Le Coin des Tendances
Des consommateurs, des marques face à la crise
Le groupe KANTAR, spécialiste des études d’opinion en particulier en matière de consommation, a réalisé une enquête « évolution des comportements et implications pour les marques » sur le comportement des consommateurs des pays du G7 (Etats-Unis, Allemagne, France, Royaume-Uni, Japon, Canada, Italie) depuis le début de la crise sanitaire. Cette enquête a donné lieu à plusieurs vagues afin d’appréhender plus finement l’évolution des opinions
Les consommateurs prudents mais pas désespérés
En France, 31 % des consommateurs estiment que leurs revenus ont baissé. Aux Etats-Unis, ce taux est de 46 % et de 41 % en Italie. En moyenne, au sein des pays du G7, le taux est de 37 %. La politique du gouvernement français de privilégier le chômage partiel explique le taux relativement faible constaté en France.
Les Français sont assez sévères sur leurs coreligionnaires. 47 % estiment qu’ils n’ont pas un comportement adapté à la situation. En mars, ils étaient 64 % à penser ainsi. En Allemagne, 73 % des sondés estiment au contraire que les autres citoyens ont un comportement correct face à l’épidémie. Les divisions au sein de la population française expliquent la défiance collective.
Source KANTAR (vague 1 mars, vague 2 avril)
Ce sentiment de défiance s’exprime également à l’encontre des gouvernements. Les trois pays où le taux de confiance vis-à-vis du gouvernement au niveau de la lutte contre la covid-19 est le plus bas sont le Japon, les Etats-Unis et la France. Au Japon, le Premier Ministre est accusé d’avoir sous-estimé l’ampleur de la crise sanitaire et économique. Il a tardé à prendre des mesures, la distribution des masques a donné lieu également à de nombreuses polémiques. 70 % de la population japonaise juge l’action du Gouvernement inefficace.
Source : Kantar
Dans une grande majorité des Etats, les sondés estiment que les gouvernements n’en ont pas fait assez pour la santé. C’est le cas pour 58 % des Japonais et pour 38 % des Français (taux comparable à la moyenne constatée au sein du G7).
Source : Kantar
Un nouveau monde ?
83 % de la population des pays du G7 pensent que l’économie du pays sera différente après la crise. Ce sentiment est prégnant en Italie et au Canada (89 % pour ces deux pays) ainsi qu’au Japon (85 %). Pour près des deux tiers des Français, la vie quotidienne sera modifiée. Pour la moitié d’entre eux, des changements sont à attendre en matière de sécurité sociale.
Source : Kantar
Des avancées attendues
Pour une proportion non négligeable de sondés, en France, la crise pourrait néanmoins générer des avancées. Ainsi, 45 % pensent que les changements résultant de cette crise seront majoritairement plutôt positifs pour la vie quotidienne (37 % en moyenne au sein du G7). 34 % des sondés estiment que des améliorations sont à attendre au niveau de la protection sociale (33 % en moyenne au sein du G7). Un peu moins du quart des Français considèrent que l’économie connaîtra de profonds changements avec la crise, contre 22 % en moyenne au sein des pays du G7. 26 % des sondés français pensent également que les citoyens doivent réagir ensemble et 11% qu’ils sortiront plus forts de cette crise.
L’information et l’union font la force
Si les Français critiquent les médias, ils n’en jugent pas moins nécessaire de se tenir informés. Par ailleurs, même si l’altérité pose un problème dans notre pays, les Français estime que la solution à la crise passe par une action collective. Le niveau d’anxiété arrive en troisième position parmi les sentiments dominants au sein de la population française.
Des marques qui se doivent d’être responsables
Les consommateurs français attendent des marques qu’elles soient pragmatiques et les aident (26,5 %). Ils demandent qu’elles soient un exemple et qu’elles les guident dans le changement. Pour plus de 52 % des sondés, les marques doivent opter pour un langage optimiste et être porteuses de messages d’avenir. Les plus de 65 ans sont les plus attachés aux messages optimistes. Les publicités doivent véhiculer pour 55 % des sondés les valeurs de la marque. Cette reconnaissance de la notion de valeurs est partagée par toutes les catégories de consommateurs, particulièrement par les 24-34 ans. Sans surprise, en raison de la crise sanitaire, les Français souhaitent que les grandes marques soient exemplaires au niveau de la santé de leurs employés (79 % contre 77 % en moyenne au sein du G7), favorisent le télétravail (65 % contre 59 % en moyenne au sein du G7). La relocalisation est un thème plus sensible en France qu’au sein des autres Etats du G7 (42 % y sont favorables en France, contre 22% en moyenne au sein du G7). L’aspiration au « Fabriqué en France » progresse de 12 points en un mois sur fond de querelle sur la production des masques.
Que devraient faire les entreprises en ce moment (5 réponses possibles) ?
Source Kantar
Le comportement des consommateurs pendant la crise
29 % des ménages ont avoué avoir réalisé des achats de précaution. Ils sont néanmoins 86 % à estimer qu’ils ont acheté uniquement ce dont ils ont besoin. 74 % des consommateurs interrogés ont le sentiment que les prix ont eu tendance à augmenter durant le confinement. Cette impression s’avère confirmé avec la publication des résultats de l’inflation du mois d’avril. La hausse des prix alimentaires et en particulier des produits frais a été réelle en partie provoquée par l’arrêt des importations. Les consommateurs ont été achetés davantage dans les commerces de proximité dont les prix sont plus élevés que dans les hypermarchés. Les Français indiquent avoir, de ce fait, privilégier les produits en promotion. Une majorité des Français déclarent avoir toujours des problèmes de fin de mois. Ce jugement récurrent depuis la crise des gilets jaunes s’accompagne d’une forte augmentation des liquidités disponibles sur les dépôts à vie et l’épargne réglementée. Par ailleurs, la chute de la consommation (-37 %) a été en France, plus marquée que chez nos partenaires.
Durant la crise sanitaire, quels sont les critères qui ont guidé les Français au niveau de leurs achats :
- la composition des produits (68 % contre 74,5 % en 2019) ;
- l’achat de produits locaux (79 %) faisant travailler les PME
- le fait maison (33 % des ménages ont passé plus de temps à cuisiner, et 15 % ont fabriqué des produits d’entretien et d’hygiène) ;
- la responsabilité sociétale des entreprises (87 % des sondés ont perçu positivement les initiatives des marques et des enseignes en faveur de la lutte contre l’épidémie).
Avec la crise du covid-19, 92 % des Français souhaitent désormais payer leurs achats par carte bancaire, avec si possible le sans contact. 88 % essaient de faire leurs courses quand il y a le moins de monde possible et 86 % ont décidé de ne plus toucher les produits dans les rayons.
Les consommateurs de plus en plus connectés
Pendant la période de confinement, 81 % des personnes interrogés indiquent avoir augmenté leur consommation d’au-moins un média et 52 % de plus de quatre médias. Internet, la Télévision et les réseaux sociaux sont les principaux bénéficiaires, avec un usage accru du smartphone. Le confinement des familles sous un même toit a favorisé l’usage des smartphones. Les commandes que ce soient les courses ou les plats cuisinés se sont réalisées essentiellement par ce canal.
Les utilisateurs de smartphone ont utilisé ces derniers pour consulter des sites (65 %), regarder leurs messageries (55 %), aller sur des réseaux sociaux et regarder la télévision (53 % chacun).
Durant le confinement, l’achat en ligne aurait gagné 2,5 millions de nouveaux clients. Le profil des nouveaux consommateurs en ligne sont un peu plus âgés que la moyenne et sont souvent des membres de famille comportant un ou plusieurs enfants. Avec le confinement, 45% des ménages ont déclaré se connecter tous les jours au moins une fois à un réseau social. 31,5 % ont indiqué avoir réalisé des achats de produits grande consommation et de frais en ligne. 29 % ont fait appel à un service de livraison de repas à domicile.
La crise sanitaire et économique semble accélérer les tendances à l’œuvre ces dernières années. Les consommateurs semblent toujours être à la recherche de sens. Leurs exigences vis-à-vis des marques est en hausse. Cette demande vise-t-elle à compenser le manque de confiance à l’encontre de la sphère publique. Face à une situation hors normes, les ménages sont traversés par des sentiments contradictoires. Les citoyens peuvent être très critiques vis-à-vis de leurs coreligionnaires tout en estimant que le changement appelé de leurs vœux sera collectif. De même, s’ils sont critiques vis-à-vis des médias, l’information est jugée indispensable.
La fin de l’Empire américain, histoire d’une antienne
Depuis la Guerre du Vietnam, la chute de l’Empire américain est prédite par de nombreux experts et commentateurs. Avec l’avènement de la Chine comme grande puissance, avec la crise des subprimes, avec l’élection de Donald Trump, cette antienne a été remise au goût du jour. La survenue de la crise sanitaire serait le coup fatal porté à l’économie et à la puissance américaine. Derrière les prophéties d’effondrement du système américain se cache une hostilité à son encontre. Par leur poids, leur rôle, les États-Unis génèrent des frustrations et des rancœurs. Au fil des années, l’American Way Of Life fait moins rêver, en particulier en Europe. Associé, à tort ou raison, à l’ultralibéralisme et au libre-échangisme, il focalise les critiques de multiples courants de pensée. Quand, en outre, le Président des États-Unis passe d’un système reposant sur le « soft power » au « hard power », certains y voient la confirmation que l’Empire est agonisant et d’autres que le système issu de la fin de la Seconde Guerre mondiale est dépassé.
Au moment de la survenue de la crise sanitaire, les États-Unis étaient dans leur onzième année de croissance, faisant du cycle qui s’est achevé le plus long depuis 1945. Depuis 2008, les États-Unis ont distancé les pays européens même si leur leadership a été de plus en plus contesté par la Chine. La montée des inégalités et les divergences croissantes au sein de la population ainsi que les conflits armés en Afghanistan et en Irak ont occulté les résultats économiques de ces dix dernières années. L’économie américaine, dans bien des domaines, reste dominante et en premier lieu dans le secteur des nouvelles technologies. Par ailleurs, les États-Unis disposent, avec le dollar, d’un atout maître.
Avec plus d’1,3 million de cas et plus de 82 000 décès, les États-Unis ont été lourdement touchés par la crise du Covid-19. Depuis 1945, dans toutes les crises que le monde a traversées, les États-Unis assuraient leur rôle de superpuissance. Avec les atermoiements de Donald Trump, l’isolationnisme et le rejet du multilatéralisme ont été privilégiés. En 2008/2009, Barack Obama avait joué la carte du G20 pour contrer la crise financière dont, il faut le noter, les États-Unis étaient à l’origine. Si l’État fédéral n’a pas souhaité être un catalyseur de la riposte internationale, la banque centrale, la FED, a néanmoins assuré la liquidité du système monétaire et financier mondial. Si Donald Trump avait critiqué, à maintes reprises, les relations internationales de la FED sous Janet Yellen, la précédente Présidente, il n’a pas a priori empêché Jerome Powel de coordonner la politique monétaire américaine avec celle des autres grandes zones économiques. Le dollar supplée ainsi les autorités politiques américaines au niveau de la coordination économique internationale.
Le dollar demeure la valeur refuge par excellence. La monnaie américaine est la réserve des changes dominante (plus de 60 %) loin devant l’euro. Elle est aussi la monnaie des échanges commerciaux (plus de 50 %). Ce rôle de valeur refuge permet aux États-Unis de financer sans difficulté un déficit public et extérieur extrêmement important. Le déficit public pourrait dépasser 17 % du PIB cette année quand la balance commerciale est déficitaire d’environ 700 milliards de dollars. Du fait des dernières décisions de la banque centrale, les taux d’intérêt sont en forte baisse permettant de réduire le coût de financement de la dette. Ces taux restent néanmoins supérieurs de plus de 0,6 point à ceux de la zone euro, ce qui attire les capitaux étrangers.
Les États-Unis, avec les GAFAM et les autres entreprises liées plus ou moins directement au digital, possèdent une position de force. Ces entreprises sortent renforcées avec la crise en raison de l’utilisation accrue des télécoms, du commerce en ligne, du télétravail, etc.
Depuis le début du premier mandat de Barack Obama, l’industrie numérique américaine constitue l’axe prioritaire du développement économique américain. L’objectif assigné à cette stratégie est la maîtrise des données qui sont à la fois au cœur des activités digitales et fournissent la matière première de la surveillance pour la National Security Agency (NSA). Les autorités américaines ont compris que les GAFAM étaient désormais les vecteurs de la culture américaine qui ont remplacé dans ce rôle le cinéma et la musique. L’attractivité de la Silicon Valley pour les étudiants et les jeunes actifs du monde entier demeure très importante malgré les scandales liés à l’affaire Snowden.
En quelques années, les chiffres d’affaires de ces entreprises ont connu une croissance extrêmement rapide. Leurs bénéfices ou leurs capacités à lever de l’argent en bourse leur permettent d’acquérir des entreprises et d’engager des programmes d’investissement importants. Le budget annuel de R&D d’Amazon équivaut à celui, cumulé, des entreprises du CAC40. Selon la Bank of America, les cinq entreprises technologiques Microsoft, Apple, Amazon, Alphabet (Google) et Facebook représentent 22 % du S&P 500, dépassant ainsi le record atteint lors de la bulle internet de l’an 2000, quand Microsoft, General Electric, Cisco, Intel et Walmart assuraient à eux seuls 18,5 % de l’indice. Les GAFAM et Netflix sont à l’origine de 27,2 % de la création de valeur du S&P500 au cours de ces dernières années. La capitalisation boursière cumulée des six entreprises dépasse 5000 milliards d’euros, soit près de quatre fois le CAC 40 français.
Si certaines plateformes de services ont vu fondre leurs résultats avec la mise à la cape du secteur touristique (Airbnb par exemple), d’autres sont des outils incontournables des périodes de confinement (Amazon, Microsoft avec son application Teams, Netflix). Même Uber a réussi à sauver la mise malgré le confinement qui limite les déplacements avec l’essor de Uber Eats qui permet la livraison à domicile de plats cuisinés. La société Apple, tout en ayant été touchée par la fermeture de ses points de vente a réussi à contenir la baisse de son chiffre d’affaires grâce à ses applications. Google et les réseaux sociaux ont bénéficié de temps de connexion en hausse avec le confinement.
Les États-Unis disposent d’une avance technologique dans plusieurs secteurs stratégiques, notamment dans les domaines de l’armement et de la santé. Même si leur dépendance technologique à l’égard des pays émergents et, en premier lieu, de la Chine est moindre que les pays européens, elle est réelle pour de nombreux secteurs dits stratégiques (batteries, smartphones, etc.). Par leur puissance financière et leurs capacités de recherche, les Etats-Unis disposent d’atouts surpassant ceux de leurs concurrents. La polémique au sujet de Sanofi et le vaccin contre la covid-19 est révélatrice de la puissance des Etats-Unis. Sanofi qui est une entreprise devenue au fil des rachats internationale et fortement implantée aux Etats-Unis a bénéficié de soutiens financiers importants de la part de l’Etat fédéral américain sous condition que les fruits de ses recherches soient en priorité réservés aux Américains. Cette situation a provoqué l’hostilité des autorités françaises qui ont mis en avant le fait que les vaccins font partis des biens collectifs. Par définition, il y aura comme pour les masques des files d’attentes pour l’accès aux vaccins. Les Etats-Unis, depuis une dizaine d’années ont tendance à recourir de plus en plus au « hard power » en imposant leurs lois aux autres en lieu et place du « soft power » qui mettait en avant le pouvoir d’influence. La concurrence accrue avec la Chine, la montée des oppositions à la politique américaine dans les institutions internationales, les conséquences des dernières guerres menées à l’extérieur et la montée du populisme expliquent cette évolution.
Ce changement de pratique est aussi révélateur d’une économie moins dominante. Que ce soit dans les hautes technologies ou dans les transports, les Etats-Unis sont contraints de composer avec les puissances émergentes. Dans les années 1989, les relations avec le Japon s’étaient tendues autour de l’électronique et des voitures. Aujourd’hui, c’est la Chine qui est au cœur des préoccupations des autorités américaines. Avec la crise du covid-19, le secteur des transports est fortement touché. 1,8 million de personnes travaillent directement pour le secteur des transports. Boeing qui était avant la crise déjà confrontée au problème de 737 Max, est en très grande difficulté tout comme Airbus en Europe. Les entreprises automobiles doivent faire face à de fortes baisses de commandes. Elles avaient été durement éprouvées par la crise de 2008. Elles doivent, en outre, faire face à la question de la transition énergétique. La chute du prix du pétrole si elle perdure aura de lourdes conséquences pour l’économie américaine. Ce secteur emploie 0,5 % de la population active américaine. Les ventes de matériel de forages sont presque inexistantes depuis le mois d’avril. Pour les prochains moins, les investissements dans ce secteur seront très faibles ce qui pèsera sur l’activité.
La crainte des autorités américaines est que l’ajustement très rapide de l’emploi dans les entreprises, conduise à une forte hausse des défauts de paiement des ménages sur les crédits. Pour certains, la multiplication des défauts de paiement pourrait conduire à une crise du système bancaire comme en 2009. Pour éviter cet enchaînement, les autorités fédérales ont été amenées à verser des aides directes aux ménages américains. La baisse des taux, rendue possible par les décisions de la FED, a permis, par ailleurs, à de nombreux ménages de renégocier des prêts. Enfin, la proportion de prêts dits non performants était avant la crise à un niveau faible, 1 % du total quand en 2007, ce taux était de 7 %.
La crise sanitaire devrait donc accélérer la transformation de l’économie américaine qui sera de plus en plus portée par les activités digitales. Elle pourra compter sur le rôle clef du dollar comme monnaie internationale et comme valeur refuge. Les États-Unis en tant que puissance dominante de l’OCDE pourraient profiter de la distanciation des relations des États occidentaux avec la Chine. Par la profondeur de son marché et la force de son secteur de recherche, les Etats-Unis sont mieux à même de relocaliser certaines activités que les États européens surtout si ces derniers entretiennent leurs divisions.