Le Coin des Tendances – arbres – finances et transition énergétique
La finance, un acteur clef de la transition énergétique
Depuis une dizaine d’années, le secteur financier s’engage à favoriser la transition énergétique notamment à travers leur politique d’investissement. Les investisseurs disposent, en effet, d’un levier important en conditionnant leurs apports de financement aux entreprises au respect des normes environnementales. Les politiques d’exclusion se multiplient depuis quelques années visant en priorité les entreprises tirant une grande partie de leurs bénéfices du charbon ou du pétrole. Ces politiques d’exclusion visent tout à la fois à faire pression sur les secteurs qui en sont les victimes pour les inciter à changer de modèle de production et à faciliter l’orientation des capitaux vers des activités à faibles émissions de CO2. Le passage de l’économie des combustibles fossiles à des sources d’énergie propres nécessite un effort financier important pour financer les infrastructures nécessaires. D’ici 2030, environ 4 000 milliards de dollars d’investissements dans l’énergie propre sont attendus chaque année, soit le triple du niveau actuel. L’insuffisance des capitaux peut s’expliquer par la faiblesse de la rentabilité à court terme des investissements réalisés dans les énergies renouvelables.
La pression publique et l’augmentation du prix du carbone constituent, néanmoins, des incitations de plus en plus fortes. Par ailleurs, l’afflux de capitaux vers le secteur décarboné est censé faciliter l’émergence de techniques à forte rentabilité. La sanction des marchés en matière d’émissions de gaz à effet de serre ne concerne néanmoins qu’une partie de l’économie. De nombreuses entreprises, en particulier au sein du secteur de l’énergie, ne sont pas cotées ou sont contrôlées par des États (Coal India en Inde ou Saudi Aramco en Arabie saoudite). Ces entreprises n’opèrent pas sous le contrôle des gestionnaires de fonds institutionnels ou d’actionnaires qui tiennent à leur réputation et qui se sont engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les politiques d’investissement des établissements financiers ne peuvent pas tout résoudre surtout qu’elles comportent un certain nombre de biais. L’exclusion des activités à fortes émissions de CO2 comme la production d’électricité par le charbon ne conduit pas toujours à une réorientation des investissements au profit de secteurs jugés plus propres. Ainsi, les entreprises digitales profitent du retrait des investisseurs du secteur énergétique carboné. Or, les émissions de CO2 des GAFA progressent fortement. Elles représenteraient 5 % du total des émissions des entreprises de l’indice S&P500. Pour échapper à la vindicte du marché, des entreprises sont tentées d’externaliser leurs activités les plus polluantes. Des entreprises pétrolières ont ainsi confié à des fonds ou à des sociétés de capital-investissement non cotées des activités à fortes émissions de CO2. Face à la sanction des investisseurs, des entreprises peuvent être incitées à sortir de la cote, sachant qu’elles trouveront des actionnaires attirés par leur profitabilité. En sortant de l’écran radar de la bourse, elles subissent moins la pression des actionnaires et des ONG. Par ailleurs, les politiques d’exclusion peuvent punir des entreprises réalisant des efforts importants pour réduire leur empreinte carbone grâce à la force de leur recherche.
Dans un souci de transparence, au niveau international, l’élaboration de règles communes en matière de reporting et de comptabilité est en cours de discussion, en particulier aux États-Unis. Cette clarification devrait s’appliquer à l’ensemble des acteurs économiques et notamment aux fonds de pension. L’instauration d’un prix carbone à l’échelle mondiale constituerait également un outil important afin d’éviter des distorsions de concurrence et de comparer plus finement les stratégies des entreprises dans leur lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Les arbres peuvent beaucoup mais pas tout
Lors de la COP26, des institutions financières représentant près de 9 000 milliards de dollars d’actifs ont décidé d’éliminer la déforestation de leurs portefeuilles d’investissement. Elles ont ainsi décidé de participer à une initiative qui regroupe un grand nombre acteurs privés et publics en faveur des forêts. En 2014, les gouvernements, les entreprises et les organisations non gouvernementales s’étaient engagés à réduire, d’ici 2020, de moitié la déforestation et à y mettre fin d’ici 2030, dans le cadre de la déclaration de New York sur les forêts. Le premier objectif a été raté, le second semble être un pont trop loin. Cette année, plusieurs États ont rallié l’initiative en faveur des forêts dont le Brésil et l’Indonésie. En revanche, l’Inde a refusé de la signer.
Dans le cadre de ce projet, les États ont promis de dégager des fonds pour protéger et restaurer les forêts, y compris dans le bassin du Congo, et ont reconnu que les peuples autochtones sont les mieux placés pour prendre soin des forêts dans lesquelles ils vivent. Les forêts servent de « puits de carbone » épongeant, chaque année, un montant net de 7,6 milliards de tonnes de dioxyde de carbone. L’abattage, le brûlage ou l’éclaircissage d’arbres ou la dégradation des écosystèmes représentent 11 % des émissions de gaz à effet de serre. Les programmes de plantation et de protection des forêts ont été jugés essentiels pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris de limiter la hausse des températures moyennes mondiales entre 1,5 °C et 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Le texte de l’accord de Paris prévoyait notamment un équilibre entre émissions et puits anthropiques « dans la seconde moitié de ce siècle ». À cette fin, plusieurs programmes de plantation à grande échelle et de restauration des tourbières ont été, depuis, entrepris.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les experts du climat ne disposent pas d’un système partagé capable d’évaluer la contribution des arbres à la séquestration du carbone. La comptabilisation de l’apport réel des arbres reste embryonnaire. En fonction des modes de calcul, l’arbre pourrait même être l’ennemi du bien. Actuellement, de nombreux États utilisent les arbres comme un moyen pour réduire comptablement leur empreinte carbone. La Chine et l’Inde ont ainsi de vastes programmes de plantation d’arbres. La Russie entend profiter du fait qu’elle abrite 20 % des forêts du monde, pour compenser ses importantes émissions de gaz à effet de serre. Le Bhoutan affirme avoir déjà atteint le zéro net émission grâce à ses plantations.
Planter des arbres ne suffit pas pour résoudre les émissions des gaz à effet de serre. Tout dépend de leur exploitation sur la durée. Le cycle naturel du carbone dans lequel les arbres et autres plantes jouent un rôle important est bouleversé par l’activité humaine. Le cycle est normalement lent et autorégulé. Les arbres absorbent le CO2 de l’atmosphère, puis en renvoient une partie quand ils se décomposent ou brûlent dans des feux de forêt naturels. En l’absence d’intervention humaine, les sources et les puits de carbone s’équilibrent. La déforestation et la dégradation des forêts augmentent les émissions de gaz à effet de serre en accélérant la libération du carbone stocké. Le réchauffement climatique accentue les émissions de carbone par les arbres en raison d’un pourrissement plus rapide et par l’augmentation du nombre des feux de forêts. Par ailleurs, plus les arbres vieillissent, moins ils captent de carbone. Dans le même temps, l’émission de dioxyde de carbone provenant de combustibles fossiles dans l’atmosphère permet aux plantes d’avoir une croissance plus rapide, augmentant d’autant l’efficacité de la captation. Les plantations d’arbre peuvent, en revanche, accélérer le réchauffement par l’assombrissement de la terre. La multiplication des plantations amène également à un usage plus poussé du bois dans le cadre des différentes activités économiques, ce qui est également une source supplémentaire de carbone.
Le cycle des arbres doit s’apprécier sur le long terme. Or des États sont amenés à faire de la compensation rapide afin de pouvoir maintenir des activités fortement émettrices de gaz à effet de serre. Ainsi, l’État de l’Asie du Sud-Est, Myanmar, indique qu’il émet chaque année 8 millions de tonnes de gaz à effet de serre provenant de l’industrie et de la combustion de combustibles fossiles, quand ses forêts aménagées absorbent 96 millions de tonnes. Fort de ce dernier chiffre, le pays, tout en revendiquant sa neutralité carbone en vertu des règles comptables convenues, se permet d’accroître la production d’énergie en ayant recours à des énergies fossiles. Sur une échelle bien plus importante, la Russie, quatrième émetteur mondial de CO2, a longtemps considéré que ses vastes forêts étaient le vecteur numéro un de sa politique de réduction des émissions des gaz à effet de serre. L’engagement de la Russie envers les objectifs de Paris stipule que d’ici 2030, elle réduira ses émissions de 70 % par rapport aux niveaux de 1990, « en tenant compte de la capacité d’absorption maximale possible des forêts et autres écosystèmes ». Grâce à ses forêts, la Russie peut effacer l’équivalent de 25 % de ses émissions industrielles de gaz à effet de serre. L’inventaire de ses forêts réalisé en 2020, pour la première fois en trente ans, a révélé que le volume des forêts de la Russie avait augmenté de 25 %. Une étude indépendante publiée dans la revue Nature a calculé que ce puits de carbone est, en Russie, de 47 % plus important aux prévisions précédentes. Une grande partie de l’augmentation du parc forestier est due à la croissance naturelle, à mesure que les forêts récupèrent des terres agricoles abandonnées. De telles révisions valent des centaines de millions de tonnes d’émissions de carbone et entrent dans les politiques de compensation. Néanmoins, selon le ministère russe de l’Environnement et des Ressources naturelles, les puits carbone liés aux arbres devraient tomber à zéro d’ici quatre décennies compte tenu du vieillissement des forêts.
Le recours à des normes communes pour l’appréciation de la contribution des arbres au bilans « carbone » nationaux faciliterait la comparaison des progrès réalisés par chaque pays dans l’atteinte de ses objectifs climatiques. Pour le moment, entre les estimations réalisées par les États et celles des experts du GIEC, il n’y a pas d’interconnexion. Ainsi, selon les modèles climatiques de l’ONU, les émissions de CO2 sont supérieures de 5,5 milliards de tonnes de CO2 par an à celles des inventaires nationaux. Cet écart est avant tout la conséquence de normes de comptabilisation différentes. La création d’un marché mondial du carbone supposerait une harmonisation des normes comptables. Un tel marché permettrait de peser sur la déforestation. Ainsi, au Brésil, avec l’introduction d’un prix carbone, les terres amazoniennes vaudraient plus chères avec des arbres que sans.
La réduction du bilan carbone en achetant une parcelle de forêt est fragile. Les compensations carbone par les arbres ne sont pas totalement satisfaisantes. Il suffit que quelques années après l’achat, le propriétaire déboise pour annuler, de fait, la compensation. La question de la permanence de telle compensation se pose. Les passagers aériens sont incités, par de nombreuses compagnies, à participer à l’achat d’arbres pour compenser les émissions de CO2 de leurs billets. À cette fin, ils peuvent affecter les miles obtenus grâce à leur voyage. Ce recyclage est avant tout symbolique avec un effet réel sur le climat faible.
La crainte de certains experts climatiques est que le
réchauffement climatique entraîne la mort de nombreux arbres en particulier au
sein de la zone tropicale voire dans le bassin méditerranéen amenant une montée
des émissions de CO2. Si la plantation d’arbres peut contribuer à
rafraîchir des terres par leur ombre et l’humidité qu’ils génèrent tout en
embellissant les territoires, elle ne saurait être la solution unique au
problème du réchauffement climatique. Les arbres peuvent néanmoins permettre
des avancées au niveau des normes comptables concernant les puits carbone.