28 novembre 2020

Le Coin des Tendances

Pour un Bretton Woods du digital

La suprématie américaine est militaire et technologique, les deux étant liés. Depuis des décennies, les universités, les centres de recherche, les multinationales mais aussi l’esprit d’entreprise ont permis à ce pays de disposer d’un avantage comparatif indéniable dans de nombreux secteurs de pointe. Ses drones, ses satellites et sa maîtrise des techniques d’information et de communication donnent à ses forces armées des capacités d’action qu’aucun autre pays ne dispose. Les puissances occidentales sont dépendantes des Américains au niveau de la logistique qui, par exemple, contrôlent les routes sous-marines. Quatre entreprises américaines du secteur de l’information et de la télécommunication ont un capitalisation boursière supérieure à 1000 milliards de dollars. Tesla est devenue la première capitalisation dans le secteur de l’automobile.

Les Etats-Unis sous le coup de la menace chinoise

Dans les années 1980, le Japon avait réussi à légèrement ébrécher la suprématie américaine au niveau de l’électronique grand public et de l’automobile. Cette menace avait entraîné une vague de protectionnisme. L’idée alors avancée était que le Japon pourrait devenir la première puissance mondiale à l’orée du 21e siècle. Trente ans plus tard, cette menace n’est plus d’actualité. Le Japon qui doit faire face à un déclin rapide de sa population a raté le passage à la société immatérielle. Son caractère profondément insulaire en a été peut-être la raison. Le dynamisme japonais a cédé la place à celui de la Corée du Sud et surtout à la celui de la Chine.

En quarante ans, la Chine a construit la première industrie du monde et a fortement investi dans les secteurs de pointe ainsi que dans le militaire. En matière de haute technologie, les autorités chinoises ont engagé un vaste programme de formation de chercheurs dont un nombre non négligeable sont passés par les universités américaines. Elles peuvent compter sur le poids démographique du pays, ce qui permet de collecter un nombre important de données qui constituent la matière première des entreprises du digital. Les Chinois utilisent le numérique plus massivement que les occidentaux. Les paiements sont réalisés en ligne sans recours à de l’argent liquide, des cartes ou à des chéquiers. La dématérialisation des actes administratifs est plus avancée dans les grandes villes chinoises qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Le pays compte plusieurs grandes entreprises dans le secteur de l’intelligence artificielle comme Alibaba, Huawei ou Tencent qui concurrencent de plus en plus les sociétés américaines. Elles investissent des milliards de dollars dans les technologies émergentes de l’intelligence artificielle et de la fabrication de puces. Elles sont en avance en ce qui concerne l’informatique quantique et la 5G. L’administration chinoise est de plus en plus présente dans les instances internationales afin d’imposer sa conception et ses normes. Le financement d’infrastructures à l’étranger se multiplie afin d’élargir la sphère d’influence du pays et de sécuriser les échanges. Les autorités américaines estiment de plus en plus que la montée en puissance de la Chine menace leur suprématie. Par ailleurs, le risque de dépendance vis-à-vis des technologies chinoises est pris en compte. Le conflit avec Huawei au sujet du déploiement des antennes pour la 5G en a été un des signes. De nombreux fabricants d’électronique et d’informatique ont déjà déplacé une partie de leur production hors de Chine. A la demande des autorités, des chaînes d’approvisionnement ne comportant pas d’acteurs chinois ont été créées. Les fabricants sous contrat d’Apple, ont par exemple, installé des usines en Inde. La Chine fait de même en souhaitant se dégager de sa dépendance en matière de microprocesseurs. Les deux empires qui de 1978 à 2008 ont entremêlé une partie de leur production, bifurquent.

Le reste du monde écartelé entre les Etats-Unis et la Chine

Le reste du monde, c’est-à-dire 6 milliards d’habitants, est impliqué indirectement dans cette bataille technologique. Que ce soit l’Europe, l’Amérique Latine, l’Inde ou le Japon, pour des raisons culturelles, la proximité avec les Etats-Unis est manifeste même si le « hard Power » de ces dernières années est de plus en plus mal supporté. Le département américain du commerce surveille le respect des embargos par les entreprises étrangères avec des risques de sanction en cas de manquement. Le manque de coopération et de concertation entre les Etats démocratique est patent sur le terrain technologique. Les Etats-Unis se sont retirés des négociations engagées au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant les règles de taxation des GAFAM. technologie. L’Europe a également pris des mesures protectionnistes concernant les données. Google fait face à plusieurs procédures pour atteinte au droit de la concurrence au sein de l’Union européenne. Les Etats européens entendent également de créer un « cloud » indépendant de celui des Etats-Unis au nom de la souveraineté numérique. Gaia-x est une fédération de cloud, lancée par l’Allemagne et la France en juin dernier, dont les membres acceptent certaines règles, comme permettre aux clients de choisir où leurs données sont stockées. La Commission de Bruxelles défend l’idée d’un droit européen des données. Le problème majeur pour l’Europe est la faiblesse de ses entreprises digitales. La capitalisation boursière des entreprises numériques américaines dépasse 1000 milliards de dollars, celle des entreprises chinoises 3000 milliards de dollars, quand celle de l’Europe atteint péniblement quelques milliards de dollars. Le moteur de recherche français a un chiffre d’affaires de moins de 6 millions d’euros quand Google dépasse 160 milliards de dollars. Le retard pris par l’Europe est jugé tel qu’elle ne peut guère espérer développer, en quelques années, un secteur de haute technologie pouvant concurrencer les Etats-Unis ou la Chine. Elle est contrainte de mener des partenariats avec des entreprises de ces deux zones économiques. Elle pourrait avoir intérêt à négocier un « espace commerciale numérique » avec les Etats-Unis, ce qui suppose la résolution des conflits entre les parties prenantes. Cet espace pourrait également s’ouvrir à d’autres pays partageant les mêmes valeurs comme le Japon ou la Corée du Sud. L’idée serait de construite une sorte de fédération du numérique dans laquelle la circulation des données serait soumise à des règles communes. A défaut d’une fédération du numérique, des experts propose une « alliance technologique » non soumise à un traité formel. Si sous la présidence de Donald Trump, toute avancée en matière de coopération digitale semblait impossible, l’élection de Joe Biden pourrait changer la donne. L’épidémie a souligné la dépendance des Etats vis-à-vis des nouvelles technologies, ce qui pourrait les conduire à établir des législations communes sur ce sujet. Les flux d’information jouent le même rôle qu’au 19e siècle la marine commerciale ou militaire. Le contrôle des routes maritimes était alors un gage de puissance. La guerre de 1914/1918 trouve en partie son origine dans la concurrence que se menait l’Allemagne et l’Angleterre. Depuis une dizaine d’années, le numérique est devenu un enjeu géopolitique majeur. La technosphère est néanmoins très différente de l’univers maritime du siècle dernier. Les entreprises du net ont des territoires qui dépassent les frontières physiques des Etats, elles ont leurs propres règles.

La « technosphère », un nouveau continent ou un nouvel empire ?

Les Etats deviennent de gigantesques plateformes sur lesquelles s’échangent des biens, des services, des capitaux. Face à cette digitalisation accélérée des activités, certains imaginent l’instauration de frontières virtuelles mais bien réelles, telles qu’elles peuvent exister en Chine, en Corée du Nord ou en Iran. Sans atteindre ces extrémités, la possibilité d’assurer des contrôles nationaux est parfois souhaitée. La lutte contre les trafics en tout genre ou le terrorisme incite à une surveillance accrue des réseaux. L’ère de liberté totale, sur ces réseaux touche certainement à la fin en raison de la multiplication des débordements de violence verbale et non verbale. Une telle évolution avait déjà eu lieu dans le passé avec les autres supports de communication, presse écrite, radio et télévision. L’encadrement du droit d’expression a toujours existé. Avec Internet, le fait pour quiconque d’être un producteur d’information en temps réel pour un coût nul ou modique, a changé la dimension de la communication et a rendu obsolète les cadres anciens reposant sur l’agrément, l’autocontrôle par la profession voire la censure…

Les entreprises du numériques n’obéissent pas toutes aux mêmes règles. Certaines privilégient des structures ouvertes comme Linux, d’autres sont jalouses de leurs technologies comme Apple. Un grand nombre mélangent des aspects ouverts et fermés.  Leurs positions dominantes dans ce monde de plateformes donnent à des entreprises comme Facebook et Google des pouvoirs approchant ou surpassant ceux de nombreux pays. Au niveau des nations, certaines comme les Etats-Unis associent monopoles, concurrence, liberté de création, pouvoirs de régulation élevés ; d’autres comme la Chine reposent sur des systèmes plutôt fermés et contrôlés. L’Union européenne a été considérée comme un système open source sur le modèle Linux. L’Inde, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud fonctionnent selon des règles qui leur sont propres en acceptant liberté et auto-contrôle.

La montée en puissance parallèle du « cloud computing » et de l’intelligence artificielle a accru la valeur des collecteurs de données. Les secteurs du transport, des soins de santé, de l’enseignement, de la défense sont devenus des enjeux majeurs pour les entreprises digitales. Le contrôle des flux numériques permet la constitution de rente. L’intelligence artificielle sera au cœur des activités des dix prochaines décennies. Que ce soit au niveau de la gestion de l’énergie qui sera de plus en plus décentralisée, des futures flottes automobiles autonomes ou de la santé, le contrôle des données sera une question stratégique bien plus importante que celle de la production des masques pour la lutte contre la covid-19. La guerre des données a déjà commencé dans l’ombre avec des attaques cybernétiques engagées par certains Etats vis-à-vis d’autres. La diffusion de fausses données ou informations est devenue monnaie courante  de la part d’officines d’espionnage privées ou publiques. Si des frontières s’installaient sur la toile  pour éviter les problèmes d’ingérence, de souveraineté, les perdants seraient les petits pays et ceux qui ne seraient pas structurés au niveau du numérique. Les Etats-Unis et la Chine ont une masse critique suffisante pour développer leurs outils numériques. En revanche, les pays à faible population et pauvres en développement sont dépendants sur le plan technologique mais aussi des données extérieures.

Les Etats-Unis doivent récuser l’isolationnisme et l’Europe le protectionnisme

Les Etats-Unis comme l’Europe ont tout intérêt à promouvoir un système ouvert respectueux des libertés afin d’attirer un grand nombre de pays. Pour cela les Etats-Unis devront accepter de partager leur pouvoir dans le domaine du numérique. Aujourd’hui, ce partage ne va pas de soi car ce pays dispose d’une large avance technologique et a la possibilité d’étrangler ses ennemis et de faire pression sur ses amis grâce au contrôle de point névralgique dans la technosphère. L’Europe n’est pas sans influence sur les débats américains. Ainsi, un récent rapport du Congrès sur la manière de limiter le pouvoir des grandes technologies incluait de nombreuses idées défendues par la Commission de Bruxelles, telles que l’interdiction aux entreprises de la technologie de favoriser leurs propres services et de refuser de se connecter à des services concurrents. Les positions sur la régulation de la parole en ligne ne sont pas non plus si éloignées de part et d’autre de l’Atlantique. Comme en Europe, les autorités américaines sont favorables à une législation afin de concilier liberté d’expression et respect des droits de l’Homme. Par ailleurs, l’administration Biden sera probablement plus ouverte à l’argument selon lequel une plus grande partie des taxes sur les entreprises numériques devrait aller là où vivent leurs clients. Le Japon souhaite également une meilleure régulation des flux de données. Il a proposé une initiative dans ce sens en  en 2019, lors du G7. L’OCDE et le Forum sur la gouvernance de l’Internet ont également pris des initiatives sur ce sujet afin d’établir des règles communes aux Etats membres. L’OTAN a commencé à faire de même pour l’Intelligence Artificielle et le partage de données. Le problème pour les Etats-Unis est d’admettre un partage du renseignement quand, aujourd’hui, ils ont la possibilité d’espionner leurs alliés en temps réel. Il est fort probable que l’administration Biden ne soit pas plus favorable que celle de Trump à aborder les questions du digital à l’OMC. Elle privilégiera des partenariats négociés gré à gré.

La France fait cavalier seul

Avec la taxe GAFA, la France défend l’idée que les entreprises du numérique doivent acquitter les impôts sur les activités réalisées dans chaque pays, remettant en cause le principe de consolidation des résultats à l’échelle mondiale. Après avoir tenté d’imposer sa conception de taxation au sein de l’OCDE et de l’Union européenne, la France a décidé de réinstituer pour 2020 sa taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires. numérique pour les entreprises, dont les ventes mondiales sur le Web sont supérieures à 750 millions d’euros et à 25 millions dans l’Hexagone. Les activités concernées sont la publicité en ligne, l’utilisation des données personnelles et les ventes réalisées sur les places de marché. En 2019, avant d’être suspendue, cette taxe avait rapporté 350 millions d’euros. Dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances pour 2021, les parlementaires ont demandé au Gouvernement de mettre en place une taxe exceptionnelle ciblant les grands acteurs de la vente en ligne au nom de leur participation « à l’effort de solidarité face à l’épidémie ». A cet effet, le Sénat a adopté un amendement créant une nouvelle taxe de 1 % sur le e-commerce en ne visant que les grandes entreprises. Le Gouvernement n’y est pas favorable. Ces taxes sont de nature protectionniste en visant avant tout les entreprises américaines du numérique. Elles exposent la France à un risque de rétorsion de la part des Etats-Unis, quelle que soit l’administration au pouvoir. Elles peuvent avoir des effets sur les implantations de ces entreprises qui pourraient préférer la Belgique, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Les plateformes seront également incitées à faire payer la taxe aux consommateurs finaux

Dans l’espoir d’un Bretton Woods digital

Le Ministre de l’Economie français souhaite activement éviter une guerre commerciale avec les Etats-Unis en pleine crise sanitaire. Le manque de consensus européen fragilise la France qui est, pour le moment, assez isolée. L’Allemagne dont les exportations vers les Etats-Unis sont cruciales joue la prudence. Il y a évidemment l’espoir que les Etats-Unis décident, avec l’ensemble de ses alliés, de s’engager dans un Bretton Wood du numérique. En juillet 1944, des représentants de 44 pays se sont réunis à Bretton Woods dans le  New Hampshire, pour élaborer un nouvel ordre financier et créer le FMI et la Banque mondiale.  Pour le moment, la concrétisation de cet espoir apparait bien faible même si la crise sanitaire permet de bouger quelques lignes.

La crise des dettes souveraines commencera dans le Sud

Le 13 novembre, la Zambie est devenue le sixième gouvernement à faire défaut en 2020 après l’Argentine, le Belize, l’Équateur, le Liban et le Suriname. D’autres pays pourraient les imiter. Trente-huit pays sont menacés d’un défaut de paiement  d’ici la fin de l’année soit deux fois le nombre constaté au mois d’octobre 2009 en pleine crise des subprimes.

Le risque de défaut est d’autant plus élevé que le nombre d’acteurs intervenant sur la dette des Etats les plus pauvres est important. Les 73 pays les plus pauvres doivent près d’un cinquième de leur dette extérieure, une centaine de milliards de dollars, à des créanciers privés comme des banques, des compagnies d’assurances ou des fonds. Au niveau des Etats prêteurs, la Chine arrive loin en tête avec plus de 76 milliards de dollars de créances sur les pays pauvres. Le solde est entre les mains des autres grands Etats et des prêteurs multilatéraux comme la Banque mondiale. Avec un tel éclatement de la dette, il est difficile de conclure des accords équitables d’allégement. Toute débâcle de la dette oppose les intérêts des emprunteurs à ceux des prêteurs, mais oppose également les prêteurs les uns aux autres. Dans le cas de la Zambie, les prêteurs chinois (qui ont accepté de différer certains paiements) et les détenteurs d’obligations privées (qui ne l’ont pas fait) se reprochent mutuellement l’impasse. Le problème se posait également au niveau des créances détenues par les Etats. En effet, jusqu’à maintenant, la Chine ne participe pas au Club de Paris qui réunit les créanciers publics afin de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés. La Chine avait tendance à percevoir les intérêts et les remboursements d’emprunts des pays ayant fait l’objet d’un rééchelonnement dans le cadre du Club de Paris quand les Etats qui en sont membres acceptent des reports ou des annulations

Dans le cadre du G20 qui s’est tenu en visioconférence, le sujet de la dette des pays pauvres a été abordée. Les Etats membres dont la Chine, l’Arabie saoudite et l’Afrique du Sud, ont signé un « cadre commun » permettant un traitement uniforme des dettes. Cet accord prévoit également d’associer les créanciers privés, qui ne participaient pas au moratoire, selon le principe de la « comparabilité de traitement ». Le débiteur se voyant offrir une restructuration de sa dette par un créancier public devra exiger le même traitement de tous ses créanciers. Le Fonds monétaire international (FMI) sera « le pivot » du système, les pays demandant à bénéficier d’une restructuration devront se soumettre à un programme macroéconomique visant à assurer la « soutenabilité » de leur dette.

Au-delà des plans du Club de Paris, les crises de la dette favorisent l’innovation tant sur le plan financier qu’au niveau institutionnel. La crise de la dette latino-américaine des années 1980, par exemple, n’a finalement été résolue que lorsque les prêts bancaires illiquides ont été transformés en obligations négociables dites « Brady », du nom de Nicholas Brady, alors secrétaire au Trésor américain. La crise actuelle pourrait redonner du crédit aux obligations dont le remboursement varie en fonction du cours des matières premières chutent ou de l’énergie. Les obligations pourraient être indexées au taux de croissance du PIB (le capital ou les intérêts ne pourraient être dus qu’à partir d’un certain taux de croissance). La voie des « obligations flexibles » permettant à l’emprunteur d’allonger leur échéance (et de reporter les paiements d’intérêts) en échange d’intérêts supplémentaires. Des obligations similaires existent déjà sur les marchés de la dette d’entreprise, ce qui pourrait faciliter l’acceptation d’une version souveraine par les investisseurs.

Quand la santé publique retrouve ses lettres de noblesse

La COVID-19 qui est la pandémie la plus grave de ces cent dernières années. a révélé des fragilités latentes des systèmes de santé qui existaient avant l’épidémie. Elle a démontré toute l’importance de la santé publique qui englobe toute la sphère de la santé, de la médecine à la prévention en passant par la lutte contre la pollution.

La pandémie de covid-19, une crise sanitaire et sociale

À la fin du mois d’octobre 2020, plus de 7 millions de personnes ont été contaminées et 220 000 personnes étaient mortes de la COVID-19 dans les pays de l’Union européenne, en Islande, en Norvège, en Suisse et au Royaume-Uni. Au cours de la première vague de la pandémie, le virus a particulièrement touché un certain nombre de pays d’Europe occidentale, notamment la Belgique, la France, l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne et le Royaume-Uni, ainsi que la Suède. Depuis août 2020, le virus a commencé à se propager plus largement dans toute l’Europe. Lors de la première vague, au cours des premiers mois de la crise, des pays ont éprouvé des difficultés pour accroître la disponibilité de masques et d’autres équipements de protection individuelle. La plupart des pays ont également éprouvé des difficultés à renforcer leur capacité de tests, ce qui a limité l’efficacité des tests et de la traçabilité des cas de COVID-19. Certains pays qui dans le passé avait déjà été confronté à des épidémies ou qui ont une tradition hygiénique importante ont mieux résisté. La Corée du Sud est un bon exemple d’un pays qui a réussi à maîtriser l’épidémie de COVID-19 au moyen de mesures rapides, efficaces et ciblées, évitant ainsi des blocages complets. La Nouvelle-Zélande en est un autre. En Europe, jusqu’en octobre 2020, quelques pays comme la Finlande, la Norvège et l’Estonie ont été mieux à même de contenir la propagation du virus et d’atténuer les conséquences

La mortalité due à la COVID-19 présente un gradient social clair, ce qui n’est en rien spécifique à cette maladie ; simplement sa violence et sa rapide diffusion le démontrent avec plus d’acuité que pour les autres. Les personnes âgées ont été touchées de manière disproportionnée, les résidents dans les maisons de retraite étant particulièrement exposés au risque. Dans presque tous les pays de l’OCDE, au moins 90 % des décès dus à la COVID-19 concernaient des personnes âgées de 60 ans et plus. Dans de nombreux pays, près de la moitié ou plus des décès liés à la COVID-19 ont été enregistrés parmi les résidents des établissements de soins de longue durée. Les autorités ont mis du temps à prendre des mesures pour assurer la protection des personnes âgées en établissement. La priorité a été de doter en équipements les hôpitaux. Face aux demandes des familles, plusieurs pays ont tardé à réduire les visites au sein des maisons de retraite.  L’équipement en masques n’a pas été assez rapide dans ces établissements.

Les personnes pauvres et les personnes vivant dans des zones défavorisées ont également été touchées de manière disproportionnée en France comme dans tous les autres pays occidentaux. Ce sont des territoires où l’obésité a fortement augmenté ces dernières années. La suroccupation des logements a également contribué à l’accélération de la diffusion de l’épidémie au sein des banlieues des grandes agglomérations.

La prévention, le parent pauvre de ces dernières années

Les dépenses de santé sont avant tout affectées aux soins curatifs. La prévention a toujours été le parent pauvre. Or, l’augmentation de l’espérance de vie depuis une centaine d’années doit beaucoup à l’éducation, aux mesures d’hygiène, à la lutte contre le tabac et l’alcool ainsi que plus globalement à l’amélioration des conditions de vie. Tout relâchement en la matière se traduit par une recrudescence des épidémies, comme ce fut le cas en Afrique avec le choléra (Algérie par exemple).

La lutte contre la pollution de l’air est de plus en plus jugée indispensable pour améliorer l’état de sa santé et le bien-être des populations.  Entre 168 000 et 346 000 décès prématurés dans les pays de l’Union européenne pourraient être évités avec une réduction des seules particules fines. La mortalité due à la pollution atmosphérique est particulièrement élevée en Europe centrale et de l’Est en raison de l’utilisation accrue des combustibles fossiles.

La pollution de l’air entraîne des pertes économiques évaluées à 600 milliards d’euros par an dans les pays de l’Union, soit 4,9 % du PIB en 2017. Ces pertes sont dues aux effets des polluants sur la mortalité, la qualité de vie et sur la productivité des personnes atteintes de maladies connexes. Il faut ajouter l’augmentation des dépenses de santé parmi les effets de la pollution.

Grâce à des approches multisectorielles, les autorités de santé publique peuvent contribuer tout à la fois à la réduction des émissions des gaz à effet de serre et favoriser l’exercice physique au sein de la population. La réduction de la mortalité passe également par un effort plus important dans la lutte contre les addictions, tabacs, alcools, drogues qui explique en partie la baisse de l’espérance de vie aux Etats-Unis. Figurent également parmi les priorités selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la lutte contre la mauvaise alimentation et l’augmentation de l’activité physique. Le tabagisme reste la principale cause de mortalité prématurée dans l’Union européenne, avec environ 700 000 décès par an. La consommation nocive d’alcool contribue entre 255 000 à 290 000 décès par an dans les pays de l’Union. Si les politiques de contrôle de l’alcool ont réduit la consommation globale d’alcool dans de nombreux pays au cours des dix dernières années, la forte consommation d’alcool reste problématique. Une hausse de la consommation est même constatée chez les jeunes.  Un tiers des adultes signalent au moins un événement de consommation intense (« binge drinking ») au cours du dernier mois, et plus d’un cinquième des adolescents âgés de 15 ans déclarent avoir été en état d’ivresse plus d’une fois dans leur vie. Plus d’un adulte sur six est obèse dans les pays de l’Union. Le surpoids est un facteur de risques pour de nombreuses maladies et notamment pour la COVID-19.

Des problèmes de logistique sanitaire

L’épidémie de COVID-19 a mis en lumière des problèmes de logistique, de gestion des stocks de médicaments, de matériels du fait de problème de coordination. Des pénuries de professionnels de la santé ont été également constatées dans de nombreux pays. Les plans de mobilisation des personnels de santé ont été défaillants.

Même avant la pandémie de COVID-19, plusieurs pays connaissaient des problèmes de stocks de médicaments. Les délais d’attente pour de nombreuses interventions chirurgicales non-urgentes étaient en hausse. Ces délais d’attente sont en forte hausse depuis le début de l’épidémie. Des pays comme le Danemark et la Hongrie ont réussi à réduire durablement les délais d’attente pour de nombreux services de santé en mettant en place des indicateurs permettant de redéployer rapidement les moyens humains et les équipements.

L’épidémie prouve qu’il n’existe pas un modèle type en matière de santé. Le système italien très décentralisé est en souffrance quand celui de l’Allemagne apparaît résilient. La France avec un système de santé centralisé mais fonctionnant en silos éprouve des difficultés à s’adapter à une situation exceptionnelle. La vaccination de masse qui se mettra en place au début de l’année 2021 permettra d’apprécier si les différents systèmes de santé ont appris des erreurs commises lors de ces derniers mois en termes d’organisation.