Le Coin des tendances – Allemagne – moutarde
Une nouvelle page pour l’Allemagne
La guerre en Ukraine a provoqué de multiples ondes de choc. Il est encore trop tôt pour apprécier l’ampleur des changements que cette invasion a provoquées mais cette dernière a provoqué un déplacement sensible des lignes au sein de nombreux pays. La Finlande et la Suède ont décidé en quelques semaines d’intégrer l’OTA N, ce que ni l’un, ni l’autre n’avait imaginé durant les années de guerre froide. Les Etats européens qui depuis des décennies avaient accepté d’être dans une position de dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie essaie de s’en affranchir.
Le pays européen le plus touché par la guerre en Ukraine est sans nul doute l’Allemagne. Elle était, depuis 1991, le meilleur des partenaires de la Russie au point qu’un ancien Chancelier devienne un des responsables de Gazprom, a été amené à reconsidérer sa politique étrangère et de consentir un effort financier en faveur de sa défense sans précédent. Comme fréquemment dans ce pays, la réorientation de la politique étrangère s’effectue dans le cadre d’un large consensus. Cette rupture intervient au moment où le modèle de croissance allemand est remis en cause. L’industrie souffre tant de l’énergie chère que du manque de microprocesseurs et des contraintes imposées par la transition énergétique. Le succès de l’Allemagne repose depuis la Seconde Guerre mondiale sur une monnaie qui s’apprécie, une inflation faible, une énergie abondante et l’exportation de produits industriels à forte valeur ajoutée. En 2022, les Allemands doivent composer avec une inflation élevée, inconnue depuis quarante ans, un euro qui a perdu plus de 15 % de sa valeur en trois ans, un baril de pétrole qui a dépassé 120 dollars et une balance commerciale qui est même devenue déficitaire au mois de mai dernier.
Avec les embargos, les exportations vers la Russie ont baissé de 54,6 % en glissement annuel. Celles à destination de la Chine sont également en retraite en raison des conséquences de la politique du zéro-covid dans ce pays. La Chine est un partenaire essentiel, avec plus de 100 milliards d’euros par an de biens et marchandises allemandes exportés. L’inflation qui a atteint 8,5 % au mois de juillet rappelle de mauvais souvenirs. Elle est synonyme de perte de compétitivité pour un pays dont le solde commercial est un vecteur important de la croissance. L’Allemagne pour ses exportations utilisent un volume important de biens intermédiaires et d’énergies importés. La dépréciation de l’euro augmente le coût de ces biens et limite les marges à l’exportation. Ces vingt dernières années, les entreprises allemandes ont profité de la croissance des pays émergents en exportant une part croissante de leur production. Les tensions géopolitiques, les tentations protectionnistes remettent en cause ce schéma de développement.
L’Allemagne est contrainte de revoir en partie son modèle de développement et ses relations diplomatiques. Depuis la chute du Mur en 1989, ses dirigeants ont estimé qu’il fallait maintenir le dialogue avec ceux de Russie en espérant que les échanges économiques banaliseraient ce pays. Le commerce était censé apprivoiser la Russie et atténué sa belligérance et son esprit de revanche. L’Allemagne a réduit ses dépenses militaires pendant près de vingt ans considérant qu’il n’y avait plus de réelles menaces en Europe et qu’elle n’avait pas vocation à intervenir, au contraire de la France, au-delà de ses frontières.
Si jusque dans les années 1990, l’Allemagne se caractérisait par la qualité de ses infrastructures, le sous-investissement chronique depuis vingt ans commence à peser problèmes. Le réseau ferroviaire vétuste entraîne de nombreux retards de train. Les administrations sont en retard en matière de numérisation. L’Allemagne doit en outre faire face à un déficit chronique de main d’œuvre en raison de sa démographie déclinante.
Face à ces nombreux problèmes, les autorités allemandes réagissent assez rapidement. La crainte d’une grande pénurie de gaz à la rentrée provoquant l’arrêt de l’industrie semble s’éloigner. La dépendance au gaz russe a été réduite assez rapidement en ayant recours au gaz norvégien et au gaz liquéfié américain. Avant la guerre en Ukraine, le gaz russe représentait 55 % des approvisionnements. Si la part de la Russie sur le marché allemand du gaz a diminué de moitié, les réserves de gaz pour l’hiver se constituent à un rythme normal. L’Allemagne redémarre des centrales au charbon et s’apprête également à prolonger des centrales nucléaires vouées à la fermeture. Devant fermer à la fin de l’année, les trois dernières centrales nucléaires encore en activité en Allemagne seraient donc maintenu en activité. Elles assurent 6 % de la production d’électricité outre-Rhin, contre 25 % au sein de l’Union européenne et 70 % en France. Cette décision aurait une force symbolique non négligeable compte tenu du fait que la majorité au pouvoir est composée de Socio-démocrates et de verts. Le Chancelier allemand, Olaf Scholz, pourrait également lever l’interdiction de la fracturation pour le gaz et le pétrole de schiste. L’Allemagne disposerait d’importantes réserves de gaz de schiste actuellement non exploitées.
En matière de défense, Olaf Scholz s’est engagé à augmenter d’un tiers les dépenses de défense, avec un effort supplémentaire de 100 milliards d’euros décidés pour 2022. Contrairement à la posture pacifiste et non interventionniste des dirigeants allemands depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement a décidé de fournir des armes à l’Ukraine. Il a, par ailleurs, lancé un examen approfondi des relations avec la Chine et devrait bientôt publier une stratégie de sécurité nationale. Jusqu’à maintenant, l’Allemagne s’abritait sous le parapluie américain en matière de politique étrangère. Depuis la guerre en Ukraine, ses dirigeants ont annoncé qu’ils définiraient prochainement des objectifs géostratégiques spécifiques.
L’Allemagne a décidé d’accélérer tant pour le numérique que pour la transition énergétique. Avec l’appui des autorités fédérales, les entreprises sont appelées à rattraper leur retard. Pour limiter les tensions au niveau de la main d’œuvre, les règles d’immigration sont assouplies. Si durant des années, l’Allemagne a appliqué des politiques budgétaires rigoureuses, elles apparait moins hostile à une gestion plus pro-active de ses finances publiques. Elle défend avec moins de force le retour orthodoxie financier au niveau de la zone euro. Elle a accepté le Plan de relance et ne s’oppose pas à la mise en œuvre de politiques ciblées en faveur de certains pays pour éviter la fragmentation de la zone euro. Le rêve d’une croissance tirée par le grand large, permettant de s’affranchir de l’Union européenne, s’évanouit. Les dirigeants allemands estiment que la solidarité européenne comporte des avantages que ce soit pour gérer la crise sanitaire ou pour faire face à la guerre en Ukraine. La présidence Trump a provoqué un électrochoc. Convaincu de l’alliance indéfectible avec les Etats-Unis, ils ont du prendre acte que ce dernier pays pouvait un jour faire défaut. L’éventuel retour de Donald Trump au pouvoir pourrait signifier la fin de l’OTAN et une remise à plat de toutes les alliances. L’Allemagne qui jusqu’à maintenant n’a jamais cru à un projet de de défense européenne, y est moins hostile dorénavant. Compte tenu de sa puissance économique et financière, elle estime qu’elle pourrait imposer à la France ses positions. Les responsables allemands sont conscients de la fragilité de l’Europe. L’arrivée possible de l’extrême droite en Italie et la montée du nationalisme dans les Etats d’Europe de l’Est sont autant de points à surveiller. S’ils considèrent que la coopération avec la France demeure incontournable, ils estiment que cette dernière sort affaiblie de ces deux dernières décennies. La population allemande soutient majoritairement son gouvernement, en particulier en ce qui concerne sa politique en faveur de l’Ukraine. La chute de ce pays signifierait l’accroissement de la menace russe sur l’Est du pays. Les autorités craignent néanmoins les effets d’éventuels pénuries de gaz à la rentrée qui pourraient peser sur le climat politique. Les Allemands restent vulnérables au chantage énergétique du Kremlin.
Quand la moutarde ne monte plus au nez !
En France, pays de la gastronomie, la peur d’être privée de certains produits alimentaires demeure forte. En 1974, un mouvement spéculatif sur le sucre avait provoqué une pénurie, les Français s’étant rués dans les commerces pour réaliser des réserves. Lors de l’annonce du premier confinement en 2020, de nombreux ménages ont constitué des commissions pour tenir un siège de plusieurs mois. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les Français sont confrontés à un problème majeur. Il ne s’agit pas des éventuelles coupures de gaz ou d’électricité, il s’agit de la pénurie de la moutarde de Dijon. Depuis le printemps, les supermarchés de toute la France sont à court de pots de moutarde. Même à Dijon où le métier de moutardier date de 1634, il est impossible de s’en procurer en quantité. Les commerces qui sont approvisionnés rationnent leurs clients. Le prix d’un pot de bonne facture a augmenté depuis le mois de mars de 15 %.
Est-ce la crise sanitaire ou la guerre en Ukraine qui est responsable de cette pénurie ? Comment un produit supposé spécifiquement français se retrouve à faire défaut ?
Longtemps cultivée en Bourgogne, les graines de moutardes ont disparu dans les années 1980 en raison d’un coût de production élevé de rendements faibles. En 2015, selon l’institut de la statistique agricole, il ne restait plus que 500 hectares de moutarde. La production française connaît depuis quelques années de faibles rendements en raison de l’interdiction de l’épandage d’insecticides. La France importe de ce fait la quasi-totalité des graines de moutarde. 80 % des graines moutarde proviennent logiquement du Canada, le premier exportateur mondial en la matière. Or, ce pays, ces dernières années, a réduit ses champs de graines de moutarde au profit du blé, qui était plus rémunérateur. La sécheresse de 2021 a, en outre, provoqué une baisse de la récolte de 50 %. La crise sanitaire a provoqué une hausse des coûts de transports et un allongement des délais de livraison. Les producteurs de moutarde n’ont pas pu se tourner vers les deux autres grands exportateurs de graines qui sont la Russie et l’Ukraine.
Selon Unilever, le premier producteur mondial de moutarde, la pénurie devrait durer jusqu’en 2023. L’entreprise a indiqué qu’un tiers de ses besoins en graines de moutarde ne serait pas assuré . Il faudra attendre la production du mois d’octobre pour espérer la fin de la pénurie. Du fait de la hausse des cours, les agriculteurs canadiens devraient ensemencer de nouvelles parcelles en 2022 et en 2023. En France, un renouveau de la production est également attendue. Les Français qui mangent en moyenne, un kilo de moutarde par an devront patienter quelques mois…