Le Coin de l’Economie – taux d’emploi – productivité – vieillissement
Recul du taux d’emploi aux États-Unis, quelles raisons ?
Aux États-Unis, le marché de l’emploi connait d’amples fluctuations. Le taux d’emploi est amené à évoluer en fonction de la conjoncture. Le taux d’emploi et le taux de participation avaient ainsi reculé de 1999 à 2013 ainsi qu’en 2015. Ils se sont redressés en 2014 et en 2016. Avec la crise sanitaire, le taux d’emploi (ratio du nombre de personnes ayant un emploi sur la population d’âge actif) enregistre une nouvelle contraction, passant de 61,5 à 60 % de 2020 à 2022. Ce taux dépassait 64 % en 2002, niveau qu’il n’a jamais retrouvé depuis. Le taux de participation qui est le ratio du nombre d’actifs (en emploi ou au chômage) par rapport à la population de 15 à 64 ans, suit une évolution parallèle à celle du taux d’emploi.
Aux États-Unis, la baisse du taux d’emploi depuis 2020 concerne autant les hommes que les femmes. Celui des hommes est passé de 67 à 65 % et celui des femmes de 56 à 55 %. Le taux d’emploi baisse surtout pour les niveaux intermédiaires de qualification. Il est resté stable pour les diplômés de l’enseignement supérieur (autour de 70 %), quand il est passé de 57 à 52 % pour ceux qui ne sont diplômés que de l’enseignement secondaire. Les retraits du marché du travail concernent toutes les catégories d’âge et plus particulièrement les plus de 55 ans. Le taux d’emploi des plus de 55 ans s’élevait ainsi à 38 % en 2022, contre 42 % en 2019. Des actifs américains auraient anticipé leur départ à la retraite. La bonne valorisation de leurs actifs immobiliers et mobiliers les auraient incités à liquider plus rapidement que prévu leurs droits à pension. De 2010 à 2022, l’indice boursier S&P 500 a été multiplié par plus de 4 et le prix des logements a plus que doublé. Cet enrichissement a permis des départs précoces à la retraite.
La baisse du taux d’emploi s’explique également par l’augmentation du nombre de démissions. En 2022, quatre millions de démissions ont été enregistrées contre 2,8 millions en 2019. Ces démissions progressent légèrement plus vite que les embauches dont le nombre a néanmoins dépassé 6 millions en 2022.
Le refus d’exercer des emplois pénibles ou à horaires décalés a provoqué des retraits du marché du travail. Avec le recul permanent de la croissance des salaires réels par rapport à la productivité aux États-Unis, le rejet des emplois mal payés contribue à des sorties du marché du travail. Le salaire réel par tête n’a augmenté que de 8 % entre 2022 et 2022 quand la productivité s’est accrue de 38 %. Les retraits du marché du travail ont été facilités par l’essor de l’épargne forcée durant la crise sanitaire qui a donné lieu également au versement d’importantes aides publiques.
Avec le retournement de la bourse, la baisse du prix des logements et la progression des dépenses de consommation, le patrimoine des Américains tend à baisser. Ce qui conduit ceux qui en étaient sortis, à revenir sur le marché du travail. Les départs anticipés à la retraite tendent également à s’estomper.
La baisse de la productivité, conséquence d’un marché du travail tendu
Les gains de productivité du travail diminuent voire ont complètement disparu en zone euro comme aux États-Unis. De multiples facteurs sont avancées pour expliquer cette évolution inquiétante pour la croissance : le moindre goût pour l’effort, la baisse de la durée du travail par salarié, l’insuffisance des investissements, les difficultés de recrutement, l’emploi de salariés ayant peu ou pas de formation, etc.
Aux États-Unis comme en Europe, la productivité du travail par tête n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. La première raison de ce recul est la diminution de la durée de travail, de 4 % en zone euro en trois ans et de 1 % aux États-Unis. Le rejet des horaires décalés et des emplois pénibles contraignent les employeurs à embaucher sur un même poste un nombre de salariés plus important qu’auparavant. La baisse de la durée du travail est également la conséquence d’une production en repli en raison des problèmes d’approvisionnement, en particulier dans l’industrie. Le recul de la productivité peut s’expliquer par une diminution de l’investissement des entreprises. Aux États-Unis, ce dernier s’élevait à 13 % du PIB en 2022, contre 14 % avant l’épidémie. Pour la zone euro, ce phénomène est moins net. L’investissement des entreprises était de 15 % du PIB en 2019 avant de s’abaisser à 13,8 % du PIB en 2018 mais il s’élevait à 12 % en 2016.
La baisse de la productivité peut être due à des facteurs moins traditionnels comme celui lié aux difficultés des entreprises à embaucher. Aux États-Unis, plus de la moitié des entreprises ont été confrontées à ce problème en 2022. En zone euro, plus de 40 % des entreprises étaient dans la même situation. Par crainte de ne pas trouver des salariés, les entreprises hésitent à licencier même en cas de baisse d’activité. Certaines préfèrent anticiper les recrutements même si la demande ne le justifie pas. Dans tous les cas, la productivité baisse. En France, le développement des contrats d’alternance et d’apprentissage, un million en 2022, contre 300 000 en 2017, contribue à la baisse de la productivité. Les jeunes concernés sont comptabilisés comme salariés mais ces derniers étant en formation une partie du temps et encore faiblement expérimentés en raison de leur faible expérience, leur productivité est inférieure à celle des autres salariés.
Face aux pénuries de main d’œuvre, les entreprises européennes ou américaines sont contraintes de recruter des salariés moins productifs que dans le passé. L’année dernière, le taux de chômage a en effet baissé plus rapidement pour les demandeurs d’emploi ayant un faible niveau de qualification. Toujours en 2022, le taux de chômage des personnes peu ou pas qualifiées s’est contracté de 4 points aux États-Unis et de 3 points en zone euro. Une corrélation positive significative est constatée entre le taux de chômage des peu qualifiés et la croissance de la productivité par tête aux États-Unis. Cette corrélation est moins nette en zone euro certainement en raison d’un taux de chômage plus élevé.
La diminution de la productivité serait donc la combinaison d’une diminution de l’effort au travail et de l’entrée sur le marché de l’emploi de personnes moins productives. La baisse de l’investissement aurait un effet marginal sur l’évolution de la productivité.
Le vieillissement démographique et ses effets économiques
Annoncés depuis des années, les effets du vieillissement démographique commenceraient-ils à se faire ressentir sur les économies occidentales ? En théorie, le vieillissement de la population est inflationniste et provoque une hausse des taux d’intérêt. Jusqu’à la crise sanitaire, la faible inflation et les taux historiquement bas contredisaient cette théorie. Depuis le début des années 1990, le Japon, pays de l’OCDE le plus engagé sur la voie du vieillissement, doit faire face à une déflation sur fond d’épargne élevée.
Un vieillissement marqué dans un grand nombre de pays de l’OCDE
La population de plus de 65 ans représentait 48 % de la population au Japon en 2022, contre 20 % en 1995. Pour la zone euro, les taux respectifs sont de 35 % et 22 %. Les États-Unis sont les moins touchés par le vieillissement, la proportion des plus de 65 ans a atteint 27 % en 2022, contre 20 % en 1995. La population active diminue au Japon depuis près de 30 ans. Elle est en baisse pour la zone euro depuis 2009. Elle continue en revanche de progresser aux États-Unis de 0,2 % par an. En 1997, cette hausse atteignait près de 1,5 %.
Une hausse de l’inflation prévisible
Le vieillissement démographique est logiquement propice à une hausse des prix. La demande tend à croître plus vite que la production. En effet, les retraités qui sont des consommateurs, augmentent plus vite que le nombre d’actifs. Par ailleurs, ils consomment avant tout des services. Or ces derniers offrent moins de gains de productivité que l’industrie. En 2021, l’inflation est née des problèmes d’approvisionnement puis a été alimentée par la hausse des cours de l’énergie, des matières premières et des produits agricoles en 2022. Depuis quelques mois, la hausse des salaires la nourrit. Les pénuries de main-d’œuvre favorisent la progression des rémunérations. Avec la dégradation du ratio actifs/inactifs, la hausse des salaires devrait se poursuivre d’autant plus si les gains de productivité n’augmentent pas et si les États occidentaux limitent le recours à l’immigration.
Des effets contradictoires sur l’épargne
Le vieillissement de la population devrait s’accompagner d’une baisse du taux d’épargne. Les retraités sont censés puiser dans leur épargne pour maintenir leur pouvoir d’achat. Les fonds de pension sont également amenés à vendre une partie de leurs actifs pour financer les rentes. Or, depuis 2010, au sein de l’OCDE, les taux d’épargne sont orientés à la hausse. Le taux d’épargne de la zone euro est passé de 24 à 25 % de 2010 à 2022 et celui des États-Unis de 17 à 21 % du PIB. Celui du Japon, en revanche, a diminué sur la période de 30 à 27 %. La hausse du taux d’épargne en Europe ou aux États-Unis serait liée à une augmentation de l’épargne de précaution et à une crainte des seniors de subir une érosion sensible du pouvoir d’achat des pensions dans les prochaines années. En zone euro, le niveau de vie élevé des retraités par rapport à l’ensemble de la population conduit ces derniers à épargner jusqu’à l’âge de 75 ans.
Une augmentation à venir des taux d’intérêt
L’abondance d’épargne et de liquidités a conduit à des taux historiquement bas entre 2015 et 2021. Si les taux ont augmenté avec la résurgence de l’inflation, ils demeurent fortement négatifs en valeur réelle. Avec le recul de l’inflation, ces taux pourraient être néanmoins à l’avenir plus élevés que dans le passé. Les dépenses d’investissement pourraient progresser avec les besoins générés par la transition énergétique. Les balances courantes des pays occidentaux devraient se dégrader dans les prochaines années ; les pays occidentaux seront ainsi contraints d’emprunter davantage à l’extérieur, ce qui amènera une hausse des taux d’intérêt. Les balances courantes se dégradent dans la majorité des États de l’OCDE depuis plusieurs années. Elles sont négatives pour les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, pays de consommation et de services dépendant des importations de biens industriels en provenance de Chine et de l’Allemagne.
Le vieillissement démographique a des effets manifestes sur les économies occidentales. Il contribue à la baisse du chômage, à la multiplication des pénuries de main-d’œuvre et à la baisse des gains de productivité. Il favorise la déformation de l’offre au profit des services. Il pourrait être un facteur non négligeable d’inflation. En revanche, ses effets sur l’épargne sont incertains. En théorie, elle est censée baisser. En réalité, elle tend actuellement à augmenter. L’évolution du pouvoir d’achat des retraités conditionnera sans nul doute celle de l’épargne dans les prochaines années.