Le Coin de l’Economie – productivité – Allemagne – Royaume-Uni
Le déclin de productivité, source d’inflation en zone euro
La vague inflationniste que l’économie mondiale a connue en 2022 et 2023 est née d’un excès de demande après la crise sanitaire et d’une hausse des cours des matières premières, de l’énergie ainsi que des produits agricoles. Cette hausse a été occasionnée par la guerre en Ukraine qui a donné lieu à des embargos et à une réduction de l’offre. Depuis le milieu de l’année 2023, un processus de désinflation s’est engagé. Est-il la conséquence d’une réduction de la demande en lien avec le durcissement de la politique monétaire ou de l’augmentation de l’offre ? La baisse de l’inflation prend des formes différentes de part et d’autre de l’Atlantique indiquant que les deux grandes zones économiques ne sont pas dans la même situation.
Les taux d’inflation sous-jacentes (hors énergie, hors alimentation) sont passés de janvier 2023 à janvier 2024 de 6 à 3 % aux États-Unis, de 7 à 3,7 % en zone euro et de 2 à 1 % en Chine. L’inflation sous-jacente, en zone euro, décroît désormais de manière assez lente tant bien même que le ralentissement de la croissance y est plus marqué qu’aux États-Unis. Au dernière trimestre 2023, l’activité était étale en zone euro quand elle augmentait en rythme annuel de 3 % aux États-Unis. En Chine, la croissance avoisine 5 % par an. La consommation en biens tend à diminuer en zone euro. Logiquement, l’inflation en Europe devrait être, de ce fait, beaucoup plus faible. Les tensions salariales ne devraient pas alimenter l’inflation, le taux de chômage y étant deux fois plus élevés qu’aux États-Unis. Cependant, ce taux de chômage ne reflèterait certes pas l’état réel du marché de l’emploi. Les entreprises européennes sont confrontées à des pénuries de main-d’œuvre qui les obligent à augmenter les salaires. Dans le bâtiment, malgré une crise majeure, les difficultés de recrutement sont légion en particulier pour le second œuvre. L’Europe souffre d’un manque de personnel qualifié, directement employable.
Au-delà de cette problématique, l’écart d’inflation s’explique surtout par la disparition, en Europe, des gains de productivité. De 2019 à 2023, la productivité par tête est étale en zone euro ; elle a même baissé de plus de 2 % en France. Elle a augmenté de 10 % aux États-Unis et de 30 % en Chine. De 2010 à 2023, l’écart se creuse entre les États-Unis et la zone euro. La productivité par tête durant cette période a progressé de 25 % chez les premiers, contre 2 % pour la seconde. Sur la même période, la productivité a doublé en Chine.
La zone euro est entrée dans une phase de stagnation sur fond de rejet du progrès technique, de vieillissement de la population active et de la remise en cause de la concurrence. La montée du protectionnisme intra-européen et extra-européen aboutira à accroître les tensions inflationnistes et à réduire le pouvoir d’achat des consommateurs.
L’Allemagne, les voies et moyens pour s’en sortir
L’Allemagne, première économie de la zone euro, a connu près de vingt ans de succès économiques grâce à la force de son industrie et de ses exportations. Après avoir digéré la réunification intervenue en 1990 et engagé une politique de compétitivité sous l’impulsion de Gerhard Schröder, elle a engrangé d’importants excédents extérieurs qui ont compensé l’atonie de son marché intérieur. Ce modèle de développement a été remis brutalement en cause ces dernières années avec la multiplication des tensions commerciales et la guerre en Ukraine qui a renchéri le coût de l’énergie. L’Allemagne est désormais en récession et semble vouée à une longue stagnation. Quels sont les moyens dont elle dispose pour y échapper ?
Avec les Pays-Bas et les États d’Europe du Nord, l’Allemagne a réussi durant les années 2010 à maintenir le poids de son industrie et à pénétrer le marché chinois. Les exportations allemandes de biens et services vers ce pays sont ainsi passées de 2010 à 2022 de 50 à 120 milliards d’euros. La croissance de ces exportations était supérieure à celle de l’ensemble des exportations allemandes qui sont passées sur la même période de 1 000 à 2 000 milliards d’euros. Depuis 2022, les exportations allemandes déclinent. Celles à destination de la Chine sont passées de 120 à 110 milliards d’euros entre 2020 et 2023, l’ensemble des exportations revenant de 2000 à 1900 milliards d’euros. Grâce aux exportations, la production manufacturière avait progressé de près de 25 % de 2010 à 2019 avant de se contracter de 10 % entre 2020 et 2023.
Depuis une dizaine d’années, l’Allemagne a accumulé des excédents au niveau de sa balance des paiements courants importants, de l’ordre de 6 % du PIB, en moyenne, par an. Ces excédents ont été en grande partie investis en-dehors de l’Allemagne voire de la zone euro. Les entreprises ont investi, ces dernières années, de manière insuffisante. Leur taux d’investissement était de 12 % du PIB en 2023. Ce taux évolue entre 10 et 12 % depuis une dizaine d’années, soit deux à trois points de moins que celui des entreprises américaines. L’écart avec les États-Unis est élevé en ce qui concerne les dépenses en faveur de la recherche et développement. La productivité par tête en Allemagne ne progresse que lentement et tend même à reculer ces dernières années. Elle a décliné de 2 % depuis 2017a près avoir augmenté de 6,5 % de 2010 à 2017.
L’Allemagne est confrontée à un vieillissement démographique qui pénalise sa croissance. La population active devrait diminuer de 0,5 % en 2024, sachant que cette baisse devrait atteindre plus de 1 % d’ici 2030. Ces dernières années, pour limiter les effets du vieillissement, le pays a fait appel à l’immigration dans des proportions plus importantes que la moyenne des pays de l’Union européenne.
L’Allemagne a des besoins énergétiques plus élevés que ces partenaires européens en raison du poids de son industrie. Elle a pu compter sur le gaz russe à partir du milieu des années 1980. La guerre en Ukraine l’a contrainte à revoir son mode d’approvisionnement au prix d’un surcoût non négligeable. En 2023, l’électricité est produite à 47 % à partir d’énergies fossiles (fuel, gaz, charbon, lignite).
Les pénuries de main-d’œuvre et l’augmentation du prix de l’énergie contribuent à dégrader la compétitivité-coût de l’économie allemande. En 2023, les coûts salariaux ont progressé de 6 %.
Les entreprises sont contraintes à investir dans les prochains mois afin d’améliorer leur compétitivité. À cette fin, elles doivent cesser de placer à l’étranger leurs recettes d’exportation. Un effort conséquent doit être mené en matière de recherche et développement ainsi que dans le domaine de la formation. Les entreprises allemandes doivent rattraper leur retard en matière de digital. Le défi le plus important concerne le secteur de l’automobile, fer de lance de l’industrie allemande, qui a construit sa renommée sur la fiabilité de ses moteurs thermiques. Ayant peu investi dans les moteurs électriques et les batteries, les constructeurs allemands se trouvent concurrencés tant par ceux de Chine et par Tesla. L’économie allemande bénéficie de marges de manœuvre pour opérer un rétablissement grâce non seulement à ses excédents commerciaux mais aussi à son faible déficit public. L’État fédéral a les moyens d’investir dans les infrastructures publiques et d’accroître son effort en matière de recherche ou d’enseignement.
L’économie britannique, quatre ans après le Brexit
Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni quittait officiellement l’Union européenne. Le pays a bénéficié d’une période transitoire qui a couru jusqu’au 1er janvier 2021, date à partir de laquelle il est réellement sorti du marché unique. Ces quatre dernières années, le Royaume-Uni s’est affaibli par rapport aux autres pays de l’Union européenne. Il a été pénalisé par une croissance et une création d’emplois, plus faibles. Les investissements directs étrangers sont en recul tout comme l’investissement des entreprises. L’inflation y a été plus forte que dans l’Union, le Royaume-Uni devant supporter en plus de la hausse des prix liée au covid et à l’Ukraine le coût plus élevé des importations. Si avant le référendum sur le Brexit de 2016, le Royaume-Uni avait une croissance supérieure à celle de la zone euro, ce n’est plus le cas depuis 2019. Tous les moteurs de la croissance sont en panne.
Des investissements en recul
L’économie du Royaume-Uni souffre d’une diminution, depuis 2017, du taux d’investissement des entreprises. Le taux d’investissement des entreprises est passé de 11 à 9,8 % du PIB de 2017 à 2023 quand il est en hausse au sein de la zone euro. L’investissement des ménages en logement reste en revanche relativement stable autour de 4 points de PIB.
L’économie britannique est pénalisée par la diminution des entrées de capitaux. Depuis 2017, les investisseurs ont réduit leurs investissements directs, ce qui pèse sur l’investissement des entreprises et nuit à leur compétitivité. La place financière de Londres a perdu en attractivité au profit de Paris, d’Amsterdam et de Francfort.
Des échanges bridés par les droits de douane
Le Brexit a provoqué un léger recul des échanges avec les autres pays de l’Union européenne en raison de l’instauration de droits de douane. Que ce soit pour les importations ou pour les exportations, ce recul a été de 5 %. Cette baisse a été compensée, en partie, par l’augmentation des échanges avec le reste du monde. Malgré tout, les échanges avec l’Union européenne restent conséquents : 460 milliards d’euros d’importations et 350 milliards d’euros d’exportation en 2023. Avec le reste du monde, les exportations représentent, toujours en 2023, 470 milliards d’euros et les importations 400 milliards d’euros. Le Royaume-Uni important plus qu’il n’exporte, l’État a collecté des droits de douane mais ces derniers ont renchéri le coût des biens et ont réduit le pouvoir d’achat des ménages, pesant ainsi sur la consommation. La baisse des exportations britanniques a également nui à la croissance, la contribution du commerce extérieur à la croissance étant négative.
Une inflation plus élevée
Le Royaume-Uni doit faire face à une inflation plus élevée, de deux points en moyenne depuis 2021, qu’en zone euro. Cet écart s’explique par les restrictions portant sur les importations qui ont créé des goulets d’étranglement et par la moindre concurrence. Au mois de janvier, le taux d’inflation était, Outre-manche, de 4 %, contre 2,8 % en zone euro.
L’immigration, des besoins en augmentation
Le Brexit s’est joué en partie sur la question de l’immigration. Mais en raison du vieillissement démographique, l’économie britannique a un besoin croissant de travailleurs immigrés. Si les obstacles juridiques ont été accrus, en particulier pour les ressortissants de l’Union européenne, les flux nets d’immigrés ont augmenté depuis 2016. Ils sont passés de 0,6 à 1 % par an de la population totale. Malgré ces arrivées, de nombreuses entreprises sont confrontées à des problèmes de recrutement. Un quart des hôtels seraient en sous-effectif.
Le Brexit a des effets non négligeables sur l’économie du Royaume-Uni. Il pèse sur la croissance en raison d’une baisse marquée de l’investissement des entreprises et en raison d’une inflation élevée. Le pays reste dépendant économiquement de l’Europe et a un besoin important de main-d’œuvre étrangère. Avec une consommation en berne, le Royaume-Uni est ainsi entré en récession dans la seconde moitié de l’année 2023. Le PIB a, en effet, diminué de 0,3 % au quatrième trimestre, selon l’Office national des statistiques (ONS), après avoir baissé de 0,1 % lors des trois mois précédents. En 2023, le PIB a augmenté de 0,1 % contre +0,9 % en France. Depuis 2019, la croissance britannique est deux fois plus faible que celle de la France.