Le Coin des tendances – Chine – recherche – emploi – Etats-Unis
Quand la mesure des créations devient un casse-tête
De janvier à mai, l’économie américaine a créé 1,2 million d’emplois. Pour un pays censé être au bord de la récession, cela peut apparaître étonnant. Ces statistiques émanant du bureau statistique fédérale sont contredites par le ressenti de la population et par certaines autres études, dont celle réalisée auprès des ménages. Il en ressort une suppression de 100 000 postes. Si l’existence d’écarts entre les différentes enquêtes est logique en fonction des critères retenus, leur importance étonne et rend les analyses extrêmement fragiles.
La Fed tend à retenir les résultats les plus favorables en matière d’emploi, ce qui lui permet de justifier le maintien de taux d’intérêt élevés. « Dans l’ensemble, nous observons un marché du travail qui reste très solide », a ainsi déclaré Jerome Powell, le président de la Fed. Ce choix s’explique d’autant mieux que la baisse de l’inflation est inférieure aux attentes. Dans ce contexte, le comité de fixation des taux de la Fed ne prévoirait, en ce mois de juin, qu’une seule baisse des taux cette année, contre trois il y a encore quelques mois. Le risque est que la Fed retienne un mauvais indicateur et opte pour une politique excessivement rigoureuse. Les économistes américains essaient de comprendre l’écart constaté entre l’enquête sur les salaires et celle des ménages. La première s’appuie sur un échantillonnage de plus de 600 000 entreprises quand la seconde repose sur un panel de 60 000 ménages. Tous deux s’appuient sur des modèles pour parvenir à leurs conclusions, ce qui laisse place, dans un cas comme dans l’autre, à des erreurs. L’enquête sur les salaires doit tenter de rendre compte des créations et des faillites d’entreprises. L’enquête auprès des ménages doit s’appuyer sur des estimations de la population globale. Au cours des dernières années, l’incertitude s’est accrue dans les deux cas. L’économie post-covid a faussé les estimations des chiffres des entreprises, tandis que la forte immigration a fait de même pour les chiffres de la population. L’enquête sur les salaires est remaniée chaque année pour s’aligner sur les relevés de l’assurance chômage. Le prochain exercice de ce type devrait supprimer environ 60 000 emplois par mois. D’un autre côté, le recensement a sous-estimé le nombre de migrants arrivant aux États-Unis en provenance en particulier du sud, ce qui a fait baisser le nombre d’emplois des ménages. Certains estiment que les autorités devraient faire la moyenne des deux études. Dans ce cas, l’économie américaine continuerait à créer des emplois mais à plus faible vitesse que ce qui est aujourd’hui communément admis. La hausse du chômage qui est passé de 3,5 à 4 %, de mai 2023 à mai 2014, semble donner raison à ceux qui pensent que l’économie américaine est en phase de ralentissement. Mais, si la progression de la population active est sous-estimée du fait de la non-prise en compte de l’augmentation de l’immigration, le taux de chômage réel pourrait être bien plus faible. La hausse des salaires et les difficultés de recrutement dans de nombreux secteurs semblent confirmer la persistance de tensions sur le marché du travail.
L’appréciation de la situation du marché du travail est un exercice d’une rare complexité. Les économistes de la Fed doivent se fier à des indicateurs loin d’être parfaits. La conduite de la politique monétaire en est évidemment compliquée. Un report de la baisse des taux pourrait accentuer le ralentissement de la croissance. A contrario, Une diminution rapide des taux directeurs pourrait relancer l’inflation.
La Chine, un géant de la recherche ?
Des années 1960 aux années 1990, le monde a connu une révolution verte qui a permis de supprimer, en grande partie, les famines. Cette révolution a été réalisée avec une population mondiale en forte augmentation. Celle-ci est, en effet, passée de 3 à près de 8 milliards de personnes de 1960 à 2024. La Chine a joué un rôle non négligeable dans la lutte contre la sous-alimentation. Le pays avait été confronté à une des plus graves famines du XXe siècle entre 1955 et 1961 avec 15 à 55 millions de morts.
Pour tourner cette triste page de son histoire, la Chine a privilégié une approche scientifique de l’agriculture. Dans un bâtiment de recherche de l’Académie chinoise des sciences (CAS) basé à Pékin, un mur entier est dédié à la présentation des brevets. D’une largeur d’environ cinq mètres et d’une hauteur de deux étages, ce mur présente 192 certificats, disposés en rangées soignées et rétroéclairés. Au rez-de-chaussée, derrière une corde de velours, un ensemble de bocaux en verre contiennent les graines issues de ces brevets. Au cours des dernières années, des scientifiques chinois ont découvert un gène qui, une fois retiré, augmente la longueur et le poids des grains de blé. Ils ont aussi découvert un gène qui améliore la capacité de cultures, comme le sorgho et le mil, à pousser dans des sols salés. Grâce à leurs recherches, ils ont réussi à mette au point des graines permettant une augmentation du rendement du maïs d’environ 10 %. À l’automne dernier, les agriculteurs du Guizhou ont achevé leur deuxième récolte de riz géant génétiquement modifié. Le Parti communiste chinois (PCC) considère que la recherche agricole est une priorité pour les scientifiques. Au cours de la dernière décennie, la Chine est devenue une référence en matière de recherche sur les produits agricoles. dans ce domaine. La moitié des brevets dans ce domaine serait désormais chinois.
L’excellence de la recherche chinoise ne s’arrête pas à l’agriculture. Elle concerne tous les domaines. Un des moyens de mesurer la qualité de la recherche scientifique d’un pays consiste à compter le nombre d’articles scientifiques cités chaque année, c’est-à-dire les publications qui sont le plus souvent citées par d’autres scientifiques dans leurs travaux. En 2003, les États-Unis produisaient vingt fois plus d’articles scientifiques cités que la Chine, selon les données de « Clarivate », une société d’analyse scientifique. En 2013, les États-Unis publiaient environ quatre fois plus d’articles de premier plan. En 2022, la Chine avait dépassé à la fois les États-Unis et l’Union européenne (UE) pour les articles scientifiques faisant référence. Selon le classement de Leyde concernant le volume des résultats de la recherche scientifique, six universités ou institutions chinoises figurent parmi les dix premières au monde, et sept selon l’indice Nature. Elles ne sont peut-être pas encore connues en Occident, mais au niveau mondial, elles sont devenues, en quelques années, des références. Les universités Jiao Tong de Shanghai, du Zhejiang et de Pékin (Beida) concurrencent désormais Cambridge, Harvard et l’Université de Zurich. Tsinghua est désormais la première université scientifique et technologique au monde selon Simon Marginson, professeur d’enseignement supérieur à l’université d’Oxford.
La Chine devance les États-Unis et l’Union européenne pour la recherche en chimie, en informatique, en physique, en environnement et en agriculture Les pays occidentaux demeurent en tête pour les neurosciences, la biologie, la médecine ou l’immunologie. La recherche appliquée est le domaine de prédilection de la Chine. Le pays domine les publications sur les panneaux solaires. Les chimistes chinois sont également en pointe pour l’extraction de l’hydrogène de l’eau de mer en utilisant une membrane spécialisée. En mai 2023, plusieurs scientifiques, en collaboration avec une société énergétique publique, ont développé une ferme pilote d’hydrogène flottante au large de la côte sud-est du pays. La Chine a récemment réalisé des avancées sur le terrain spatial, longtemps dominé par les États-Unis. Le vaisseau spatial robotique chinois Chang’e-6 s’est posé dans un gigantesque cratère sur la face cachée de la Lune et a ramassé des échantillons de roche. Il a symboliquement planté un drapeau chinois et est reparti vers la Terre.
La montée en puissance de la science chinoise a été rendue possible par l’augmentation des dépenses publiques, le développement d’équipements et par l’accroissement du nombre de chercheurs. Les dépenses chinoises en recherche et développement (R&D) ont été multipliées par 16 depuis 2000. Selon les données les plus récentes de l’OCDE, datant de 2021, la Chine a dépensé 668 milliards de dollars en la matière, contre 806 milliards de dollars pour les États-Unis en parité de pouvoir d’achat. Au niveau des universités et des institutions gouvernementales de recherche, les États-Unis dépensent 50 % de plus en recherche fondamentale, que la Chine. Le Parti Communiste Chinois a décidé d’orienter les dépenses vers des secteurs jugés stratégiques comme les technologies quantiques, l’Intelligence Artificielle, les semi-conducteurs, les neurosciences, la génétique et la biotechnologie, la médecine régénérative et l’exploration des « zones frontières » comme l’espace lointain, les océans profonds et les pôles terrestres.
La création d’universités et d’institutions gouvernementales de classe mondiale fait également partie du plan de développement scientifique de la Chine. Des initiatives telles que le « Projet 211 », le « programme 985 » et la « China Nin League » ont permis de doter des laboratoires sélectionnés pour développer leurs capacités de recherche. Les universités ont ainsi accru les primes destinées aux chercheurs et aux équipes de recherche. Les autorités chinoises ont réalisé d’importants efforts pour améliorer la formation des jeunes chinois et faire revenir des chercheurs expatriés. Entre 2000 et 2019, plus de 6 millions d’étudiants chinois ont quitté le pays pour étudier à l’étranger, selon le ministère chinois de l’Éducation. Ces dernières années, ils sont nombreux à être rentrés, apportant leurs compétences et connaissances nouvellement acquises. Les données de l’OCDE suggèrent que, depuis la fin des années 2000, le solde net de scientifiques, entre ceux qui partent et ceux qui reviennent, est positif. La Chine emploie désormais plus de chercheurs que les États-Unis et l’Union européenne dans son ensemble. Pour faire revenir les chercheurs, les autorités ont lancé un programme 2010, « Jeunes Mille Talents ». Destiné aux chercheurs de moins de 40 ans, ce programme prévoit le versement de primes pouvant atteindre 500 00 yuans (l’équivalent de 150 000 dollars à parité de pouvoir d’achat) et des subventions allant jusqu’à 3 millions de yuans pour permettre aux laboratoires de les accueillir dans les meilleures conditions. Une étude publiée dans Science, en 2023, a révélé que le programme avait permis le retour de jeunes chercheurs de haut niveau. Ces deniers faisaient, en moyenne, partie des 15 % les plus productifs. Ces rapatriés publient 2,5 fois plus d’articles que les chercheurs chinois équivalents restés aux États-Unis. Le retour des chercheurs chinois est facilité par le durcissement des relations avec l’Occident. Les chercheurs chinois sont suspectés d’être des espions. Les équipes de recherche chinoises sont de plus en plus étayées et sont composées d’un grand nombre de chercheurs de haut niveau. Dans le domaine quantique, les progrès sont importants et rapides.
Les autorités chinoises ont également consenti un important effort d’équipement de leurs centres de recherche. Ils ont doté de superordinateurs, des meilleurs radiotélescopes possibles, de détecteurs de matière noire, etc. Le pays abrite désormais le détecteur de rayons cosmiques à ultra haute énergie le plus sensible et le champ magnétique permanent le plus puissant au monde. Il disposera bientôt de l’un des détecteurs de neutrinos les plus performants. Dans de nombreux laboratoires, le matériel est plus moderne et plus performant que celui dont disposent les centres européens ou américains.
Grâce à la montée des compétences, des équipements et des moyens financiers, la Chine est devenue une puissance de l’intelligence artificielle pouvant concurrencer les États-Unis. En 2019, seuls 34 % des étudiants chinois travaillant dans ce domaine étaient restés dans leur pays pour faire des études supérieures ou travailler. En 2022, ce chiffre était de 58 %. La Chine contribue désormais à environ 40 % des documents de recherche mondiaux sur l’IA, contre environ 10 % pour les États-Unis et 15 % pour l’Union européenne et le Royaume-Uni. La Chine, dans des domaines comme la vision par ordinateur et la robotique, a désormais une avance significative en matière de publications de recherche. L’un des articles de recherche les plus cités, démontrant comment les réseaux neuronaux profonds pouvaient être entraînés à la reconnaissance d’images, a été rédigé par des chercheurs en IA travaillant en Chine. Cette équipe travaille néanmoins pour le compte d’une société américaine, Microsoft.
Pour 2024, le gouvernement chinois a annoncé une augmentation de 10 % des financements. Le nombre de chercheurs augmente dans ce pays à grande vitesse. En 2020, les universités chinoises ont délivré 1,4 million de diplômes d’ingénieur, soit sept fois plus que les universités américaines. La Chine a désormais formé, au niveau du premier cycle, 2,5 fois plus de chercheurs de haut niveau en IA que les États-Unis. D’ici 2025, les universités chinoises devraient produire près de deux fois plus de titulaires de doctorat en sciences et technologies que les universités américaines.
La Chine a décidé de rattraper son retard en matière de recherche. Dans cette quête de la première place, elle privilégie parfois le quantitatif au qualitatif. En moyenne, les articles chinois ont tendance à avoir un impact moindre, tel que mesuré par les citations, que ceux américains, britanniques ou européens. Si quelques universités chinoises ont atteint des niveaux internationaux, de nombreuses ont un niveau inférieur à celui constaté en Occident. Les institutions chinoises de second rang produisent encore un travail de qualité relativement médiocre par rapport à leurs équivalents en Europe ou en Amérique du Nord. En matière de recherche fondamentale, la Chine est toujours en phase de rattrapage. Le pays publie beaucoup moins d’articles que les États-Unis dans les deux revues scientifiques les plus prestigieuses, Nature et Science. Dans les technologies de pointe et nouvelles, la Chine est distancée par les États-Unis. La recherche fondamentale est particulièrement rare au sein des entreprises chinoises, ce qui crée un fossé entre les scientifiques qui font des découvertes et les industries qui pourraient finir par les utiliser. En Chine, compte tenu des incitations financières à publier des articles fournis par les pouvoirs publics, un marché pour les fausses publications scientifiques s’est développé. Des « cartels de citation » ont émergé, permettant à des groupes de chercheurs de rédiger des articles en chaine citant les travaux des autres dans le but d’améliorer leurs résultats. En 2020, les agences scientifiques chinoises ont annoncé que ces programmes d’argent contre publication devraient prendre fin et, en 2021, le pays a annoncé un examen national des mauvaises conduites en recherche. Par voie de conséquence, le taux de citation des chercheurs chinois, par exemple, est en baisse, selon une étude publiée en 2023.
Plus qu’en Europe ou en Amérique du Nord, la science chinoise dépend de l’État et en particulier de l’armée. De nombreux centres de recherche chinois sont accusés de se livrer à des activités d’espionnage ou de cyberattaques à l’encontre de centres occidentaux. La Chine est fréquemment accusée de vol de propriété intellectuelle. Les États occidentaux ont été amenés à durcir leur réglementation en matière de collaboration avec des institutions chinoises de recherche. Néanmoins, malgré l’accroissement des tensions, des collaborations se poursuivent. Un tiers des articles sur les télécommunications rédigés par des auteurs américains impliquent des collaborateurs chinois. Dans les sciences de l’imagerie, la télédétection, la chimie appliquée et le génie géologique, ces chiffres se situent entre 25 et 30 %. En Europe, les chiffres sont plus faibles, autour de 10 %, mais restent significatifs. La Chine a tendance à collaborer davantage dans des domaines où elle est déjà forte, comme les matériaux et la physique. Même sur le sujet sensible du covid, des partenariats ont donné lieu des résultats tangibles. En 2020, une entreprise associant le département d’ingénierie de l’université d’Oxford et le centre de recherche avancée d’Oxford Suzhou a développé un test covid rapide qui a été utilisé dans tous les aéroports britanniques. En 2015, des chercheurs de l’Université de Cardiff et de l’Université agricole de Chine du Sud ont identifié un gène rendant les bactéries résistantes à l’antibiotique colistine. En mars 2024, l’accord scientifique et technologique entre les États-Unis et la Chine, permettant à des scientifiques des deux pays de collaborer sur des sujets d’intérêt mutuel, a été discrètement renouvelé pour six mois supplémentaires. En Europe, les universités chinoises se sont vues, en revanche, interdire d’accéder au financement du programme « Horizon » sur la recherche.
Au niveau international, la crédibilité de la recherche chinoise est en hausse, amenant de nombreux chercheurs à lire les publications et à souhaiter des collaborations. Fermer la porte aux étudiants et chercheurs chinois souhaitant venir dans les laboratoires occidentaux serait nuisible à la science occidentale. Les chercheurs chinois constituent l’épine dorsale de nombreux départements des meilleures universités américaines et européennes. En 2022, la proportion de chercheurs chinois de haut niveau en IA travaillant aux États-Unis était supérieure à celle des chercheurs américains. Le modèle scientifique occidental dépend actuellement d’un grand nombre d’étudiants, souvent étrangers, pour mener à bien la plupart des recherches quotidiennes.