Le Coin des Tendances
La quadrature du cercle de la Conférence de Financement pour les retraites
La Conférence de financement qui a commencé le 30 janvier 2020 a pour objectif de trouver des solutions autres que les mesures d’âge pour assurer l’équilibre du régime des retraites en 2027, le besoin de financement étant évalué à 12 milliards d’euros.
Les partenaires sociaux et le Gouvernement doivent établir les pistes possibles de financement sachant que les points de divergences entre les parties prenantes sont importants. L’équation à résoudre est difficile car plusieurs paramètres sont, dès le départ, bloqués. Ainsi, cette conférence est censée se conclure sur une augmentation des cotisations ou sur une baisse des pensions. La tentation sera grande de jouer au bonneteau et de déporter le problème du financement.
Le report de la date du retour à l’équilibre
Les syndicats sont assez hostiles à lier réforme des retraites et retour de l’équilibre. Ils estiment que le déséquilibre diagnostiqué par le Conseil d’Orientation des Retraites est avant tout la conséquence de la politique de recrutement de l’État. La CFDT juge par ailleurs que l’équilibre ne devrait pas être évalué en 2027 mais en 2032, 10 ans après l’entrée en vigueur de la réforme.
L’affectation des ressources de la CADES à l’équilibre du régime
La Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (CADES), afin de financer le remboursement de la dette accumulée des régimes sociaux, bénéficie comme ressources de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale (créée en 1996), d’un pourcentage de la CSG et de versements provenant du Fonds de Réserve des Retraites (depuis 2010).
Logiquement, la CADES devait disparaître, comme la CRDS, en 2009. En 1997, la durée de la CADES a été prorogée jusqu’en 2014. En 2004, le Gouvernement décide que la CADES ne disparaîtra qu’au moment de la disparition de la dette sociale. Le Gouvernement d’Édouard Philippe a estimé que l’extinction de la dette pourrait intervenir en 2024. Néanmoins, une partie de la dette de la Sécurité sociale n’a pas été transférée à la CADES et se trouve dans les comptes de l’ACOSS. Par ailleurs, le retour de la Sécurité Sociale à l’équilibre reste hypothétique. Enfin, la CRDS a déjà été préemptée pour financer la montée en puissance des dépenses de dépendance.
En 2018, les apports de la CRDS et de la CSG à la CADES ont porté sur 15 milliards d’euros et ceux du Fonds de Réserve des Retraites sur 2,1 milliards d’euros.
Le mercato des cotisations, taxes et impôts est ouvert
La France championne des prélèvements obligatoires peut compter sur une longue liste de cotisations, taxes et impôts en tout genre. En jouant sur leur affectation, il est certainement imaginable de dégager 12 milliards d’euros pour le régime vieillesse. La première piste serait de transférer la contribution des entreprises au Fonds National d’Aide au Logement (FNAL) qui s’élève à 2,6 milliards d’euros en 2020. Le FNAL finance les allocations logement. Par ailleurs, il faudrait, certainement via l’impôt ou une nouvelle taxe, trouver de nouvelles recettes.
L’augmentation de la cotisation de solidarité de 2,81 %
Dans le cadre du futur système de retraite, la cotisation de 28,12 % se décompose en une cotisation de 25,31 % contributrice de droits et une cotisation de solidarité de 2,81 %. La première s’applique jusqu’à trois fois le plafond annuel de la Sécurité sociale, la seconde s’applique sans plafond. Certains syndicats souhaitent augmenter cette cotisation pour les actifs gagnant au-delà de trois fois le plafond annuel (120 000 euros par an).
La carte de l’amélioration du marché de l’emploi
L’amélioration de la situation de l’emploi est une bonne nouvelle. L’augmentation du nombre d’emplois est une source de cotisations. Par ailleurs, une baisse du chômage pourrait permettre d’affecter une partie des ressources du régime d’indemnisation chômage (essentiellement de la CSG) au régime de retraite. Cette piste avait déjà été évoquée sous François Hollande mais n’avait pas eu de suites en raison de la progression du chômage. Cette solution qui a l’avantage d’être indolore demeure cependant fragile et soumise à l’aléa de la conjoncture.
Le retour de la durée de cotisation
Pour retarder l’âge de départ à la retraite, sans en revenir à l’âge pivot, les négociateurs pourraient réinstituer une durée de cotisation pour une période transitoire. Cette durée qui est actuellement de 41 ans et trois trimestres (générations 1958 à 1960) est censée passer à 43 ans pour les générations nées après 1972. Une accélération de l’allongement de la durée de cotisation pourrait être imaginée d’ici 2027 avec, par exemple, une application des 43 ans pour les générations nées après 1964.
Le versement d’une soulte par l’État
Pour afficher un équilibre dès 2022, l’État pourrait être contraint de verser une soulte. Le taux de cotisation fictif de l’État (taux reconstitué par le Conseil d’Orientation des Retraites qui permet l’équilibre de la retraite des fonctionnaires) est de 74 %. Dans le nouveau système, le taux sera de 28,12 %. Même, en prenant les cotisations sur les primes et les compensations à certaines catégories, l’État devrait être, à terme, gagnant. Afin d’amortir le coût du transfert des retraités des fonctions publiques dans le système du régime universel, l’Etat pourrait ainsi verser une compensation.
La tentation de puiser dans les réserves
Pour aboutir à l’équilibre, le Gouvernement pourrait être tenté de demander aux différentes caisses de retraite d’affecter à un fonds d’équilibre une partie de leurs réserves. Pourraient également y figurer le montant des actifs du Fonds de Réserve des Retraites (FRR) qui s’élevait à 32,7 milliards mi-2019. Ce dernier devrait diminuer du fait du versement annuel de 2,1 milliards d’euros à la CADES, et des 4,9 milliards d’euros à rendre à terme au régime des industries électriques et gazières. Ainsi, moins de 17 milliards d’euros sont mobilisables. Selon le rapport du Conseil d’Orientation des Retraites du mois de novembre 2019, la situation patrimoniale nette du système de retraite était de 127,4 milliards d’euros. Ce fonds pourrait apporter d’ici 2027 au minimum 5 milliards d’euros de revenus annuels sans toucher au capital. Évidemment, cela supposerait que les caisses acceptent de s’en délester, ce qui est peu probable.
La voie difficile des économies
Les partenaires sociaux et les pouvoirs publics pourraient dégager des économies sur des prestations accessoires aux pensions. La réversion, les majorations pour enfants, etc., sont des pistes dont certaines sont très sensibles.
L’option écartée du compte notionnel
Cette piste ne devrait pas être abordée. Elle viserait à lier le montant des pensions à un coefficient d’espérance de vie comme cela est le cas en Italie ou en Suède. Il serait possible de lier ce coefficient avec la pénibilité afin de personnaliser en fonction des carrières professionnelles le montant des pensions. Les salariés ayant occupé des emplois pénibles se verraient appliquer un coefficient majorant leur pension. Le principe serait l’application d’un paramètre actuariel dans le système de retraite actuel. Une telle intégration offrirait l’avantage de permettre une réelle retraite à la carte et de s’affranchir des questions d’âge.
La résolution de l’équation du retour à l’équilibre à paramètres fermés devrait aboutir à l’adoption d’un cocktail associant plusieurs solutions permettant aux parties prenantes de ne pas perdre totalement la face. Le concept d’âge d’équilibre, au cœur du projet de loi du Gouvernement, sera sans doute traduit sous une nouvelle forme pour être présent tout en étant moins visible. Par ailleurs, il est envisageable que le patronat accepte in fine une légère augmentation des cotisations dans le cadre du cocktail précité.
60 ans de progression du niveau de vie sur fond de vieillissement de la société
Depuis 1960, PIB en volume et pouvoir d’achat des ménages ont été multipliés par plus de 4,5. Néanmoins, le revenu disponible brut des ménages tend à s’accroître moins vite que le PIB sur les dernières décennies.
De 1960 à 1974, selon l’INSEE, le PIB en volume et le pouvoir d’achat évoluent au même rythme. La forte croissance des Trente glorieuses et les mesures sociales prises dans le prolongement de mai 1968 expliquent cette évolution. Le premier choc pétrolier met fin à cette période. Les pouvoirs publics ont décidé d’atténuer les effets du choc économique en augmentant de manière substantielle les prestations sociales. À partir de 1983, les gains de pouvoir d’achat se ralentissent. Le niveau de vie des ménages évolue alors de manière plus en phase avec le PIB. La récession de 1993 s’accompagne, une nouvelle fois, d’une forte augmentation des dépenses sociales mais dans une moindre ampleur qu’en 1975 après le premier choc pétrolier. La crise de 2008/2009 provoque également une nouvelle montée des prestations sociales.
Sur soixante ans, la socialisation des revenus et de la consommation est importante. La part du revenu des ménages (revenu disponible brut) composée de prestations monétaires d’ordre public est passée, selon l’INSEE, de 11,4 % à 21,5 % entre 1960 et 2017. En 2017, le partage du revenu des ménages entre revenus primaires nets de prélèvements et prestations monétaires est de deux‑tiers/un tiers, alors qu’il était de 83 %/17 % en 1960. Les dépenses individualisables des administrations publiques sont ainsi passées de 9,6 % à 17,4 % du revenu disponible brut, dépenses réalisées par les administrations pour le compte des ménages (dépenses socialisées dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, des transports, etc.).
En retenant l’unité de consommation qui est une mesure plus fine que le ménage, le pouvoir d’achat connaît une forte augmentation de 1960 à 1978, une stagnation de 1978 à 1987 suivi d’une contraction en 1993. L’amélioration entre 1997 et 2007 s’interrompt avec la crise de 2008. Le pouvoir par unité de consommation ne retrouve son niveau de 2007 que dix ans plus tard.
Le ressenti de l’évolution de la population est tout autre que la réalité statistique. Certaines catégories sociales ont l’impression de subir un véritable déclassement. L’analyse par décile ne confirme pas ce ressenti. Sur la période allant de 1996 à 2016, le niveau de vie moyen de l’ensemble de la population évolue de manière comparable pour les différentes tranches de niveau de vie. Le rapport interdécile D9/D1 évolue peu sur l’ensemble de la période. Les inégalités se sont certes creusées dans les années 2000 entre les 10 % et surtout les 1 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, mais avec la crise de 2008 et les mesures fiscales qui ont été prises entre 2010 et 2013, la situation s’est légèrement inversée au détriment des 20 % les plus riches. Dans tous les cas, la montée des inégalités au cours de la période reste bien plus limitée que dans la plupart des autres pays développés. Les écarts de revenus sont aujourd’hui bien plus faibles qu’en 1975. Le mouvement de socialisation croissante du revenu des ménages a contribué à ce recul des inégalités. Le sentiment inverse est nourri par l’augmentation des dépenses de pré-engagées constituées essentiellement des dépenses de logement. Ces dépenses représentent une part importante du budget des personnes modestes, plus de 30 %, ce qui entrave d’autant leurs autres dépenses de consommation. Par ailleurs, l’arrivée de nouveaux postes de consommation (téléphonie, abonnement, etc.) peut provoquer des tensions dans la gestion du budget familial.
La période 1960/2018 est marquée par la montée en puissance du niveau de vie des retraités. Depuis 1996, celui-ci est plus élevé que celui de la moyenne de la population. En termes de dépenses, les retraités se sont rapprochés des actifs. Dans les années 60, ils dépensaient 25 à 30 % de moins que la moyenne de la population. En 2018, les retraités ont acheté plus de nuitées dans les hôtels et dans les établissements d’hébergement collectifs que les actifs. Si les retraites demeurent, en moyenne, plus faibles que les revenus d’activité, il convient de noter que les ménages retraités sont de taille plus réduite par rapport aux actifs. De ce fait, par unité de consommation, leur niveau de vie est supérieur. En outre, ils sont propriétaires à 75 % de leur résidence principale quand le taux est de 57 % pour l’ensemble de la population. Les propriétaires dépensent moins pour se loger que les locataires d’autant plus si les emprunts ont été remboursés ce qui est le cas pour la quasi-totalité des retraités. Certes, les variations dans les niveaux des pensions, reflètent les inégalités de salaires et de trajectoires professionnelles différentes durant la vie active, cependant les pensions servies garantissent une protection contre le risque de pauvreté plus efficace que pour la population prise dans son ensemble. Cette situation contraste fortement avec celle qui prévalait au début des années 1970, avant la mise en œuvre de politiques de revalorisation des droits qui ont simultanément accru le niveau de vie relatif des retraités et fait passer leur taux de pauvreté au‑dessous de celui de l’ensemble de la population. Le taux de pauvreté est de 8 % chez les retraités quand celui de la population est de 14 %. 3,5 % des retraités sont aujourd’hui bénéficiaires du minimum vieillesse quand ce taux était de 40 % en 1972. Si cette progression du niveau de vie des retraités a été freinée par les réformes intervenues depuis le 1993, le décrochage du niveau de vie des retraités pourrait intervenir après 2025. Toute chose étant égale par ailleurs, en cas de reprise des augmentations des salaires, l’écart sera naturellement plus important. La question du partage entre actifs et retraités qui agite le débat public depuis vingt ans restera d’actualité jusque dans les années 2040 avec la disparition des classes du baby-boom d’après-guerre. Quand la problématique du financement des retraites a été posée au début des années 90, l’idée que les gains de productivité pourraient constituer la réponse était largement répandue. Leur baisse sensible depuis vingt ans a rendu caduque cette solution. Le rythme de croissance a faibli régulièrement depuis les années 70 au point d’être, dans les années 2010, à peine suffisant pour maintenir le niveau de vie moyen, malgré la hausse des taux d’activité.
Les taux négatifs, la faible inflation, la stagnation des gains de productivité constituent une nouvelle donne qui n’a pas été complètement appréhendée par les citoyens. Les gains de pouvoir d’achat ont été générés dans les années 60 et 70 par les augmentations des salaires puis dans les années 80 et 90 par celles des prestations. Depuis, c’est à la fois à travers le jeu des prestations et des baisses de prix que le pouvoir d’achat évolue. La montée en puissance des dépenses sociales a abouti à un transfert de charges aux générations à venir avec l’emballement de la dette publique. Le pouvoir d’achat a été distribué à crédit pour atténuer la baisse des gains de productivité. L’affaiblissement progressif de la croissance n’a pas été imputé à la population. Le triplement du nombre de retraités depuis le début des années 1970 a donné lieu à celui des dépenses de pension. Cette augmentation rapide du premier poste de dépenses sociales a entraîné un transfert important des actifs vers les retraités qui a contribué au sentiment de dégradation du pouvoir d’achat ou du moins de moindre progression du niveau de vie.