28 janvier 2023

Le Coin de l’économie : patrimoine – emploi – énergie – Chine

Inégalités patrimoniales de part et d’autre de l’Atlantique

Les inégalités de revenus et de patrimoine sont traditionnellement plus fortes aux États-Unis qu’en Europe. Elles s’y sont accrues ces dernières années. La zone euro n’a pas suivi les États-Unis sur ce terrain mais une convergence peut-elle survenir ?

Aux États-Unis, les revenus issus du capital ont augmenté de 2002 à 2022 passant de 11 à 13,5 % du PIB. Cette augmentation renforce les inégalités du fait de la concentration croissante du patrimoine. La proportion du patrimoine des États-Unis détenue par les 1 % des ménages les mieux dotés est passée de 31 à 35 % de 2002 à 2022. Sur la même période, la capitalisation boursière a progressé de plus de 60 % et la richesse immobilière de plus de 20 %. Depuis les années 1990, le partage de la valeur ajoutée aux États-Unis s’est effectué au détriment des salariés. La masse salariale reçue par les ménages a, sur cette même période, diminué passant de 56 à 53 % du PIB. Cette érosion est liée au fait que les salaires réels augmentent moins vite que la productivité et que les revenus du patrimoine croissent plus vite que le PIB. Le salaire réel par tête a progressé ces vingt dernières années de 10 % quand la productivité par tête s’est accrue, aux États-Unis de 45 %.

La zone euro diffère des États-Unis par une évolution des salaires proche de celle de la productivité. En moyenne de 2002 à 2022, la productivité par tête a augmenté de 9 % quand le salaire réel par tête a progressé à 10 %. En France comme en Italie, le salaire réel s’est accru plus vite que la productivité. Depuis 2014, à l’exception de l’année 2020, marquée par une forte chute de la productivité, celle-ci a néanmoins tendance à progresser plus vite que les salaires. Ce constat ne vaut pas pour la France qui est en proie à une baisse de la productivité assez importante depuis 2021.

Les inégalités de patrimoine ont tendance à augmenter au sein de la zone euro mais dans une proportion moindre que celle constatée aux États-Unis. La part du patrimoine détenu par les 1 % les mieux dotés est passée de 23 à 24,5 % du PIB. Cette progression s’explique, comme aux États-Unis, par l’appréciation des actifs « actions » et immobiliers. Le patrimoine des ménages modestes est avant tout constitué de produits de taux dont le rendement a baissé ces dix dernières années quand les ménages aisés détiennent proportionnellement plus d’actifs risqués (actions, parts d’entreprise, immobilier) dont les rendements sont plus élevés. La valeur des biens immobiliers a doublé en zone euro de 2002 à 2022 et celle de l’indice boursier européen Eurostoxx a gagné 80 % sur la même période.

Les inégalités croissantes en matière du patrimoine nourrissent celles liées aux revenus. La hausse des taux d’intérêt pourrait légèrement corriger la situation. La valeur des actions pourrait progresser moins vite que dans le passé tout comme celle de l’immobilier. Les revendications salariales tendent depuis la crise sanitaire à augmenter. La sensibilité des salariés face aux pertes de pouvoir d’achat peut conduire à un retour des règles d’indexation. Avec le retour du plein emploi, facilité par la stagnation de la population active, le rapport de force au niveau des négociations salariales pourrait être plus favorable aux salariés même si la structuration actuelle des économies tant aux États-Unis qu’en zone euro rend plus délicate l’expression des revendications sociales. Le secteur tertiaire est constitué par un grand nombre d’établissements disséminés sur l’ensemble du territoire quand l’industrie, dans le passé, concentrait sur un même lieu un grand nombre de salariés. A contrario, le vieillissement de la population pourrait à terme entraîner une baisse de la valeur des éléments constitutifs du patrimoine, les retraités étant obligés d’être en position de vendeurs pour maintenir leur pouvoir d’achat. Pour le moment, ce phénomène n’est pas constaté. Les retraités continuent à être épargnants nets jusqu’à des âges avancés. Ainsi, en France, ils le sont au moins jusqu’à 75 ans. L’amélioration de la couverture retraite réalisée depuis plus de cinquante ans leur permet de maintenir un effort d’épargne conséquent. À partir des années 2030, les effets des réformes, en particulier en France, devraient toutefois provoquer une baisse du niveau de vie relatif des retraités.

La Chine et la malédiction du numéro 2

Depuis plusieurs années, la Chine est annoncée comme future première puissance économique mondiale relayant les États-Unis à la place de deuxième. Le passage de témoin était prévu avant la fin de la décennie. Au tournant du siècle dernier, cette place de premier de la classe avait été promise au Japon qui finalement ne l’occupa pas en raison de son entrée dans une longue dépression. La Chine pourrait connaître le même sort que le Japon sur fond de décroissance démographique et d’éclatement de la bulle immobilière.

Après avoir été un des rares pays à connaître une croissance de son PIB en 2020, en pleine crise sanitaire, la Chine se dérobe depuis dans un contexte de politique de zéro-covid et est en proie à une déflation larvée. L’inflation hors énergie et produits agricoles est faible, inférieure à 1 %. La demande intérieure qui progressait de 6 % par an dans les années 2010 augmente de moins de 3 % depuis 2021. Le taux d’épargne, en revanche, demeure élevé, 32 % en 2022 du revenu disponible des ménages quand il n’était que de 17 % en 2002. La demande est entravée par la hausse du taux de chômage qui est passé de 4 à 6 % de la population activé de 2020 à 2022. Celui des jeunes de 15 à 24 ans atteint plus de 11 % ; contre 10 % dans les années 2010. L’investissement des entreprises qui enregistrait des hausses de plus de 10 % par an entre 2010 et 2015 est désormais étale. Tous ces indicateurs sont les signes d’une déflation. Parmi les facteurs qui contribuent à cette évolution de l’économie, figure le vieillissement de la population et tout particulièrement de la population active qui baisse depuis 2018. Face à la crainte d’une perte de revenus importante à la retraite, les Chinois augmentent leur effort d’épargne. Les dépenses publiques en faveur de la retraite sont faibles dans l’Empire du Milieu : moins de 6 % du PIB, contre plus de 12 % au sein des pays de la zone euro. Comme le système financier est peu développé et inspire faiblement confiance, les Chinois investissent dans l’immobilier. Cette orientation de l’épargne a généré une bulle immobilière avec la construction d’un grand nombre de logements dont une part non négligeable est inoccupée. Les prix de ces derniers sont en baisse en raison de l’absence de rentabilité et par les ventes réalisées par les retraités pour maintenir leur pouvoir d’achat. La Chine est également menacée par la montée du protectionnisme. La croissance du commerce international s’est fortement ralentie. Le gouvernement chinois avait longtemps espéré compter sur le moteur de la demande interne pour suppléer le commerce extérieur or cet espoir ne s’est pas réalisé.

Pour contrer la menace déflationniste, les autorités chinoises augmentent les dépenses publiques. En 2022, le déficit public a atteint 4 % du PIB. Elles diminuent les taux d’intérêt pour essayer de relancer l’économie. Les taux interbancaires à un an sont ainsi passés de 5 à moins de 3 % de 2012 à 2022. Elles recourent aux mêmes armes que celles utilisées par les pays de l’OCDE dans les années 2010.

Les États-Unis conserveront leur rôle de numéro 1 quelques années de plus grâce au maintien de forts gains de productivité et à une population active en augmentation. Ce pays continue à attirer les meilleurs chercheurs et ingénieurs de la planète ainsi que de nombreux jeunes actifs à faible qualification.

Prix de l’énergie, la bataille n’est pas finie !

Depuis la fin de l’année 2022, les prix sont orientés à la baisse que ce soit pour le pétrole, le gaz ou l’électricité. Le prix du baril de Bret qui était de 65 dollars avant la crise sanitaire a atteint plus de 120 dollars après le déclenchement de la guerre en Ukraine en février/mars 2022 avant de revenir autour de 80 dollars en décembre 2022 Le prix du gaz naturel est ainsi passé de moins de 50 euros le MWh en 2019 à plus de 300 euros durant l’été 2022 avant de revenir autour de 60 euros en début d’année 2023. Cette baisse des prix est une bonne nouvelle pour l’inflation, le pouvoir d’achat et la croissance, mais elle demeure fragile.

Les prix bas du pétrole et du gaz naturel à la fin de 2022 et au début de 2023 ne signifient pas un retour à la situation d’avant-guerre. Ils sont avant tout le résultat d’un affaiblissement de la demande mondiale et plus particulièrement de celle de la Chine qui est confrontée à la gestion de la fin de la politique du zéro covid et à une crise immobilière. La demande en énergie est faible également en raison de la relative douceur des premiers mois d’hiver en Europe.

Malgré les baisses de ces dernières semaines, le pétrole, le gaz et l’électricité n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la crise sanitaire. L’électricité vaut, au début de l’année 2023, deux fois plus cher qu’en 2019 (prix spot). Les prix de l’énergie sont par ailleurs sensiblement plus élevés en zone euro qu’aux États-Unis qui sont, dans ce domaine, autosuffisants. Ce prix élevé de l’énergie érode la compétitivité de l’économie européenne. Cette dernière pourrait être confrontée à de nouvelles hausses dans les prochains mois. Elle a bénéficié pour l’hiver 2022-2023 de stocks de gaz naturel constitués en partie grâce aux importations en provenance de Russie, leurs arrêts n’étant intervenus qu’au cours de l’été. Le recours au GNL (produit aux États-Unis, en Norvège, au Qatar…) a permis de compléter les stocks. Le taux de remplissage qui a atteint 90 % à l’automne a commencé à baisser. Il se situe au mois de janvier 2023 à 80 %. Il devrait se situer à la sortie de l’hiver autour de 30 %. Le défi sera alors de les reconstituer sans aucun apport russe. L’installation de barges d’accueil des méthaniers nécessite du temps. Ces dernières ne seront utilisables qu’en 2024.

La demande de pétrole et de gaz qui est faible en raison du ralentissement de l’économie chinoise pourrait repartir à la hausse quand cette dernière ne sera plus entravée par la crise covid. Une croissance plus vive de la Chine signifierait une hausse du cours du pétrole et de celui du gaz.

L’Europe pourrait néanmoins bénéficier au niveau de l’électricité d’une détente des prix avec la remise en fonction des centrales nucléaires françaises. La disponibilité du parc de réacteurs est passé de 16 à 30 depuis l’été. Le développement des énergies renouvelables devrait également accroître les capacités de production. Le changement du mode de fixation des prix, qui sont pour le moment dépendants du coût marginal de production, pourrait contribuer à leur baisse.

Tensions persistantes sur le marché de l’emploi aux États-Unis comme en Europe

Aux États-Unis, malgré les hausses des taux directeurs, les tensions sur le marché du travail perdurent. Plus de 45 % des entreprises rencontrent, au mois de janvier, des difficultés à recruter. Ce taux avait dépassé 50 % au milieu de l’année 2022. Le taux de démission même s’il est en repli reste élevé. Il était en janvier de 2,6 % contre 2,2 % en 2019 et 1,4 % en 2010. Les salariés américains sont nombreux à changer d’entreprises, de villes ou d’États. La Floride est la grande gagnante de l’envie de changement des Américains.

Le ratio du nombre des emplois vacants par rapport à celui des demandeurs d’emploi est de 1,6 en 2022 contre 1 en 2019 et 0,2 en 2010. Il avait atteint plus de 2 au cours de l’année dernière. En moins de trois ans, le taux de chômage a retrouvé son niveau d’avant crise sanitaire. Il s’élevait à 3,5 % en décembre dernier contre plus de 14 % au cœur de l’épidémie de covid-19.

Les tensions sur le marché du travail américain ont été aggravées par le recul du taux d’emploi après la crise sanitaire. De nombreux actifs ont tardé à revenir sur le marché du travail. Le taux d’emploi n’est revenu à son niveau d’avant épidémie qu’en 2022. De nombreux Américains ont vécu sur leur épargne et sur les aides perçues durant la crise avant de reprendre le chemin du travail.

En zone euro, des tensions sont également apparues sur le marché du travail. Elles ne sont pas toutes de la même nature que celles rencontrées aux États-Unis. La proportion des entreprises rencontrant des difficultés, au sein de la zone euro, à recruter a été multipliée par deux entre 2019 et 2022. Le taux de chômage y est passé de 7 à 6,5 % de décembre 2019 à novembre 2022 après avoir dépassé 8 % au printemps 2020. En Europe, les tensions sont liées à la faible croissance de la population active et à la diminution de la productivité due en partie au recul de la durée du travail par salarié. Le taux d’emploi est supérieur de 4 % à celui de 2019 mais la productivité par tête s’est contractée de 3 % (5 % en France). La durée du temps de travail par tête a diminué de 4 % de 2019 à 2022 quand elle est restée stable aux États-Unis. Depuis l’épidémie, les salariés européens rechignent à effectuer des heures supplémentaires et à occuper des postes à horaires décalés. Les employeurs sont contraints de doubler les postes.

De part et d’autre de l’Atlantique, pour des raisons en partie différentes, le marché du travail devrait rester tendu dans les prochaines années. Les salaires pourraient être amenés à augmenter plus rapidement que dans le passé et alimenter l’inflation. En Europe, celle-ci serait d’autant plus forte que la productivité est orientée à la baisse.