3 décembre 2022

Le Coin de l’Economie -hyperinflation – déclin de la zone euro – emploi – politique monétaire

La menace de l’hyperinflation est-elle sérieuse ?

En Allemagne, le dollar, qui s’échangeait autour de 420 marks en juillet 1922, valait 49 000 marks en janvier 1923. Le prix au détail passe de l’indice 1 en 1913 à 750 milliards en novembre 1923. Dans les restaurants, le prix des repas servis varient entre le moment de la commande et celui où ils sont présentés aux clients. Des crieurs de prix sont payés afin d’informer ces derniers des changements de prix. Pourrions-nous renouer avec l’hyperinflation à l’Allemande ? Depuis un an, l’inflation est en progression, alimentée par la hausse des matières premières, de l’énergie et des produits agricoles. La multiplication des pénuries concernant tant les biens intermédiaires que la main-d’œuvre, contribue également à la hausse des prix. Celle-ci est également favorisée par l’importance des liquidités injectées dans l’économie par les banques centrales depuis la crise financière de 2008/2009. Dans ce contexte, les banques centrales peuvent-elles perdre le contrôle de l’inflation, celle-ci se muant en hyperinflation ?

La transformation de l’inflation en hyperinflation suppose en règle générale une forte indexation des salaires nominaux sur les prix, générant une boucle prix/salaire. Pour le moment, que ce soit aux États-Unis ou en zone euro, la sous-indexation des salaires aux prix est de mise. En zone euro, selon Eurostat, les salaires nominaux augmentent de 4 % quand l’inflation dépasse 10 %. Aux États-Unis, les salaires nominaux progressent de 5 % avec une inflation qui évolue autour de 8 %. L’accélération de l’inflation, en zone euro, provoque la multiplication des revendications salariales. Aix États-Unis, la stabilisation de l’inflation pourrait réduire ce risque.

L’évolution de l’inflation dépend des politiques monétaires pratiquées. Aux États-Unis, elle est restrictive du fait de la hausse des taux directeurs et, plus encore, en raison de la réduction depuis le mois de juillet de de l’offre de monnaie. Au sein de la zone euro, la banque centrale a relevé plus modérément ses taux et la réduction de la base monétaire n’a pas réellement été amorcée.

L’hyperinflation se nourrit également de la dépréciation du taux de change qui renchérit le coût des importations. Le dollar s’étant apprécié, ce phénomène n’est pas à l’ordre du jour aux États-Unis. L’euro s’est déprécié surtout par rapport au dollar jusqu’au mois de septembre 2022. Il s’est depuis stabilisé voire a légèrement augmenté.

Une politique budgétaire expansive est une source d’alimentation de l’inflation. Aux États-Unis, la réduction du déficit est rapide : il est passé de 14 à 4 % du PIB de 2020 à 2022. Pour la zone euro, sa réduction est plus lente. Il devrait s’élever à 4,5 % du PIB en 2022, contre 7 % en 2020. Il pourrait se situer entre 4 et 5 % en 2023.

Si des facteurs d’accélération de l’inflation existent de part et d’autre de l’Atlantique, ils sont plus puissants au sein de la zone euro. Celle-ci est exposée plus nettement aux surcoûts provoqués par la guerre en Ukraine. Le fort endettement des États membres limite les marges de manœuvre de la banque centrale. Malgré tout, en l’état actuel, ni les États-Unis, ni la zone euro ne sont menacés par une hyperinflation.

Faut-il craindre le déclin de la zone euro ?

L’idée du déclin de l’Europe et plus globalement de l’Occident est une antienne régulièrement remise au goût du jour. Les statistiques économiques semblent néanmoins souligner un réel recul de l’Europe depuis vingt ans. Si durant les années 1960/1990, les États européens avaient en grande partie comblé leur retard sur les États-Unis, depuis une génération, ils décrochent de manière substantielle. Le PIB ainsi augmenté de 70 % de 2002 à 2022 aux États-Unis, contre moins de 40 % pour la zone euro. Le poids de cette dernière au sein de l’économie mondiale est passé de 23 à 14 % du PIB de 2007 à 2022, quand les États-Unis ont réussi à maintenir le leur autour de 24 %.

Sur le plan économique, six facteurs expliquent le recul de l’Europe : le vieillissement accéléré de sa population, l’insuffisance de l’effort de recherche et d’innovation, le recul de la durée du travail, la disparition des gains de productivité par tête, la faiblesse des compétences, la diminution du poids de l’industrie et le déclin technologique. Tous ces facteurs se cumulent pour conduire au recul de la production.

L’Europe et le vieillissement accéléré de sa population

La population active de la zone euro diminue de 0,4 % par an. Cette diminution devrait s’accélérer ce qui pèse sur la croissance potentielle. Aux États-Unis, elle devrait continuer à augmenter dans les trente prochaines années. Les pénuries de main-d’œuvre devraient se multiplier en Europe. La production sera entravée avec, en outre, des tensions sur les prix plus élevés. L’absence de gains de productivité accroît l’acuité de ce problème.

L’Insuffisance de l’effort de recherche et d’innovation

L’effort de recherche et d’innovation de la zone euro s’élève à 2,5 % du PIB. Il est désormais inférieur à celui de la Chine. Celui des États-Unis dépasse 3,5 % du PIB. L’Europe est relativement absente dans les techniques de l’information et de la communication. Son point fort, l’industrie automobile, est à la peine du fait du retard pris en matière de production de batteries. Parmi les secteurs de pointe demeurent l’aéronautique et la santé qui sont de plus en plus soumis à la concurrence des pays émergents et des États-Unis.

L’effort au travail en baisse tout comme la productivité

Le temps de travail par salarié recule fortement dans la zone euro. Il a diminué de 8 % en vingt ans, contre moins de 4 % pour les États-Unis. Cumulé à la faiblesse de l’investissement, de recherche/développement, cette diminution provoque une contraction de la productivité par tête. L’investissement total des entreprises a augmenté de 120 % de 1998 à 2022 aux États-Unis quand la hausse n’a été que de 40 % en zone euro. Sur la même période, la productivité par tête a progressé de 60 % aux États-Unis, contre moins de 15 % en zone euro. Les États-Unis ont profité des gains de la digitalisation à la différence de l’Europe.

Les compétences faibles en Europe du Sud

Les États d’Europe du Sud, France comprise, se caractérisent par un niveau moyen à faible des compétences des actifs. Selon le classement PIAAC de l’OCDE, la France est 21e, la Grèce 24e, l’Italie 25e et l’Espagne 26e loin derrière les pays asiatiques ou ceux d’Europe du Nord.

La zone euro handicapée par la faiblesse de l’industrie et du secteur technologique

Le poids de l’industrie est, en moyenne pour la zone euro, faible, 15 % du PIB, contre 21 % au Japon. Certes ce poids est encore plus faible aux États-Unis, 12 % du PIB mais ce pays dispose d’un secteur technologique important. En 2022, ce secteur concentre plus de 4,5 % des emplois salariés aux États-Unis, contre 3 % au Japon et zone euro.

L’Europe pour contrecarrer les facteurs déclinistes doit jouer tout à la fois sur la démographie, en acceptant une augmentation de l’immigration, la recherche en accroissant le niveau de dépenses avec une meilleure acceptation de la part de la population du progrès, l’augmentation du volume de travail et le développement des secteurs de pointe. Une intégration plus poussée des États membres avec la mise en place d’un marché unifié des capitaux et notamment du private equity tout comme l’élaboration de politiques de soutien à la recherche et à l’innovation communautaire seraient souhaitables. Les États-Unis bénéficient d’une profondeur de marché bien plus importante avec des politiques fédérales qui jouent un rôle important dans l’émergence des nouvelles technologies.

Les politiques monétaires accommodantes ont-elles été une erreur ?

Les Banques Centrales des pays de l’OCDE ont toutes été confrontées au recul de l’inflation en dessous de l’objectif de 2 % de 2012 à 2020. Par crainte de l’enclenchement d’une spirale déflationniste, elles ont réagi en mettant en œuvre une politique monétaire expansionniste se caractérisant par des taux d’intérêt à court terme nuls ou négatifs et des rachats de titres aboutissant à une forte augmentation de la masse monétaire. Avant la survenue de la crise sanitaire, l’inflation ne s’était pas réellement relevée à la différence des prix de l’immobilier et des actions. L’endettement des agents économiques a atteint des niveaux importants. Les États ont maintenu des politiques budgétaires expansionnistes, aidés en cela par les faibles taux d’intérêt.

De la fin des années 1990 à la crise des subprimes, l’inflation et l’inflation sous-jacente ont oscillé autour de l’objectif d’inflation des Banques Centrales. Celles-ci ont pratiqué en début de période une politique assez accommodante pour la durcir à partir de 2005 du fait des tensions inflationnistes qui se faisaient jour. La crise des subprimes provoque une rupture, l’inflation tend naturellement à repasser en-dessous des 2 %. Les banques centrales optent pour des politiques non conventionnelles avec des rachats d’obligation et un passage des taux directeurs à zéro voire en terrain négatif. La Réserve fédérale a mis en œuvre cette politique dès 2008. La BCE a été moins prompte à l’adopter notamment pour des raisons juridiques et des divisions internes. Néanmoins, à partir de 2015, la BCE s’aligne en la matière sur la FED. La base monétaire passe ainsi de 1 500 milliards à 4 500 milliards de dollars de 2007 à 2016 aux États-Unis et de 1 500 à 3 000 milliards d’euros pour la zone euro. La crise sanitaire provoque une amplification des politiques non conventionnelles, la baisse monétaire atteignant 9 000 milliards de dollars aux États-Unis et 6 000 milliards d’euros.

cette politique monétaire expansionniste a été inefficace, puisque de 2008 à 2020, elle a été incapable de faire remonter l’inflation. L’injection de liquidités dans l’économie a essentiellement provoqué l’augmentation des prix des actifs financiers et immobiliers. La baisse des taux d’intérêt des obligation via un mécanisme de rééquilibrage de portefeuilles a conduit à l’affectation d’une partie de la monnaie créée dans différents actifs (actions, cryptoactifs et immobilier). La monnaie n’a pas été utilisée pour financer des achats de biens et services. L’indice boursier S&P500 a été multiplié par 5 de 1998 à 2021. Les multiples de valorisation des opérations de private equity (multiples d’EBITDA) sont passés de 8 à 20 de 2004 à 2021 aux États-Unis et de 6 à 10 en zone euro. Le prix des logements a plus que doublé en vingt ans aux États-Unis comme en zone euro.

La politique monétaire expansionniste a provoqué un gonflement de l’endettement qui rend difficile son inversion. La dette publique représente plus de 120 % du PIB aux États-Unis et 100 % en zone euro. La dette des ménages et des entreprises aux États-Unis s’élevaient, fin 2021, à 120 % du PIB et en zone euro à 160 % du PIB.

Pour endiguer l’inflation générée par la crise covid (désorganisation des circuits de production, plans de relance) et par la guerre en Ukraine, les banques centrales sont condamnées à relever leurs taux directeurs mais la sensibilité de agents économiques à cette hausse est bien plus élevée aujourd’hui que dans le passé en raison de leur niveau d’endettement. Pour éviter tout blocage financier, le durcissement de la politique monétaire doit s’accompagner d’un resserrement de la politique budgétaire et une hausse de l’épargne privée, ce qui signifie, du moins dans un premier temps, un ralentissement marqué de la croissance. Cette politique devrait provoquer un recul des prix des actifs financiers et des prix de l’immobilier. Ce schéma théorique peut ne pas se vérifier. Les gouvernements sont tentés de maintenir, surtout en Europe, un filet de sécurité important en matière de pouvoir d’achat. Ils s’opposent ainsi à la politique monétaire restrictive en évitant une baisse de la consommation. De ce fait, ils acceptent le principe d’une inflation plus forte que dans le passé qui offre l’avantage de réduire le poids de la dette. Les taux d’intérêt restent bas au vu de l’inflation ; ils sont en termes réels même fortement négatifs. La politique monétaire ne peut pas donc être considérée comme restrictive.

Les États européens éprouvent les pires difficultés à sortir des politiques monétaires accommodantes en raison de l’endettement public et privé élevé. Les taux bas jouent le rôle de drogue. Le sevrage est problématique. Les gouvernements auraient dû privilégier la carte budgétaire entre 2008 et 2016 pour relancer l’inflation et non abuser de l’arme monétaire. En stimulant directement la demande de biens et de services, les prix ont tendance à augmenter. Ce phénomène a été vérifié en 2021 avec la multiplication des plans de relance. À la sortie de la crise financière, les États occidentaux ont souhaité réduire rapidement leurs déficits publics. Les autorités européennes ont imposé des plans de rigueur aux États enregistrant des déficits élevés (déficits publics et déficits de la balance des paiements courants), ce qui a contribué à ralentir la croissance. Après la crise des dettes souveraines, la zone euro est entrée en récession en raison de la réduction des déficits publics et d’une politique monétaire qui restait alors conventionnelle. À partir de 2015, implicitement, il est demandé à la BCE d’assurer tout à la fois le retour de la croissance, l’amélioration du marché de l’emploi et le retour de l’inflation de 2 %. La politique monétaire avait un nombre exagéré d’objectifs à atteindre ce qui a conduit à l’atteinte d’aucun d’entre eux. En 2022, la BCE a tardé à s’attaquer à maitriser l’inflation et les États ont conservé une grande partie de l’arsenal mis en place lors de la crise sanitaire. Les États-Unis semblent avoir fait preuve de plus de réactivité mais ils faut souligner qu’ils sont moins exposés que l’Europe au risque énergétique.

Augmentation du taux d’emploi ou de la pression fiscale, à vous de choisir !

Pour financer la transition énergétique, les besoins supplémentaires de dépenses publiques pour la santé, l’éducation, la recherche, les dépenses militaire ou la retraite, l’augmentation des impôts et des cotisations sociales apparaît incontournable. L’autre voie serait de privilégier l’amélioration du taux d’emploi.

La transition énergétique nécessitera une progression sensible des dépenses d’investissement des administrations publiques. Elle obligera également de compenser les surcoûts pour les ménages les plus modestes. Le surcroit des dépenses est évalué à deux points de PIB au minimum.

La progression du nombre de retraités, qui est censé passer de 17 à 23 millions de 2022 à 2070 empêchera la réalisation d’économies sur ce poste. Le gouvernement entend maintenir leur poids au sein du PIB en-dessous de 14 % du PIB. La France figure avec l’Italie parmi les pays de l’OCDE où le poids des dépenses de retraite est le plus élevé. Les dépenses liées à la dépendance devraient s’accroître avec le doublement du nombre de personnes concernées d’ici 2040. Du fait du vieillissement de la population, les dépenses de santé devraient progresser d’ici le milieu du siècle. Le supplément de dépenses est évalué à un point de PIB.

Pour rattraper son retard, la France comme les autres pays européens devront augmenter leurs dépenses de recherche développement. Elles s’élevaient en France à 2,3 % du PIB, contre 3,5 % du PIB aux États-Unis. La nécessité de remettre à niveau les équipements militaires suppose un effort de 0,5 à 1 point de PIB.

Les besoins de financement peuvent être estimés à 5 ou 6 points de PIB ce qui, toute chose égale par ailleurs, amènerait le déficit public autour de 10 points de PIB. Or, avec la remontée des taux d’intérêt et compte tenu du poids de la dette publique, un tel montant de déficit est intenable sur la durée. Pour limiter son ampleur, le gouvernement pourrait décider d’accroître le niveau des prélèvements obligatoires. Or, avec un taux de 47 % du PIB en 2021, la France a le taux le plus élevé de la zone euro en lien avec un niveau record de dépenses publiques, 57 % du PIB. En ce qui concerne les prélèvement, la France dépasse la Belgique (46 %), l’Autriche (43,7 %) et l’Italie (43,6 %). Au sein de l’Union européenne, seule le Danemark (48,8 %) a un taux plus élevé. Par rapport à l’Allemagne, l’écart est de 5 points. Les marges de manœuvre en matière fiscale sont donc faibles. Toute augmentation nuira à la compétitivité de l’économie ou à la consommation et donc à la croissance.

Pour éviter la hausse de la pression fiscale, la solution passe par le taux d’emploi et par un accroissement de la création de richesses, supérieur à celui des besoins de financement public. Si la France avait le même taux d’emploi que l’Allemagne (75 % en lieu et place de 67 %), le supplément de recettes fiscales serait selon le calcul de Patrick Artus, chef économiste de Natixis, de 5,7 points de PIB.

Pour obtenir cette hausse forte du taux d’emploi, la France devrait améliorer l’employabilité des jeunes et des séniors.

Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans même s’il est en nette baisse demeure trois fois plus élevé en France qu’en Allemagne, 16 % contre 5 %. La proportion de jeunes déscolarisés et sans emploi ayant entre 15 et 29 ans est de 15 % en France, contre 10 % en Allemagne. Pour réduire cet écart, un effort important devrait être consacré pour faire progresser l’efficience du système éducatif française. Selon la dernière enquête PISA de l’OCDE sur le niveau des élèves, classe la France loin derrière les États d’Europe du Nords. Depuis 2000, le niveau des élèves allemands progresse quand celui de la France diminue.

Si le taux d’emploi des 55/64 ans a progressé depuis 2010 en France passant au-dessus de 50 %, il demeure faible pour la tranche d’âge 60/64 ans, 35 % contre 62 % pour l’Allemagne. Au-delà de la question sensible de l’âge légal de départ à la retraite, un effort devrait être entrepris pour développer la formation professionnelle des personnes de plus de 50 ans et pour faciliter l’employabilité des seniors.

Enfin, même si le taux de chômage de la France diminue, il est désormais de 7,2 %, il demeure quatre points au-dessus de celui de l’Allemagne. Le niveau de compétences moyens des salariés est en-dessous de la moyenne européenne ce qui nécessite une amélioration de la qualité du système de formation professionnelle et une action ciblée en la matière en faveur des demandeurs d’emploi.

Accroître le nombre de personnes en emploi est la condition sine qua non pour éviter une augmentation de la pression fiscale et une attrition économique. Compte tenu du volume de dépenses publiques à financer, l’option de l’augmentation de la croissance potentielle apparaît préférable faute de quoi les pouvoirs publics seront contraints de réaliser des arbitrages dans les dépenses. Ils devront alors choisir entre les retraites, la santé, la dépendance, l’éducation, la défense ou la transition énergétique….