Le Coin de l’Economie – réindustrialisation de la France – isolationnisme USA – croissance
Les obstacles de la réindustrialisation en France
L’industrie française n’est toujours pas parvenue à retrouver son niveau de production d’avant-Covid. Depuis 2023, l’investissement dans ce secteur est en recul, et sa productivité décline depuis cinq ans. La volonté des pouvoirs publics de réindustrialiser le pays se heurte à plusieurs obstacles : le coût de l’énergie, le niveau de formation des actifs, ainsi que la faiblesse du tissu d’entreprises industrielles.
En 2025, la production industrielle reste inférieure de près de 8 % à celle de la fin 2019, avant la crise sanitaire. Comme en 2008, l’industrie française a connu, en 2020, une chute brutale de son activité dont elle ne s’est jamais vraiment remise. Depuis 2023, le taux d’investissement des entreprises industrielles est en baisse : il est passé de 12,8 % à 12 % du PIB en deux ans. Les incertitudes économiques, la hausse des taux d’intérêt et l’absence de perspectives solides expliquent cette tendance. Les intentions d’investissement sont, depuis 2024, orientées à la baisse. Les chefs d’entreprise n’anticipent pas de reprise significative dans les mois à venir. La crise politique de juin 2024 n’a fait qu’accentuer leur pessimisme.
La productivité du travail industriel, qui avait progressé de 22 % entre 2010 et 2020, s’est contractée de 3 points depuis la crise sanitaire. Le rebond des créations d’emploi observé brièvement en 2022-2023 s’est essoufflé dès la mi-2024. Le solde des ouvertures et fermetures de sites industriels est redevenu négatif en 2024 (-5), après avoir été positif en 2022 (+49) et en 2023 (+59).
Depuis 2022, l’industrie fait face à plusieurs vents contraires. La hausse des prix de l’énergie en Europe, conséquence directe de la guerre en Ukraine, affecte fortement sa compétitivité. Entre 2020 et 2025, le prix du gaz a doublé, et celui de l’électricité a lui aussi fortement augmenté.
L’industrie française souffre de son positionnement en gamme moyenne, qui n’est pas compatible avec un coût du travail élevé. Parmi les pays de l’OCDE, la France se classe parmi ceux où le coût horaire du travail est le plus élevé, alors que ses productions se retrouvent en concurrence avec celles de pays à bas coûts comme la Hongrie, la Slovénie ou le Portugal.

Cercle de l’Epargne – données BIT
Le mauvais positionnement des entreprises françaises est en partie imputable à la faiblesse des compétences de la population active.

Cercle de l’Epargne – données OCDE
L’instabilité juridique et fiscale, réelle et crainte, conduisent les entreprises à différer ou à annuler leurs projets industriels en France.
L’industrie française bute sur des verrous structurels anciens : énergie chère, formation insuffisante, réglementation émolliente et positionnement stratégique inadapté. Réindustrialiser ne peut se décréter. Cela suppose une cohérence durable des politiques publiques, une montée en gamme assumée, et un écosystème entrepreneurial réhabilité.
A la recherche de nouveaux relais de croissance
Relèvement des droits de douane, instauration d’une taxe carbone aux frontières : le commerce mondial devrait ralentir dans les prochaines années. Il jouera un rôle moindre dans la croissance économique. Les pays dont la demande intérieure – consommation et investissement – est faible, comme c’est le cas en zone euro, au Japon ou en Chine, seront les plus pénalisés. Les États-Unis, dont la demande intérieure était encore dynamique jusqu’en 2024, pourraient également être affectés, celle-ci reposant en grande partie sur les échanges internationaux.
La hausse des droits de douane décidée par les États-Unis, et les mesures de rétorsion adoptées en réponse par d’autres pays, pèseront sur les exportations de marchandises. Ce commerce, qui progressait de plus de 3 % par an avant la crise sanitaire, pourrait cette année marquer une stagnation. À l’inverse, le commerce de services – à l’exception notable de la production cinématographique – échappe pour l’instant à cette spirale protectionniste. Les exportations de services continuent d’afficher une croissance annuelle proche de 10 %.
Les pays qui ne peuvent s’appuyer sur une demande intérieure dynamique verront leur croissance s’affaiblir. Celle-ci repose sur deux piliers : la consommation et l’investissement. Ce dernier est en recul dans la zone euro, et demeure atone au Japon. En Chine, le taux de croissance de l’investissement est passé de plus de 8 % en 2022 à seulement 3 % en 2024. En zone euro comme au Japon, la consommation des ménages stagne. En France, en mars 2025, la consommation de biens est simplement revenue à son niveau de 2014. Dans ces conditions, la croissance économique en zone euro, au Japon et en Chine ne peut que s’étioler.
À l’inverse, les pays dont la demande intérieure reste vigoureuse sont moins exposés au ralentissement du commerce mondial. En Inde, deux tiers de la croissance proviennent de la consommation et de l’investissement. En Asie du Sud-Est, plus de la moitié de la croissance est également tirée par la demande intérieure. Aux États-Unis, avant le retour de Donald Trump, la consommation progressait de plus de 3 % par an, et l’investissement de plus de 5 %. La hausse des droits de douane, en faisant grimper les prix, pourrait freiner la consommation. Les incertitudes liées aux orientations économiques pèseront également sur les décisions d’investissement.
Avec Donald Trump, l’économie mondiale est soumise à de nouvelles contraintes voire à un changement de paradigme. La tentation protectionniste, redonne à la demande intérieure une fonction de moteur, et non plus seulement de relais. Dans cette nouvelle géographie de la croissance, les pays qui sauront stimuler leur consommation, sécuriser l’investissement et stabiliser leurs politiques publiques risquent d’être les gagnants.
L’illusion de l’isolationnisme américain
Les États-Unis se rêvent régulièrement comme une forteresse bénie, protégée par deux océans et une Providence économique. De cette géographie est née une doctrine : l’isolationnisme. Initialement, elle visait à faciliter l’émergence d’une industrie nationale en évitant la concurrence de l’ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni. Au XXIᵉ siècle, cette vieille inclination a retrouvé une nouvelle vigueur au nom de la défense de l’industrie et des salaires américains.
La formalisation de l’isolationnisme économique remonte à la fin du XIXe siècle, avec le tarif McKinley de 1890, suivi du tarif Dingley de 1897. Cette doctrine s’appuie également sur une vision morale : selon George Washington, les États-Unis doivent « éviter les alliances permanentes » ; selon les républicains de l’époque, ils doivent se prémunir de la dépendance économique, jugée corruptrice. L’entre-deux-guerres s’accompagne d’une montée du protectionnisme. En 1930, la loi Smoot-Hawley relève les droits de douane sur plus de 20 000 produits importés. Ce repli, conçu comme un réflexe de sauvegarde en pleine crise économique, provoque un effondrement du commerce mondial et contribue à l’internationalisation de la récession. Il alimente également les mouvements fascistes sur le Vieux Continent.
Les États-Unis abandonnent cette politique mortifère à la fin des années 1930 avec l’arrivée au pouvoir de Roosevelt. Ils imposent le libre-échange au monde libre après la Seconde Guerre mondiale. Ce choix repose sur l’idée que le commerce international favorise la paix, mais reflète aussi la toute-puissance économique des États-Unis.
Avec Donald Trump, l’histoire semble basculer de nouveau. Élu en 2016 sur le slogan America First, puis en 2024 sur Make America Great Again, il ressuscite l’esprit des années 1890 et 1930. Il considère que les producteurs américains ont été trahis par l’ouverture des frontières, concurrencés par des travailleurs étrangers et abandonnés par une élite mondialisée. Il dénonce le multilatéralisme, qu’il juge responsable de l’affaiblissement de son pays. Quelles que soient les négociations commerciales en cours, en imposant des droits uniformes de 10 % sur tous les produits, il met un terme à une politique de réduction des tarifs vieille de 80 ans. L’isolationnisme version Trump s’accompagne également d’une volonté de réduire l’immigration, pourtant l’un des moteurs historiques de la croissance américaine.
La tentation du repli défendue par le président américain apparaît anachronique, compte tenu de la forte dépendance extérieure des États-Unis, qui ne ressemblent en rien à ce qu’ils étaient en 1890 ou en 1920. Le poids des échanges extérieurs dans leur PIB a été multiplié par plus de trois en un siècle. Leur dépendance vis-à-vis du reste du monde est plurielle.
La dépendance à l’immigration
Même si le taux de fécondité des États-Unis reste supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE, il tend à diminuer et est désormais inférieur à 2. L’immigration joue un rôle croissant dans l’augmentation de la population américaine.

L’économie américaine dépend des travailleurs immigrés, tant pour les emplois peu qualifiés (agriculture, santé, services à la personne, restauration) que pour les postes à haute qualification, notamment dans la recherche et les technologies de l’information.

* : population ayant immigrée en 2023
Cercle de l’Epargne – données US Census Bureau
Les immigrés qualifiés compensent le faible niveau de compétences d’une partie des natifs américains.
Cercle de l’Epargne – données OCDE
La dépendance à l’épargne internationale
Les États-Unis doivent emprunter l’épargne du reste du monde pour financer leur déficit courant chronique. L’épargne domestique, en particulier celle des ménages, est insuffisante : elle est tombée sous les 5 % du revenu disponible brut en 2024, soit un niveau inférieur à celui d’avant la crise sanitaire. Le déficit public devrait atteindre 7 points de PIB cette année.
Sans leur capacité à attirer l’épargne mondiale, les États-Unis ne pourraient plus financer leur balance courante, ni soutenir leur effort d’investissement technologique, qui représentait 4 % du PIB en 2024, contre 2,5 % dans la zone euro.
La dépendance aux importations de biens
Le recul du poids de l’industrie manufacturière américaine depuis les années 1970 s’explique par l’absence d’avantages comparatifs. Le pays s’est spécialisé dans les services technologiques et financiers, ce qui se reflète dans sa balance commerciale. En 2024, la valeur ajoutée manufacturière ne représentait plus que 10 % du PIB, contre 11 % en 2010. La balance des services était excédentaire de 30 milliards de dollars par mois, tandis que celle des biens affichait un déficit supérieur à 150 milliards mensuels.
L’économie américaine est profondément insérée dans les chaînes de valeur mondiales. Les entreprises ont éclaté leur production pour proposer aux consommateurs des produits à bas coût. Les exigences de rentabilité des investisseurs ont renforcé cette organisation. La réindustrialisation est difficile à opérer, en raison du grand nombre d’acteurs concernés et de la complexité des chaînes existantes.
La dépendance aux exportations
Les grandes entreprises technologiques américaines – Alphabet, Apple, Tesla, Amazon, Microsoft – réalisent plus de 50 % de leur chiffre d’affaires à l’international. Une grande partie de leurs bénéfices provient de leurs ventes à l’étranger. Leurs dirigeants ont d’ailleurs vivement réagi à l’annonce de hausses de droits de douane.
Les multiples dépendances structurelles de l’économie américaine – à l’immigration, à l’épargne internationale, aux importations, aux exportations – rendent la politique isolationniste de l’administration Trump intenable à moyen et long terme. L’économie américaine ne peut fonctionner sans les travailleurs venus d’ailleurs, les capitaux étrangers, les biens importés ni les marchés extérieurs. Or, c’est au nom de la défense du pouvoir d’achat des Américains que Donald Trump a été élu. L’ironie est que l’isolationnisme qu’il prône pourrait précisément menacer ce pouvoir d’achat qu’il promettait de renforcer.