17 octobre 2020

Le Coin des tendances

Ces six mois qui ont changé le monde

En février, la pandémie de coronavirus a frappé l’économie mondiale provoquant le plus grand choc depuis la Seconde guerre mondiale. Au niveau mondial, 500 millions d’emplois ont disparu. Le commerce mondial a connu une chute historique avec la fermeture des usines et des frontières. L’implosion du système économique a été évitée grâce à l’intervention combinée des États et des banques centrales. La conséquence est l’expansion des déficits budgétaires à des niveaux proches de la guerre.

La crise a accéléré le déclin de l’occident. D’ici la fin de l’année prochaine, selon les prévisions de l’OCDE, l’économie américaine aura la même taille qu’en 2019, mais celle de la Chine sera 10% plus grande. Les prévisions pour l’Europe sont sombres avec un effacement des effets de la crise au mieux pour 2024, un sort qu’elle pourrait partager avec le Japon. Les pays en voie de vieillissement sont les plus durement touchés tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique.

Le recul relatif des pays dits avancés peut s’accroître avec la deuxième vague. La Chine aurait pratiquement arrêté l’épidémie tandis que l’Europe, et peut-être bientôt l’Amérique, n’arrive pas à la maîtriser depuis la fin de l’été. Le Gouvernement français impose un couvre-feu à 20 millions de personnes résidant dans les principales métropoles. Madrid est également entré en verrouillage partiel quand l’Allemagne, elle-même, prend des mesures de plus en plus restrictives. Sur le plan économique, les pays avancés sont des pays de services, de contacts, de réunions, de loisirs. Ils sont donc bien plus exposés que les pays industriels où la distanciation est plus facile à organiser. Par ailleurs, dans les démocraties, les limitations de liberté sont plus difficiles à imposer qu’au sein des régimes dictatoriaux.

L’Europe est plus touchée que le reste du monde en raison du rôle du tourisme au sein de son PIB. Elle l’est aussi en raison de ses divisions et de la faiblesse des mesures de relance adoptées depuis le mois de mars. Le plan de relance des États-Unis atteint 12 % du PIB, soit 5 à 7 points de plus que l’Europe. Les taux directeurs ont été abaissé de 1,5 point. Si le chômage a violemment augmenté aux États-Unis entre mars et mai, la reprise y est depuis plus franche en Europe où le système économique est émollié. Néanmoins, aux États-Unis, le taux de pauvreté poursuit sa progression.

La pandémie laissera des traces avec des économies moins mondialisées, plus numérisées et moins égales. En réduisant les risques dans leurs chaînes d’approvisionnement, les fabricants rapprocheront la production des centres de consommation. Pour l’Union européenne, les pays d’Europe de l’Est devraient en profiter à la limite près que leur population diminue. L’Afrique du Nord pourrait bénéficier d’implantations de nouvelles activités sous réserve que la stabilité politique soit assurée. Cette crise pourrait accélérer le processus de concentration comme le souligne l’essor des entreprises des technologies de l’information et de la communication.

Du fait du problème structurel de la solvabilité des États, les taux d’intérêt réels resteront durablement bas, entraînant une hausse des prix des actifs élevés. Les gouvernements devront trouver les solutions pour éviter l’enclenchement d’un cycle déflationniste et dépressif.

La Chine semble sortir de la pandémie la plus forte du moins à court terme. Son économie a rebondi rapidement. Les dirigeants chinois continuent de travailler sur un nouveau plan quinquennal qui mettra l’accent sur le modèle de capitalisme d’État de haute technologie. Ce plan vise à garantir l’autosuffisance de la Chine et s’inscrit dans la volonté du Président de placer son pays au 1er rang mondial dans tous les domaines en 2049. La question qui est posée depuis des années est la capacité de la population chinoise à supporter un régime policier sur une longue période. Le recours au confucianisme associé au communisme et au nationalisme est l’arme utilisé par les autorités chinoises. Cela permet pour le moment d’empêcher l’émergence d’une contestation.

L’Europe demeure à la traîne. Le plan de relance commun nécessite encore d’être traduit en actes. La réponse à la pandémie risque d’y ossifier les économies plutôt que de les moderniser. Les mesures conservatoires gèlent la situation un temps mais ralentissent l’adaptation. Dans ses cinq plus grandes économies, plus de 5 % de la main-d’œuvre reste sous régime de chômage partiel. En France, le couvre-feu devrait accroître un peu plus le recours au chômage partiel.  En Grande-Bretagne, le taux atteint plus de 10 % fin septembre. De plus en plus, l’Europe ressemble à un village de Potemkine. Sur tout le continent, les règles de faillite sont suspendues avec le développement des prêts garantis par l’État. Le sauvetage des champions nationaux pourrait se révéler sur longue période très coûteux. La gestion des créances bancaires dans les prochaines années sera très compliquée. Leur transformation en fonds propres ou leur dépréciation seront au cœur des débats.

Les États-Unis ont failli en ne jouant pas leur rôle de première puissance économique mondiale et de gendarme du monde. Cet effacement est peut-être temporaire. Il peut néanmoins marquer une réelle rupture avec la fin du leadership américain, en particulier pour les pays européens qui vivaient dans l’ombre portée de leur allié. A l’image du comportement du Président Trump, la gestion de la crise sanitaire a été très alambiquée. Elle a été différente d’un État à un autre avec des résultats peu dignes du statut du pays, le côté « cow-boy » avec une acceptation des pertes l’a emporté sur le comportement hygiéniste du pays. Sur le plan économique, le bilan à fin septembre est moins sévère. L’État fédéral a fourni un filet de sécurité pour les chômeurs afin de maintenir la consommation. Il a permis au marché du travail de s’ajuster et s’est montrée moins enclin que l’Europe à renflouer les entreprises qui risquent de devenir obsolètes.

La guerre de la Covid-19 ne fait que commencer

Les pays européens sont confrontés à une deuxième vague. Le président Emmanuel Macron a décidé d’instituer un couvre-feu au sein des principales métropoles françaises et a indiqué que les Français devraient vivre avec le virus au moins jusqu’à l’été 2021. La guerre contre la covid-19 comportera donc plusieurs batailles. Tous les pays espèrent que les scientifiques trouveront rapidement un traitement ou un vaccin. Pour le moment, en raison d’une communication contradictoire et approximative, le doute s’insinue dans les esprits au point de ne plus croire les informations délivrées par les pouvoirs publics. Les annonces sur la commercialisation imminente d’un vaccin que ce soit en Russie, en Chine voire aux États-Unis laissent perplexe. Dans le passé, la mise au point de médicaments a toujours nécessité du temps. Ainsi, entre la découverte de la pénicilline, en 1928, par le scientifique écossais, Alexander Fleming, et son utilisation comme antibiotique par Ernst Boris Chain et Howard Walter Florey, une dizaine d’années furent nécessaire. Ce n’est qu’à partir des années 1940 que la pénicilline a été utilisée un peu partout pour soigner diverses infections bactériennes graves, telles que la pneumonie. Les trois savants sont reçus le Prix Nobel de médecine en 1945. Pasteur dut lui-même faire plusieurs expérimentations et convaincre la communauté scientifique avant d’imposer son vaccin antirabique.

Par rapport à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle, les moyens techniques et financiers sont sans comparaison afin de combattre une maladie qui à fin septembre avait touché plus de 30 millions de personnes et en avait tué plus d’un million. Mi-octobre, 200 vaccins candidats sont en effet à l’étude. Si certains ont été abandonnés, d’autres sont en phase trois, c’est-à-dire en expérimentation sur des femmes et des hommes.

Les procédures d’expérimentation et de validation des vaccins sont complexes. Ils doivent être efficaces et bien supportés avec peu d’effets secondaires. Sur le premier point, les premiers retours sont variables avec des taux d’efficacité variant de 30 à 60 %. Les pouvoirs publics devront décider s’ils utilisent ou pas un vaccin à faible efficacité sachant qu’un autre pouvant avoir un meilleur rendement est susceptible de sortir quelques semaines après. Sur les effets secondaires, le silence est pour l’instant de rigueur. La qualification d’un vaccin ne signifie pas la fin du problème. Il faudra alors engager la production, la commercialisation et la vaccination. Ce schéma n’est pas simple. Il suffit pour s’en convaincre d’apprécier les difficultés générées par l’actuelle vaccination contre la grippe. De nombreuses officines de pharmacie seraient déjà en rupture de stocks.

Pour la vaccination, il faudra également s’approvisionner en quantités tout aussi grandes en dispositifs d’inoculation, seringues ou aérosols nasals, par exemple, ce qui ne sera pas une mince affaire, eu égard aux récentes pénuries de masques lors de la première vague de l’épidémie. Il faudra former du personnel et régler d’importants problèmes logistiques, en particulier au sein des pays en développement. Plusieurs États ont décidé de souscrire des contrats de préférences nationaux pour la vaccination de leur population. Cette pratique pourrait aller à l’encontre des intérêts de santé publique. Ainsi, si au moment de la mise en place des vaccins, certains pays sont plus frappés par l’épidémie, pourront-ils avoir accès à un stock plus important même s’ils ne sont pas prioritaires pour le laboratoire. Un minimum de coopération internationale apparaît nécessaire. Elle le sera d’autant plus pour gérer le coût de la vaccination en particulier pour les pays pauvres. Il faudrait au moins parvenir à un accord sur la gestion des droits de propriété intellectuelle.

Au niveau de la recherche, la concurrence a été de mise. Les entreprises dont certaines se sont regroupées mènent de front leurs recherches. Les instances internationales comme l’OMS tentent de réguler mais en vain. Le monde de la santé apparaît éclaté, les États-Unis, ayant décidé de ne pas occuper le rôle de gendarme du monde. Il n’y pas une alliance des pays libres face au covid. En cas de découverte d’un vaccin fiable, le débat sur les droits, sur le prix devrait être au cœur du débat public. Les laboratoires pharmaceutiques souhaiteront être rémunérés à la hauteur de leurs investissements quand les pouvoirs publics mettront en avant les concepts d’intérêt général et de santé publique.

Le secteur financier face à la digitalisation sur fond de covid

La crise sanitaire amplifie le processus de digitalisation de la sphère financière. Depuis le début du siècle, les relations entre les clients et les acteurs financiers ont profondément évolué avec le recours croissant aux outils numériques. Le cadre de ces relations, en revanche, était jusqu’alors assez stable. Pour une grande majorité, la souscription de produits d’assurances ou bancaires passe par une agence ou un conseiller. Ce mode de relation est en train d’exploser. Les pays avancés s’alignent progressivement sur le modèle qui a cours dans les pays qui sont faiblement bancarisés. En Afrique, les opérateurs téléphoniques comme Orange proposent des services bancaires et financiers. Au Brésil, Nubank, une banque en ligne, s’est associé à WhatsApp, qui compte 120 millions d’utilisateurs au Brésil, pour proposer des paiements via le service de messagerie. D’ici quelques semaines, le Brésil mettra en œuvre l’Open Banking, une réforme autorisant les fintechs d’accéder aux données détenues par les banques, les gestionnaires de fonds et les assureurs. Dans les pays émergents, les réglementations sont moins strictes que dans les pays avancés, ce qui permet une intrusion des entreprises du digital beaucoup plus rapide au sein du secteur financier. Le gouvernement brésilien, qui a accordé une aide à 60 millions de personnes, utilise de plus en plus la voie mobile pour atteindre les citoyens amazoniens.

La crise sanitaire en tant que catalyseur

La crise sanitaire conduit à une accélération de la dématérialisation des relations monétaires. Selon The Economist, avec la crise sanitaire, la part des transactions sans numéraire dans le monde a atteint les niveaux qu’ils espéraient atteindre dans deux à cinq ans. En Amérique, le trafic des services bancaires mobiles a augmenté de 85 % et les inscriptions bancaires en ligne de 200 % au mois d’avril. Si depuis la mise en place des confinements, les ménages stockent davantage qu’auparavant de monnaie fiduciaire, ils paient de plus en plus avec des outils numériques (cartes sans contact, paiement avec le smartphone, etc.). Aux États-Unis, le paiement sans contact aurait triplé depuis le mois de mars. Les transactions des réseaux Visa et Mastercard, qui représentent 94% des transactions traitées hors de Chine, ont progressé de plus de 40 % au premier trimestre 2020, par rapport à la même période en 2019. En avril, près d’un cinquième des adultes américains ont utilisé les paiements numériques pour la première fois. Aux États-Unis, de nombreuses enseignes ont supprimé leurs caisses enregistreuses pour passer aux prélèvements automatiques. Les consommateurs utilisent les services peer-to-peer (p2p) pour envoyer de l’argent à des proches ou acheter des cours de fitness en ligne. Au deuxième trimestre, dans ce pays, ce type de paiement aurait augmenté de 50 %.

Du fait d’une grande présence des fintechs, les pays d’Asie et d’Afrique apparaissent en avance par rapport aux pays occidentaux, la crise actuelle ayant accéléré le déploiement de solution déjà en expérimentation. Ainsi, un tiers des 18 000 vendeurs ambulants de Singapour se font payer en recourant à des codes QR que les consommateurs scannent. Cette proportion a augmenté de 50 % en mai et juillet. En Afrique, les paiements entre particuliers et les entreprises se dématérialisent à grande vitesse. Au Kenya, 20 % des transferts monétaires passent par des portefeuilles virtuels. Le groupe bancaire espagnol Santander indique que l’utilisation de ses canaux numériques a augmenté de 20 % en Europe, 30 % en Amérique du Sud et 50 % au Mexique au premier semestre 2020, par rapport au premier semestre 2019.

Face au recours du digital, les banques multiplient les fermetures d’agences. Ainsi, au Brésil, plus de 1500 seront fermées cette année. En Europe, plus de 2500 devraient être supprimées dans les prochains mois. La France est un des pays les plus timides en la matière. Les banques réorganisent complètement leurs activités en tendant de monter en gamme. La BNP PARIBAS étudie la possibilité de facturer le conseil à ses clients qui souhaiteront avoir un accès privilégié. Cette pratique avait déjà cours dans le cadre des départements de banque privée. 

Les banques et les assureurs seront tentés de transformer leurs sites en plateforme de service, en page d’accueil afin de capter du flux. Dans le même temps, les plateformes digitales souhaitent disposer de départements bancaires pour obtenir des données et des commissions. En septembre, Yandex, la principale application de recherche sur le Web et de téléassistance en Russie, a annoncé qu’elle achèterait la plus grande banque numérique du pays. Une semaine plus tard, Sberbank, toujours en Russie, a supprimé « banque » de son nom afin de se renommer en une entreprise de technologie qui se spécialise dans la livraison de nourriture et la télémédecine. Safaricom, une société de télécommunications kenyane et principal propriétaire de m-pesa un système de paiement en ligne, entend se développer dans les services financiers en proposant des prêts, de la gestion de fortune et de l’assurance. Ces entreprises visent à contrôler et orienter les achats de leurs clients avec l’utilisation d’algorithmes. Avec la pandémie, les ménages passent de plus en plus de temps devant les écrans et rechignent à sortir et à se rendre dans des agences bancaires qui de toute façon n’avaient plus la côte. 

Des GAFAM à la traine de l’innovation financière

Pour le moment les GAFAM apparaissent en retrait. Apple avance prudemment avec « applepay ». Récemment, elle a décidé le lancement d’une carte de crédit avec Goldman Sachs. Les efforts de paiement de Facebook ont peu progressé du fait de l’hostilité générale vis-à-vis du libra. Le nombre de sites de commerce électronique américains qui utilisent le bouton de paiement d’Amazon n’augmente que lentement. Google s’est associé à des banques pour proposer des comptes courants et d’épargne. Google n’est présent de manière forte sur le plan financier qu’en Inde, où son application de paiement est dominante ; celle-ci distribue des prêts instantanés aux acheteurs.

Les fintechs ont besoin des banques et des assureurs présentiels

A la différence de la musique, des photos, les startups du secteur financier ne peuvent pas se passer pour le moment des banques et des assureurs traditionnels. En raison de la réglementation et de la complexité des systèmes de gestion financière, elles ne peuvent pas opérer seules. Les banques traditionnelles auraient un rendement des capitaux propres (roe) de 5 à 6 % quand les fintechs sont à 20 % mais celui-ci dépend des premières à 90 %. Les banques et les assureurs contrôlent le marché des fintechs en les rachetant. Ils tentent de maîtriser l’évolution et de conserver les backoffice. Les banques européennes apparaissent en retard par rapport au reste du monde car elles ont dû consacrer une part non négligeable de leurs bénéfices à l’augmentation de leurs fonds propres et à financer des stocks de créances douteuses. En outre, elles ont pu se reposer sur une réglementation protectionniste. Ce retard pourrait être préjudiciable dans les prochains mois compte tenu du coût supposé de la pandémie.

Le maintien de fortes barrières protectionnistes

L’Europe a mis en place plusieurs pare-feu pour éviter une déstabilisation de la sphère financière. Les directives concernant la banque et de l’assurance avec de fortes exigences de fonds propres visent à assurer la sécurité des déposants et à réduire les capacités d’entrisme de nouveaux acteurs. Les États-Unis ont également mis en place des systèmes de protection pour empêcher l’intrusion trop violente de la netéconomie dans le secteur bancaire. Les licences de banques numériques sont particulièrement difficiles à obtenir outre-Atlantique. Le système américain est peu libéral en raison des contrats qui lient les clients et les commerçants aux services financiers. Les grands réseaux de paiement bénéficient de rente de situation qui a freiné la diffusion des dernières inventions. A l’opposé, la Chine a mis en œuvre une législation libérale pour l’essor des fintechs. Dernièrement, un durcissement a été institué afin d’assurer un meilleur contrôle sur le crédit.

La majorité des acteurs se penche sur le développement de plateformes de services ouverts. Les assureurs et les banquiers disposant d’un nombre de clients et d’assurés importants sont des portails assez naturels. Ayant développé de longue date des systèmes informatiques sécurisés, ils devraient exploiter cet atout afin de permettre l’accès à de nombreuses activités à leurs clients dont ils connaissant une grande partie de la vie. Cette transformation pose de nombreux problèmes notamment liés à la vie privée. En outre, l’idée de plateforme ouverte sur le modèle Amazon semblent être de mise, ce qui n’est pas le mode de fonctionnement des entreprises du secteur financier même si depuis vingt ans la pratique des marques blanches s’est généralisée. Des assureurs ou des banquiers vendent leurs services à des courtiers ou à des concurrents sans apparaître facialement.