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Quand hausse des taux d’intérêt ne rime plus avec récession
Deux ans après la vague inflationniste la plus importante des quarante dernières années, les banques centrales s’engagent, les unes après les autres, dans un processus de réduction de leurs taux directeurs. Elles estiment que le travail a été accompli sans catastrophe majeure.
En 2022, lorsque les banques centrales ont commencé à lutter contre l’inflation en augmentant leurs taux directeurs, de nombreux économistes avaient prédit que les pays concernés ne pourraient éviter une récession. La précédente opération de désinflation, engagée à la fin des années 1970, avait provoqué un ralentissement important. De fin 2021 à début 2024, le taux directeur moyen des pays de l’OCDE a augmenté de cinq points de pourcentage, ce qui, bien que moins qu’à la fin des années 1970-1980, reste l’une des plus importantes hausses jamais enregistrées.
Au sein de l’OCDE, l’indice des prix à la consommation a culminé à 9,5 % en glissement annuel à la mi-2022. Au deuxième trimestre de cette année, l’inflation était retombée à 2,7 % et a continué de baisser durant l’été, se rapprochant des 2 %. Dans plusieurs pays, elle est désormais pratiquement conforme à l’objectif, voire en dessous. En juillet, l’inflation en Italie n’était que de 1,6 %. Les banques centrales sont confiantes dans la poursuite du processus de désinflation. Cependant, les services continuent d’enregistrer des hausses de prix relativement élevées, de 3 à 4 %, en lien avec la progression des salaires nominaux (+4 % en moyenne sur un an). Cette augmentation, supérieure à celle d’avant la crise sanitaire, reste susceptible d’alimenter la hausse des prix, compte tenu de la faiblesse des gains de productivité.
Le recul de l’inflation s’est fait sans affecter significativement la croissance économique. Au deuxième trimestre de cette année, le PIB réel combiné de l’OCDE a augmenté de 1,8 % sur un an. La moitié des pays de l’OCDE, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Nouvelle-Zélande et la Suède, ont, ces deux dernières années, connu des périodes de récession, définie comme la contraction du PIB durant deux trimestres consécutifs. Ces récessions ont été appelées technique car elles ont eu peu d’effets sur les agents économiques. En 2022 et 2023, les récessions n’ont pas entraîné de hausse marquée du chômage ni de baisse des revenus des ménages. Les bénéfices des entreprises n’ont pas diminué, et le taux de chômage dans l’OCDE reste autour de 5 %. Dans de nombreux pays, dont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne, le nombre de postes vacants reste supérieur aux niveaux d’avant la pandémie, suggérant que la demande de main-d’œuvre demeure élevée. Ce dynamisme du marché du travail attire des personnes qui, ces dernières années, avaient renoncé à chercher un emploi. Le taux de participation à la population active des personnes en âge de travailler dans l’OCDE atteint un niveau élevé. À court terme, ces afflux de demandeurs d’emploi pourraient faire augmenter le taux de chômage.
Au deuxième trimestre 2024, les bénéfices des entreprises mondiales ont augmenté de plus de 10 % sur un an, selon la Deutsche Bank, leur plus forte hausse depuis deux ans. Bien que la confiance des entreprises au sein de l’OCDE reste globalement déprimée, elle est plus élevée en 2024 qu’en 2023. L’augmentation du nombre de faillites d’entreprises reflète avant tout un retour à la normale après une période atypique où les entreprises avaient bénéficié de soutiens publics.
L’absence de ralentissement marqué de l’activité, malgré la hausse des taux directeurs, peut s’expliquer par une moindre sensibilité des économies à ces variations en raison du déclin des secteurs à forte intensité de capital. Les économies sont de plus en plus tournées vers le secteur tertiaire et moins vers le secteur manufacturier, ce qui nécessite moins d’investissements lourds. Après la crise financière, les acteurs économiques ont également eu tendance à se désendetter. La charge de la dette diminue alors que, parallèlement, les revenus de l’épargne augmentent. Au sein de l’Union européenne, la hausse des taux d’intérêt a permis d’augmenter les revenus des ménages issus de leurs comptes d’épargne de 40 %, tandis que l’augmentation du coût des remboursements de dettes est restée inférieure.
La résilience des économies occidentales s’explique également par les politiques budgétaires mises en œuvre par les pouvoirs publics depuis la crise sanitaire. Les gouvernements ont accru les dépenses publiques pour soutenir les ménages et les entreprises. Des mesures ont été prises pour limiter les pertes de revenus des ménages en 2020 et 2022. Les entreprises ont également bénéficié de soutiens pour faire face aux effets des confinements, ainsi qu’à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières. Les États de l’OCDE ont également favorisé la réindustrialisation en multipliant les aides à l’implantation de nouvelles usines. Le prix à payer pour ces mesures est un déficit public élevé, atteignant en moyenne 4,4 % du PIB au sein de l’OCDE en 2024. Aux États-Unis, ce déficit dépasse 7 % et en France, il est de 5 %.
Aux États-Unis, malgré les craintes d’une récession au mois d’août dernier, de nombreux indicateurs restent bien orientés. Les dépenses par carte de crédit demeurent élevées. Selon la Fed d’Atlanta, la croissance devrait une nouvelle fois dépasser 2 % en 2024. La vague inflationniste de 2022-2024 semble avoir été résolue sans trop de dommages collatéraux. Le doigté des banques centrales y est peut-être pour quelque chose, mais il est possible que les économies actuelles soient moins inflationnistes qu’auparavant. Le vieillissement démographique et les désillusions de la consommation pourraient expliquer cette évolution.
A quoi servent les entreprises ?
À quoi servent les entreprises ? Cette question simple suscite souvent des réponses complexes, voire plurielles. Une entreprise ne se limite pas à la réalisation de bénéfices au profit des actionnaires. Il existe en effet des mutuelles et des institutions paritaires dont ce n’est pas l’objectif, et pourtant, ce sont des entreprises. Une entreprise est avant tout une structure permettant d’associer du capital et du travail en vue de vendre des biens ou des services à des clients. Une entreprise peut-elle, par ailleurs, être éthique ou remplir des missions d’intérêt général ? En France, la loi PACTE a créé le statut de société à mission.
Aux États-Unis, la réalisation du profit a longtemps été la clé de voûte des sociétés. Il y a cinq ans, la Business Roundtable, un cercle de réflexion de chefs d’entreprise américains, a remis en question cette orthodoxie. Dans une note rédigée en 2019, ce groupe a affirmé que les entreprises doivent agir dans l’intérêt de toutes leurs « parties prenantes » : non seulement les actionnaires, mais aussi les clients, les employés et la société dans son ensemble. C’est également en 2019 qu’en France, la loi PACTE a été adoptée. Celle-ci a modifié les codes civil et commercial pour inscrire une nouvelle définition de l’objet social de l’entreprise. Désormais, l’entreprise en France doit prendre en compte des impératifs sociaux et environnementaux dans sa gestion. Elle doit « être gérée dans son intérêt social, en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Elle est ainsi incitée à réduire son empreinte écologique en limitant ses émissions de gaz à effet de serre, en évitant le gaspillage, en mettant en place des stratégies de recyclage ou en intégrant des circuits d’économie circulaire, entre autres. Elle doit également veiller au bien-être, voire au bonheur moral de ses salariés.
Compte tenu de ces nouvelles obligations, l’entreprise doit-elle obligatoirement devenir un acteur moral, éthique et responsable ? Comment concilier ces objectifs avec la nécessaire recherche de rentabilité, gage de sa pérennité ? Cette évolution du rôle perçu de l’entreprise s’inscrit dans un contexte plus large de remise en question des autres grandes formes d’organisations collectives (partis politiques, syndicats, associations, religions, etc.).
Aux États-Unis, selon l’institut de sondage Gallup, la proportion d’Américains qui ont peu ou pas confiance dans les grandes entreprises est passée d’un quart en 2000 à près de deux cinquièmes en 2009, et cette proportion reste stable depuis. La mondialisation économique et financière a sans nul doute altéré l’image des grandes entreprises, obligeant leurs conseils d’administration à intégrer de nouvelles priorités dans leurs plans. Les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont devenues des enjeux majeurs pour les entreprises.
Cependant, aux États-Unis, cette redéfinition des missions des entreprises suscite des doutes. Les résolutions relatives au changement climatique lors des annonces de résultats des entreprises de l’indice S&P 500 ont diminué de près d’un tiers en 2023 par rapport à 2021. De plus en plus d’entreprises du secteur de l’énergie relancent leurs projets d’investissements dans le charbon, le pétrole ou le gaz. Les entreprises américaines ont désormais tendance à évaluer les investissements verts principalement en fonction de leurs mérites commerciaux, plutôt que moraux. Les discussions sur la diversité lors des appels à résultats ont également chuté de près de moitié depuis 2021. En 2023, les investisseurs ont retiré environ 4 % des fonds alloués aux investissements ESG en Amérique. Les Républicains américains souhaitent réduire les contraintes environnementales pesant sur les entreprises, estimant que leur objectif principal est de créer des emplois et d’assurer un niveau de vie convenable à la classe moyenne. Ils soulignent également la nécessité pour les entreprises de rester compétitives face à leurs concurrentes chinoises. De plus, les entreprises sont de plus en plus perçues comme des acteurs de la diplomatie américaine. Le patriotisme économique est de plus en plus fort aux États-Unis, comme dans d’autres grandes nations. La liste des entreprises dites sensibles en matière technologique, pouvant être soumises à des réglementations spécifiques (limitations des exportations et des importations, contrôle des actionnaires étrangers), ne cesse de s’allonger de part et d’autre de l’Atlantique. Les constructeurs automobiles américains s’attendent à se voir imposer des règles interdisant l’utilisation de logiciels chinois dans leurs véhicules autonomes.
Les investissements à l’étranger deviennent également plus délicats. En juin, le département du Trésor américain a annoncé les détails de ses propositions visant à restreindre les investissements des entreprises américaines dans les sociétés chinoises de semi-conducteurs, d’informatique quantique et d’intelligence artificielle. Le projet de rachat de US Steel par Nippon Steel, son concurrent japonais, a été bloqué par les autorités américaines, soulignant ainsi que la définition de la « sécurité nationale » s’est élargie. Microsoft, qui est entré au capital de la start-up émiratie G42, a dû exiger de celle-ci qu’elle mette fin à ses liens avec l’entreprise chinoise Huawei, sous sanctions américaines.
La limitation des marges de manœuvre des entreprises au nom du patriotisme économique pourrait, à terme, éroder leur compétitivité et nuire à la croissance. La diffusion du progrès technologique pourrait également ralentir. Dans les années 1970 et 1980, les mesures prises contre les entreprises japonaises aux États-Unis et en Europe ont pénalisé les consommateurs sans réellement sauver les entreprises de ces deux zones.
L’entreprise est avant tout une communauté. Il ne faut pas lui demander plus que ce qu’elle peut produire. En économie, lorsqu’un outil ou un acteur est chargé de remplir plusieurs objectifs, il arrive souvent qu’aucun ne soit pleinement atteint. L’entreprise joue le rôle de rassembleur d’énergies et de lieu d’échanges. Elle est donc un regroupement de moyens permettant la mise en commun de capitaux, de compétences humaines, de techniques et de savoir-faire, en vue de produire des biens ou des services.