27 juin 2020

Le Coin des Tendances

Les épidémies nous invitent-elles à renverser la table ?

Les épidémies jalonnent l’histoire de l’Humanité. Avec les guerres et les révolutions, elles sont responsables de changements important de trajectoire dans la vie des Etats. L’épidémie de covid-19 n’est pas la plus grave qu’est connue la planète mais elle touche des sociétés complexes, interdépendantes qui depuis plusieurs années doivent faire face à un ralentissement économique de nature structurelle. Elle intervient aussi au moment où nous entrons dans deux mutations de grande ampleur, le vieillissement démographique et la contrainte écologique. L’épidémie de covid-19 par son caractère disruptif peut-elle conduire les autorités, les peuples à renverser les tables et à s’affranchir de certaines règles devenues contraignantes ?

Les épidémies, des moments clefs de l’histoire de l’humanité

Les premières épidémies qui ont été relatées datent de plus de 5 000 ans avant Jésus Christ. En Mésopotamie, en Inde ou en Chine, des textes mentionnent l’existence de maladies ayant décimé une part importante de la population. Ces épidémies sont liées à la sédentarisation de l’Homme, de la constitution de villages et aux échanges. La première pandémie recensée est la lèpre dans le Rajasthan en Inde, 4 000 ans avant notre ère. Les animaux sont à l’origine de nombreuses épidémies favorisées, par ailleurs, par le manque d’hygiène. Les textes sacrés que ce soit la Torah ou la Bible mentionnent à plusieurs reprises le fléau des épidémies assimilées à des sanctions divines. Le confinement et la mise en quarantaine sont clairement indiqués dans la Bible. Selon la Loi juive, l’épidémie pousse les hommes à sortir de leur zone de confort. Elle est synonyme de culpabilité, de rédemption et d’espérance.

Les épidémies en modifiant de nombreux repères sont des accélérateurs de tendance. Le typhus qui frappe Athènes en -430 met un terme à la domination de cette ville sur la Grèce antique. La fin de l’Empire Romain intervient après la survenue en 166 après Jésus Christ d’une épidémie de peste antonine (dans les faits certainement la variole). Les responsables publics sont jugés incompétents tout comme les dieux romains précipitant la montée en puissance du christianisme. En 251, une épidémie de peste dite de Cyprien entraîne de nombreux exodes et provoque la ruine de très nombreuses villes en Italie et en Grèce. En 444, les armées romaines frappées par une autre épidémie doivent battre retraite dans tout l’Empire facilitant sa chute finale. En 541, la pandémie de peste bubonique commence en Chine pour se répandre en Égypte avant d’atteindre Constantinople. Les boutiques ferment, le travail s’arrête obligeant l’Empereur Justinien à puiser dans son Trésor afin de distribuer de l’argent à la population. 100 millions de personnes auraient péri de cette peste qui provoqua le déclin de l’Empire Romain d’Orient. En 664, la peste jaune frappe les îles britanniques en provoquant une déliquescence des pouvoirs publics et la misère. Au XIe siècle, la lèpre revient en Europe avec les soldats de retour des Croisades. Face au problème de santé publique, les États naissants s’organisent et mettent en place des léproseries. L’isolement des malades devient obligatoire. Les hôpitaux sont alors construits sur le modèle des prisons. Au cours du XIIIe siècle, l’Europe compte en moyenne 600 000 lépreux pour 80 millions d’habitants. Les épidémies font alors partie de la vie quotidienne des Européens. Avec le XIVe siècle, une trêve épidémiologique survient permettant un redémarrage de l’économie. Le vieux monde féodal est exsangue. Le nouveau cœur de l’Europe se déplace alors à Gênes et à Florence. Le front épidémique se déplace alors aux Amériques avec leur colonisation. La diminution de la population amérindienne aurait atteint 90 % en un siècle.

Au XVIIe siècle, une nouvelle épidémie de peste frappe Londres et atteint assez rapidement l’Europe continentale. Colbert décide alors de fermer Paris et de maintenir un blocus, ce qui permettra à la capitale d’échapper à la maladie. En 1720 quand Marseille est victime de la peste, le Roi décide de placer en quarantaine toute la Provence. Les épidémies sont alors une affaire de police. La notion de sécurité publique prend toute sa signification. Il faut avoir la capacité d’isoler et de surveiller les populations dangereuses. En 1832, face à l’arrivée du choléra en Europe, les gouvernements décident de recourir à la police et à l’armée afin que les populations respectent les mises en quarantaine. Plus de 100 000 personnes perdent, en quelques semaines, la vie en France. À côté des pouvoirs de police, les gouvernements décident alors de mettre en avant des règles d’hygiène. L’assainissement, l’élargissement des rues, leur nettoyage, le ramassage des ordures s’imposent progressivement en France comme dans le reste de l’Europe.

En 1899, la première épidémie de grippe était passée relativement inaperçue en France. Son retour, en 1918, est sous-estimé en raison du conflit armé et de la méconnaissance des pouvoirs publics. Les autorités parlent alors de simples rhumes. Aux États-Unis, si plusieurs villes avaient mis en place des confinements, elles les ont rapidement abandonnés provoquant alors une seconde vague qui tua de très nombreux habitants. Cette pandémie fit de 20 à 50 millions de morts. Sa diffusion et son ampleur furent accentuées par les désordres et la pauvreté générés par la Grande Guerre. La promiscuité des soldats dans les tranchées entraîna une multiplication des contaminations. Au total, 3 à 6 % de la planète est décimé par la grippe espagnole.

Avec les progrès de la médecine, les épidémies s’estompent au cours du XXe siècle du moins au sien des pays avancés. L’essor de la vaccination, la diffusion des antibiotiques et des règles d’hygiène ainsi que l’amélioration des conditions de vie permettent une éradication de certaines maladies ou leur traitement. Cette relative tranquillité épidémiologique explique l’effet de stupeur que provoqua, au mois de mars, l’arrivée du  Covid-19 dans les pays d’Europe et d’Amérique du Nord. Le choc fut d’autant plus important que d’un coup l’infaillibilité des systèmes de santé occidentaux était mis en cause tout comme l’idée que la science, le progrès avait eu raison des maladies épidémiques. Sa survenue intervient dans une période de doutes, doutes sur le rôle et la place de l’Occident tant sur le plan économique que sur celui de ses valeurs. Le progrès technique fait l’objet d’un débat qui concerne même la vaccination.

Une situation économique avant crise plus que délicate

La situation économique qui prévalait avant la crise sanitaire était pour les pays occidentaux problématique. Après la crise de 2008, la croissance demeurait faible. Dans certains pays dont la France et l’Italie, les stigmates de cette crise n’avaient pas disparu en particulier en ce qui concerne les finances publiques et l’emploi. Les gains de productivité devenaient de plus en plus faibles au sein de l’OCDE mais aussi au sein des pays émergents. Par ailleurs, depuis la fin de l’année 2018, la croissance s’étiolait au point qu’une récession apparaissait inévitable en 2020. Cette atonie économique était d’autant plus mal vécue en Occident, en raison de la concurrence croissante des pays émergents. Le sentiment dominant était que le rééquilibrage de l’économie mondiale s’effectuait au détriment des pays avancés. Le poids des pays avancés est passé au sein du PIB mondial de plus de 75 % en 1975 à moins de 50 % en 2020.

Ce déclin relatif de l’Occident s’accompagne d’une montée des inégalités réelles ou ressenties provoquant une progression du mécontentement. La crise des « gilets jaunes » en fut, en France en 2018, une des expressions. La hausse du prix des logements augmentant le poids des dépenses pré-engagées contribue fortement au mécontentement de l’opinion. La diminution des emplois industriels qui étaient sources d’ascension sociale, l’essor des activités de service à faible valeur ajoutée, des CDD ou de l’intérim génèrent d’importantes frustrations. En raison de la concurrence de plus en plus vive et de la progression des dépenses sociales qui pèsent sur la compétitivité, les politiques d’austérité salariale sont devenues la règle. Par ailleurs, le discours politique est depuis une dizaine d’années souvent anxiogène car même si cela n’est pas suivi d’effet, il met en avant la rigueur budgétaire. La réforme est devenue un mot honni car synonyme de perte de situations jugées acquises. Avec le vieillissement de la population, la demande de services à dominante sociale ne peut que poursuivre sa progression. Les besoins des populations occidentales supposent une croissance se situant au minimum entre 2 et 3 %. Depuis une dizaine d’années, celle-ci ne dépasse guère 1 % en moyenne en Europe. Cette dégradation de la croissance est la conséquence d’une érosion des gains de productivité qui atteignent péniblement 0,5 % depuis la crise financière quand ils s’élevaient à 2 % au tournant du siècle dernier. Cette faiblesse des gains de productivité est imputable à une moindre diffusion du progrès technique et la tertiarisation des économies. Les faibles taux d’intérêt concourent également à la faible croissance en facilitant le maintien d’activités peu rentables.

L’endettement pour masquer la baisse de la croissance

Pour compenser la baisse de la croissance et ses effets au niveau des rémunérations, les États n’ont eu comme solution que d’augmenter leur endettement. Certains pays comme l’Allemagne ou le Japon ont pu également compter sur leurs excédents extérieurs. Ces derniers n’ont pas empêché le Japon de connaître une progression très importante de sa dette publique qui dépasse 250 % du PIB. La situation économique des États-Unis diffère un peu de celle de l’Europe. Leur taux de croissance y est, depuis une vingtaine d’années, supérieur ce qui n’était pas le cas des années 1960 aux années 1990. Ils bénéficient de l’apport de l’informatique et de l’ensemble du secteur du digital. Par ailleurs, ils peuvent s’appuyer sur le dollar qui reste la première monnaie d’échange et de réserve au niveau mondial.

La relance indispensable de l’investissement

L’achat de la croissance à crédit a permis avant tout de fiancer des dépenses de fonctionnement. Dans la très grande majorité des États occidentaux, les dépenses publiques d’investissement sont, en effet, en recul avec comme conséquences une dégradation des infrastructures (Italie avec la chute du pont à Gênes, hôpitaux et équipements ferroviaires en France, routes aux États-Unis ou en Allemagne, etc.). En parallèle avec cet amoindrissement de la croissance, les Occidentaux sont confrontés à une bureaucratisation et une juridicisation de la société. Pour construire les lignes de métro du Grand Paris, une génération sera nécessaire quand l’objectif était de rattraper quarante ans de retard. Il n’a fallu qu’une dizaine d’année au tournant du XIXe siècle pour bâtir l’actuel réseau parisien.

Dans ce moment unique où « le quoi qu’il en coûte » est de mise, les pays gagnants ne sont-ils pas ceux qui auront su profiter de ce déversement monétaire pour réaliser toutes les modernisations reportées d’année en année ? Cela suppose évidemment de privilégier l’investissement au fonctionnement. Cela suppose également que les projets ne s’ensablent pas, qu’ils ne soient pas vaincus par les oppositions de toute nature. La judiciarisation de la vie publique ainsi l’effritement de l’esprit consensuel ne facilitent pas la mutation rapides sociétés démocratiques.

Mettre un terme à la crise du logement

La crise récurrente du logement est devenue une caractéristique de notre époque. La montée des prix de ‘immobilier s’accompagne d’une baisse du nombre des constructions. Dans un pays comme la France dont la population continue à s’accroître, le déficit de logements se chiffre entre 500 000 et 800 000. En raison de la raréfaction du foncier, de la réglementation, de l’opposition de l’opinion devant la construction de nouveaux logements (tours, immeubles et lotissement), le système est devenu malthusien avec comme conséquence un coût croissant du logement dans le budget des familles. S’il y a un domaine où il faudrait renverse les tables, c’est bien celui du logement !

La transition énergétique, un défi coûteux à financer de manière masquée

La transition énergétique coûtera chère car compte tenu de l’état de la technologie, les énergies renouvelables dont la production est aléatoire ne peuvent pas être stockées. Elles supposent donc la réalisation d’investissements redondants pour garantir à tout moment la production électrique nécessaire. À côté des éoliennes et des centrales solaires, des centrales classiques doivent être disponibles pour pallier le manque de vent ou de soleil. Par ailleurs, la transition énergétique risque de provoquer l’obsolescence anticipée de nombreux équipements non amortis, centrales électriques, parc automobile, etc. L’idée de bénéficier de larges lignes de crédits pour financer cette transition qui ne serait pas retenu dans les critères traditionnels, par exemple de Maastricht a été fréquemment avancée.

Le défi du vieillissement

Le vieillissement de la population entraîne toute une série de dépenses pour le financement de la santé, de la retraite et de la dépendance. Les États butent à la fois sur les contraintes financières et sur le concept de droit de propriété qui limite les possibilités de demander aux intéressés de financer certaines dépenses à partir de leur patrimoine. Avec la crise actuelle, la demande de biens sociaux est forte au point qu’en France, le Gouvernement a relancé l’idée de la création d’une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à la dépendance. Longtemps, il a été admis que les dépenses d’assurances sociales devaient être financées par les actifs et que les organismes qui en avaient la charge ne pouvaient pas s’endetter. Avec la succession des crises, ces règles ont été abandonnées. Avec la création, en France, de la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale, les gouvernements ont admis officiellement que les dettes sociales du passé pouvaient être supportées par les générations à venir. Le principe qui s’impose aux collectivités locales en vertu duquel l’endettement ne doit servir qu’à l’investissement supposé générer un rendement a été ainsi abandonné. Il pourrait être ainsi reconnu que la vie est un investissement permettant de se soustraire aux règles de bonne gestion.

Quand les interdits sautent

Le sentiment d’une situation économique bloquée offrant peu de perspectives pour une grande partie de la population se diffusait largement avant la crise avec la progression des votes contestataires. Dans le passé, la résorption de ce type de problèmes est fréquemment passée par des guerres, des révolutions, des conquêtes, des banqueroutes. Face à des blocages, les manières les plus fréquentes de renverser la table est d’aller se servir chez les voisins, de ne plus rembourser ses créanciers et de créer de la monnaie. Si la conquête territoriale ; le pillage  semble être des idées dépassées, la manipulation de la monnaie reste éminemment d’actualité.

En période de crise extrême, les gouvernements s’affranchissent des règles, des normes qu’ils ont édictées. Ainsi, face à des problèmes financiers, de nombreux pays ont changé le cours de leur monnaie en jouant, par exemple, sur le poids en or des pièces. En le diminuant, les États créaient de la monnaie un peu comme aujourd’hui quand les banques centrales rachètent à haute dose des obligations. Durant la période révolutionnaire, la vente des biens issus du clergé et des nobles, dits biens nationaux, sous forme d’assignats donna lieu à une intense spéculation au profit de l’État et des personnes bien introduites.

L’effacement de tout ou partie des dettes est une voie envisageable pour remettre les compteurs à zéro. La France a, eu recours, dans le passé, à huit reprises à la banqueroute. En 1797, deux tiers de la dette publique française furent effacés. En 1812, à plus petite échelle, Napoléon 1er après le désastre de la retraite de Russie décida de ne pas honorer toutes les dettes de la France. Le défaut de la Russie, en 1917, reste un des plus célèbres mettant en cause de nombreux épargnants français.

L’ancien chef économiste du FMI, Kenneth Rogoff, dans un de ses ouvrages, avait dénombré qu’entre 1975 et 2006, 71 pays avaient fait défaut sur leurs dettes souveraines. La Russie en 1998, l’Ukraine en 2000, la Croatie en 1996, ou encore le Venezuela en 2004 furent les derniers à connaître un défaut. La Grèce qui détient le record en matière du nombre d’années passées en défaut depuis sa création en 1860 n’a pas fait officiellement banqueroute en 2012 mais dans les faits cela s’en rapprocha.

Le défaut de paiement pour un État est souvent synonyme de mise au ban avec de possibles mesures de rétorsions internationales. L’Argentine qui a fait défaut sur sa dette en 2001 reste encore à ce jour exclue des marchés financiers. Les investisseurs se méfient naturellement d’un État qui n’honore plus sa signature. Pour éviter cette situation délicate, les États préfèrent renégocier leur dette avec le concours du FMI voire de la Commission de Bruxelles comme pour la Grèce.

Si évidemment, une convention internationale concluait que tous les États peuvent annuler tout ou partie de la dette détenue par les banques centrales, cela aurait un moindre effet qu’une décision unilatérale de tel ou tel État. Néanmoins, pour la communauté financière, cela serait un aveu de faillite. A partir du moment où les créances commencent à ne plus être remboursées, nul ne sait où ce processus s’achève.

La banqueroute n’est pas d’actualité. Elle n’est plus utile car les banques centrales financent sans compter, pourquoi s’en priver. Longtemps, la monnaie a dépendu du stock d’or puis de la valeur du PIB. Les cryptomonnaies ont permis de prendre conscience que le lien avec le réel, le physique n’était pas obligatoire dans un monde virtuel. La monnaie, étalon, moyen d’échange et de réserve peut-elle s’affranchir des fondements tangibles sur lesquels elle repose depuis des millénaires ? L’endettement massif des États et la monétisation qu’elle entraîne peuvent-ils créer une défiance envers les monnaies traditionnelles et accélérer l’essor des monnaies virtuelles comme le bitcoin et peut être le libra ? Face à une telle défiance, est-ce qu’un gouvernement ne sera pas tenté d’opter pour une cryptomonnaie surtout si elle émane d’une entreprise de son pays ? Si demain ou après-demain, un tycoon du digital propose une monnaie digitale qui puisse être utilisée non pas par 330 millions d’Américains mais par 3 milliards d’habitants soit le nouveau dollar, le Président des États-Unis pourra-t-il toujours résister à la tentation ?

La monétisation des dettes est un moment unique qui peut ne pas être pérenne. Que se passera-t-il le jour où ce processus s’arrêtera pour les dépenses de fonctionnement, les dépenses sociales qui seront, de la sorte, financées ? Un effet boule de neige est inévitable au vu de la multiplication des exigences sans nul doute légitimes au niveau des systèmes de protection sociale. L’entrée dans un cycle d’ « open bar » ou de « full crédit » risque de modifier profondément le rapport à l’argent, à sa valeur et indirectement au travail. Dans un monde où toute ressource est rare, pouvons-nous considérer que l’argent ne l’est plus ?

Le vélo, le réchauffement climatique et la crise sanitaire

Depuis une dizaine d’années, le vélo est redevenu un moyen de transport, en particulier en secteur urbain. Cet essor s’est construit autour de la volonté de réduire les émissions des gaz à effet de serre, de limiter la congestion automobile des villes et de favoriser la pratique sportive. Les grèves des transports publics durant l’hiver 2019/2020 et l’épidémie de covid-19 ont accentué cette tendance. La France qui était en retard dans l’utilisation du vélo comble ainsi, en partie, son retard.

Le vélo, une histoire française

L’histoire de France s’identifie étroitement à celle du vélo. La « petite reine », du nom de la toute jeune reine Wilhemine aux Pays-Bas couronnée en 1898 et adepte de la bicyclette, doit beaucoup aux brevets déposés en France tout au long du XIXe siècle, de la Draisienne en 1818, en passant par le deux-roues de type bicyclette Mercier en 1843, puis au vélocipède à pédale et frein Michaux en 1868, avant les premières bicyclettes commercialisées par Peugeot en 1886. D’autres innovations ont également joué un rôle important dans le développement du vélo, comme le pneu démontable et la chambre à air breveté par Michelin en 1891, et le dérailleur présenté par Loubeyre en 1895. À la fin des années 1890, tous les ingrédients des vélos actuellement en circulation existent. Même le vélo électrique date de cette époque. En effet, le vélo à assistance a été inventé en 1895 avec un brevet déposé aux États-Unis pour un vélo équipé d’une batterie pouvant délivrer 100A à une tension de 10V et d’un moteur monté dans la roue arrière, qui sera suivi en 1897 d’un modèle propulsé par un double moteur électrique logé dans l’axe du pédalier.

Dans l’entre-deux-guerres, les bicyclettes deviennent un produit industriel fabriqué et vendu en France par les grandes marques que sont alors Peugeot, Manufrance, et Mercier. Leur prix réduit permet aux ouvriers et aux paysans d’en faire l’acquisition pour se rendre à leur travail, marquant le passage du vélo loisir au vélo utilitaire, quand l’automobile demeurera pour longtemps encore un rêve inaccessible au plus grand nombre. Les premiers congés payés en 1936 popularisent les vélos et les tandems utilisés par les Français. En 1939, le parc compte 9 millions de bicyclettes. Ces dernières seront bien souvent le seul moyen de transport disponible pour l’exode de 1940. 

Au début du siècle passé, dès 1903, le Tour de France devient un terrain d’expérimentation et d’innovation techniques pour les constructeurs, mais aussi l’un des événements sportifs mondiaux les plus importants avec la coupe du monde de football et les Jeux Olympiques, et un rendez-vous populaire immortalisé par « les forçats de la route » d’Albert Londres et, plus tard, par les chroniques d’Antoine Blondin. Le Tour de France est un rendez-vous estival populaire associant toutes les générations.

Le vélo, un faible rôle, en France, dans les déplacements du quotidien mais en croissance

La part du vélo dans l’ensemble des déplacements s’élève, en France à environ 3 %, contre 10 % en Allemagne, 12 % en Belgique et 28 % aux Pays-Bas. La moyenne européenne est de 7 %. En France, si plus de la moitié des déplacements sont inférieurs à 5 kilomètres, la majorité d’entre eux s’effectuent en voiture. En France, près de 5 % des personnes de plus de 15 ans en France pratiquent le vélo quotidiennement, contre 30 % au Danemark et 43 % aux Pays-Bas.

Aux Pays-Bas, l’usage du vélo s’est développé dès la 1ère guerre mondiale du fait des problèmes de circulation des transports publics engendrés par les blocus économiques qui limitaient l’accès au charbon ou au pétrole. Au Danemark, le second choc pétrolier en 1979 a conduit Copenhague à aménager des pistes cyclables. Aujourd’hui, 28 % des déplacements sont réalisés à vélo au sein de l’agglomération.

La France compte 35,7 millions de vélos dont 25 % sont inutilisés. Les Français estiment majoritairement la pratique du vélo comme un loisir et non comme un moyen de déplacement.

Le volontarisme public pour relancer la pratique du vélo

En France, le gouvernement a lancé en 2018 un plan en faveur du vélo en inscrivant près de 350 millions d’euros de crédits sur sept ans. L’objectif affiché est le triplement des déplacements à vélo d’ici à 2024. Cette enveloppe a été multipliée par trois lors du confinement avec une prise en charge partielle des réparations des vélos. Les réparations sont ainsi socialisées dans la limite de 50 euros. 

La loi d’orientation des mobilités adoptée en 2019 avait, auparavant reconnu le vélo comme un mode de transport à part entière. Dans le cadre du forfait Mobilités durable les employeurs peuvent prendre en charge jusqu’à 400 euros par an au titre des frais de déplacement de leurs salariés sur leur trajet domicile-travail effectué à vélo.

Pour réduire les accidents de la route dont sont victimes les cyclistes, les collectivités locales sont invitées à réaliser des investissements. Le nombre de cyclistes tués par milliard de kilomètres parcourus s’élève 27 en France, contre 10,7 aux Pays-Bas, et 15,2 en Allemagne. Cette sur-accidentalité est à mettre en parallèle avec le nombre réduit de pistes cyclables et avec un comportement pas toujours approprié des utilisateurs des voies publiques. Les efforts d’investissements dans les politiques cyclables des collectivités sont en hausse. Ils sont passés de 5,7 euros par habitant par an en 2008 à 8,9 euros en 2019. Ils restent inférieurs aux 27 euros par habitant par an observés dans les pays du Nord de l’Europe. Les collectivités locales s’engagent avec modération dans les équipements dédiés aux vélos en raison de leurs prix. Ainsi, le coût d’un kilomètre de piste cyclable est de 150 000 euros en milieu urbain peu dense, 270 000 euros en banlieue dense et 800 000 euros en cœur de ville. Le gouvernement a d’ailleurs annoncé que l’État ou plutôt le contribuable national, accompagnerait les collectivités locales en prenant en charge jusqu’à 60 % des coûts d’installation des places de stationnement temporaires pour vélo, et la mise en place de pistes cyclables temporaires, en leur apportant des soutiens techniques et financiers notamment par un fonds de dotation. De même, l’État doublera toute aide d’une collectivité locale au profit de ses habitants afin que les plus modestes d’entre eux puissent acquérir un vélo à assistance électrique.

Un effet covid-19 évident

Selon l’Union Sport et Cycle, l’organisation professionnelle du secteur, les ventes ont augmenté de 117 % entre le 12 mai et le 12 juin par rapport à la période équivalente en 2019. La Manufacture Française du Cycle (MFC), principal producteur français, devrait vendre plus de 450 000 vélos cette année contre 130 000 en 2013, date de son rachat par Intersport. Le vélo à assistance électrique a largement contribué à cette croissance avec 100 000 unités fabriqués par cette entreprise.

Le vélo retrouve ainsi une deuxième jeunesse. Il est tout à la fois un moyen de déplacement pour les loisirs et le travail ainsi qu’un instrument pour faire du sport. Même s’il ne peut pas se substituer à l’automobile et aux autres moyens de transports, il constitue une alternative pour les petits déplacements.