23 février 2024

Le Coin de l’Economie – investissement – productivité – balance commerciale – zone euro – stagflation

Pourquoi investissement et croissance ne font plus bon ménage en zone euro ?

Une augmentation du taux d’investissement est censée favoriser celle de la croissance. L’investissement est, avec la consommation et le commerce international, un des moteurs de la croissance. Ce moteur est d’autant plus puissant qu’au-delà de son action sur la demande intérieure, il contribue à accroître l’offre. Pour autant, si dans la zone euro, le taux d’investissement est en augmentation depuis plusieurs années, son effet sur la croissance n’est pas manifeste, à la différence de ce qui est constaté aux États-Unis.

Le taux d’investissement (en valeur) des entreprises est passé au sein de la zone euro, entre 2015 et 2023, de 11 à 12,8 % du PIB. Les chiffres respectifs pour celui de la France sont 11,5 et 13,8 %. Cette progression a été facilitée par la baisse des taux entre 2015 et 2022 et par les aides des États membres de la zone euro. Par ailleurs, elle n’a pas eu d’effets positifs sur la croissance (en ne tenant pas compte de la période covid 2020/2021), restée étale. La production industrielle n’a pas connu d’augmentation. Celle de la zone euro a augmenté de 2 % quand celle de la France a baissé de 2 % entre 2015 et 2023. La hausse de l’investissement s’est, de son côté, accompagnée de celle de la profitabilité des entreprises. Les profits après taxes et dividendes sont passés de 12 à 13 % du PIB dans la zone euro et de 10,5 à 12 % du PIB en France.

L’absence d’effet sur l’activité de la progression de l’investissement tiendrait au fait que ce dernier n’accroît pas les capacités de production et génère, en l’état, peu de gains de productivité. Une part non négligeable, en particulier en France, de la hausse de l’investissement est liée à l’achat de logiciels. Les entreprises européennes ont rattrapé un retard par rapport aux États-Unis et aux pays asiatiques. Le taux d’investissement dans les logiciels est passé, de 1999 à 2023, en  France, de 2 à 4 % du PIB et de 1 à 2 % en zone euro.  Les entreprises européennes ont, par ailleurs, une consommation de capital fixe plus élevée depuis une vingtaine d’année et surtout depuis 2015. Elle est passée, pour le zone euro, de 8,5 à 11 % du PIB et de 8,2 à 11,6 % du PIB en France. Cette consommation importante du capital correspond à son obsolescence plus rapide. Les entreprises sont contraintes de renouveler plus fréquemment leurs équipements que dans le passé sans que cela se traduise par une hausse de la production. La transition énergétique y contribue. Les entreprises sont amenées à réaliser des investissements afin de se conformer aux nouvelles normes environnementales. Ces investissements peuvent remplacer des équipements non totalement amortis et ne génèrent alors pas ou peu de gains de productivité.

Le surcroît d’investissement en zone euro ne génère pas, pour le moment, une hausse de la croissance car il est avant tout un investissement de renouvellement et de confort. La réalisation de nouvelles usines que ce soit pour les batteries ou les microprocesseurs pourrait avoir un effet sur l’activité, sous réserve que les prix de production soient corrects et que la demande soit au rendez-vous.

Que disent les balances commerciales, des économies française et allemande ?

Depuis vingt ans, la France accumule les déficits commerciaux quand l’Allemagne aligne des excédents, malgré des coûts salariaux similaires. Les échanges des services ont permis de compenser le déficit des échanges de biens mais, ces dernières années, ce n’est plus le cas.

Depuis vingt ans, l’Allemagne dégage des excédents au niveau des échanges commerciaux  de biens manufacturiers entre 200 et 350 milliards d’euros. La France est passée d’une situation d’équilibre à un déficit qui s’accroît d’année en année et qui dépasse désormais 80 milliards d’euros.

Pour la balance énergétique, l’Allemagne est légèrement plus déficitaire que la France qui dispose d’une électricité essentiellement d’origine nucléaire. En 2023, le déficit de la balance commerciale pour l’énergie a été de 80 milliards d’euros pour l’Allemagne et de 60 milliards d’euros pour la France.

L’Allemagne connait un déficit structurel pour ses échanges de produits agricoles et agroalimentaires, d’environ 10 milliards d’euros, quand la France dégage un excédent. Même s’il s’érode ces dernières années, ce dernier reste conséquent (environ 9 milliards d’euros en 2023).

La France premier pays d’accueil pour les touristes étrangers dégage une balance commerciale positive pour les services de voyages. Le solde a été positif de 20 milliards d’euros. A contrario, cette balance est fortement déficitaire en Allemagne d’environ 60 milliards d’euros. De nombreux Allemands prennent leurs vacances à l’étranger.

Pour les services hors voyages, l’excédent de la balance commerciale, en Allemagne comme en France, tend à disparaître. S’élevant à une vingtaine de milliards d’euros dans les années 2010, désormais il n’atteint plus que quelques milliards d’euros.

Les balances commerciales des deux premières économies de la zone euro diffèrent. Les excédents sont concentrés en France dans les secteurs du tourisme et de l’agro-alimentaire quand, en Allemagne, ils sont avant tout réalisés par l’industrie. Cette situation est la conséquence d’une divergence en matière de spécialisation qui résulte de nombreux facteurs dont l’évolution de la demande intérieure. L’Allemagne étant confrontée, de longue date, au vieillissement démographique a été contrainte de développer les exportations de biens pour compenser la faiblesse de la demande interne. La France dont la population a continué de croître ces trente dernières années se caractérise par une demande interne plus soutenue occasionnant un recours plus important aux importations. De 2002 à 2023,  la demande interne a augmenté de 32 % en France, contre 25 % en Allemagne.

L’Allemagne, contrainte de jouer la carte de l’exportation, a opté pour une montée en gamme de ses produits quand la France s’est cantonnée à des productions de gamme moyenne. La faiblesse des taux de marges en France a empêché, dans les années 1970 et 1980, les entreprises de réaliser les investissements suffisants pour demeurer compétitives. En vertu de la théorie des avantages comparatifs, la France s’est, ces quarante dernières années, spécialisée dans l’agroalimentaire et le tourisme. L’Allemagne s’est, de son côté, renforcée dans l’industrie. De 2002 à 2023, la production manufacturière allemande a augmenté de 17 % quand celle de la France a baissé de 20 %.

Les difficultés de l’économie allemande depuis 2022 sont liées aux surcoûts générés par la hausse des prix de l’énergie et par le ralentissement du commerce international, en raison de la montée du protectionnisme. En revanche, l’Allemagne conserve un avantage de compétitivité du fait du positionnement haut de gamme de sa production. Ses entreprises disposent de capacités financières importantes leur permettant de traverser la crise et de se redéployer. La France dépend de plus en plus du tourisme et de l’agriculture. Dans le contexte actuel, cette spécialisation permet à la France d’avoir un taux de croissance supérieur à celui de l’Allemagne mais ces deux secteurs génèrent de faibles gains de productivité ce qui induit une croissance sur longue période faible.

Zone euro, la déflation ou la stagflation ?

Après la crise des subprimes en 2007/2009, la déflation a menacé l’économie européenne au point de contraindre la Banque centrale européenne (BCE) de mettre en œuvre une politique monétaire non conventionnelle reposant sur des taux directeurs bas et des rachats d’obligations. Depuis la crise sanitaire et surtout depuis la guerre en Ukraine, l’inflation a fait son retour. Avec le relèvement des taux directeurs décidé par la BCE, la croissance s’étiole. Par ailleurs, des facteurs structurels comme le vieillissement démographique et la disparition des gains de productivité contribuent à ce que la croissance potentielle de la zone euro soit durablement faible. Certains craignent le retour de la déflation quand d’autres soulignent la possible survenue de stagflation, combinaison de stagnation et d’inflation.

La croissance européenne est entravée par la contraction de la population active qui diminue depuis 2012. La population de 15 à 64 ans baisse, chaque année, au sein de la zone euro de 0,5 %. En 2030, ce taux sera de -0,7 %. La croissance est également freinée par le recul de la productivité du travail. De 2019 à 2023, la productivité par tête a diminué de 2 % en zone euro. Cette attrition de la productivité est liée au vieillissement démographique, à une tertiarisation croissante de l’économie et à une moindre appétence au progrès technique.

Une diminution de la population entraîne une réduction de la demande interne ce qui peut favoriser l’apparition de la déflation. Cette situation a été constatée au Japon dans les années 1990. La réduction du nombre d’actifs pourrait avoir néanmoins un effet inflationniste. La multiplication des pénuries de main-d’œuvre occasionne des tensions salariales. En zone euro, dans les années 2010, les coûts salariaux augmentaient autour de 2 % par an. Depuis 2022, la hausse, supérieure à 4 %, alimente l’inflation sous-jacente qui s’élève à 3,5 % en ce début d’année 2024.

La faiblesse de l’investissement des entreprises constitue également un facteur pouvant amener à une hausse des prix. Le stock de capital hors logement en zone euro ne progresse que de 1 % par an. Les entreprises investissent essentiellement pour renouveler leurs équipements et non pour augmenter leurs capacités de production. Les investissements en lien avec la transition écologique améliorent peu, sur le court terme, la productivité. Ils peuvent même être une source d’augmentation des coûts. Les voitures électriques coûtent ainsi plus cher que celles à moteur thermique.

Dans les prochaines années, l’inflation pourrait être plus élevée que durant les années 2010. La transition énergétique comme le vieillissement démographique favorise l’augmentation des prix. Dans un contexte de faibles gains de productivité et de demande interne atone, le risque de stagflation n’est pas à négliger. Cela devrait conduire les banques centrales à maintenir des taux directeurs légèrement supérieurs aux niveaux attendus. Les gouvernements, pour éviter l’installation durable de la stagflation, auraient tout avantage à accroître la concurrence, améliorer le niveau de formation des actifs et favoriser la recherche et développement.

Aux origines de la baisse de la productivité en zone euro

Depuis le début de la crise sanitaire, en 2020, la productivité recule au sein de la zone euro. Les origines de cette inquiétante baisse sont multiples : hausse du taux d’emploi parmi les actifs les moins qualifiés, développement de l’apprentissage notamment en France, renoncement au licenciement de la part des entreprises en cas de contraction de la demande, vieillissement de la population, insuffisance de l’investissement, etc. Le retour de l’inflation et la transition énergétique pourraient également expliquer la moindre productivité.

La productivité du travail est en baisse de plus de 2 % depuis le début de la crise sanitaire. Celle-ci a dans les faits commencé à s’éroder avant l’épidémie. Certains économistes soulignent que son recul a commencé dès 2017. Ce dernier est difficile à expliquer même si de nombreuses raisons sont avancées. La hausse du taux d’emploi des peu qualifiés serait responsable d’une partie de la baisse de la productivité. Entre 2017 et 2023, le taux d’emploi des personnes n’ayant qu’un niveau primaire d’éducation a gagné trois points pour atteindre 50 % au sein de la zone euro. La diminution de la population active en lien avec le vieillissement démographique oblige les employeurs à recruter des salariés à faibles compétences et donc à faible productivité. Cette explication n’est pas totalement satisfaisante car les États-Unis qui ont un faible taux de chômage depuis de nombreuses années (hors covid) ne sont pas confrontés à une baisse de la productivité. En Europe, les entreprises hésiteraient à licencier par crainte des réactions des pouvoirs publics après avoir été aidées durant l’épidémie et des difficultés à embaucher en cas de rebond de la demande. Près d’une entreprise sur deux est confrontée aux pénuries de main-d’œuvre. De ce fait, les entreprises préfèrent être en sureffectifs ce qui provoque une baisse de la productivité. Celle-ci est accentuée par le vieillissement de la population active. La part des 50/64 ans dans la population de la zone euro, par rapport à celle des 15/49 ans, est passée de 40 à 50 % de 2010 à 2023. Les salariés seniors sont jugés, en moyenne, moins productifs que les jeunes actifs. Les changements de comportement induits par la crise sanitaire pèsent également sur la productivité. Les emplois pénibles ou à horaires décalés peinent à trouver preneurs, obligeant les employeurs à doubler les postes, à augmenter les rémunérations ou à embaucher des personnes à plus faibles compétences.

Une des raisons qui expliquerait l’écart de productivité entre les États-Unis et la zone euro proviendrait de l’insuffisance, chez cette dernière, de l’investissement en nouvelles technologies et des dépenses de Recherche & Développement. Le taux d’investissement dans les technologies de l’information et de la communication représente 3,6 % du PIB aux États-Unis contre 2,6 % au sein de la zone euro. Les dépenses de Recherche & Développement pèsent 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,4 % du PIB en zone euro. L’érosion de la productivité pourrait être due aux contraintes environnementales accrues qui aboutissent à renchérir les coûts de production. les investissements réalisés n’ont pas comme objectif d’accroître l’offre ou de réduire les coûts mais de diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

L’inflation aurait conduit, par facilité, les entreprises à ne pas réaliser de gains de productivité. Les objectifs de chiffre d’affaires et de rentabilité ont été améliorés grâce à la hausse des prix. Les entreprises européennes ont bénéficié ces quatre dernières années d’aides importantes qui leur ont permis de maintenir voire d’améliorer leurs résultats. Les entreprises disposant d’effets de rente, en situation d’oligopoles ou de monopoles, n’ont pas à dégager de gains de productivité aussi élevés que celles qui sont sur des marchés concurrentielles. En Europe, les entreprises du luxe qui ont connu une forte croissance gèrent une rente d’image qui ne leur impose pas de dégager des gains de productivité.

Le recul de la productivité dans la zone euro apparaît multifactoriel rendant compliqué son endiguement. Les États doivent jouer sur la formation, l’investissement, l’augmentation de la concurrence et la recherche, sachant que les actions des entreprises mettront plusieurs années avant de porter leurs fruits. La désinflation et la fin des aides devraient néanmoins contraindre les entreprises à optimiser leur process de production et leur permettre de dégager des gains de productivité.