Le Coin de l’Economie – relocalisations – inflation – immigration
La relocalisation des industries intermédiaires est-elle possible ?
L’Europe a perdu la bataille de l’acier et de l’aluminium à partir des années 1990. Les surcoûts de production en lien avec l’énergie et les normes environnementales ont eu raison des industries de biens intermédiaires qui ont migré vers les pays émergents, pays dans lesquels la demande était en forte progression. Dans le cadre de la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre, des espoirs de relocalisation se font jour. Pour certains, le retour de l’industrie lourde est jugé nécessaire afin de maintenir et de développer l’ensemble de l’industrie. Pour d’autres, ce retour est une question d’indépendance économique et protection de l’environnement.
Ces trente dernières années, les industries de biens intermédiaires (acier, aluminium, engrais, ciment, etc.) ont donné lieu au sein de la zone euro provoquant à une multiplication par trois des importations qui sont passées de 6 à près de de 18 points de PIB. Les délocalisations de ces industries ont pour explication essentielle le prix de production plus bas des produits correspondants dans les pays émergents. L’écart de coûts de production était de 35 % en 2021. Il s’est certes contracté en vingt ans car il atteignait 60 % en 1998.
Les pays européens souhaitent une relocalisation d’une partie de ces activités jugées essentielles dans le cadre des processus de production. L’instauration d’une taxe carbone à la frontière vise à faciliter cette relocalisation. Elle est prévue en 2027 et concernera justement dans un premier temps les biens intermédiaires (acier, aluminium, engrais, ciment, etc.). Néanmoins, cette taxe de nature protectionniste pourrait également conduire à de nouvelles délocalisations. Les entreprises produisant des biens de consommation important des biens intermédiaires pourraient échapper à la contrainte de la taxe carbone en s’installant en-dehors de l’Union européenne, ce qui diminuerait également la demande aux entreprises produisant des biens intermédiaires européennes. Au sein de la zone euro, la production de biens de consommation et de biens intermédiaires évolue de manière parallèle depuis vingt ans (+30 %).
Pour être efficace, la taxe carbone doit compenser les surcoûts supportés par les entreprises industrielles installées en Europe pour produire de manière décarbonée du ciment, de l’aluminium, de l’acier, etc. Les écarts de coût de production sont importants car les énergies renouvelables sont chères et les process de décarbonation le sont également, surtout en tenant compte de l’amortissement des équipements nécessaires. A minima, selon l’économiste de Natixis, Patrick Artus, le coût de la tonne carbone devrait être fixé à 100 euros pour être efficace.
Les relocalisations des industries intermédiaires supposent que ces dernières bénéficient d’un avantage technologique important en lien avec l’utilisation de nouvelles techniques de production. Grâce à des investissements importants, les pays de l’OCDE pourraient ainsi utiliser une technologie décarbonée pour produire les biens intermédiaires, quand les pays émergents utiliseraient une technologie carbonée.
La relocalisation des industries lourdes suppose que les populations européennes acceptent l’implantation d’usines à proximité de leur domicile. Elle nécessite également la formation d’ingénieurs et de techniciens qui font actuellement cruellement défaut.
L’immigration, une nécessité pour les Etats européens
D’ici 2030, la population active diminuera en Allemagne, en France, en Espagne et en Italie. Il en sera de même en Pologne, en Roumanie ou en Hongrie. Les marges de manœuvre en matière de taux d’emploi sont de plus en plus faibles, en particulier en Allemagne. Avec l’Espagne et l’Italie, la France est le pays qui dispose des marges les plus importantes du fait du faible taux d’emploi constaté chez les jeunes de moins de 25 ans et chez les seniors. Le taux d’emploi est en France de 68 % contre 76 % en Allemagne. Il s’élève à 60 % en Italie et à 64 % en Espagne. L’hostilité au report de l’âge de départ à la retraite rend difficile l’augmentation du taux d’emploi. L’insuffisance des compétences génère une inadéquation croissante entre offre et demande de travail. Par ailleurs, de plus en plus de salariés refusent des emplois à forte pénibilité ou à horaires décalées.
L’absence de gains de productivité complique la donne car elle ne permet pas de compenser la baisse de la population active. En France et en Espagne, un recul de la productivité est même constaté. En Allemagne, elle stagne. En revanche, elle continue de progresser dans les pays d’Europe de l’Est qui sont toujours en rattrapage par rapport à l’Ouest. Le recul de la productivité amène celui de la production. Ce phénomène est déjà à l’œuvre en France et en Espagne.
Les Etats-Unis diffèrent de l’Europe sur plusieurs points. Leur population active continue à augmenter et les gains de productivité y ont moins baissé. Malgré le durcissement de la législation, les États-Unis demeurent un pays d’immigration. L’apport des travailleurs étrangers à la croissance est important. Il réduit les tensions sur le marché du travail. Contrairement aux idées reçues, la population immigrée est aux Etats-Unis plus diplômée que le reste de la population. Plus de 20 % des immigrés disposent d’un diplôme BAC+5 et plus contre 15 % de la population native. La proportion de BAC+4 atteint 36 % chez les premiers, contre 24 % chez la seconde (source : US Census Bureau). L’immigration choisie est également de mise au Canada et en Australie, immigration qui explique dans ces pays plus de 75 % de la croissance démographique.
L’Europe, en dehors de la période 2015/2017 a réduit les flux d’immigration. Cette réduction à l’exception de l’Allemagne a été forte dans les pays qui connaissent de forte régression de la population active. En Europe, plus de 40 % des entreprises rencontrent des difficultés de recrutement. Les délais s’allongent pour la réalisation des travaux dans le bâtiment. Des restaurants et des hôtels doivent réduire leurs activité faute de personnel. Cette situation pèse sur la croissance et sur les rentrées fiscales et sociales. Les besoins en main d’œuvre en Europe concernent tant les emplois qualifiés (médecins, infirmiers, techniciens, ingénieurs, etc.) que les emplois non qualifiés. Dans les prochaines années, la situation ne peut que se dégrader compte tenu des départs massifs à la retraite qui sont programmés. Les générations des années 1960 qui sont les plus nombreuses sont désormais concernées par la retraite. Pour la France, plus de 800 000 départs à la retraite par an sont prévus jusqu’en 2040. Toute réduction brutale de la population active est une source d’attrition économique et donc d’appauvrissement. La réduction du moteur économique rendra plus difficile le financement des dépenses sociales et en premier lieu des retraites. L’ouverture à l’immigration est donc nécessaire. Des moyens devraient être dégagés pour améliorer l’accueil des immigrés avec un accès privilégié à la formation et à l’apprentissage des langues.
La diminution de la population active associée à une baisse de la productivité provoquera une diminution de la production et pèsera sur la croissance. Elle conduira à une inflation plus élevée. Elle amènera surtout une baisse des conditions de vie, avec un accès aux services en particulier sanitaires de plus en plus difficiles. La voie de l’immigration est, en l’état actuel des choses, une des rares solutions qui s’offre aux pays européens pour relever leur croissance potentielle et limiter la dérive de leurs comptes publics.
Inflation, quel est le niveau de taux directeurs nécessaire pour la juguler ?
Depuis la fin de l’année 2021, l’inflation s’accélère au sein de la zone euro. La guerre en Ukraine a amplifié le phénomène. La hausse des prix des matières premières, de l’énergie et des produits agricoles s’est diffusée à l’ensemble des produits et des services augmentant ainsi l’inflation sous-jacente (inflation hors biens et services soumis à une forte volatilité ainsi que ceux dont les prix dépendent des pouvoirs publics). Les économistes estiment que le recul de l’inflation sous-jacente intervient si le taux de chômage devient supérieur au taux de chômage structurel. Ce dernier est évalué à 7½ % dans la zone euro. Or pour le moment dans de nombreux pays et même en France, le taux de chômage est inférieur à ce taux conduisant à une transmission de la hausse des prix aux salaires.
En zone euro, le taux de chômage est passé de 8 à 6 % entre 2020 et 2022. Malgré le ralentissement de la croissance, il poursuit sa baisse, certes à faible vitesse. Pour le moment, les hausses de taux n’ont pas eu de réelles incidences sur son évolution. La croissance reste élevée pour provoquer une détérioration du marché du travail qui est en outre favorisée par d’importants départs à la retraite. La diminution des gains de productivité au sein de la zone euro a pour conséquence de mobiliser plus de salariés pour produire la même quantité de biens et de services qu’auparavant.
Les relèvements de taux directeurs décidés par la BCE restent modestes et ne sont pas de nature à provoquer une réelle inflexion de l’économie. Les taux d’intérêt réels restent négatifs, plus de 6 points à 10 ans. Les taux directeurs (2,5 %) sont inférieurs à la croissance des salaires, (+4 %). Ces taux faibles n’handicapent que marginalement le marché immobilier et la demande globale. Si cette dernière est atone, elle ne recule néanmoins pas. Au sein de la zone euro, le prix de l’immobilier a progressé de plus de 8 % en 2022, ce qui en fait l’une des plus fortes augmentations de ces vingt dernières années.
La BCE espère toujours que la baisse des cours de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles permettra de mettre un terme à la vague inflationniste. Par ailleurs, face aux risques de fragmentation de la zone euro avec les problèmes de solvabilité de certains Etats, elle préfère temporiser en matière de hausse de ses taux directeurs. L’inflation est en partie acceptée par les autorités monétaires. L’inflation sous-jacente ne devrait baisser que lentement. A priori, la BCE s’est fixé un objectif de taux à 3,5 % au cours de l’année 2023 ; ce niveau apparaît insuffisant pour faire reculer l’inflation sous-jacente. Elle pourrait être amenée à aller au-delà comme le proposent certains membres du Conseil de Politique Monétaire. Pour le moment, les investisseurs sur les marchés financiers sous-estiment les hausses de taux d’intérêt à venir dans la zone euro. Un ajustement boursier pourrait intervenir quand cette prise de conscience aura lieu.