20 avril 2024

Le Coin des tendances : Contrainte budgétaire – transition écologique

Réchauffement climatique : une lourde facture

Les catastrophes naturelles coûtent de plus en plus cher car les populations, du moins en Occident, sont de mieux en mieux assurés. Les fortes densités d’habitats et matériels contribuent à alourdir les factures des assureurs. L’augmentation de la fréquence des catastrophes est également mise en cause. Dans le Nord de l’Italie dans les villes de Milan, de Turin ou de Venise les orages de l’été dernier ont occasionné de nombreux dégâts (vitres cassées, voitures inutilisables, panneaux solaires brisés) obligeant les compagnies d’assurance à indemniser leurs propriétaires à hauteur de 4,8 milliards d’euros, soit le montant le plus élevé jamais constaté en Europe pour un épisode orageux. Au cours de la décennie 2000 à 2009, seuls trois orages ont coûté à l’industrie plus d’un milliard d’euros (en valeur constante 2023). De 2010 à 2019, il y en a eu dix. Depuis 2020, il y en a déjà eu six. De telles tempêtes représentent désormais plus d’un quart des coûts du secteur de l’assurance liés aux catastrophes naturelles, selon le réassureur Swiss Re.

Le changement climatique est avancé par de nombreux experts pour expliquer l’augmentation des dégâts subis par les ménages et les entreprises. Les ouragans, les incendies de forêt et les inondations sont de plus en plus fréquents et plus violents. Dans de nombreuses villes construites sur des sols argileux comme c’est le cas à Londres, les sécheresses provoquent des affaissements de terrain mettant en danger de nombreuses habitations. À Amsterdam, les bâtiments reposant sur des pieux se fissurent en raison de l’assèchement des sols marécageux. Il en est de même dans les régions où la nappe phréatique s’abaisse. Les travaux de réfection des maisons pour les propriétaires atteignent bien souvent plus de 100 000 euros. Ces dépenses s’ajoutent à celles à l’isolation et au changement de système de chauffage. Selon l’agence MSCI, le coût global des travaux dépasserait 10 % de la valeur des bâtiments. En France, la facture s’élèverait à plus de 1 000 milliards d’euros sur vingt-cinq ans. Au niveau de l’OCDE, ce montant serait de 25 000 milliards de dollars.

Les effets du changement climatique sont susceptibles d’influencer le marché de l’immobilier qui est la principale classe d’actifs représentant environ les deux tiers du patrimoine mondial. Le secteur du bâtiment constitue un pôle important de l’activité économique en raison de ces liens avec de nombreuses industries : sidérurgie, ciment, bois, équipements, etc. L’immobilier est, par ailleurs, au cœur du système financier en raison du recours au crédit pour son financement. Pour le moment, les effets du changement climatique ne se reflètent que modérément dans les prix de l’immobilier. En France, le calendrier d’interdiction de locations de logements les plus énergivores n’a pas eu de conséquences sur les prix d’autant plus que les pouvoirs publics l’ont assoupli. Une étude parue dans la revue « Nature » souligne que si les seules pertes attendues du fait de l’augmentation des inondations étaient prises en compte, la valeur des maisons américaines baisserait de 120 à 240 milliards de dollars. Malgré tout, les acheteurs et vendeurs intègrent en partie les risques. Selon une étude publiée en 2018 dans le Journal of Urban Economics, le prix des maisons construites dans les plaines inondables de l’État de New York ont perdu près de 10 % de leur valeur après l’ouragan Sandy. En Californie, les maisons situées au sein des zones les plus exposées au risque incendie valent 5 % de moins que celle situées en-dehors de ces zones.

Progressivement, les effets du changement climatique se feront sentir de plus en plus durement. Les maisons en argile à Londres se fragilisent en lien avec la succession des hivers humides et des étés secs. Les sols argileux ont tendance également à se fissurer pouvant provoquer l’effondrement des maisons. Les deux cinquièmes du parc immobilier de Londres, soit 1,8 million de logements, sont susceptibles de s’affaisser d’ici 2030, selon le British Geological Survey. D’autres villes voisines, comme Oxford et Cambridge, sont également menacées. En 2070, tout le Sud Est de l’Angleterre serait concerné. La facture pour les assureurs liée aux des affaissements de maison a été évaluée à plus de 2 milliards d’euros par an. La solution pour éviter ce problème passe par la réalisation de fondation en béton armé. Le coût de ces travaux, par maison, dépasse 12 000 euros.

La succession d’évènements climatiques violents peuvent entraîner la non-habitabilité des maisons. Les inondations à répétition, les canicules, les feux de forêts, la montée des eaux des océans peuvent obliger des propriétaires à quitter leur maison ce qui pose la question éventuelle de leur indemnisation. Les assureurs et les pouvoirs publics sont amenés à apprécier le coût des indemnisations liées aux catastrophes à celui généré par l’abandon de parties de territoires devenues non propices à l’habitation. Aux États-Unis, les assureurs ont déboursé plus d’un milliard de dollars pour réparer les dommages résultant des 28 catastrophes naturelles dénombrées. Certains territoires sont plus concernés que d’autres dont certains se caractérisent par une forte densité humaine. 40 % des constructions à Amsterdam sont susceptibles d’être affectées par la montée des eaux. Les villes de Miami, Guangzhou et de New York sont celles qui sont susceptibles, en raison du prix de l’immobilier, de connaître les destructions les plus coûteuses. À Miami, l’information des propriétaires sur les risques climatiques était jusqu’à maintenant assez lacunaire. Depuis le mois de mars 2024, les vendeurs de logements doivent mentionner s’ils ont déjà fait l’objet d’inondation. Les assureurs rechignent de plus en plus à couvrir les risques climatiques sachant que plusieurs ont, ces dernières années, fait faillite. Le montant des primes augmente fortement. Pour une maison familiale, il atteint plus de 11 000 dollars ce qui oblige les ménages les plus modestes à vendre. Néanmoins, le maché immobilier de la Floride est toujours en croissance. Au cours des cinq dernières années, le prix des logements y a progressé de près de 80 %, selon l’indice Case-Shiller.

En raison d’une moindre couverture assurantielle, les risques dans les pays en développement ou émergents sont moins bien connus. Or, nombre d’entre eux sont exposés aux dérèglements climatiques et notamment à la montée des eaux. Au sein de ces pays les grandes agglomérations se situent en bord de mer. Une étude publiée en 2017 par l’association Christian Aid suggère que Calcutta et Mumbai en Inde et Dhaka au Bangladesh seraient les plus exposées.

Les autorités ne sont pas totalement désarmées face au changement climatique. À Tokyo, le drainage des cours d’eau a été améliorée et des dispositifs de protection contre le phénomène de submersion ont été créés après le passage du typhon Kit qui avait inondé 42 000 bâtiments en 1966. En 2017, le typhon Lan, d’une même ampleur, n’a inondé que 35 bâtiments. Les gouvernements sont néanmoins confrontés à l’hostilité croissante des populations vis-à-vis des politiques visant à réduire les émissions des gaz à effet de serre. Le gouvernement allemand, par exemple, avait prévu d’interdire les nouvelles chaudières à gaz dès le début de 2024. Cette mesure aurait contraint de nombreux propriétaires à installer de nouveaux systèmes de chauffage. Le coût moyen des travaux a été évalué à 15 000 euros par ménage concerné, après prise en compte des subventions. Compte tenu des réactions des Allemands, cette mesure a été reportée et sera aménagée. Il en a été de même en France où le gouvernement avait prévu l’interdiction, à compter de 2026, d’installation de nouvelles chaudières à gaz. L’interdiction ne vaut désormais que pour les logements neufs.

Pour respecter les engagements pris par les gouvernements dans le cadre des Accords de Paris en 2015, ils doivent consacrer, jusqu’en 2030, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, plus de 570 milliards de dollars par sur le seul poste de la rénovation des bâtiments, bâtiments qui sont à l’origine de 18 % des émissions des gaz à effet de serre. Or, en 2023, seulement 250 milliards de dollars ont été dépensés à cet objet. Pour accélérer la transition écologique, des responsables politiques comme Emmanuel Macron et des économistes proposent l’instauration de taux d’intérêt verts. Ces taux qui seraient bonifiés s’appliquerait aux prêts visant à financer des investissements contribuant à limiter le réchauffement climatique. A contrario, les autres prêts seraient assortis de taux plus élevés. L’application de ces taux verts serait susceptible de provoquer la baisse des prix des logements ne répondant pas aux normes environnementales. Il n’est pas certain que cela soit bien accepté par les propriétaires. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à juger la réglementation environnementale excessive. Ils estiment que les mesures imposées par les pouvoirs publics n’empêcheront pas l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre. La procrastination et la fatalité caractérisent une proportion non négligeable des ménages occidentaux. Les pouvoirs publics sont conscients qu’ils sont amenés à légiférer pour réguler le marché de l’immobilier. En Floride, malgré les menaces d’inondation, soulignées avec ironie par l’écrivain américain TC Boyle dans son dernier roman, « Un ciel si bleu », les constructions en zones inondables se poursuivent. Les nouveaux arrivants supposent que les contribuables prendront à leur charge les investissements nécessaires pour la mise en sécurité de leurs biens. Il est fort probable que cet espoir ne se réalise pas, avec comme conséquence, d’importantes pertes.

Le retour de la contrainte budgétaire

Après la crise financière de 2008/2009, les gouvernements ont mené des campagnes d’assainissement de leurs comptes publics. Au niveau de la zone euro, le déficit avait disparu et la dette publique diminuait. L’épidémie de covid et la guerre en Ukraine ont modifié complètement la donne. Le taux d’endettement a augmenté, selon les États de l’OCDE de 10 à 20 points. Les déficits publics ont atteint des niveaux records. En 2023, les États-Unis ont enregistré un déficit de plus de 7 points de PIB. Celui de l’Italie comme celui de la France dépasse 5 points de PIB. Rares sont les pays à avoir redressé leurs finances publiques. Chypre et le Portugal, avec des excédents budgétaires font figure d’exceptions. À ces deux pays, peut être ajouté, la Grèce, le pays malade des années 2010, dont le budget est presque à l’équilibre. Si en 2017/2019, sur les 35 États membres de l’OCDE, le pays médian enregistrait un excédent budgétaire, en 2023, il connaissait un déficit budgétaire proche de 2,5 % du PIB.

Les gouvernements sont décomplexés face à la dépense publique. Les États, avec l’épidémie de covid, ont dépensé sans compter. Les faibles taux d’intérêt les ont encouragé à s’endetter sans limite. Même des économistes libéraux soulignaient qu’il ne fallait pas se priver de la manne financière générée par les politiques monétaires accommodantes. Les tenants de la théorie monétaire moderne soulignaient que les États avaient tout avantage à recourir à l’emprunt étant donné que l’augmentation de la masse monétaire ne générait pas, du moins à l’époque, d’inflation. Les habitudes prises en matière de dépenses sont difficiles à perdre même quand la vie reprend son cours normal. La survenue de la guerre en Ukraine a, en outre, justifié le maintien des politiques interventionnistes.

Le démontage des mesures de soutien prend du temps en raison des résistances au sein des populations. Le gouvernement vient juste de mettre un terme, au mois d’avril 2024, à l’aide aux entreprises pour l’embauche d’alternants, aide instituée en 2020 pour favoriser le recrutement en plein covid. De même, il a décidé la suppression des exonérations d’impôt sur l’énergie ce qui a généré une contestation de la part de nombreux citoyens. En Australie, les personnes âgées vivant dans des maisons de retraite reçoivent toujours en 2024, une aide financière au titre de l’épidémie de covid. En Allemagne, la fin aux mesures de protection de l’emploi mises en place pendant la pandémie n’ont été supprimées qu’au second semestre 2023. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral continue de verser d’importants remboursements d’impôts aux petites entreprises ayant conservé leurs salariés pendant les confinements. Au total, les gouvernements européens ont alloué environ 4 % de leur PIB à la protection des ménages et des entreprises.

Les gouvernements ont, pour soutenir l’activité, après le covid, également pris des mesures visant à accélérer la transition écologique. Aux États-Unis, le coût des aides liées à l’Inflation Reduction Act devrait s’élever à plus de 400 milliards de dollars. En Italie, un projet adopté en 2020, destiné à encourager les propriétaires à verdir leur maison, pourrait coûter plus de 200 milliards d’euros.

Les circonstances amènent les gouvernements à accroître les dépenses publiques. Ceux d’Europe de l’Est, Pologne, Pays baltes, face à la menace russe ont augmenté rapidement et fortement les dépenses militaires. Aux États-Unis, la campagne électorale en cours amène Joe Biden à multiplier les mesures potentiellement coûteuses. Il souhaite ainsi annuler une grande partie des dettes étudiantes.

Les déficits publics sont aujourd’hui finançables grâce à la croissance et à l’inflation. Avec un déficit primaire de 2 % du PIB, les États de l’OCDE ont réussi à diminuer en 2023 leur ratio dette/PIB. Le taux d’endettement de l’Italie a diminué d’environ 10 points de PIB depuis 2021 malgré une politique budgétaire laxiste. La Grèce a réussi à diminuer sa dette publique de 50 points de PIB en combinant maîtrise budgétaire et croissance. Seule la France, considérée outre-Atlantique comme le pays malade de l’Europe sur le plan des finances publiques, fait exception.

Les gouvernements attendent avec impatience la baisse des taux d’intérêt afin d’éviter toute crise des finances publiques. Or, compte tenu des besoins de financement et la persistance de la menace inflationniste, les taux pourraient rester élevés plus longtemps que prévu. Or, pour la France, cela signifie que de 2024 à 2027, le service de la dette passera de 55 à plus de 70 milliards d’euros. L’affaissement de la croissance rendra également plus difficile le recul de la dette publique par rapport au PIB. Quand en 2023, le gouvernement italien aurait pu enregistrer un déficit primaire allant jusqu’à 2 % du PIB tout en réduisant son taux d’endettement, il doit désormais dégager un excédent de 1 % du PIB. Pour les États-Unis, la situation est identique. Une nouvelle baisse de l’inflation, un ralentissement plus important de la croissance ou des taux d’intérêt plus élevés rendraient encore plus difficile la stabilisation de la dette des États.

Les questions budgétaires qui avaient disparu des débats publics depuis l’adoption des politiques monétaires non-conventionnelles redeviennent d’acuité. Aux États-Unis, la Chambre des Représentants bloque plusieurs projets de Joe Biden mais dans le même temps, le candidat Donald Trump promet d’accroître les dépenses et de diminuer les impôts. En France, le gouvernement ne dispose pas de marges de manœuvre pour accroître les prélèvements ou pour diminuer les dépenses en raison de l’absence de majorité à l’Assemblée. La France comme l’Italie craignent d’être mises sous surveillance par l’Union européenne pour déficits excessifs. Au Royaume-Uni, les travaillistes font campagne pour les prochaines élections législatives en promettant le rétablissement des comptes publics.

Dans de nombreux pays, les gouvernement sont confrontés à une diminution des rentrées des impôts. En France, le dérapage du déficit public en cours d’exercice, l’année dernière, s’explique par une attrition de certaines recettes (TVA, Impôt sur le revenu). Aux États-Unis, les recettes provenant des impôts sur le revenu prélevés sur les salaires ont également diminué l’an dernier. Les recettes de l’impôt britannique sur les plus-values ont diminué en un an de 11 %. Au Japon, la réduction des recettes tirées de ce même impôt est de 4 %. La baisse des prix de l’immobilier explique, avec la diminution des transactions, cette évolution. En France, la préférence des ménages pour l’épargne se traduit par une diminution de la consommation en biens et donc des recettes de la TVA.

L’inflation et le ralentissement de la croissance pèsent sur le niveau de vie et le moral des contribuables. Aux États-Unis, les entreprises technologiques ont réduit le montant des primes et ont même réduit leurs effectifs. Les ménages ont, sauf en France et en Allemagne, amplement puisé dans leur cagnotte covid. Ils n’ont plus beaucoup de marges de manœuvre. Le vieillissement démographique conduit à une hausse de l’épargne, les futurs retraités craignant pour leur niveau de vie lors de la liquidation de leurs pensions. Les dissensions au sein des pays sont plus nombreuses rendant leur gouvernabilité complexe. Les gouvernement, dans un tel contexte, essaie de gagner du temps mais combien, c’est la question.