Le Coin des Tendances – Apple – pauvreté
Mais qui croquera la pomme ?
En juillet dernier, la capitalisation d’Apple a dépassé 2500 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France. En 2011, à l’arrivée de Tim Cook, cette capitalisation ne dépassait pas 350 milliards de dollars. Apple est l’entreprise la plus valorisée à l’échelle mondiale. Les ventes annuelles sont passées de 108 milliards de dollars en 2011 à 274 milliards de dollars l’année dernière. Le bénéfice net a plus que doublé, atteignant 57 milliards de dollars, dépassant les bénéfices tirés du pétrole de Saudi Aramco et faisant d’Apple l’entreprise la plus rentable au monde. Dans le monde des GAFA, Apple est un cas particulier. Créée bien avant le début de l’âge du digital, le 1er avril 1976 dans le garage de Steve Jobs avec Steve Wozniak, cette entreprise a bien failli disparaître en 1997. Elle fut alors sauvée par Bill Gates. Elle est atypique car elle reste un vendeur important de matériel informatique disposant de boutiques. Elle est aujourd’hui davantage contrôlée par des investisseurs que par ses créateurs. Davantage mondialisée que les autres GAFA, elle dispose d’une part des ventes plus élevée en dehors de son marché domestique qu’Alphabet, Amazon, Facebook, Microsoft, Alibaba ou Tencent. Son processus de production est également complètement internationalisé. Il repose sur un immense réseau de production avec la Chine au centre. Apple est devenue l’entreprise occidentale qui vend le plus de matériels à la Chine. Ses ventes annuelles dans ce pays ont été multipliées par cinq en dix ans pour atteindre 60 milliards de dollars.
Apple a tiré profit du marché cartellisé de la téléphonie. Tout en ayant un système d’exploitation assez fermé, elle n’a pas cherché à rivaliser avec ses concurrents. Elle a accepté de placer Google comme moteur de recherche sur ses IPhone et en a récupéré ainsi d’importantes redevances. Elle a toujours privilégié le maintien de marges élevées au risque perdre des parts de marché. Ces dernières années, elle a accru de manière exponentielle ses recettes. Comme les autres GAFA, mais avec encore plus de facilité grâce à sa forte internationalisation, Apple a pratiqué une optimisation fiscale poussée lui permettant de n’acquitter que 17 % d’impôt sur ses bénéfices. Grâce à sa rentabilité et à sa faible imposition, elle disposerait de réserves de plusieurs centaines de milliards de dollars. Si Apple demeure un vendeur de produits physiques, elle gagne de plus en plus d’argent avec les services grâce à son magasin d’applications (AppStore). 20 % de son chiffre d’affaires en dépendaient en 2020, contre 9 % en 2011. L’AppStore attire de plus en plus les créateurs informatiques, les développeurs et les consommateurs. Pour être reconnu, pour être vendu, une solution informatique doit être sur AppStore. Ce dernier héberge plus de 2 millions d’applications. Il offre un système de facturation et de ventes pour des milliers de créateurs. Plus de 643 milliards de dollars en 2020 ont été échangés sur le magasin d’Apple à l’échelle mondiale. La force d’Apple est de construire un système en réseau autour de l’iPhone utilisé par plus d’un milliard de personnes. Tous les objets fabriqués par la marque à la pomme sont des appendices du smartphone.
Du fait du caractère visible d’Apple, ses dirigeants ont rapidement pris le parti de respecter les critères ESG (environnement, sociétal et gouvernance). D’ici 2030, Apple s’est ainsi fixé l’objectif de devenir neutre en carbone pour tous ses produits. Elle entend progressivement l’imposer à tous ses prestataires et aux développeurs travaillant sur l’Appstore. À la différence de Google et de Facebook, Apple ne gagne pas directement d’argent avec les données recueillies, ce qui lui permet de mettre en avant le respect de la vie privée de ses utilisateurs.
Si Apple est devenue le porte-drapeau du digital dans le monde, elle est confrontée à une série de défis pouvant remettre en cause ses avantages comparatifs. Dans le monde du numérique, les rentes peuvent être également fragiles. Le système d’optimisation fiscale a été ainsi remis en cause avec l’accord de l’OCDE visant à instituer un taux minimal d’impôt sur les sociétés.
La montée de la concurrence
Apple doit également faire face à la montée en puissance de concurrents en particulier chinois. Les ventes d’iPhone sont orientées à la baisse passant de 231 millions en 2015 à 200 millions en 2020. Le marché des smartphones tend à arriver à maturité. Xiaomi, une entreprise chinoise, a dépassé Apple en tant que deuxième fabricant mondial de smartphones, Samsung restant premier. Même si les volumes de vente ne sont pas comparables, les appareils portables comme l’Apple Watch et les accessoires tels que les AirPod (écouteurs sans fil) génèrent des marges très importantes. En 2020, 200 millions d’AirPod ont été vendus et 34 millions de montres, soit beaucoup plus que les ventes réalisées par ses concurrents sur ces deux créneaux. Dans les prochaines années, Apple aura besoin de relais de croissance. Elle est condamnée à innover pour ne pas être banalisée. Malgré l’échec relatif de Google pour les lunettes connectées, Apple travaille toujours sur des « iGlasses », qui ajouteraient une couche numérique à la réalité physique perçue par le porteur. La firme de Tim Cook étudie également la possibilité de lancer une « iCar » qui serait tout à la fois autonome et électrique. Comme Google, Apple hésite sur la stratégie à suivre en matière d’automobile entre les partenariats avec des constructeurs traditionnels ou le lancement de ses propres chaînes de production, les deux n’étant pas antinomiques. Le succès de Tesla pousse Apple à se lancer quand Alphabet (la maison mère de Google) semble y avoir pour le moment renoncé. La voiture, contrairement aux lunettes, n’est pas une extension naturelle du savoir-faire traditionnel d’Apple. Un véhicule est beaucoup plus difficile à fabriquer qu’un smartphone.
La fin du Yalta du digital
Au nom du Yalta des GAFA, en vertu duquel les grandes entreprises du digital n’empiètent pas sur le cœur de métier des unes des autres, Apple n’a pas développé de réseaux sociaux et Facebook de magasins d’application. Apple et Google ont développé des coopérations. Google est ainsi le moteur de recherche par défaut sur l’iPhone versant 8 à 12 milliards de dollars par an pour ce privilège, soit 14 à 21 % du bénéfice net d’Apple en 2020. Dans un marché plus mature, la tentation est grande de trouver de nouveaux espaces de profit. Apple réfléchit ainsi à mettre en place sa propre entreprise de publicité et son propre moteur de recherche. Mais, les intrusions dans le marché des voisins ne sont pas toujours gagnantes. Ainsi, l’enceinte connectée d’Apple, HomePod, est arrivée en retard et n’a pas réussi à s’imposer face aux produits équivalents d’Amazon et de Google. Les lunettes de réalité mixte d’Apple, si elles voient effectivement le jour, devront se battre contre l’Oculus de Facebook et l’HoloLens de Microsoft.
Comment échapper aux juges ?
Les recours pour position dominante, entrave à la concurrence ou exploitation indue des données se multiplient à l’encontre des GAFA. Apple n’y échappe pas. Avant même la décision des juges, elle a décidé de réduire le montant des commissions que les développeurs lui paient pour être sur AppStore (application d’un taux de 15 % pour les petits développeurs). Par ailleurs, elle a accepté que les développeurs puissent informer leurs clients de l’existence de méthodes de paiement alternatives. Ils pourront inciter leurs clients, via un e-mail par exemple, à souscrire un abonnement directement sur leur site plutôt que dans leur application chargée sur l’AppStore. Le groupe a prévu de créer un fonds, doté de 100 millions de dollars, pour soutenir les petits développeurs américains. Les bénéficiaires pourront recevoir entre 250 et 300 000 dollars chacun, selon l’avocat des plaignants. En revanche, les autres magasins d’applications seront toujours interdits sur les iPhones. La solution de paiement d’Apple restera la seule autorisée au sein de l’AppStore. Il n’est pas certain que ces concessions soient suffisantes pour échapper aux sanctions judiciaires.
Apple face aux tensions géopolitiques
Apple, comme les autres GAFA, ne peut pas ignorer la montée des tentations protectionnistes. Les gouvernements de tous les grands États, Chine comprise, entendent recentrer sur leur territoire leur processus de production industrielle. Apple qui est le GAFA le plus internationalisé est donc le plus exposé à ce risque. Le Président Xi Jinping entend réduire les bénéfices des géants du digital d’autant plus s’ils sont étrangers. Les autorités chinoises répètent que Google, l’AppStore d’Apple, Epic Games, Fortnite perçoivent des frais excessifs dans le cadre de leur système de paiement. En réaction, Apple a décidé de renationaliser, en partie, ses chaînes d’approvisionnement mais reste très dépendante de la Chine. Si la guerre commerciale sino-américaine s’était poursuivie, elle aurait pu perdre 30 % de ses bénéfices selon Goldman Sachs. Apple est accusée de collusion avec le pouvoir politique chinois. Plusieurs ONG estiment que des fournisseurs d’Apple sont parties prenantes des camps de travaux forcés pour les Ouïghours, une minorité musulmane opprimée, au Xinjiang. Apple supprimerait de son AppStore les applications déplaisant aux autorités chinoises. Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, a dénoncé Apple pour hypocrisie, lui reprochant de vanter la protection de la vie privée à la maison tout en permettant au gouvernement de Pékin d’accéder aux données personnelles en Chine.
Comme Microsoft, Apple est vouée à devenir de plus en plus une société de services qui tire une grande partie de ses ressources des abonnements souscrits par ses clients. L’écoute de musique et la vidéo en ligne ainsi que la location d’espace sur le « cloud » constitue déjà des vecteurs importants de recettes. Dans les prochaines années, il est probable qu’Apple accentue, comme Google, sa présence dans le domaine médical ainsi que dans celui des paiements tout en essayant d’inventer de nouvelles générations de matériels intelligents comme les iGlasses ou les iCars. L’option prise est également de maintenir le positionnement haut de gamme et de ne pas essayer de concurrencer les entreprises chinoises, voire Google qui est plus grand public.
Les pauvretés au pluriel
La pauvreté monétaire est habituellement définie par le fait de disposer d’un niveau de vie inférieur à un certain seuil de la distribution de revenus dans la population (généralement 60 % de la médiane). En 2019, 14,5 % de la population française étaient selon ce critère considérés comme pauvres. Afin d’avoir une vision plus précise de la pauvreté, les instituts statistiques ont élaboré des indicateurs prenant en compte des éléments déterminant les conditions de vie des ménages. L’INSEE établit ainsi, depuis 2004, des indicateurs de la pauvreté en conditions de vie qui reposent sur 27 items regroupés en quatre dimensions : insuffisances de ressources, retards de paiement, restrictions de consommation et difficultés de logement. Sont considérées comme pauvres en conditions de vie les personnes cumulant au moins 8 items sur ces 27. En 2009, la privation matérielle a été définie au niveau européen. L’indicateur repose sur 9 items, certains résumant des privations détaillées dans l’indicateur français, d’autres étant nouveaux, comme les privations de certains biens d’équipement. L’indicateur européen prend moins en compte les difficultés de logement que celui de l’INSEE. Sont considérées en situation de privation matérielle les personnes cumulant au moins 3 items. Toujours au niveau européen, un indicateur de privation matérielle et sociale a été construit. Il étend la liste des 9 items pris en compte dans la privation matérielle à 13 et porte le seuil minimal à 5 items. Il permet d’intégrer des aspects plus sociaux et relationnels permettant d’avoir une vision plus large de la pauvreté. L’accès à des loisirs, la possibilité de recevoir ou de retrouver à l’extérieur des amis ou de la famille pour dîner entrent dans le champ d’analyse. Depuis 2020, Eurostat ne retient que cet indicateur de condition de vie.
En 2019, en croisant les différents indicateurs, 16,8 % de la population est pauvre suivant au moins l’un de ces indicateurs, 11,2 % suivant au moins deux et 7,2 % selon les trois.
Les indicateurs de pauvreté non monétaire évoluent en parallèle au taux de pauvreté monétaire. Ils se sont détériorés entre 2011 et 2012 avant de remonter et se stabiliser en 2014. En 2018, 13,6 % de la population est pauvre monétairement, 13,1 % l’est au sens de la privation matérielle et sociale et 5,7 % cumule les deux : 21,0 % de la population est pauvre au sens d’au moins un de ces deux critères.
34 % de la population indique avoir dû puiser dans son épargne pour boucler son budget, 31 % a été dans l’incapacité de faire face à une dépense imprévue d’environ 1 000 euros et 23 % n’a pas eu les moyens de remplacer des meubles abîmés.
Toutes les personnes en situation de privation matérielle et sociale sont affectées par au moins une restriction de consommation, plus de 9 sur 10 déclarent une insuffisance de ressources, près de 4 sur 10 au moins un retard de paiement. Les trois quarts signalent également au moins une difficulté de logement.
En 2019, 49 % des personnes de 16 à 29 ans et 39 % des 30-44 ans en situation de privation matérielle et sociale déclarent rencontrer des difficultés pour payer leur loyer ou leurs factures d’électricité. Ces risques d’impayés sont plus rares parmi les personnes plus âgées : 25 % parmi les 60-74 ans et seulement 9 % parmi les 75 ans ou plus. Inversement, les moins de 30 ans déclarent plus rarement des difficultés à se vêtir ou à se chausser correctement. Les restrictions de pratiques d’activités de loisirs payantes ou l’impossibilité de se réunir avec des amis pour un verre ou un dîner sont également moins souvent citées par les plus jeunes.
Le chômage joue fortement sur le risque de pauvreté, monétaire ou non : 68,4 % des personnes vivant dans un ménage dont la personne de référence est au chômage sont en situation de privation matérielle et sociale ou à risque de pauvreté monétaire (contre 21,0 % de l’ensemble de la population) ; 35,1 % se trouvent exclusivement concernées par l’une ou l’autre forme de pauvreté et 33,3 % cumulent les deux (contre respectivement 15,3 % et 5,7 % de la population générale).
Les locataires sont aussi plus touchés que les propriétaires, accédant ou non. 27,4 % des locataires sont en situation de privation matérielle et sociale et 13,3 % la cumulent avec le risque de pauvreté monétaire (contre respectivement 5,4 % et 1,6 % des propriétaires).
La fréquence de la pauvreté varie également selon le type de ménage. Les personnes vivant en famille monoparentale sont les plus touchées (41,7 % sont affectées par l’une ou l’autre forme de pauvreté et 14,1 % cumulent les deux), devant les personnes en couple avec trois enfants ou plus (respectivement 32,9 % et 10,2 %) et les personnes seules (27,9 % et 7,9 %). Les enfants de moins de 16 ans sont également plus touchés que la moyenne : 26,1 % sont concernés par l’une ou l’autre forme de pauvreté (18,3 % par l’une des deux uniquement) et 7,8 % cumulent les deux.
Le risque de pauvreté varie moins avec l’âge : le taux de privation matérielle et sociale culmine chez les moins de 16 ans (16,4 %), mais varie seulement entre 11,2 % et 14,4 % (atteint par les 45-59 ans) aux âges plus élevés.
Le système de protection sociale français avec le RSA, les allocations logements ou la Complémentaire Santé Solidaire (ex-CMUC) a permis de réduire la pauvreté des conditions de vie sachant que la pauvreté monétaire est, depuis 2012, relativement stable. En France, la problématique concerne avant tout les modalités de sortie de la précarité et de la pauvreté. Si les amortisseurs jouent le rôle de béquille, ils ne permettent pas facilement à la population qui en bénéficie de s’en affranchir. Si l’attribution d’aides relève de systèmes verticaux du haut vers le bas, pouvant être automatisés, il en est tout autrement pour l’accompagnement social qui exige la mobilisation de nombreuses personnes qui doivent, en outre, très bien formées. La faiblesse des corps intermédiaires, la solitude des personnes en situation de pauvreté, la peur que ces dernières suscitent sont autant de facteurs à prendre en compte pour apprécier la portée et les conséquences de la pauvreté en France comme au sein des autres pays occidentaux.