
Une désindustrialisation préoccupante
Le poids de l’industrie manufacturière dans l’économie est en baisse constante depuis les années 1970. En 2023, 9 % de la population active travaille dans l’industrie contre 13 % en 2002 et 40 % en 1974. La France est avec le Royaume-Uni et les États-Unis le pays qui a connu le recul le plus important de son industrie. Selon Eurostat, en 2022, l’emploi manufacturier représentait encore 11 % de la population active en Suède, 15 % en Italie ou au Japon et 16 % en Allemagne.
L’inquiétante disparition des gains de productivité
Depuis la crise sanitaire, la productivité française recule. Début 2023, elle est inférieure de 2,5 % à son niveau de 2019. Ce recul s’explique par le maintien des effectifs dans l’industrie malgré la diminution de la production provoquée par les problèmes d’approvisionnement ainsi que par la hausse des matières premières et de l’énergie. ce recul est également due au développement de l’apprentissage et de la formation par alternance. Elle est enfin provoquée par les difficultés de recrutement des entreprises pour les postes à forte pénibilité ou à horaires décalés. Les entreprises sont contraintes d’arbitrer entre réduction de leur production et doublement les postes. La baisse de la productivité est plus forte en France que dans les autres pays de l’Union européenne, à l’exception de l’Espagne. La forte désindustrialisation de la France accentue ce phénomène. L’économie de la France repose de plus en plus sur les services dits domestiques.
Un problème de formation récurrent
La France est distancée par de nombreux pays en ce qui concerne les compétences de la population active. Selon l’enquête PIAAC de l’OCDE (numératie et littératie), elle se classe au 21e rang loin derrière le Japon, la Finlande, les Pays-Bas ou la Suède. L’Allemagne se situe au 14e rang. Ces faibles compétences des actifs en partie due au faible niveau des élèves. L’enquête PISA de l’OCDE (sur les compétences scientifiques et littéraires des enfants) souligne que la France est distancée par ses principaux partenaires et que le niveau de son système éducatif continue à reculer.
L’enquête TIMSS sur le niveau en sciences et en mathématiques (enfants de 4e, 8egrade) place la France au dernier rang de l’OCDE.
Cercle de l’Épargne – données TIMMS
La France se caractérise par une proportion importante de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation (NEET). Selon l’OCDE, le taux s’élevait, en 2022, à 15 % en France, contre 12 % au Royaume-Uni, en Suède ou en Autriche, à 10 % en Allemagne et à 8 % aux Pays-Bas.
Des reculs inquiétants dans certains secteurs stratégiques
Que ce soit dans le secteur de l’énergie, ceux de l’automobile ou des médicaments, la France est en recul. L’énergie nucléaire a pâti de l’absence de commandes de centrales pendant plus de vingt ans. Le manque d’ingénieurs et de techniciens constitue un handicap tant pour l’entretien des centrales existantes que pour la construction de nouveaux réacteurs. Ce déficit de compétences est également un problème pour l’industrie de la défense. La France est le 5e producteur d’automobiles d’Europe, loin derrière l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.
Des finances publiques dégradées
La France a accumulé 50 ans de déficits budgétaires occasionnés essentiellement par la progression des dépenses sociales qui représentent plus du tiers du PIB. La dette publique qui était de 24 % du PIB en 1981 dépasse, en 2023, 111 % du PIB. En vingt ans, elle a été presque multipliée par deux.
Ces faiblesses de l’économie française créent un cercle vicieux. Le faible niveau de compétences empêche une réindustrialisation rapide. Le pays est contraint de se spécialiser sur des emplois de service à faible rémunération et à faibles gains de productivité. Cela concourt au déclin de la croissance potentielle. Le taux d’emploi réduit ne permet pas un rééquilibrage des comptes publics.
La France conserve quelques atouts
La France dispose d’un large marché de consommation et homogène. À la différence des autres pays de l’Union européenne, ce marché est porté par une croissance de la population.
La France a conservé certains secteurs d’excellence comme celui du luxe. Les principales marques de luxe sont contrôlées par des groupes français (LVMH, Kering, Hermès, l’Oréal). Le secteur de l’aéronautique avec Airbus et Dassault demeure également présent sur le territoire national. Plusieurs entreprises françaises jouent un rôle clef dans le secteur des hautes technologies (STMicroelectonics, Dassault System, Air Liquide, Essilorluxottica, etc.). Les pouvoirs publics ont décidé d’épauler plusieurs filières jugées stratégiques. Le plan « France 2030 », doté de 54 milliards d’euros déployés sur 5 ans concerne le financement en faveur de la production de batteries, énergies renouvelables ou hydrogène. La baisse de l’emploi industriel semble être enrayée, une légère progression des effectifs étant constatée depuis 2021.
L’investissement des entreprises en hausse
L’investissement des entreprises, longtemps étale, est en progression depuis 2016. Il représentait en 2022, 14 % du PIB, contre 10 % en 2002 ou 12 % en 2016. De plus en plus de capitaux d’origine étrangère s’investissent en France. Les levées de fonds de start-up technologiques sont passées de 5 milliards d’euros en 2019 à 11,6 milliards d’euros en 2022. Le nombre de licornes (entreprises de plus de 1 milliard d’euros de capitalisation) est désormais de 40 (29 fin 2021). Les dépenses de Recherche-Développement et de robotisation, qui sont encore trop faibles, progressent néanmoins.
Elles atteignent 2,4 % du PIB. Elles demeurent malgré tout loin derrière celles des États-Unis (3,5 %) ou celles de la Corée du Sud (5 %). Le nombre de robots dans l’industrie est en augmentation. Il est de 2 pour 100 emplois manufacturiers, contre 3,5 en Allemagne, 4 au Japon ou 8 en Corée.
Une épargne abondante
La France peut compter sur une épargne abondante. Le taux d’épargne des ménages dépasse 16 % du revenu disponible brut. Les Français sont ceux qui épargnent le plus avec les Allemands et les Suédois. Une meilleure allocation de l’épargne permettrait de soutenir plus activement l’économie.
Si les faiblesses sont nombreuses et handicapantes, elles ne sauraient faire oublier les atouts dont dispose l’économie française. Plusieurs inflexions sont en cours permettant d’espérer une amélioration de la situation. Un léger redressement de l’emploi industriel, une hausse de l’effort d’investissement des entreprises, une progression des dépenses de R&D et de robotisation sont constatés. Le nombre des entreprises technologiques augmente depuis quelques années. L’amplification de cette tendance est nécessaire afin de rattraper le retard pris par l’économie française depuis une dizaine d’années.
La zone euro, ses déficits et ses taux d’intérêt
Dans la zone euro, depuis 2015, l’incitation à l’endettement a été forte avec des taux d’intérêts réels faibles voire négatifs et inférieurs à la croissance potentielle du PIB. L’augmentation des taux d’intérêt pourrait créer des tensions financières au sein de la zone euro, surtout si l’inflation décroît.
Depuis 2002, la dette publique au sein de la zone euro a augmenté de 25 points de PIB, passant de 70 à 95 % du PIB. La hausse est rapide depuis la crise financière, la décrue intervenue de 2012 à 2019 a été effacée par la crise sanitaire et par la guerre en Ukraine. Le poids de l’endettement a été freiné par la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne. Depuis 2015, les taux d’intérêt réels sont négatifs. En 2022, ils ont été de -3 %, ce qui constitue leur niveau le plus bas en vingt ans. Depuis 2021, les États bénéficient de l’inflation pour diminuer le poids de leur endettement en valeur relative. L’inflation contribue également à diminuer les taux d’intérêt réels.
En 2023, la taxe inflationniste représente plus de 2,5 points de PIB. Elle correspond au produit de la base monétaire (de l’offre de monnaie de banque centrale) et du taux de croissance du prix du PIB. De 2002 à 2018, elle ne dépassait pas 0,5 point de PIB. L’effet cumulé de l’inflation et des faibles taux est évalué à 6 points de PIB. Grâce à ce double effet, la dette souveraine est soutenable. En 2024, la situation pourrait se tendre. L’inflation totale de la zone euro devrait descendre vers 2,5%/3 %, y compris en tenant compte des facteurs inflationnistes (coût de la transition énergétique, coût des relocalisations, vieillissement démographique). Ce repli de l’inflation devrait provoquer l’apparition de taux d’intérêt réels à long terme positifs et supérieurs à la croissance potentielle. Plusieurs facteurs conduisent à une augmentation des taux. Les déficits publics devraient rester élevés en lien avec une pression à la hausse des dépenses publiques. La transition énergétique, les besoins militaires croissants et le vieillissement démographique sont autant de facteurs conduisant à une progression des dépenses. Les besoins de financement du secteur privé sont également orientés à la hausse (transition énergétique, digitalisation). La croissance potentielle de la zone euro est, par ailleurs, sur une tendance baissière en raison d’une érosion des gains de productivité et de la décroissance de la population active.
Avec des taux d’intérêts réels supérieurs à la croissance potentielle, les États les plus endettés de l’Union européenne, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la France, sont exposés à un risque de crise de solvabilité. La France se caractérise par un solde primaire négatif (déficit avant paiement des intérêts de la dette) et par un déficit de la balance des paiements courants, mais a comme atouts un fort taux d’épargne et une population active encore en croissance. L’Espagne obtient depuis plusieurs années des taux de croissance plus élevés que les autres pays de l’Union. L’Italie est pénalisée par une contraction de sa population active et par le niveau élevé de sa dette publique. En revanche, ces dernières années, ce pays a réussi à dégager un solde primaire positif et une balance des paiement courants positive (à l’exception de 2022).
Vers un capitalisme plus redistributif en Europe ?
Dans la zone euro, la question du pouvoir d’achat pourrait perdurer au-delà de la vague inflationniste. La transition énergétique pourrait provoquer d’importants surcoûts. L’atonie des gains de productivité ne permet pas de compenser ces surcoûts. Les pressions en faveur d’une plus forte redistribution sociale devraient se manifester au sein des pays occidentaux et notamment au sein de la zone euro.
La transition énergétique s’accompagnera d’une hausse des prix de l’énergie. La substitution des énergies renouvelables aux énergies carbonées est source d’inflation du fait de l’intermittence des premières. Des équipements de secours permettant de palier à l’insuffisance de production de l’éolien ou du solaire et la mise en place de dispositifs de stockage devront être réalisés en plus des infrastructures propres aux énergies renouvelables.
Cette hausse des prix de l’énergie affectera en premier lieu les ménages à revenus modestes, pour lesquels le poids de l’énergie dans le revenu est très élevé. Les dépenses pré-engagées des 20 % des ménages les plus modestes représentaient, en 2017, 22 % de leur budget, contre 12 % pour ceux se situant dans le dernier quintile de revenus.
Les salaires ne devraient suivre qu’imparfaitement les hausses des prix de l’énergie provoquant une perte de pouvoir d’achat pour les ménages à faibles revenus. Cette sous-indexation sera accentuée en cas d’absence de gains de productivité. Depuis le début de la vague inflationniste, les salaires augmentent deux fois moins vite que l’inflation.
L’écart de revenus entre ménages modestes et aisés se double d’un écart croissant au niveau du patrimoine. Depuis une dizaine d’années, les richesses tendent à se concentrer. La forte valorisation des patrimoines immobiliers et financiers a facilité ce phénomène. Les ménages aisés ont accès à des placements financiers (actions, private equity) et immobiliers dont le rendement est plus élevé que les placements financiers (livrets par exemple) accessibles aux ménages modestes. Pour se constituer un patrimoine immobilier, les ménages aisés ont pu s’endetter à de meilleures conditions que ceux ayant des revenus modestes.
En 2022, 1 % des ménages les mieux dotés en capital au sein de la zone euro possédait 24,5 % du patrimoine national, contre 23,2 % en 1999. En vingt ans, le prix des maisons a été multiplié par 2,5 en zone euro et l’indice boursier par 1,5. Cette concentration crée des tensions sociales de plus en plus vives. L’augmentation du prix de l’immobilier empêche de nombreux ménages, en particulier les plus jeunes, d’acquérir leur résidence principale. L’augmentation des dépenses de logement contribue au sentiment d’appauvrissement. Cette évolution des revenus et des richesses est intervenue dans une période de relative stagnation salariale en lien avec la nécessité de maintenir un haut niveau de compétitivité dans un contexte de faibles gains de productivité. La déformation du partage de la valeur ajoutée s’est faite au détriment des salariés dans de nombreux États de la zone euro, mais pas dans l’ensemble des pays et, en particulier, pas la France. Face à la montée des inégalités, quelles sont les réponses des gouvernements ? Ils peuvent geler les prix de l’énergie ou multiplier les chèques de soutien (énergie, transports, alimentaire, etc.) En France, en 2022, un tiers des revenus des 20 % des ménages les plus modestes provient des pouvoirs publics. Cette proportion monte à 50 % pour les 10 % les plus modestes. Cette socialisation des revenus, en dévalorisant le travail, génère de la frustration et de l’amertume pour les bénéficiaires, et des rancœurs pour ceux qui sont amenés à la financer. Elle accentue la segmentation de la population. Une revalorisation des salaires en lien avec un renforcement des gains de productivité serait une solution socialement et économiquement préférable. Une action en faveur de l’accès au patrimoine serait également salutaire. L’augmentation de l’offre de logements et la mise en place de dispositifs de lutte contre les plus-values immobilières seraient souhaitables.