8 mai 2021

Le Coin des Tendances – Chine – gestion post covid

La délicate sortie de l’épidémie de Covid-19, les leçons de l’Histoire

Le deuxième semestre 2021 est attendu de pied ferme car il est censé être celui de la reprise économique favorisée par l’engagement des plans de relance américains et européens. Il marquerait l’entrée dans une nouvelle ère de croissance. L’expérience issue des précédentes épidémies semble le confirmer : avec leur reflux, l’activité reprend ses droits avec néanmoins l’apparition d’importants et dangereux déséquilibres.

En 1832, la France fut frappée, comme le reste de l’Europe, par une épidémie qui provoqua, en plusieurs vagues, plus de 134 000 morts. Paris fut particulièrement touchée, perdant près de 3 % de sa population en un mois. Les hôpitaux furent rapidement débordés par des patients dont les médecins ne pouvaient pas expliquer les maux. Durant la première vague, de nombreux commerces durent fermer, les échanges se ralentirent. Au cours de la deuxième vague, face à l’hostilité de nombreux salariés et travailleurs indépendants, le gouvernement fut contraint d’alléger les mesures sanitaires. A partir de 1834, la fin de l’épidémie fut suivie par un essor économique qui permit à la France d’entrer de plain-pied dans la première révolution industrielle initiée par la Grande-Bretagne. Cette période d’enrichissement s’accompagna d’une montée des tensions politiques et sociales. le Roi Louis Philippe fit face à près de dix attentats entre 1832 et 1848 avant de devoir abdiquer lors de la révolution de 1848. Cette période agitée de l’histoire de France sert de trame au roman de Victor Hugo « Les Misérables » qui souligne la montée de la pauvreté et la dureté des relations sociales.

Après quatre ans de guerre et deux ans d’épidémie de grippe espagnole, responsables, de plus de 40 millions de morts, les États-Unis et l’Europe entrèrent dans les années folles. Le retour à la normale fut plus lent que ce que l’histoire a voulu retenir. L’épargne excédentaire aux États-Unis n’a été réduit que de 20 % lors des deux premières années de la décennie, les ménages ayant la crainte d’un retour de la guerre ou de l’épidémie. Malgré tout, entre 1920 et 1929, l’économie occidentale a crû en moyenne de 4,2 % par an. Des innovations comme la radio, le téléphone, l’automobile, l’avion et l’électricité commencent à se diffuser au sein des populations. La production industrielle française dépasse en 1929 de plus de 40 % celle de 1914. Celle des automobiles est multipliée par plus de quatre.  Cette période de forte croissance s’accompagne d’un emballement du prix des actions. Entre août 1921 et septembre 1929, l’indice Dow Jones a été multiplié par six, pour atteindre son plus haut niveau le 3 septembre 1929. Cette décennie est celle de tous les excès avec notamment l’hyperinflation allemande, en partie provoquée par la question du remboursement de la dette de guerre. Le Royaume-Uni resta en retrait de la croissance en raison de sa volonté de conserver une monnaie forte. Les années folles débouchèrent sur le krach de 1929, la récession, la guerre des changes, le protectionnisme puis…. la Seconde Guerre mondiale. Que ce soit en 1833 ou en 1920, la volonté de tourner la page, d’oublier l’épidémie fut un sentiment amplement partagé.

Même si la covid-19 continue à se diffuser au sein de pays émergents ou en développement comme l’Inde, les pays occidentaux veulent croire au rebond post-pandémique. Les gouvernements lèvent les mesures sanitaires restrictives avec la montée en puissance des campagnes de vaccination qui réduisent les hospitalisations et les décès dus au virus. De nombreux prévisionnistes révisent à la hausse les taux de croissance et en premier celle des États-Unis qui pourrait dépasser 6 % cette année, soit au moins quatre points de pourcentage. Une accélération synchronisée de l’activité au sein de nombreux pays est un phénomène rare. Il faut remonter à la période des années 1950 pour retrouver une situation comparable. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis mirent en place un cadre de financement de reconstruction de l’Europe avec le plan Marshall qui avait également comme avantage de favoriser la reconversion de l’économie de guerre américaine. La reprise fut assez longue à se matérialiser avec le maintien des rationnements en Europe jusqu’en 1950 et l’apparition des menaces de guerre avec l’URSS. Les États-Unis connurent la récession en 1948 et 1949.

Toute épidémie, toute guerre provoque des effets de court et long terme. Dans un premier temps, les femmes et les hommes souhaitent retrouver la vie d’avant, dépenser, sortir. Au-delà de la soif de vie, les crises amènent les entreprises à innover et à changer les méthodes de travail. Il y a également une diffusion plus rapide du progrès, le conservatisme ayant été mis à mal par la nécessité de faire face. Après la Première Guerre mondiale, le taylorisme et le travail à la chaîne se sont développés. De même, après la Seconde Guerre mondiale, la couverture sociale des salariés s’est développée en parallèle avec « l’American way of life ». Après l’épidémie de peste noire, au XIVe siècle, les Européens, dont la moitié avait succombé, se sont mis à être plus aventureux, à monter des expéditions maritimes au long cours. L’épidémie a permis une concentration des capitaux, dont certains ont été affectés à de grands projets. La rareté relative de la main d’œuvre facilita l’émergence de solutions techniques pour accélérer les travaux agricoles. La Renaissance qui concerne tout à la fois les arts, les techniques agricoles, l’industrie et la science de la guerre a été, ainsi, en partie, le produit de la peste noire. Celle-ci a contribué à l’essor de l’imprimerie. Le partage des connaissances s’effectuait avant tout de manière orale jusqu’à la Renaissance. La confection des livres était réalisée par des prêtres. Avec l’épidémie, leur nombre baissa ce qui laissa le champ libre aux imprimeurs.

Selon une étude réalisée par le National Bureau of Economic Research des États-Unis, publiée en 1948, la création d’entreprises a connu une forte progression à partir de 1919. La crise sanitaire de covid-19 que ce soit aux États-Unis ou en Europe donne également lieu à un renouveau entrepreneurial. Les épidémies accélèrent l’automatisation des processus de production. Les entreprises souhaitent limiter leur exposition aux maladies en substituant les machines aux hommes. Les robots ne contaminent pas leurs proches et ne tombent pas malades. Depuis le début de la crise sanitaire, ce sont les pays ayant le plus grand nombre de robots qui ont enregistré les reculs les plus faibles de leur PIB, l’Allemagne, les États d’Europe du Nord, le Japon ou encore la Corée du Sud.  Les années 1920 ont également été une ère d’automatisation rapide en Amérique. Les industries de l’automobile et du téléphone qui employaient de nombreux salariés ont fait l’objet d’un processus de rationalisation.

Toutes les grandes épidémies comme les grandes guerres ont amené les ménages à épargner tant en raison de l’impossibilité de dépenser que par crainte de l’avenir. Dans la première moitié des années 1870, lors d’une épidémie de variole, le taux d’épargne des ménages de la Grande-Bretagne avait doublé. Cette épargne a été remise dans les circuits après 1875 avec à la clef une accélération de la croissance. Au Japon, le taux d’épargne avait plus que doublé pendant la première guerre mondiale. Aux États-Unis, durant l’épidémie de grippe espagnole, les ménages ont plus épargné en deux ans que pendant les vingt années qui suivirent. Leur taux d’épargne remonta entre 1941 après la déclaration de guerre des États-Unis et jusqu’à l’armistice du 8 mai 1945 pour atteindre 40 % du PIB. En 2020, le taux d’épargne a augmenté de manière importante dans tous les pays. En France, il est passé de 15 à plus de 20 % du revenu disponible brut.

Dans l’Histoire, les épidémies et les guerres ont provoqué des mouvements de hausse des salaires. Après avoir traversé des épreuves, les revendications salariales se multiplient. Le regard face aux travailleurs tend également à changer. Le débat en France sur la revalorisation de certains métiers en est la preuve. Aux États-Unis, le nouveau Président, Joe Biden, a annoncé une forte augmentation du salaire minimum. Que ce soit en,1835, 1920, en 1945 ou en 2020, les populations sont, après un choc de grande ampleur, généralement plus sensibles aux questions d’inégalité qu’auparavant. Une étude du London School of Economics souligne qu’une majorité des Européens serait favorable à des mesures sociales. Le traitement de la crise sanitaire n’est en rien comparable à celui qui a prévalu après 1832 ou en 1920. Les Etats ont engagé des plans représentant de 5 à plus de 10 % du PIB. Il n’en demeure pas moins que l’opinion publiques est en attente d’une protection sociale plus ample…

Chine, la vieillesse avant la richesse ?

La Chine était censée publier, en avril, les résultats de son recensement décennal achevé en novembre dernier. L’absence de publication en ce début de mois de mai serait liée à des résultats qui posent problèmes aux autorités. Le Financial Times a rapporté le 27 avril que le recensement montrerait que la population est tombée à un niveau inférieur à 1,4 milliard, ce qui obligerait les autorités à corriger les résultats des années antérieures ou à admettre un solde fortement négatif. La Chine ne serait plus la première puissance démographique et céderait ainsi sa place à l’Inde. Global Times, un journal du parti communiste chinois, a démenti le rapport du Financial Times, affirmant que des erreurs statistiques avaient conduit à une population plus faible en 2020 qu’en 2019. Le rapport du Financial Times évoque également une baisse démographique susceptible de se produire d’ici l’année prochaine. Pour couper court à la polémique, le 29 avril, le Bureau national des statistiques a déclaré que la population chinoise était toujours en augmentation.

La Chine connait une dénatalité depuis de nombreuses années que la remise en cause de la politique de l’enfant unique n’a pas modifiée. La possibilité donnée aux Chinois d’avoir un deuxième enfant n’a provoqué qu’une hausse éphémère du taux de natalité. En 2019, la population avait connu sa plus faible augmentation depuis 1961, quand une famine avait entraîné la mort de plusieurs millions de personnes. En 2020, le nombre de naissances s’est fortement contracté en lien certainement avec l’épidémie de covid-19. Ce phénomène a été également constaté en Europe ou aux États-Unis. Le taux de fécondité qui était supposé être de 1,8, ne serait plus que de 1,5 selon certains chercheurs chinois, soit un taux comparable à celui de nombreux pays européens.

La Chine vieillit à très grande vitesse. La part des personnes âgées de plus de 60 ans est passée de 10,4 en 2000 à 17,9 % en 2018 et pourrait atteindre, en 2050 33 %. La question du financement des retraites préoccupe les autorités qui souhaitent éviter un alourdissement du coût du travail. Elles entendent persuader les Chinois de travailler plus longtemps. Dans un rapport publié en 2019, l’Académie chinoise des sciences sociales a averti que le principal fonds de pension chinois pourrait manquer d’argent d’ici 2035.

La Chine doit également faire face à un deuxième problème du fait du déséquilibre persistant entre les hommes et les femmes. Depuis les années 80, les restrictions à la naissance, combinées à une préférence pour les garçons et à un accès facile aux examens prénatals, ont conduit à l’avortement généralisé des filles. En 2019, il y avait 30 millions d’hommes de plus que de femmes. Cet écart continue à augmenter année après année. Le gouvernement craint que les jeunes hommes ne puissent pas trouver de conjoint(e).

Les mauvais résultats démographiques incitent les pouvoirs publics chinois à abandonner tout contrôle. Des amendes sont prévues pour les familles de plus de deux enfants même si l’application de cette règle est aléatoire. Les responsables des trois provinces qui composent dans le nord-est de la Chine, le Heilongjiang, le Jilin et le Liaoning, ont officiellement demandé la fin des amendes, le taux de natalité étant dans ces provinces inférieur de moitié à celui de la moyenne nationale. Allant dans leur sens, la Commission nationale chinoise de la santé a déclaré que ces trois provinces pourraient permettre aux populations locales de décider elles-mêmes du nombre d’enfants à avoir. Cela ne devrait cependant pas modifier la donne car les jeunes Chinois fuient ces régions pauvres et au climat ingrat au profit de régions en forte croissance et plus méridionale. Les Chinois tiennent avant tout à améliorer leur niveau de vie, ce qui passe par la réduction de la taille de leur famille. Ils ont adopté très rapidement les standards internationaux. Les coûts élevés du logement, de la santé et de l’éducation découragent la fécondité. De plus en plus de Chinois refusent de se marier. Or, dans ce pays, élever des enfants hors du mariage est à la fois socialement inacceptable et officiellement découragé, En 2020, le nombre de mariages a chuté de 12 % pour s’établir à un peu plus de 8 millions contre 13,5 millions en 2013. En 2005, près de la moitié des personnes mariées avaient moins de 24 ans, en 2019, ils ne sont plus que 20 %. Comme en Europe ou aux Etats-Unis, l’âge du mariage recule d’année en année.

L’administration chinoise espère que les aides en faveur du deuxième enfant auront un effet sur le taux de natalité. Les dernières statistiques soulignent que de moins en moins de jeunes ménages sont bénéficiaires de ces aides, preuve que l’incitation financière ne joue pas. Une étude de l’OCDE réalisée dans 50 pays prouve que les aides directes aux familles sont moins efficaces que les mesures visant à développer les crèches ou la scolarisation des jeunes enfants.

Face à une pénurie de main d’œuvre qui pourrait intervenir, la Chine a le choix entre une rapide amélioration de sa productivité ou le recours à l’immigration en imitant les États-Unis. Les autorités sont opposées à cette deuxième option. Pour éviter une réduction trop rapide de la population active, le nouveau plan quinquennal prévoit une augmentation de l’âge de la retraite en Chine, qui dans les villes est actuellement de 60 ans pour les hommes et de 55 ou 50 ans pour les femmes, bien en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (64 ans).

Après la Seconde Guerre mondiale, la Chine a tenté de maîtriser sa population afin d’éviter les famines et pour faciliter la croissance économique. L’enrichissement a provoqué l’adoption par les ménages du principe de l’enfant unique qui risque de mettre en cause le processus de rattrapage engagé depuis 1978. La Chine a imité l’Europe quand les États-Unis continuent à bénéficier d’un essor démographique du fait de l’immigration. Les coûts du vieillissement seront élevés en Chine d’autant plus que depuis quarante ans la population s’est urbanisée et que les liens entre les générations se sont distendus.