30 septembre 2023

Le Coin de l’Economie – industrie – croissance Europe – mondialisation – dollar

La désindustrialisation, la bonne affaire ?

Les Etats européens comme les États-Unis mettent en œuvre des politiques de réindustrialisation à coup de subventions et de protections douanières. Pour autant, les États actuellement à la peine en termes de croissance sont ceux dont le poids de l’industrie dans le PIB est le plus élevé, l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Italie. A contrario, la France et l’Espagne enregistrent des taux de croissance supérieurs à la moyenne de la zone euro. Les États-Unis, où le secteur industriel a fortement reculé ces trente dernières années, connaissent un taux de croissance deux fois plus important que la zone euro.

La fin d’un cycle industrielle

Les succès de l’Allemagne et de la Chine, depuis les années 1990, repose sur une industrie puissante exportant une part importante de sa production. La désindustrialisation signifiait la disparition d’emplois à forte valeur ajoutée et à rémunération élevée. L’épidémie de covid et la guerre en Ukraine ont souligné les dépendances des pays occidentaux vis-à-vis de la Chine ou de la Russie. Selon la Banque Mondiale, l’industrie représentait, en 2022, 39,9 % du PIB en Chine, 28,8 % au Japon, 27 % en Allemagne, 23 % en Italie, 20,8 % en Espagne, 17,9 % aux États-Unis comme au Royaume-Uni et 17,4 % en France. Depuis plus d’un an, la production manufacturière de la zone euro est orientée à la baisse. Les indicateurs avancés (indices PMI) soulignent que ce recul pourrait perdurer. Les États moins industriels comme la France et l’Espagne ont des taux de croissance plus élevés que l’Allemagne ou l’Italie depuis la phase aigüe de la crise sanitaire.

Le recul de la production industrielle en zone euro est la conséquence d’une moindre demande mondiale. Après avoir connu une forte hausse en 2021, en lien avec les besoins en équipement des ménages en informatiques et en matériel de bureau ainsi qu’en relation avec les plans de relance des différents États, la demande s’est étiolée. La demande de biens industriels connaissait une faible croissance avant la crise sanitaire du fait de la tertiarisation des activités. Ce phénomène interrompu par l’épidémie semble s’amplifier depuis un an. La zone euro perd des parts de marché sur la vente de produits industriels tant avec les États-Unis qu’avec les pays émergents. La montée du protectionnisme handicape les entreprises allemandes. L’essor des voitures électriques, en provenance de Chine, s’effectue au détriment des marques européennes. L’Inflation Reduction Act contribue à l’augmentation des dépenses d’équipement des entreprises américaines mais celles-ci profitent peu à celles du vieux continent. Le vieillissement de la population contribue également à affaiblir la demande en biens industrlels. Les seniors consomment plus de services que de produits industriels. Les marchés sont avant tout portés par le renouvellement et non par le promo-équipement. Les consignes en faveur d’une « consommation avec modération » peuvent influer sur les comportements.

Une industrie contrainte en Europe

L’Europe est pénalisée par l’augmentation des cours de l’énergie à la différence des États-Unis qui sont redevenus exportateurs en la matière. Le prix du gaz est resté stable outre-Atlantique quand il a été multiplié par cinq depuis 2021 au sein de la zone euro. Le prix élevé de l’énergie pèse sur la compétitivité des entreprises européennes et tout particulièrement sur celles implantés en Allemagne. La transition énergétique génère des coûts importants pour les États ayant une industrie puissante. Le secteur automobile doit transformer son mode de production en quelques années. L’effort à consentir par l’Allemagne est important. Sa puissance économique reposait en partie sur les exportations de voitures de luxe à moteur thermique (Volkswagen, Porsche, Audi, Mercedes, BMW, Opel). Les émissions de CO2 par habitant s’élevaient, en 2022, à 750 tonnes en Allemagne, contre 650 en Italie et 400 tonnes en France ou en Espagne. L’Allemagne devra donc, d’ici 2050, réaliser un effort conséquent pour atteindre la neutralité carbone. Il convient de souligner que de 2010 à 2022, elle a déjà réduit ses émissions de 18 %, soit bien plus que les autres grands États membres de la zone euro.

L’industrie est confrontée à une série de vents contraires, devant intégrer les effets de la démographie, la transition énergétique et l’augmentation des coûts de l’énergie. Les États occidentaux se sont engagés dans des politiques de réindustrialisation au nom de l’indépendance économique. Ces politiques en lien avec les mesures protectionnistes aboutissent à des augmentations de prix ce qui pourraient limiter la demande interne. Pour rendre cette réindustrialisation possible, les États doivent veiller à améliorer le niveau de formation de la population active et favoriser l’obtention de gains de productivité.

Une économie mondiale de plus en plus tertiarisée 

Plus le PIB d’un pays est élevé, plus le secteur des services est important. Plus la population d’un pays est âgée, plus le poids des services est également important. Tout concourt donc à la tertiarisation des activités au sein de l’économie mondiale. Ces trente dernières années, l’industrie a connu un essor grâce à la Chine et plus globalement aux pays asiatiques. Avec l’augmentation du niveau de vie de leur population, le secteur tertiaire s’accroît également depuis une dizaine d’années dans les pays émergents. L’essor des services change l’organisation du marché du travail, devenu à la fois plus éclaté et plus polarisé. Les gains de productivité s’y font plus rares ce qui induit une plus faible croissance.

Le recul de l’industrie, un facteur non pas d’appauvrissement mais de richesse

Le poids de l’emploi manufacturier est passé, au sein de l’OCDE, de 18 à 11 % de 1995 à 2022 et celui de la valeur ajoutée manufacturière de 14 à 13 % sur la même période après avoir atteint 15 % en 2007. Au sein des pays émergents (Chine comprise), la proportion de l’industrie au niveau de l’emploi est en baisse depuis 2013. Son poids est passé de 18 à 16 % En ce qui concerne la valeur ajoutée, la diminution est plus récente. Elle date de 2020. L’industrie y représentait 23,5 % de la valeur ajoutée en 2022, contre 24 % en 2020. Au niveau mondial, l’emploi industriel est en recul relatif quand la valeur ajoutée industrielle est stable depuis une dizaine d’années.

Recomposition des économies

La modification de la structuration de l’économie mondiale est essentiellement imputable aux États membres de l’OCDE dont la tertiarisation s’est accélérée. Cette évolution entraîne des conséquences sur la répartition de la valeur ajoutée, de la productivité et donc de la croissance. Depuis 2001, la salaire réel par tête progresse moins vite, au sein de l’OCDE, que la productivité. Le premier a en vingt ans progressé de 16 %, contre 35 % pour la productivité. Au niveau des pays émergents, l’évolution est parallèle, +145 % pour les salaires, +150 % pour la productivité. Pour l’ensemble de l’économie mondiale, les chiffres respectifs sont +50 % et +65 %. La désindustrialisation a donc comme conséquence un affaiblissement des gains de productivité. Les services notamment à la personne ont des marges de manœuvre faibles en matière de productivité.

La croissance de la productivité décline dans toutes les économies. Lissée sur quatre ans, elle est passée de 2 à 0,7 % par an de 1995 à 2022 au sein de l’OCDE, de 5 à 1,5 % au sein des pays émergents et de 3 à 1 % pour l’ensemble de l’économie mondiale. Depuis 2010, la productivité est étale au niveau de l’OCDE. En trente ans, la productivité y a progressé que de 25 % dans l’OCDE, contre 150 % pour les pays émergents et 70 % pour l’ensemble de l’économie mondiale. De nombreux facteurs sont avancés pour expliquer la baisse des gains de productivité mais la tertiarisation est un de ceux qui apparaissent comme les plus crédibles.

Le développement des services s’accompagne d’une polarisation de l’emploi. Celle-ci se traduit par la création en grand nombre d’emplois à faible valeur ajoutée et un nombre à forte qualification moins important d’emplois. La disparition des emplois industriels pénalise les ouvriers et les cadres moyens qui peinent à retrouver des emplois à salaire et à qualification équivalents. En Occident, la tertiarisation est avant tout emmenée par le développement des services domestiques (aides à la personnes, santé, loisirs, logistique). Cet essor donne lieu à une forte crainte de déclassement. Les inégalités salariales ont tendance à augmenter au sein des pays de l’OCDE. En France, les inégalités ne se sont pas accentuées grâce à l’augmentation des prestations sociales. Le rapport des revenus entre les 10 % les plus aisés et les 10 % les plus pauvres est de 3 en 2022 mais sans prendre en compte les transferts sociaux, il dépasse 7.

Une économie de services signifie moins de croissance en l’état actuel des techniques d’autant plus que l’essor des services n’est pas sans lien avec le vieillissement de la population. Les pénuries de main-d’œuvre devraient néanmoins provoquer la recherche de gains de productivité pour satisfaire la demande. L’intelligence artificielle pourrait également contribuer à générer des gains de productivité même si en la matière les analyses divergent.

L’atonie de la croissance, un sérieux problème pour la zone euro !

La zone euro est à nouveau entrée dans un cycle de faible croissance après le recul de 6,4 % du PIB en 2020 et son rebond de 5,2 % en 2021. La guerre en Ukraine a pesé en 2022 sur la croissance qui a néanmoins atteint 3,2 %. Avec le resserrement de la politique monétaire, en 2023, le taux de croissance ne devrait pas dépasser 0,8 %. En 2024, un taux de 1 % est avancé. Cette faible croissance est-elle simplement la conséquence de facteurs conjoncturelles ou est-elle la traduction de problèmes structurels ?

Une demande atone pour la zone euro

La croissance est limitée dans la zone euro en raison de la faiblesse de la demande interne et externe. Le ralentissement du commerce international réduit la demande extérieure adressée à l’Europe et tout particulièrement à sa première puissance économique, l’Allemagne. La demande interne est contrainte par l’inflation et par un taux d’épargne demeurant particulièrement élevé depuis le début de la crise sanitaire. Il dépasse 13,5 % du revenu disponible brut en moyenne au sein de la zone euro. Il atteint près de 19 % en France et s’élève à plus de 20 % en Allemagne. La croissance est également pénalisée par le recul de l’investissement des ménages (baisse de la construction immobilière). Cette diminution de l’investissement est la conséquence de la hausse des taux d’intérêt et de la raréfaction du foncier.

Une croissance entravée par la hausse des taux des taux d’intérêt

La croissance de la zone euro était faible avant le durcissement de la politique monétaire. Le ralentissement de l’augmentation de la population voire son déclin dans plusieurs pays de la zone euro joue défavorablement sur l’activité. Ce phénomène est accentué par le ralentissement sensible des gains de productivité. Depuis une dizaine d’années, la productivité globale des facteurs (travail et capital) progresse lentement. De 2017 à 2022, elle n’augmente que de 0,4 % par an. La productivité du travail est atone depuis 2019 avec des baisses importantes en France et en Espagne.

La croissance de la zone euro est faible tant pour des raisons conjoncturelles que structurelles. En l’état actuel, elle ne peut guère dépasser 1 %. L’écart avec les États-Unis est important (du simple au double). Cette atonie européenne intervient au moment où les besoins en investissement sont importants. Compte tenu du niveau élevé de l’endettement des États, les marges de manœuvre pour financer ces derniers, faute de croissance, sont réduites.

Le dollar, l’atout maître des États-Unis

Annoncés en déclin depuis plusieurs décennies, les États-Unis n’en finissent pas de surprendre. Lors de ces quatre dernières années, leur taux de croissance a été deux fois supérieur à celui de la zone euro. Cette expansion apparaît illogique pour de nombreux analystes compte tenu de l’ampleur du déficit de la balance des paiements courants qui contraint les États-Unis à accumuler une importante dette extérieure.

Depuis quarante ans, les États-Unis se caractérisent par un déficit structurel et important de la balance courante. Ce déficit s’élève en moyenne à 3 % du PIB depuis les années 1990. Si en 1980, la première puissance économique mondiale avait une position extérieure nette positive de 10 % du PIB, depuis, sa situation s’est constamment dégradée. Sa dette extérieure nette représentait, fin 2022, plus de 60 % du PIB.

Le recours aux capitaux extérieurs permet aux États-Unis d’avoir un taux d’investissement de la nation supérieur au taux d’épargne national. En 2022, le taux d’investissement était de 22 % du PIB, trois points au-dessus du taux d’épargne du pays. Compte tenu des besoins de financement, les États-Unis s’endettent à faibles coûts. Même avec la remontée des taux d’intérêt engagée depuis le début de l’année 2022, ceux-ci s’élèvent à 4 % pour les emprunts d’État. Ils sont inférieurs à ceux pratiqués aux États cumulant déficits budgétaire et courant importants. Ce financement à faibles coûts est intimement lié au rôle de valeur de réserve que joue le dollar. Les États-Unis, en contrepartie de ce rôle, imposent un système de seigneurage en leur faveur. Le dollar représente 60 % des réserves de change, en 2022, contre 20 % pour l’euro. Les autres monnnaies comme le rmb, le yen, la livre sterling ont un rôle marginal au niveau des réserves de change. Le dollar demeure incontournable en raison du rôle militaire joué par les États-Unis, de l’importance des marchés financiers ainsi que de la vitalité de l’économie américaine. Il l’est également en raison du dynamisme des entreprises américaines en particulier dans les secteurs de la haute technologie. Les incitations fiscales contribuent également à attirer les capitaux extérieurs dont les entrées annuelles dépassent 2 points de PIB.

La santé de l’économie américaine dépend de sa capacité à attirer des capitaux. Ces derniers permettent le financement des déficits et évitent une forte hausse des taux d’intérêt. Ces capitaux offrent la possibilité aux Américains de privilégier la consommation au détriment de l’épargne. En l’absence de financement extérieur, les déficits devraient être couverts par l’épargne interne. Les entreprises ne pourraient, par conséquent, pas investir autant qu’actuellement. Selon les calculs de Natixis, la baisse de l’investissement serait de 4 points de PIB, remettant en cause l’avance technologique du pays. La prépondérance du dollar comme monnaie de réserve mondiale constitue donc une condition sine qua non de la bonne santé de l’économie américaine.