Le Coin des tendances – Chine – Ukraine – inflation
Inflation, un nouveau cycle financier ?
Après une récession hors norme provoquée par la crise covid-19, l’économie mondiale a connu un rebond important et éphémère, la guerre en Ukraine l’ayant fait basculer en quelques semaines dans une phase de décélération. Mais contrairement aux craintes exprimées au printemps 2022, la récession se fait attendre. L’inflation après avoir dépassé 8 % se réduit tant aux États-Unis qu’en zone euro. Seul le Royaume-Uni semble être confronté à une spirale inflationniste. Les marchés « actions » saluent la résilience des économies occidentales et sont en forte hausse. L’indice S&P 500 des entreprises américaines a augmenté de plus de 14 % durant le premier semestre, le CAC 40 de plus de 12 %.
Ces signes positifs ne doivent pas faire oublier que plusieurs menaces demeurent. L’inflation ne serait que facialement apprivoisée. Sa baisse est avant tout liée à un effet base. Les prix de ce printemps sont comparés à ceux de l’année dernière qui avait fortement augmenté en raison du déclenchement de la guerre en Ukraine. Le ralentissement de l’économie a permis, par ailleurs, une décrue des prix des matières premières et de l’énergie. L’inflation sous-jacente demeure néanmoins importante, autour de 7 % au sein de l’OCDE. Les entreprises continuent à répercuter sur leurs prix les hausses de leurs coûts. Les revendications salariales se multiplient faisant craindre un second semestre plus inflationniste que prévu. Les États ont maintenu des déficits budgétaires élevés en compensant une partie des effets de la vague inflationniste de ces derniers mois.
Les banques centrales sont confrontées à des choix cornéliens. Doivent-elles poursuivre la hausse de leurs taux directeurs ? Peuvent-elles considérer que le travail de réduction est accompli ? Au regard de la bonne tenue des marchés de l’emploi aux États-Unis et en zone euro ainsi que du niveau de l’inflation sous-jacente, le temps ne serait pas à une stabilisation de la politique monétaire. D’un autre côté, le recul de l’inflation et le ralentissement de la croissance peuvent justifier celle-ci. Les banques centrales même si elles sont indépendantes doivent tenir compte de l’état des opinions publiques. Elles doivent surtout, et cela entre dans leurs missions, veiller à la stabilité des systèmes financiers. Une hausse importante des taux d’intérêt peut mettre en difficulté les établissements financiers. Elle peut également provoquer une nouvelle crise des dettes souveraines que nul ne souhaite.
Les investisseurs estiment que les banques centrales seront capables de ramener le taux d’inflation à 2 % d’ici 2025. Or rien ne garantit que cet objectif soit atteint. De nombreux facteurs inflationnistes de nature structurelle sont à l’œuvre : le vieillissement démographique, la transition énergétique, les relocalisations, etc.
Les facteurs structurels d’inflation
Le vieillissement démographique se traduit par une diminution du nombre d’actifs et une augmentation du nombre de retraités. Il est une source de pénurie de main-d’œuvre ce qui doit amener des hausses de salaires. Par ailleurs, les retraités sont des consommateurs de services à la personne qui bénéficient de peu de gains de productivité. Cette déformation de la demande est également inflationniste.
La transition énergétique nécessite la substitution rapide d’énergies carbonées par des énergies renouvelables. En l’état actuel des techniques, ces dernières ont une efficience moindre que celles qu’elles remplacent. Elles supposent la réalisation d’équipements de production d’énergie électrique de compléments en cas d’absence de soleil ou de vent. Elles obligent à la réalisation d’infrastructures de stockage (batteries, production d’hydrogène vert) pour la même raison. Les énergies renouvelables devraient, du moins dans un premier temps, coûter plus chères que les énergies carbonées. Les relocalisation et l’instauration de droits de douane (taxe carbone aux frontières par exemple) provoqueront également une hausse des prix.
Le pragmatisme monétaire comme solution
Si les banquiers centraux soulignent leur détermination à revenir à l’objectif des 2 % d’inflation, ils pourraient néanmoins avoir une démarche plus pragmatique. Ils pourraient accepter une inflation de 3 à 4 % permettant un effacement relatif de la dette publique. Les investisseurs n’intègrent pas pour le moment un changement éventuel d’objectif de la part des banques centrales. Le taux des bons du Trésor indexés sur l’inflation, par exemple, est conforme aux attentes d’inflation moyenne de 2,1 % au cours des cinq prochaines années et de 2,3 % au cours des cinq années suivantes.
Une inflation de 3 à 4 % pourrait-elle remettre en cause la crédibilité des banques centrales ? Depuis le début des années 19080, ces dernières ont construit leur légitimité sur la capacité à maîtriser l’inflation. En lâchant du lest, elles accepteraient de facto plus de volatilité sur les marchés et plus d’imprévisibilité au niveau de la croissance.
Une augmentation de l’inflation est susceptible de nuire aux entreprises, rendant plus difficile la gestion de leurs coûts et la fixation des prix. Elle est une source de tensions sociales en aiguisant les revendications de hausses des salaires. Les banques centrales seraient amenées à ajuster en permanence leurs taux directeurs afin d’empêcher tout emballement des prix. Une inflation plus élevée pourrait entraîner de fortes fluctuations au niveau des rendements réels des différentes classes d’actifs, incitant les investisseurs à exiger une décote en compensation de l’incertitude. Il en résulterait une pression à la baisse sur les marchés. Une inflation plus forte donne l’avantage aux emprunteurs. La hausse continue des prix diminue la valeur réelle de la dette. Si ce scénario se vérifie, les investisseurs exigeront une meilleure rémunération des produits de taux. Ils pourraient d’autant plus l’obtenir que l’épargne devrait être moins abondante dans les prochaines années en raison des besoins des acteurs privés et publics en matière d’investissements (transition énergétique, vieillissement, robotisation, défense, etc.). Les investisseurs pourraient également demander des couvertures contre l’inflation ce qui amènera à leur renchérissement avec le risque d’une bulle spéculative.
L’abandon de l’objectif des 2 % pour les banques centrales ne serait pas sans conséquence. Il modifierait les anticipations financières. Il pourrait influer sur le comportement des investisseurs. L’immobilier pourrait être pénalisé tout comme les actions. Le marché obligataire serait en revanche favorisé tout comme celui des couvertures des risques.
La Chine à la recherche d’un nouveau souffle
La fin de la politique du zéro covid devait permettre à la Chine de renouer avec une croissance forte. Or, depuis six mois, rien ne se passe comme prévu.
La Chine a perdu en influence
La Chine influence moins que prévu les prix mondiaux. Sa demande accrue de pétrole cette année n’a pas empêché le prix du Brent, la référence mondiale, de chuter de plus de 10 % par rapport à son cours de janvier. L’acier et le cuivre sont également devenus moins chers. Les prix à la production en Chine facturés à la sortie de l’usine, ont baissé de plus de 4 % en mai par rapport à l’année précédente. Le yuan s’est déprécié par rapport aux autres grandes monnaies. Le prix que les Occidentaux paient pour les importations en provenance de Chine a baissé de 2 % en mai par rapport à un an plus tôt.
Une atonie économique persistante
Après un rebond en début d’année, la croissance s’étiole. L’économie ne se redresse que lentement. Les chiffres des ventes au détail, des investissements et des ventes immobilières sont tous en-deçà des attentes. Le taux de chômage parmi les jeunes urbains chinois dépasse 20 %, le plus élevé depuis que les données ont été enregistrées pour la première fois en 2018. Une grande partie du ralentissement de la croissance chinoise est imputable à la crise de son marché immobilier. Malgré de nombreuses mesures de soutien, le prix des logements neufs continue de baisser, les ménages restant en position d’attente. Les ventes immobilières sont retombées à 70 % de leur niveau de 2019, la dernière année relativement normale de la Chine. Les mises en chantier sont inférieures à leur niveau d’avant épidémie de 60 %. La situation du marché de l’emploi préoccupe de plus en plus les autorités chinoises. Le secteur des services aurait perdu, entre 2019 et 2023, 30 millions d’emplois. Les autorités estiment qu’avec la normalisation de la situation sanitaire, 16 millions d’emplois devraient être créés dans la restauration et l’hébergement. Il manque 10 millions d’emplois des secteurs comme le commerce électronique et l’éducation qui ont souffert d’un durcissement de la réglementation. Le gouvernement a décidé d’être plus souple avec les petites entreprises.
Hésitations sur le terrain de la politique économique
Pékin a tergiversé avant de prendre de nouvelles mesures afin d’éviter la glissade de la croissance. Les autorités semblaient se résigner à une croissance avoisinant 5 %. L’accent était mis sur l’endiguement de la dette des gouvernements locaux. La Banque populaire de Chine (la banque centrale), ne semblait pas perturbée par la baisse des prix. Le 6 juin dernier, elle a néanmoins décidé d’abaisser ses taux directeurs afin de peser sur les taux d’intérêt. De nouvelles mesures pourraient être adoptées prochainement. De nouvelles baisses de taux sont attendues. Les restrictions sur les achats de maisons dans les villes de premier et de deuxième rang pourraient être assouplies. Les banques seraient incitées à accroître le volume des prêts permettant le financement des infrastructures. Les gouvernements locaux pourraient être autorisés à émettre davantage d’obligations. La chute des prix de l’immobilier met en difficulté de nombreuses collectivités locales dont les recettes auraient reculé de 140 milliards de dollars en un an.
Des doutes se font jour sur l’efficacité de la baisse des taux pour relancer l’économie. Plusieurs économistes chinois se positionnent en faveur d’un plan de relance budgétaire avec un soutien plus marqué en faveur des collectivités locales qui sont en manque de liquidités. L’augmentation des revenus des retraités est également à l’étude afin de faciliter une reprise de la consommation. Le gouvernement entend également venir en aide à la consommation sous formes d’aides fiscales. Le gouvernement a, d’ores et déjà, étendu les allégements fiscaux sur les véhicules électriques qui ont contribué à stimuler les ventes de voitures. La distribution de coupon visant à financer certaines dépenses est également imaginée. La relance par la consommation ne fait pas consensus au sein des autorités chinoises. En règle générale, ces dernières préfèrent des mesures en faveur de l’investissement au risque de générer des bulles spéculatives comme en témoigne la crise actuelle de l’immobilier. Des millions de logements ont été construits sans se soucier des besoins de la population.
Ukraine, un défi militaire, un défi économique
L’Ukraine doit relever deux défis majeurs : reconquérir les territoires perdus au printemps 2022 et reconstruire son économie en vue de son adhésion à l’Union européenne. Le conflit militaire a pris la forme d’une bataille de tranchées sur plus de 1 000 kilomètres. Les Russes ont fortifié leurs lignes de défense rendant la reconquête compliquée et coûteuse en hommes. Les Ukrainiens hésitent à envoyer leurs troupes par crainte des mines et d’être sous le feu de l’artillerie et des drones. La guerre peut être amenée à durer dans l’attente de l’épuisement d’un des belligérants. Le temps n’est pas la négociation d’un traité de paix. En cas d’échec de la contre-offensive ukrainienne, un conflit à faible intensité pourrait s’installer avec épisodiquement des accès de crise.
En parallèle aux opérations militaires, l’Ukraine doit se reconstruire sur le plan économique sachant qu’une partie de son territoire est occupée. Si l’Ukraine réussit à moderniser ses structures économiques, à réduire la corruption ainsi que la pauvreté, et parvient à se rapprocher des standards de l’Union européenne, elle aura remporté une belle bataille. Le défi économique est de taille car 6,2 millions d’Ukrainiens ont fui à l’étranger et un million d’Ukrainiens sont mobilisés pour faire la guerre. 100 000 Ukrainiens seraient morts sur le front. Il faut ajouter de nombreux blessés lourdement handicapés. Dans un pays qui était, avant la guerre, en proie à une dénatalité, le manque de main-d’œuvre se fait ressentir avec acuité. La Banque mondiale a estimé que la réparation des dégâts de la première année de guerre coûtera plus de 400 milliards de dollars. L’Ukraine a donc un besoin impérieux de main-d’œuvre et de capitaux. Pour faire revenir les Ukrainiens qui ont fui leur pays et attirer des travailleurs immigrés, le gouvernement ukrainien doit garantir un minimum de sécurité, que les villes de l’Ouest du pays sont à l’abri des bombes russes. En matière de capitaux, l’Ukraine est dépendante des États-Unis. Depuis le début des hostilités, elle a reçu près de 40 milliards d’aides américaines. Ces flux pourraient être remis en cause en cas d’alternance en 2024 à la tête des États-Unis.
À La recherche de capitaux
Pour la reconstruction, les gouvernements occidentaux réfléchissent à la mobilisation des capitaux russes bloqués depuis le mois de mars 2022 dont le montant dépasse 300 milliards de dollars. Afin de rassurer les investisseurs occidentaux, privés comme publics, le gouvernement ukrainien doit écarter de nombreux oligarques et lutter contre la corruption. Depuis un an, Volodymyr Zelensky met en avant des entrepreneurs spécialisés dans la haute technologie et a démis de leurs fonctions plusieurs responsables soupçonnées de corruption dont le chef de la Cour suprême. Le processus d’adhésion à l’Union européenne est censé éviter le retour des vieilles pratiques qui, depuis 1991, ont gangréné le pays.
L’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, moyens de protection économique et militaire
La bataille de la sécurité et donc de la reconstruction passe pour Kiev par l’adhésion à l’OTAN. Celle-ci offrirait une sécurité permanente à moindre coût. L’intégration dans l’organisation militaire est soutenue par les Pays Baltes, la Pologne et l’Allemagne. La France vient récemment de rejoindre ces pays. Pour les autorités russes, cette adhésion est un véritable chiffon rouge. Elles estiment que cela constituerait une menace à ses frontières. Une des raisons du conflit contre l’Ukraine trouve son origine dans cette éventuelle adhésion. En vertu de l’article du traité instituant l’OTAN, le risque d’un élargissement de la guerre serait réel. Toute attaque contre l’Ukraine serait, en effet, assimilée à une attaque contre l’ensemble des États membres. L’occupation de la Crimée et du Donbass serait-elle considérée comme une attaque contre l’Ukraine ? Les États membres pourraient estimer qu’étant intervenue avant l’adhésion de l’Ukraine, l’article 5 ne s’appliquerait pas. Le prochain sommet de l’OTAN prévu à Vilnius au milieu du mois de juillet devra traiter cette épineuse question. Il est fort probable que l’intégration de l’Ukraine soit différée dans le temps et soit conditionnée afin d’éviter une guerre générale sur le continent. L’adhésion serait un moyen de sécuriser ses frontières et d’éviter de nouvelles occupations russes. Elle faciliterait la modernisation de l’armée et constituerait un outil de dissuasion. Elle pourrait néanmoins provoquer une réaction violente de la part de la Russie avec l’usage éventuel d’armes nucléaires.
L’Ukraine doit économiquement se relever malgré la perte d’un tiers de son territoire qui était l’un des plus riches sur le plan agricole. Malgré la guerre, elle doit également mener une moralisation de ses pratiques économique et financières. Elle compte, peut-être un peu trop sur l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN pour franchir un cap tant militaire qu’économique. Plus la guerre s’installe dans la durée, plus celle-ci prend la forme d’une guerre de tranchées, plus le risque de lassitude et d’oubli augmente. Le Président ukrainien est ainsi engagé dans une bataille contre le temps qu’il doit gagner s’il entend changer en profondeur son pays.