25 septembre 2021

Le Coin des tendances – conteneurs – blockchains

Quand les conteneurs manquent à l’appel

Depuis les années 1990, la mondialisation repose sur l’éclatement des chaînes de production, sur la réduction des stocks et sur la livraison en temps réel. La crise sanitaire a fortement mis à mal ce système en désorganisant les chaînes d’approvisionnement. La mise en œuvre de plans de relance ne facilite pas le retour à la normale. Des goulets d’étranglement se multiplient dans le transport de marchandises. Le nombre de conteneurs n’est pas suffisant pour faire face à la demande. Ils ne sont surtout pas basés au bon endroit. Les ports chinois ont, par ailleurs, de plus en plus de problèmes de logistiques en raison du niveau très élevé de la demande internationale.

Au cours des sept premiers mois de 2021, les volumes de fret entre l’Asie et l’Amérique du Nord ont augmenté de 27 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie. Si le commerce avec l’Europe est stable, le vieux continent souffre également de la pénurie de conteneurs qui ont pris la direction de la côte ouest américaine. Les retards d’acheminement s’accumulent avec 8 millions de conteneurs bloqués chaque jour dans les ports ou en attente de déchargement, soit une hausse de 10 % par rapport à 2020. Le délai moyen d’expédition porte-à-porte pour le fret maritime est passé de 41 jours, il y a un an, à 70 jours. Fin août, plus de 40 porte-conteneurs étaient ancrés au large de Los Angeles afin d’éviter d’engorger les ports qui manquent à leur tour de trains ou de camions pour transférer les marchandises vers des entrepôts.

La forte demande de produits chinois et la désorganisation des transports entraînent une hausse du coût moyen d’expédition d’un grand conteneur standard (une unité équivalente à 40 pieds). En juillet, ce dernier dépassait les 10 000 dollars, soit quatre fois son montant de 2019. Le prix au comptant pour le transport d’un conteneur de Shanghai à New York est ainsi passé de 2 500 dollars à 15 000 dollars. Un transfert entre la Chine et la côte Ouest américaine peut atteindre jusqu’à 20 000 dollars. L’augmentation des coûts de transports n’a pas été intégralement répercutée sur les clients. 60 % ont été pris en charge entre les producteurs et les compagnies de transports qui dans le cadre de contrats pluriannuels maintiennent les anciens prix.

Face aux problèmes d’acheminement par bateau, des entreprises ont décidé d’opter pour le fret aérien mais les capacités de ce dernier sont limitées notamment du fait de la faiblesse des liaisons internationales. D’autres entreprises recourent aux trains ou aux camions pour traverser l’Asie afin de trouver des ports disposant de bateaux disponibles en Europe.

Le retour à la normale n’est pas attendu avant le début de l’année 2022. Les transports maritimes, par leur complexité, sont très sensibles aux blocages. La grève des dockers sur la côte ouest des États-Unis en 2015 avait occasionné des problèmes d’acheminement durant six mois. La normalisation de la situation dépendra de l’évolution de la demande et en particulier de celle des consommateurs américains. Les ventes de détail, au moins de juillet, malgré leur recul, restaient supérieures de 18 % à leur niveau d’avant pandémie. Les entreprises outre-Atlantique, dans la perspective des fêtes de fin d’année, réalisent d’importantes commandes qui devraient contribuer à maintenir l’engorgement des transports de marchandises.

Les entreprises métallurgiques et navales peinent à répondre à la demande de conteneurs et de porte-conteneurs. Avant la crise, la demande était plutôt étale entraînant des fermetures de chantiers navals dont le nombre, à travers le monde, ne dépasse plus 120, contre 300 en 2008. Les armateurs s’attendent à un commerce plus régionalisé et privilégient l’acquisition de navires plus petits pouvant contenir entre 13 000 à 15 000 conteneurs. Ce choix qui ressemble à celui effectué par les compagnies aériennes qui acquièrent des monocouloirs est également dicté par les difficultés d’accueil et de gestion des méga-navires.

L’augmentation des coûts de transports maritimes pourrait donc perdurer et cela d’autant plus que les normes environnementales deviennent de plus en plus contraignantes. Responsable de 2,7 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone, le secteur est de plus en plus dans le collimateur des autorités et des associations de défense de l’environnement. Si les prix poursuivaient leur progression, une remise en cause de certaines importations pourrait intervenir, en particulier celles concernant des objets lourds et volumineux à faible valeur ajoutée comme les meubles. Le surcoût pour l’envoi d’un canapé de Chine à Los Angeles pourrait atteindre 1 000 dollars. Néanmoins, pour un très grand nombre de produits, les frais d’expédition ne représentent qu’un faible pourcentage du coût global. Même le recours à des carburants moins polluants ne devrait pas grever le coût des importations de produits textiles et de chaussures.

Finance, l’heure de la blockchain a-t-elle déjà commencé ?

 

La finance décentralisée ou « DeFi » en lien avec l’essor des cryptoactifs, l’intrusion des entreprises de plateforme dans les systèmes de paiement, et les monnaies digitales de banque centrale constituent les trois volets de la révolution financière qui pourraient rebattre l’ensemble des cartes dans les prochaines années. Le développement de la DeFi est relativement rapide. La valeur des transactions issue du réseau Ethereum a atteint 2 500 milliards de dollars en 2021, soit environ les montants traités par le groupe de cartes bancaires Visa ou l’équivalent d’un sixième de l’activité sur le Nasdaq. Les jetons sortent de la zone de confidentialité grâce aux sportifs ou aux stars. Le contrat de Lionel Messi avec le PSG prévoit un paiement en jetons. La mannequin Emily Ratajkowski, afin de mieux contrôler ses droits à l’image, a décidé que certaines de ses photos seront publiées en « nfts » ou associées à des jetons. Pour populariser la démarche, ces jetons pourront ouvrir aux « amis » de la mannequin l’accès des marchandises exclusives et des places au premier rang lors de concerts, le tout sans intermédiaires. Preuve que la révolution est en marche, l’État du Salvador a décidé d’adopter le bitcoin comme monnaie officielle en lieu et place du dollar.

La DeFi repose sur les blockchains, de vastes réseaux d’ordinateurs qui conservent un enregistrement commun ouvert et logiquement incorruptible, sans avoir besoin d’une autorité centrale. A terme, elle peut concerner un grand nombre d’activités bancaires et assurantielles.  Elle repose sur des systèmes interopérables, transparents, souvent efficaces qui, en répartissant le contrôle sur les logiciels, préservent la concentration du pouvoir. Le premier exemple de système décentralisé était le Bitcoin, un réseau de paiement numérique vérifié par une blockchain, créé en 2009 dans le but de remplacer l’argent émis au niveau central. Il a été suivi à partir de 2015 le réseau Ethereum sur lequel la plupart des applications « DeFi » se greffent. Ce réseau enregistre des lignes de codes informatiques, y compris des programmes entiers, qui sont visibles par tous, permettant de construire des contrats intelligents, des accords auto-exécutables dans lesquels une chaîne d’actions suit quand certaines conditions sont remplies. Celles-ci sont automatiquement appliquées et ne peuvent pas être logiquement falsifiées. Pour ses initiateurs et ses développeurs, le recours au réseau permet de s’affranchir au niveau bancaire des chambres de compensation et des dispositifs coûteux de conformité. Ils mettent en avant que les transactions sur une blockchain sont fiables, bon marché, transparentes et rapides, du moins en théorie. La blockchain Ethereum permet ainsi de stocker des données et de les utiliser, comme un ordinateur virtuel qui s’exécute sur un réseau d’ordinateurs physiques. Chaque ordinateur, en dehors d’une blockchain, est contrôlé par une personne ou une organisation qui peut changer d’avis. Apple conserve un large contrôle sur les appareils qu’il vend grâce aux mises à jour logicielles. Sur une blockchain, la relation est censée être inversée, la traçabilité totale offre des garanties. Les ordinateurs contrôlés par la technologie blockchain peuvent prendre des engagements de manière indépendante. À partir d’un cadre de blockchain, la seule limite de création est l’imagination du développeur. Des « jetons », ou des représentations numériques d’actifs, ont été ainsi créés. Certains peuvent s’assimiler à des actions, des obligations ou des « stablecoins », qui sont généralement reliés à des devises traditionnelles. Des jetons de gouvernance ont été également développés. Ils  fonctionnent comme des jetons « non fongibles » (nfts) et peuvent représenter des actifs uniques, comme une image ou une vidéo. Le marché de ces derniers progresse rapidement (23 milliards de dollars de NFT ont été échangés en 2020). Pour entrer dans le monde décentralisé, il est nécessaire de créer un portefeuille, qui stocke les jetons. MetaMask, un portefeuille DeFi, possède déjà plus de de 10 millions d’utilisateurs qui disposent d’une identité numérique, permettant de gérer des opérations commerciales et financières de manière indépendante des établissements financiers.

Sur les plateformes digitales, de nombreuses innovations sont développées pour rendre plus sûres les échanges financiers et accélérer certaines opérations comme les prêts. Plutôt que de déposer des actifs financiers avec un risque de vol, l’exécution de l’opération est réalisée via des contrats intelligents. L’opération commerciale est effectuée dans le cadre d’une transaction indivisible, éliminant le besoin d’intermédiaires tels que les chambres de compensation. UniSwap est une startup particulièrement active pour l’échange de jetons basés sur Ethereum. Il négocie des jetons pour une valeur d’environ 1 milliard de dollars chaque jour. Pour faire face à l’instabilité des cryptomonnaies, les développeurs recourent de plus en plus à des stablecoin fiables, comme les tokens indexés sur le dollar ou d’autres devises. Ces derniers facilitent les transactions et constituent la base des contrats financiers. Les deux plus importants stablecoins, Tether et USD Coin, sont à l’origine de l’émission de plus de 100 milliards de dollars de jetons. La garantie de ces derniers repose sur une combinaison de liquidités et de dettes d’entreprises à court terme. Elle n’est pas logée sur une blockchain, mais sur des comptes bancaires ou de courtage. Ce système n’est pas sans faille. Au mois de mars 2021, le procureur général de New York a constaté que Tether n’était pas entièrement garanti pour les périodes 2017 et 2018 et lui a infligé une amende de 18,5 millions de dollars. Le passage à une garantie validée dans la blockchain demeure complexe. Etant donné que l’éther est volatile, le protocole oblige les utilisateurs à surdimensionner les jetons qu’ils créent. Les opérations de prêts font également l’objet de nombreux développements au sein de la DeFi. L’objectif est de permettre des prêts avec des utilisateurs restant anonymes, tout en bénéficiant d’un haut niveau de sécurité. À la différence du système bancaire, les opérations de financement peuvent être quasi-immédiates. Les deux systèmes de prêts flash sur la blockchain Ethereum sont « Aave » et « Compound « qui ont prêté respectivement 16 milliards et 11 milliards de dollars de jetons en 2020.

Les GAFA estiment que ce marché de la « DeFi » pourrait être une source importante de revenus. En instituant des taxes de passage, elles pourraient trouver des ressources faciles sur ses réseaux décentralisés hébergeant des applications

Le système DeFi n’a pas, actuellement, les capacités de se substituer au système financier traditionnel du fait que les plateformes blockchain sont lourdes à manier et que les ordinateurs nécessaires à leur fonctionnement consomment des quantités d’électricité importantes. L’autre obstacle à la généralisation de la DeFi est l’absence de valeur légale des cryptoactifs et de rattachement à un État ou un groupe d’États souverains. Or ces derniers conservent le monopole de la force légale et donc le pouvoir normatif. Par ailleurs, les banques centrales restent les prêteurs en dernier ressort du système, ce qui, en période de crise, n’a pas de prix. L’exécution des contrats en dehors du monde virtuel est également une préoccupation. Un contrat blockchain peut indiquer que vous possédez une maison, mais seule la police peut imposer une expulsion. Il faut bien à un moment ou un autre revenir au réel.

Si un système décentralisé est considéré plus vertueux grâce à la multiplication du nombre d’intervenants, certains programmeurs et propriétaires d’applications exercent de fait une influence disproportionnée et peu transparente dans le système DeFi. Un acteur malveillant pourrait même prendre le contrôle de la majorité des ordinateurs qui exécutent une blockchain.

La DeFi est tiraillée entre autonomie et respectabilité. Son développement suppose son intégration au système financier et juridique conventionnel. Les grandes institutions comme la Banque des Règlements Internationaux estiment que le passage à des gouvcoins, des monnaies digitales gérées par les banques centrales, résoudra en grande partie le problème mais au prix d’une moindre indépendance de la sphère de finance alternative. Les acteurs de cette sphère ont la volonté farouche de remplacer les intermédiaires financiers traditionnels comme les banques ou les assureurs mais aussi de se passer des institutions publiques, banques centrales, FMI, etc. La finance décentralisée (DeFi) recherche plutôt un contrôle participatif aux consonances utopiques. Le problème est que ce secteur naissant est en proie à de forts mouvements spéculatifs. Par ailleurs, quelques applications dominent le marché, ce qui est contraire à l’esprit décentralisateur des initiateurs de cette nouvelle sphère financière.

Les acteurs financiers traditionnels craignent que les banques centrales y recourent pour sauver leur rôle de créateur de monnaie et de régulateur. Aux États-Unis, l’adoption par la Fed d’un système de paiements instantanés a été très mal reçue par les sociétés financières présentes sur le marché des cartes de paiement. Mastercard et Visa réalisent des marges bénéficiaires brutes de 60 à 80 % grâce à leur système de facturation qui serait remis en cause en cas de généralisation de paiement en cryptomonnaies. Les jetons numériques pouvant se substituer à presque tous les types d’actifs, ils pourraient servir de base à des compte courants sur la blockchain.

Le monde des cryptoactifs est loin d’être un monde parfait. La gouvernance et la responsabilité dans le « DeFi-land » restent rudimentaires. Des erreurs de codage peuvent survenir. La mise en place d’une séquence de transactions irrévocables pourrait avoir des effets financiers dangereux. Les cryptoactifs ont été très rapidement utilisés par les trafiquants pour acheter et revendre de la drogue. Les groupes terroristes y ont également recours pour leurs activités. Le blanchiment d’argent a prospéré dans la zone grise non réglementée des services situés entre Ethereum et le système bancaire. Les hackers exigent leurs rançons après avoir bloqué des systèmes informatiques en cryptoactifs. Ces derniers peuvent également faire l’objet de vols comme ce fut le cas pour des centaines de millions de dollars d’Ether après la découverte par des informaticiens malhonnêtes d’une faille dans un code de création. Les cryptoactifs dont l’encours a atteint 2200 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la France, attirent de plus en plus les escrocs en tout genre.

La majorité des services qui échangent des dollars contre de l’Ether ou du Bitcoin, comme Coinbase, effectuent des contrôles destinés à dissuader le blanchiment d’argent. En revanche, quand les utilisateurs sont entrés dans la blockchain, ils peuvent déplacer facilement des jetons, ce qui suscite des craintes tant aux services de sécurité qu’aux services en charge des impôts. Les régulateurs souhaitent imposer aux intermédiaires financiers digitaux le respect de règles permettant de lutter contre les fraudes et les agissements criminels. Pour le moment, les acteurs de la DeFi rechignent à jouer ce rôle de régulateur. Aux États-Unis, la tentative du Congrès d’inclure une disposition législative réglementant l’industrie de la DeFi a suscité une forte opposition dans la sphère du digital.

Trois scénarii sont envisageables dans les prochaines années :

L’essor des activités décentralisés sur la blockchain a pour limite son coût énergétique au temps où il est nécessaire de réduire son empreinte carbone. Bitcoin et Ethereum utilisent tous deux un processus appelé « preuve de travail » pour vérifier les transactions, qui consomment de de très grandes quantités d’énergie. Une façon d’améliorer le système est d’utiliser d’autres mécanismes de preuve. Des informaticiens travaillent à d’autres systèmes de preuve moins coûteux et moins lourds. L’autre défi de la DeFi est la lutte contre la spéculation qui est une source importante de déstabilisation et qui attire des personnes peu scrupuleuses.