7 juillet 2023

le Coin de l’économie – inflation – productivité – intelligence artificielle- investissement – taux de marge

La bonne surprise de l’investissement en France

Si les entreprises françaises sont à la peine en matière de productivité, elles peuvent s’enorgueillir d’enregistrer une forte hausse de leur taux d’investissement, ce qui constitue un bon présage pour l’avenir.

Le taux d’investissement des entreprises est passé, en France, de 11 à 14 % du PIB de 2012 à 2022. Ces taux respectifs sont 11 et 12,5 % en Allemagne, 12,5 et 12 % en Espagne et 10 et 12 % en Italie. L’investissement des entreprises françaises est supérieur d’un point de PIB, en 2022, au niveau moyen de la zone euro. Il est également un point au-dessus de son plus haut historique d’avant crise des subprimes de 2007/2009. La hausse a commencé, en France, en 2018, avant l’épidémie de covid. Elle a repris dès 2021 après les confinements.

Plusieurs facteurs ont contribué à la hausse de l’investissement en France : un effet rattrapage, la baisse des prélèvements, les taux d’intérêt réels négatifs, les aides publiques à l’investissement,

Après la crise financière de 2007/2009, les entreprises ont réduit leurs investissements accumulant un retard important notamment dans les domaines de la robotisation et de la digitalisation. Avec l’augmentation de leur taux de marges, elles ont recommencé à investir, à compter de 2018,  notamment pour renouveler leurs équipements devenus obsolètes. Le phénomène de rattrapage ainsi constaté, s’amplifie depuis deux ans.

Les revenus du capital et les bénéfices ont profité, depuis quelques années, d’une baisse de leur taux d’imposition. Longtemps, la France se situait parmi les pays de l’OCDE taxant le plus les revenus du capital. Désormais, elle se classe dans la moyenne européenne. Le taux d’imposition sur les profits des sociétés est passé, en France, de 38 à 26 % de 2012 à 2022. Celui des revenus du capital est de 34 % en 2022, contre 45 % en 2012. Cette décrue est concomitante avec la reprise de l’investissement.

La profitabilité des entreprises qui était basse, en France, de longue date, s’est redressée ce qui contribue à l’augmentation des investissements d’origine étrangère. Les profits après taxes ainsi que les intérêts et avant dividendes représentaient, en 2022, 12 % du PIB, contre 9,5 % en 2012. Si ce ratio est en hausse, il demeure néanmoins nettement inférieur à celui de l’Allemagne (20 %) et à celui de l’Espagne (15 %).

Depuis 2018, les entreprises empruntent à taux réels négatifs, contre plus de 2 % avant 2012. La hausse des taux d’intérêt constatée depuis le milieu de l’année 2022 ne compense pas celle de l’inflation.

Après le « quoi qu’il en coûte » qui s’est traduit par d’importants prêts aux entreprises, l’État multiplie les aides en faveur de l’investissement dans la transition énergétique ou en soutien de la relocalisation d’activités décrétées stratégiques (usines de batteries électriques, de médicaments, de semi-conducteurs, etc.).

Le redressement important de l’investissement des entreprises françaises ne conduit pas, pour le moment, à un redressement de la productivité du travail qui s’est contractée de 5 % depuis 2019. Le déclin de la productivité est un processus complexe associant une série de facteurs (développement de l’apprentissage, difficultés de recrutements, tertiarisation de l’économie, sous-investissement pendant la période 2007/2018). L’augmentation de l’investissement devrait avoir un effet positif sur la productivité d’ici quelques années.

L’Intelligence Artificielle et la productivité font-elles bon ménage ?

L’Intelligence Artificielle (IA) génère d’importantes craintes, notamment en matière d’emplois et soulève également de nombreux espoirs en particulier dans le domaine de la productivité. La diffusion des microprocesseurs et des ordinateurs individuels, avait, alors, donné lieu au même débat. Force avait été de constater que si le bilan en termes d’emplois a été plutôt positif, il s’est avéré décevant en ce qui concerne la productivité. Le Prix Nobel d’Économie Robert Solow n’affirmait-t-il pas en 1987 « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ».

La productivité par tête tend à décliner dans la majorité des pays de l’OCDE et au sein de plusieurs pays émergents. Elle baisse même aux États-Unis, en France ou en Espagne. Entre 2019 et 2023, elle s’est contractée de 3 % aux États-Unis et de 1 % en zone euro. La baisse atteint 5 % en France. Cette diminution de la productivité est liée à un changement de comportement face au travail, une tertiarisation des économies, aux pénuries de main-d’œuvre dissuadant les employeurs à adapter les effectifs en fonction du niveau de production, développement de l’apprentissage en France.

La dégradation de la productivité empêche les entreprises de compenser sans passer par des augmentations tarifaires ou une diminution de leurs marges la hausse des coûts de production. L’essor de l’intelligence artificielle est censée générer de nouveaux gains de productivité. Or, dans les années 1990, Internet avait eu peu d’effets sur la productivité du travail. En zone euro, la croissance de la productivité par tête lissée sur quatre ans était passée de 2 à 1 % de 1990 à 2002. Aux États-Unis, un rebond de la productivité par tête a bien été constatée entre 1999 et 2005 mais ce dernier a été éphémère. Sa croissance est rapidement passée de 3 à moins de de 2 % entre 2002 et 2005.

L’érosion des gains de productivité durant les années 1990/200 peut s’expliquer par leur concentration sur le secteurs des Nouvelles Technologies et leur faible diffusion dans les autres secteurs. Les gains de productivité ont atteint jusqu’à 20 % dans les NTIC aux États-Unis entre 2000 et 2004 et 8 % au sein de la zone euro, soit bien plus que dans le reste de l’économie. Un système de rentes s’est mis en place au profit de quelques entreprises d’où l’écart des gains de productivité de part et d’autre de l’Atlantique.

Le développement d’Internet s’accompagne de la création de nombreux emplois de contrôle (conformité, sécurité informatique) et de nombreux emplois peu qualifiés (dans les plateformes, dans la logistique, le transport de marchandises ou de personnes…) dans le cadre du processus de polarisation des emplois. Les emplois dans le services domestiques ont une faible productivité tirant vers le bas celle de l’ensemble de l’économie. Si la valeur ajoutée du secteur des nouvelles technologies progresse fortement entre 1990 et 2022 (fois 10 aux États-Unis et fois 5 en zone euro), l’emploi s’est principalement accru dans les secteurs à faible valeur ajoutée (aides à la personne, tourisme, logistique).

Une des raisons des faibles gains de productivité d’Internet est liée à un problème de mesure. De nombreux services payant sont devenus virtuellement gratuits. L’achat des billets de train ou d’avion est dématérialisé quand, autrefois, il nécessitait le recours à un salarié (guichet de l’entreprise de transport, agence de voyage, etc.). Ce service a disparu du PIB tout comme l’activité liée à la production et à la commercialisation d’encyclopédies. La productivité générée par Wikipédia est difficile à apprécier au niveau de la comptabilité nationale. Il est difficile de distinguer des services de conforts des services réellement productifs.

L’IA permettra-t-elle de la réalisation d’importants gains de productivité en automatisant de nouveaux pans de l’activité économique et en permettant une accélération des processus de décisions ? Les études sont contradictoires sur le sujet. Certaines mettent en avant la capacité de destruction des emplois quand d’autres soulignent la capacité de traiter encore plus rapidement aujourd’hui des données dont le nombre augmente de manière exponentielle. Si les emplois détruits sont remplacés par de nouveaux à faible valeur ajoutée, les gains de productivité risquent de ne pas être au rendez-vous. Comme pour la précédente révolution digitale, la question de la diffusion de l’IA et son appropriation par les différents secteurs d’activité sont capitales.

Taux de marge des entreprises, grand écart de part et d’autre de l’Atlantique !

Le taux de marge des entreprises diverge nettement de part et d’autre de l’Atlantique. Il augmente fortement aux États-Unis quand il a tendance à stagner voire à baisser en Europe. Aux États-Unis, le PIB a ainsi augmenté bien plus vite que le coût salarial unitaire. La hausse entre 1998 et 2022 a été respectivement de 38 et 6 %. Les profits avant dividendes, après taxes et intérêts s’élèvent à 18 % du PIB aux États-Unis en 2022, contre 16 % en 1998. Les chiffres respectifs pour la zone euro sont 13,5 et 12 %. Quelles sont les facteurs qui expliquent l’écart grandissant de cet indicateur qui reflète, en partie, la performance des entreprises ?

Plusieurs facteurs contribuent à la hausse du taux de marge bénéficiaire et de la profitabilité des entreprises aux États-Unis. : une concurrence moindre, un partage défavorable de la valeur ajoutée, des secteurs à forte rente.

Une concurrence moindre aux États-Unis par rapport à l’Europe

La concurrence est aux États-Unis moindre qu’en Europe. Les autorités en charge de veiller aux respect des règles en la matière privilégient les grands groupes ce qui conduit à une forte concentration sur les différents marchés. De 1998 à 2022, l’indice de concentration des entreprises (moyenne des parts de marché détenus par les vingt premiers groupes de chacun des grands secteurs d’activité) est passé de 47 à 54 %. Le secteur des technologies de l’information est dominé par quelques entreprises qui ont, jusqu’à maintenant, accepté un Yalta pour la répartition de leurs activités, limitant d’autant la concurrence. Les tentatives pour réduire les positions de monopoles ont, depuis quarante ans, échoué (Microsoft, Google). En Europe, le marché unique a favorisé la concurrence même si certains secteurs, comme aux États-Unis, sont de plus en plus concentrés : distribution, métallurgie, transports publics.

Le pouvoir de négociation des salaires plus faible aux États-Unis

Ces trente dernières années, le pouvoir de négociation des salariés s’est amoindri plus vite aux États-Unis qu’en Europe conduisant à un partage de la valeur ajoutée à leur détriment. Le salaire réel a progressé de 15 % aux États-Unis de 1998 à 2022, quand la productivité par tête a augmenté de 58 %. Les valeur,s respectives pour la zone euro sont 12,5 % et 10 %.

Des secteurs à forte rente aux États-Unis

La hausse des marges du secteur pétrolier aux États-Unis explique également la divergence avec l’Europe. Les premiers disposent d’un secteur pétrolier et gazier de grande taille, qui est redevenu exportateur net. Ce secteur représente plus de deux points de PIB aux États-Unis, contre 0,2 % du PIB en zone euro. La balance commerciale en énergie est positive de 0,3 % de PIB aux États-Unis quand elle est déficitaire de 3 points de PIB en zone euro. L’augmentation du prix et du pétrole augmente les marges des entreprises du secteur et rejaillit sur l’ensemble des entreprises américaines.

Plus concentrée, moins concurrentielle, l’économie américaine est propice à offrir des taux de marges plus élevés à ses entreprises que l’économie européenne. Cet effet de marge est accentué par l’importance du secteur des hautes technologies et de l’énergie. Cette différence conduit à des capacités de financement supérieures aux États-Unis, au prix également d’une moindre augmentation des salaires. Ces dernières années, les salaires ont néanmoins progressé en raison des pénuries de main-d’œuvre. La croissance plus soutenue de l’économie américaine conduit également à des revalorisations des rémunérations plus importantes.

Inflation, une baisse en trompe l’œil

L’inflation recule depuis deux mois en Europe mais pas celle hors énergie et alimentation, appelée inflation sous-jacente. Pour la zone euro, le taux d’inflation est revenu, en juin, à 5,5 % quand l’inflation sous-jacente est de 7 %. Un risque d’inflation de second tour est à craindre.

L’enquête sur les facteurs qui limitent la production dans la zone euro montre que, depuis 2017, et à l’exception de l’année 2020 marquée par la crise sanitaire, dans l’industrie comme dans les services, une l’insuffisance des équipements disponibles et un excès de demande généré par les plans de soutien en faveur des ménages et des entreprises.  Cependant, les aides des pouvoirs publics tendent à s’atténuer depuis le début de l’année 2023 en lien avec le resserrement de la politique monétaire.

Les difficultés d’embauche des entreprises favorisent la hausse des salaires qui est alimentée, par ailleurs, par les demandes de revalorisation en lien avec l’inflation. Le salaire nominal par tête augmente de plus de 5 % en zone euro au cours du premier semestre 2023. Les entreprises, ne pouvant pas compter sur les gains de productivité pour compenser l’augmentation des coûts salariaux, sont amenées à relever leurs prix de vente.

Pour empêcher l’installation d’une spirale inflationniste, la Banque Centrale Européenne (BCE) est contrainte de durcir un peu plus sa politique monétaire. Pour être efficace, celle-ci doit s’accompagner d’une politique budgétaire plus restrictive afin de faire reculer la demande de biens et services, ce recul devant inciter les entreprises à limiter leurs hausses de prix. En moins d’un an, la BCE a relevé huit fois, de manière consécutive, ses taux directeurs. Le taux de dépôt est passé à 3,5 %, le taux de refinancement à 4 % et celui de la facilité de prêt marginal à 4,25 %. Le taux de dépôt évolue désormais à son plus haut niveau depuis mai 2001. Le processus de relèvement est extrêmement rapide. Le taux des obligations d’ État ont suivi le mouvement haussier, passant au sein de la zone euro de 0 à 4 % de mi-2021 à mi-2023. La politique budgétaire reste, de son côté, expansive avec un déficit public supérieur à 3,5 % du PIB depuis plus de deux ans.

Si la BCE poursuit son mouvement de hausse des taux, le risque d’une récession s’amplifiera avec, en outre, une mise sous tension possible des dettes souveraines voire du système financier. Le retour dans la zone cible des 2 % de l’inflation apparaît en l’état difficile comme l’a souligné récemment l’économiste Olivier Blanchard. La BCE pourrait être donc contrainte d’accepter une inflation plus forte que dans le passé et jouer sur l’augmentation de l’offre. Les gouvernements jouent depuis un an cette carte en subventionnant les entreprises qui investissent dans des secteurs jugés stratégiques (énergies renouvelables, médicaments, etc.). Pour faciliter l’investissement, le maintien de taux d’intérêt réels négatifs comme c’est le cas actuellement peut être souhaitable. L’investissement des entreprises de la zone euro est passé de 12 à plus de 13 % du PIB. Dans le même temps, les gouvernements tentent d’augmenter le taux d’emploi en jouant par exemple sur l’âge de départ à la retraite. Le taux d’emploi est ainsi passé, au sein de la zone euro de 69 à 70 % de 2019 à 2022. L’emploi y a progressé de plus de 3 % en trois ans mais cette hausse n’est pas synonyme d’augmentation de la production car, dans le même temps, la productivité a tendance à diminuer. Le recul de cette dernière freine la diminution de l’inflation. La poursuite de ce processus serait un handicap majeur pour la lutte de l’inflation et la croissance au sein de la zone euro.

La première stratégie reposant sur une attrition de la demande, dite classique, est plus rapide mais peut être socialement difficile à supporter. La seconde qui repose sur une augmentation de l’offre suppose des gains de productivité et une acceptation temporaire d’une inflation plus forte. Pour le moment, au sein de la zone euro, un consensus existe pour lutter contre l’inflation. La question est de savoir si cette position perdure en cas de maintien d’une inflation autour de 3 à 4 % durant quelques années. Une telle inflation pourrait être souhaitée par les États surendettés comme l’Italie, l’Espagne ou la France en revanche rejetée par les États d’Europe du Nord.