Le Coin de l’économie – immobilier – France – déficits publics – croissance – zone euro
Crise immobilière, un effet quantité plus qu’un effet prix
Depuis plusieurs mois, les professionnels de l’immobilier soulignent l’entrée en crise de leur secteur d’activité en raison de la hausse des taux d’intérêt. Ces derniers ont beau être inférieurs à leur niveau du début des années 2000, leur augmentation a été durement ressenti par les acheteurs. La progression du prix de l’immobilier ces vingt dernières années renforce l’acuité du prix accru de l’argent. L’ajustement en cours s’effectue après plusieurs années exceptionnelles sur le plan des prix et du nombre de transactions. La hausse des taux n’a pas l’effet attendu en ce qui concerne les prix qui baissent peu ; elle a provoqué surtout un recul des transactions. Sur ce sujet, les professionnels ne comparent pas leur situation actuelle par rapport à celle résultant de la moyenne de ces dix dernières années mais par rapport à celle des meilleures années
Les ménages sont sensibles aux taux d’intérêt nominaux à long terme plus qu’aux taux d’intérêt réels (taux d’intérêt déflatés de l’inflation). La capacité d’endettement des emprunteurs est mesurée par rapport à leur revenu courant. Entre 2022 et 2023, la hausse des taux des crédits immobiliers a été brutale. Ces derniers sont passés en zone euro de moins de 2 % à plus de 4 % en un an et de 3 à 7 % aux Etats-Unis. Ces taux ont évolué en parallèle avec ceux des obligations d’Etat qui ont progressé avec la fin des politiques monétaires non conventionnelles. En règle générale, les prix de l’immobilier réagissent rapidement et fortement aux évolutions des taux d’intérêt. Or, ce phénomène n’est pas réellement constaté depuis le milieu de l’année 2022. Aux Etats-Unis, les prix de l’immobilier ont certes baissé en 2022 mais ils ont repris leur hausse dès 2023. Ils se situent, désormais début 2024, au-dessus de leur niveau de 2019. En zone euro, la baisse reste faible, autour de 5 sur un an. De ce fait, entre 2010 et 2024, les prix de l’immobilier ont plus que doublé aux Etats-Unis et ont augmenté de 50 % en zone euro. En revanche, la construction de logements et les transactions immobilières connaissent une forte baisse. Les mises en chantier ont diminué de 22 % aux Etats-Unis de 2021 à 2023 et de 20 % en zone euro. Chez cette dernière, la baisse atteint même 40 % entre 2018 et 2023. Depuis la crise des subprimes, que ce soit aux Etats-Unis ou en zone euro, le secteur de la construction n’a jamais retrouvé son niveau de 2007. Les mises en chantier sont passées de 2,2 millions en 2007 à 1,5 million aux Etats-Unis. Pour la zone euro, la baisse atteint plus de 50 %. L’accès aux crédits a été durci réduisant le nombre de primo-accédants. Ces derniers sont également pénalisés par la hausse des prix immobiliers et la hausse des taux depuis 2022.
Les ventes de maisons anciennes sont en recul aux Etats-Unis de 30 % entre 2021 et 2023. Sur la même période, la baisse est de 18 % en zone euro pour les ventes de logements neufs. Pour les logements anciens, la contraction est en Europe de 15 %. Les ménages recourent moins aux crédits immobiliers, ce qui explique en grande partie la diminution des transactions. Aux Etats-Unis, la croissance de crédit immobilier aux ménages est passé de 10 à 2,5 % de 2021 à 2023 et en zone euro de 5 à 0 %. Malgré la hausse des taux d’intérêt et la diminution, l’absence de baisse des prix des transactions est liée au comportement des propriétaires. Ces derniers refusent de revoir les prix de vente à la baisse. Pour les logements neufs, la rigidité des prix à la baisse s’explique par les coûts élevés de construction qui limitent les marges de manœuvre des promoteurs. Cette rigidité est également imputable à une raréfaction de l’offre en raison des contraintes urbanistiques et de la concentration de la population sur certaines zones d’habitation. Aux Etats-Unis, la Floride connaît une forte augmentation de sa population. En France, celle-ci tend à migrer vers le littoral et les grandes agglomérations. Les besoins en logements ont été sous-estimés. La multiplication des divorces et des familles monoparentales augmente les besoins.
La zone euro face à un mur d’investissement ?
Depuis plusieurs années, la zone euro souffre d’un sous-investissement. Les administrations publiques et les entreprises seront amenées, dans les années à venir, à accroître leurs dépenses dans de nombreux domaines : transition écologique, défense, relocalisation, recherche et développement, numérique, etc. Cet accroissement de l’investissement suppose une réallocation des ressources avec à la clef moins de consommation et une plus grande utilisation au niveau national de l’épargne.
Les investissements nécessaires pour respecter les accords de Paris en matière de sont évalués à 3,5 points de PIB par an pour l’ensemble de la zone euro. Ils concernent la production d’énergies renouvelables, l’élimination des émissions des gaz à effet de serre par l’industrie et les activités de transports, la rénovation énergétique des bâtiments et des logements. Des investissements sont également indispensables pour la gestion de l’eau, la modernisation des réseaux électriques et le maintien de la biodiversité.
- La relocalisation des activités sensibles sur le plan industriel exige la réalisation de nombreux investissements tant par les collectivités publiques que par les entreprises (aménagements urbains, construction, équipements des usines, formation du personnel). Par ailleurs, les Etats membres de la zone euro seront amenés à combler le handicap en investissement en nouvelles technologies vis-à-vis des États-Unis. Ces derniers représentaient 2,6 % du PIB en zone euro en 2022, contre 3,8 % aux Etats-Unis. Toujours en 2022, les dépenses de Recherche-Développement aux Etats-Unis ont atteint plus de 3,5 % du PIB, contre 2,3 % en zone euro.
Avec le vieillissement de la population qui est plus marquée en Europe qu’aux Etats-Unis, les Etats seront contraints de financer des équipements de santé et en faveur des personnes dépendantes. Un effort est également nécessaire en matière d’éducation. Les enquêtes PISA ont, en effet, souligné une forte baisse du niveau entre 2016 et 2022. Il faut enfin ajouter les besoins d’équipement de la défense après de nombreuses années de baisses de dépenses en la matière et face à la résurgence des risques géopolitiques
Les besoins d’investissement s’élèvent donc à plus de 5 points de PIB par an. Pour les financer, les Européens seront amenés soit à :
- modifier leurs priorités au sein de leurs dépenses d’investissement ;
- accroitre leur épargne financière et l’endettement ;
- augmenter les prélèvements ;
- réduire leurs investissements à l’étranger.
Compte tenu du faible niveau d’investissement des entreprises et des administrations publiques, ces dernières années, leurs marges de manœuvre sont faibles pour réaliser des arbitrages. Le recours à l’épargne financière est souvent mis en avant. Depuis le début de l’épidémie de covid, elle a tendance à augmenter avec une propension des ménages pour des placements de court terme. La réorientation vers des placements longs est souhaitable pour financer des investissements comme ceux en lien avec la transition écologique. Au sein de la zone euro, en moyenne, le taux d’épargne financière était de 4 % du revenu disponible brut en 2023. Ce taux dépassait 6% en France et en Allemagne. En l’état actuel des besoins, il devrait passer à 7 % ce qui signifie une baisse de la consommation à défaut de pouvoir compter sur un surcroît de croissance. Or, aujourd’hui, en Europe, de nombreux ménages estiment déjà se priver et ne sont donc pas disposés à réaliser des sacrifices supplémentaires. L’hostilité croissante des populations face aux contraintes imposées par la transition écologique en est une des manifestations.
- Pour obtenir les ressources nécessaires aux nouveaux investissements, les Européens auraient la possibilité de réduire leurs exportations de capitaux qui atteignent 3 % du PIB en rythme annuel. Les investissements réalisés à l’étranger sont liés à une recherche de rendement et de sécurité. Ils sont également en lien avec l’internationalisation des entreprises. Celles-ci sont amenées à financer des usines et des réseaux de vente dans différents pays. A défaut de réduire totalement les investissements extérieurs, l’Europe pourrait améliorer son attractivité afin d’attirer des capitaux internationaux. De 2010 à 2023, les entrées de capitaux non-résidents ont baissé passant de 8 à moins de 3 % du PIB. Pour cela, les Etats doivent faciliter l’accueil des entreprises étrangères et réduire les impôts qui pèsent sur la production. Or, dans le même temps, les Etats ont besoin d’augmenter les recettes publiques. Certains demandent une taxation accrue des bénéfices des entreprises, ce qui pourrait dissuader les entreprises de localiser leurs activités en Europe. D’autres jugent nécessaire la limitation des rachats d’actions voire la distribution des bénéfices pour favoriser l’investissement. En termes économiques, l’auto-investissement est, en règle générale, moins vertueux que le financement extérieur. Les entreprises ayant une moindre contrainte de rentabilité en utilisant leurs bénéfices ont tendance à investir avec moins de perspicacité que celles qui recourent à l’emprunt ou au marché. Il n’en demeure pas moins que de 2020 à 2023, la rémunération totale des actionnaires a augmenté passant de 5 à 6 % du PIB.
Pour financer les besoins d’investissement, les Etats risquent d’être tentés par une aggravation des déficits. Cette solution a pour limite la hausse des taux d’intérêt et à terme leur solvabilité. Au vu de la dette accumulée, les marges de manœuvre sont réduites. Il en est de même en ce qui concerne les prélèvements obligatoires.
Les Etats européens sont donc condamnés à faire preuve d’imagination pour réussir à financer les besoins d’investissement en forte dans de nombreux domaines. Ils seront contraints de jouer tout à la fois sur l’épargne et les prélèvements et sur l’appui des capitaux étrangers.
France : des choix cornéliens !
Les faiblesses de la France sont connues : désindustrialisation, déficits publics, déficit de la balance commercial, recul de la productivité. Ce constat étant globalement admis, le problème numéro un est l’élaboration de solutions applicables et acceptables sachant que leurs effets peuvent prendre plusieurs années à se faire ressentir. Les gouvernements sont amenés à réaliser des arbitrages afin de concilier les intérêts contradictoires émanant de la population en sachant que le temps économique épouse rarement le temps politique.
Les deux problèmes majeurs qui conditionnent en grande partie les autres sont le faible taux d’emploi et le recul de la productivité. En 2023, le taux d’emploi s’élevait à 68 % en France, contre 78 % en Allemagne et 83 % aux Pays-Bas. Toute chose étant égale par ailleurs, si la France avait le même taux d’emploi que les Etats d’Europe du Nord, toute chose étant égale par ailleurs, elle n’aurait pas de déficit public et un niveau d’endettement inférieur à 60 % du PIB. Ce faible taux d’emploi à la française s’accompagne par une érosion de la productivité du travail par tête. Elle a diminué de plus de 5 % de 2027 à 2023. Les gains de productivité permettent de compenser des coûts salariaux élevés et un nombre réduit d’heures de travail. Malheureusement, ce n’est plus le cas. Il en résulte une faible croissance des recettes publiques qui ont, en 2023, augmenté moins vite que le PIB et un déficit public important (5,5 % du PIB en 2023). La faible productivité associée à des coûts de productions élevés incitent les entreprises à délocaliser ce qui alimente le déficit de la balance commerciale.
Le gouvernement est confronté à des choix cornéliens. S’il opte pour la réduction du déficit, il réduit la croissance qui est déjà faible avec à la clef une forte impopularité. Cette réduction du déficit passe en effet soit par une hausse des prélèvements ou par des économies qui sont susceptibles de concerner les dépenses sociales qui absorbent le tiers du PIB. Si le gouvernement diminue les dépenses en faveur de la recherche ou de l’éducation, il ne favorise pas le redressement du taux d’emploi et les relocalisations. Une corrélation positive existe entre le niveau des dépenses de Recherche-Développement ou la performance du système éducatif et les gains de productivité. Les pays ayant les dépenses de R&D les plus élevées (Etats-Unis, Suède, Corée du Sud, Danemark, Japon) sont ceux qui ont les plus forts gains de productivité. Les pays comme la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, l’Australie, la Finlande, bien classés à l’enquête PISA de 2022 sur le niveau des élèves figurent parmi ceux qui dégagent également les meilleurs résultats en termes de productivité.
La solution serait donc d’augmenter les dépenses en faveur de la recherche et la formation et d’arbitrer en défaveur des autres. La moindre progression des dépenses sociales comme celle relatives aux retraites, à l’indemnisation du chômage ou du logement est citée mais est politiquement difficile à concrétiser. 6,7 millions de ménages touchent l’aide personnalisée au logement (APL), 16 millions de personnes en sont ainsi bénéficiaires. Le plafond de ressources retenu pour une personne seule est inférieur à 1200 euros. Toute réduction d’APL est donc sensible comme l’a prouvé la décision de 2018 portant sur 5 euros.
Des voix se sont fait entendre pour ne plus indexer certaines prestations sociales et les retraites en fonction de l’inflation afin de faire revenir la France dans la moyenne européenne. Facile à énoncer, cette mesure n’est pas simple à faire admettre compte tenu du poids électoral des retraités.
Le gouvernement aurait la possibilité d’accroitre le déficit budgétaire, soulignant qu’il finance des dépenses d’avenir ou de défense. La France n’ayant pas réussi à rééquilibrer ses dépenses depuis 50 ans n’incitera pas ses partenaires à la mansuétude. Le gouvernement pourrait faire le pari d’un choc d‘offre en diminuant les prélèvements sur la production et en incitant à augmenter le volume de travail. Le report de l’âge de départ à la retraite obéit à cette logique. L’assouplissement du temps de travail devrait s’accompagner d’avancées sociales par ailleurs (rémunération, organisation du temps de travail etc.).
L’assainissement des comptes publics et le rééquilibrage de la balance commerciale suppose un regain de croissance nécessitant une amélioration du taux d’emploi et de la productivité. Cette équation suppose la réalisation d’arbitrages économiques et sociaux délicats. Le retour sur investissement des mesures susceptibles d’être prises n’est pas immédiat. Elles peuvent dans un premier temps ralentir la croissance, ce qui est difficile à supporter pour tout gouvernement quel qu’il soit.
Reprise de la consommation, industrie ou services
En 2024, les ménages de la zone euro bénéficieront logiquement d’une augmentation de leur pouvoir d’achat, les salaires augmentant plus vite que les prix. Depuis plusieurs années, face à la montée de l’inflation et en raison de la succession de chocs comme l’épidémie de covid et la guerre en Ukraine, ils ont réduit leur consommation au profit de l’épargne. Un retournement est attendu dans les prochains mois. La question est de déterminer entre les produits industriels et les services, que préfèrerons les ménages européens ?
En 2024, les salaires devraient augmenter entre 4 et 5 % quand l’inflation reviendra autour de 2 %, permettant l’obtention de gains de pouvoir d’achats. La désinflation incitera, en outre, les ménages à réduire leur effort d’épargne. Dans ce contexte, la consommation est amenée à augmenter après avoir connu une longue période de stagnation voire de recule en ce qui concerne celle en biens manufacturiers. Cette dernière avait connu une progression en 2021 en liaison avec l’épidémie de covid. Les ménages avaient réalisé des achats d’équipements de leur logement pour en améliorer le confort ou pour télétravailler. Ces achats se sont arrêtés en 2022 avec la résurgence de l’inflation. Face à l’augmentation des prix de l’énergie, les ménages ont privilégié les services et en particulier les loisirs. Ils ont peu diminué les dépenses pour leurs vacances mais ont en revanche réduit celles en lien avec l’alimentation, l’habillement ou les biens manufacturiers. En 2022 et 2023, les achats de véhicules ont été également orientés à la baisser.
La reprise de la consommation en 2024 favorisera-t-elle les biens industriels ou les services ? Compte tenu de la forte baisse des achats de biens industriels ces derniers mois, un léger rebond est attendu. Néanmoins, les achats de voitures particulières sont freinés par leur prix de plus en plus élevé et par les incertitudes pesant sur la réglementation environnementale. Par ailleurs, le vieillissement démographique ne joue pas en faveur des biens industriels. Plus une population vieillit, plus elle consomme des services et notamment des services domestiques. La propension des ménages pour les services ne se dément pas comme en témoigne la multiplication des abonnements à la vidéo en ligne. Les réservations des vacances pour 2024 témoignent également de cette appétence.
La hausse des dépenses de services serait de nature à alimenter l’inflation. Compte tenu des pénuries de main d’œuvre que rencontrent des secteurs comme l’hébergement, la restauration, la santé ou les services à domicile, les prix sont susceptibles d’augmenter. En revanche, en raison de capacités de production inutilisée depuis deux ans, l’industrie est capable de supporter un accroissement de la demande sans effet sur les prix.