Le Coin des tendances du 18 novembre 2017
Inégalités régionales et transferts sociaux
Les écarts de niveau de vie diffèrent d’une région à l’autre. Ainsi, en 2014, le rapport entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres est de 4,5 en Île-de-France, de 3,7 en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et de 3,3 dans les Hauts-de-France. En revanche, ce ratio n’est que 2,9 en Bretagne et de 2,8 dans les Pays de la Loire.
Le niveau de vie correspond au revenu disponible des ménages par unité de consommation. Il prend en compte les prestations sociales et les impôts directs.
Sans prendre en compte les transferts sociaux, l’écart est de 7,6 en Île-de-France, 6,8 en Paca, 6,5 dans les Hauts-de-France. À l’opposé, cet écart s’élève à 4 points en Bretagne et en Pays de la Loire.
L’écart après transferts est moins important qu’avant du fait du caractère progressif de l’impôt sur le revenu. Les impôts pèsent plus fortement sur les ménages aisés. Sans les impôts directs, les 10 % de ménages les plus aisés auraient un niveau de vie plus élevé en moyenne de + 25,4 % en Auvergne-Rhône-Alpes à + 31,5 % en Île-de-France.
La réduction des disparités de revenu par l’effet des prestations sociales et des impôts est plus forte pour les régions où la proportion de personnes pauvres est plus élevée.
Les régions ayant un faible écart de revenus sont celles où le taux de pauvreté est le plus faible. Le taux de pauvreté dans les Hauts-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur est ainsi respectivement de 18,3 % et 17,5 % quand alors qu’il atteint 11,1 % et 10,8 % en Pays de la Loire et en Bretagne.
D’une région à l’autre, pour les 10 % de la population ayant les revenus les plus bas, la part des prestations sociales dans le revenu disponible s’échelonne de 29,2 % en Corse à 49,8 % en Hauts-de-France. Au niveau départemental, cette part est maximale dans le Nord (52,2 %), le Pas-de-Calais (50,3 %) et la Seine-Maritime (48,7 %). À l’opposé, elle est la plus faible (autour de 28 %) dans les départements du sud du Massif central (Aveyron, Cantal, Lozère), en raison de la part plus élevée de la population âgée dans ces départements.
Les prestations familiales sont proportionnellement plus élevées dans les territoires où les familles avec des enfants de moins de 18 ans sont plus nombreuses, comme à l’Ouest. La part des prestations logement dans le revenu disponible est plus élevée dans les villes. En effet, celles-ci concentrent davantage de personnes seules : cette population est surreprésentée parmi les bénéficiaires des aides au logement. La part des prestations logement est de 17,4 % dans les villes-centres des grandes aires urbaines, mais de seulement 9,3 % du revenu disponible du 1er décile de revenu dans les couronnes des grandes aires urbaines.
Les revenus de remplacement (allocations chômage, pensions de retraite) constituent également une part non négligeable des revenus dans certains territoires. Ainsi, les allocations chômage, en proportion du revenu disponible, sont les plus élevées dans l’extrême nord et la partie ouest du pourtour méditerranéen ainsi qu’en Seine-Saint-Denis, dans les Vosges et le Territoire de Belfort. Dans ces départements, le taux de chômage est supérieur de 1 à 5 points à la moyenne nationale. En revanche, la part des allocations chômage dans le revenu disponible est la plus faible (moins de 2,9 %) pour une partie de territoire couvrant le Massif central ainsi que quelques départements limitrophes. Hormis l’Allier et le Cher, le taux de chômage dans ces départements est inférieur à la moyenne nationale.
La part des pensions, retraites et rentes dans le revenu disponible est la plus élevée dans des départements situés dans la partie centrale du pays : elle atteint 40 % dans la Nièvre et environ 37 % dans l’extrême sud ou sur le littoral ouest. Dans tous ces départements, la part de la population âgée de 60 ans ou plus est supérieure à 30 % contre 24,4 % en moyenne en France métropolitaine.
À l’inverse, la part de ces revenus est la plus faible (moins de 25 %) dans les départements de l’Île-de-France, en Haute-Garonne, dans le Rhône, l’Ain et la Haute-Savoie. Dans ces départements, la part des 60 ans ou plus atteint au plus 22 %, en deçà de la moyenne métropolitaine.
Les ruraux amoureux mais pessimistes pour leur territoire
Le CREDOC réalise depuis 1978 une étude sur les conditions de vie des Français. Contrairement à quelques idées reçues, les Français jugent très positivement leurs conditions de vie. Leur appréciation se bonifie même dans le temps. Ainsi, près de neuf Français sur 10 (88 %) sont satisfaits de leur cadre de vie quotidien, et près d’un tiers déclarent en être « très satisfait ». En 1980, 82 % des sondés se déclaraient satisfaits, 85 % en moyenne dans les années 1990 et 2000 et 87 % entre 2010 et 20161
Depuis des années, des études mettent en avant le mal-vivre des zones rurales ; or, selon le CREDOC, le taux de satisfaction augmente à mesure que la densité urbaine diminue. Les personnes vivant au sein de zones dites rurales expriment le taux de satisfaction le plus élevé. La proportion se déclarant « très satisfaits » de leur cadre de vie est plus de 1,6 fois plus élevée que celle observée dans l’agglomération parisienne.
Le ratio de satisfaction des habitants de région parisienne est faible en raison des conditions de logement et de transports. Malgré la présence d’importants réseaux de transports publics, les Parisiens sont, sur ce sujet, assez sévères. Par ailleurs, 29 % des habitants de l’agglomération parisienne se disent inquiets face à l’insécurité sur la voie publique contre 21 % des habitants en zone rurale.
De manière assez paradoxale, les habitants des villes-centre sont moins souvent satisfaits de leur cadre de vie que les habitants des banlieues (respectivement 27 % et 34 %). L’exiguïté des logements, les problèmes de mobilité, l’absence d’espaces verts, l’accès aux équipements sportifs expliquent ce jugement. Le coût de la vie, plus élevé, en centre-ville y contribue aussi. Mais cette appréciation n’empêche pas, bien au contraire, un nombre croissant de personnes de vouloir résider au cœur des agglomérations. Si les aspects négatifs sont souvent signalés dans l’étude du CREDOC, en revanche, elle n’examine pas les facteurs expliquant que, malgré tout, les centres villes demeurent attractifs. L’offre abondante en commerces, services publics et privés ainsi que la présence d’équipements culturels compensent les problèmes générés par l’urbanisation. Même si l’emploi tend à se diffuser dans les banlieues dans les grandes agglomérations, les villes centres en conservent une part non négligeable et bénéficient de moyens de transports collectifs permettant à leurs habitants de se rendre facilement sur leur lieu de travail.
Les régions les plus populaires sont celles qui combinent activité économique et cadre de vie. Ainsi, les habitants d’Auvergne-Rhône-Alpes se déclarent le plus « très satisfaits » de leurs conditions de vie (15 points de plus que la moyenne nationale), suivis des habitants des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ces deux régions disposent d’atouts (présence de la montagne, littoral méditerranéen) qui contribuent au cadre de vie. Malgré un très fort attachement à leur région, les Bretons sont les moins satisfaits de leurs conditions de vie. Les difficultés économiques de ces dernières années de la région Bretagne et son éloignement peuvent expliquer cette appréciation.
La situation sociale joue un rôle majeur dans l’appréciation de son cadre de vie. Ainsi, les chômeurs sont nettement moins souvent « très satisfaits » (20 %) que les actifs en emploi (31 %) ou les retraités (38 %). Les personnes les mieux dotées en capital financier et en capital culturel sont plus souvent satisfaites de leur cadre de vie que les autres, 37 % des diplômés du supérieur sont « très satisfaits » de leur cadre de vie contre 29 % des personnes ayant un niveau de diplômé inférieur au BAC, 21 % des ouvriers. 39 % des hauts revenus contre 22 % des bas revenus sont dans cette situation. Les plus de 70 ans, qui résident plus souvent que les plus jeunes dans des territoires à faible densité de populations, sont beaucoup plus souvent très satisfaitsde leur cadre de vie, 41 % chez les plus de 70 ans contre 30 % parmi les moins de 40 ans.
Les trois quarts des Français aiment leur région
Trois quarts des Français se déclarent attachés à leur région. Par rapport à leurs voisins européens, ils font preuve d’un attachement moins important que les Espagnols et les Portugais, mais bien plus fort qu’en Allemagne (26 %) ou en Belgique (15 %) par exemple. Pour autant et sans surprise, la région n’est pas la collectivité publique qui reçoit le taux d’appréciation positive le plus élevé. Chauvinisme de rigueur, c’est l’échelon national qui est le plus populaire, plaçant la France en tête des pays européens sur ce point. L’attachement des Français à leur région varie en fonction du territoire dans lequel ils vivent. Il est le plus fort dans les régions Bretagne, Provence-Alpes-Côte-D’azur et Occitanie, et le plus faible en Île-de-France, avec des taux allant du simple à plus du double. L’Île-de-France qui est une région carrefour et dont un grand nombre d’habitants proviennent d’autres régions (plus de la moitié des Franciliens sont nés dans une autre région ou à l’étranger) suscite moins un sentiment d’appropriation. Pour l’Île-de-France, le référent n’est pas la région mais la capitale. Cette région se caractérise par une très forte mobilité de ses habitants du moins pour ceux qui résident dans les départements de la grande couronne. L’Essonne est le département français métropolitain qui enregistrent les plus forts flux annuels d’entrées et de sorties.
Attachement à la région et satisfaction du cadre de vie vont de pair
28 % des Français considèrent habiter dans une région en grande difficulté quand un tiers pense l’inverse. Assez naturellement, les personnes au chômage et ayant des revenus modestes pensent que leur région est en crise. Les Hauts-de-France se caractérisent par le taux plus élevé d’habitants considérant leu région en crise (44 %). C’est aussi le cas en Bourgogne-Franche-Comté (41 %). En revanche, seulement 10 % des habitants du Pays-de-la-Loire et 18 % de ceux d’Auvergne-Rhône-Alpes pensent que leur région est en difficulté. Les pessimistes se situent essentiellement en milieu rural ou au sein de communes isolées. Près de trois Français sur dix partagent un sentiment de délaissement territorial : 20 % ont « plutôt » le sentiment d’être dans un territoire délaissé des pouvoirs publics, 8 % en sont convaincus.
Le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics est d’autant plus fréquent que les répondants vivent dans un département où les taux de pauvreté monétaire et de chômage sont élevés : 32 % dans les territoires où 16 % ou plus de la population est pauvre, contre 22 % là où cela concerne moins de 12 % les individus ; 36 % quand le taux de chômage est d’au moins 11 %, contre 18 % dans les départements où le chômage concerne moins de 9 % des actifs.
Le sentiment d’exclusion se nourrit de l’insuffisance ou de l’absence d’équipements collectifs (police-gendarmerie, supermarché, librairie, collège, laboratoire d’analyses médicales, ambulance, gare, bassin de natation…). Plus du tiers des personnes qui résident dans une commune au sein de laquelle aucun équipement intermédiaire n’est disponible ont le sentiment que leur territoire est délaissé par la puissance publique.
Ce sentiment d’exclusion est très important dans les zones isolées de l’activité économique, au sein des communes qui n’appartiennent pas à une grande agglomération, soit 45 % des personnes contre 25 % parmi les résidents des communes rattachées à un grand pôle et 19 % dans l’agglomération parisienne.
Les habitants des zones rurales estiment que les pouvoirs publics favorisent les métropoles à leur détriment (60 % des personnes en emploi et 71 % des chômeurs). Près d’un résident de milieu rural sur deux estime que son territoire n’est pas préparé pour faire face aux mutations en cours contre 28 % des habitants des grandes villes. Bizarrement, au sein des pôles urbains, le sentiment de vivre dans un territoire délaissé par les pouvoirs publics est légèrement plus fort dans les villes-centre (29 %) que dans les banlieues (24 %). Cette appréciation est liée aux difficultés que peuvent rencontrer le cœur des agglomérations de 30 000 à 100 000 habitants. Le départ des commerces au profit des centres commerciaux alimente l’idée d’un appauvrissement des centres villes. En revanche, les centres des grandes agglomérations bénéficient du développement des commerces de luxe, du retour des commerces alimentaires et du maintien des activités culturelles.
Par ailleurs, l’appréciation du sentiment de délaissement doit être analysée au vu des niveaux de revenus. Ainsi, selon l’INSEE, les revenus sont plus importants en banlieue que dans les villes centres sauf à Paris et à Lyon. Par ailleurs, ils sont plus importants en milieu urbain qu’en milieu rural. L’énonciation d’un sentiment de délaissement est également l’expression d’un déclassement social. Les plus pauvres (36 %), les non diplômés (33 %), et les chômeurs (39 %) expriment plus que les autres le sentiment que le territoire dans lequel ils vivent est délaissé par les pouvoirs publics.
La crise et la mobilité résidentielle ne font pas bon ménage
Le CREDOC a également étudié la mobilité résidentielle des ménages. L’organisme a constaté que cette mobilité est en baisse depuis le début des années 2000. La crise qui pourrait inciter des ménages à déménager pour chercher des emplois dans une autre région a au contraire contribué à ralentir la mobilité. La crise a ainsi ralenti les départs des locataires du secteur social. Pour la Caisse des Dépôts et Consignation, la mobilité est corrélée négativement avec le chômage et le vieillissement de la population. Le chômage, ou sa crainte, conduit les ménages à la prudence ; le vieillissement entraîne une diminution des déménagements. Par ailleurs, la hausse du nombre de propriétaires de leur résidence principale (plus de 57 % en 2016) freine la mobilité résidentielle. Pour l’OCDE, les pays à faible taux de déménagement sont ceux qui sont susceptibles de connaître les taux de chômage les plus élevés.
Les Français ne considèrent pas qu’un changement de résidence puisse améliorer leur situation. Seul un quart pense l’inverse. Sans surprise, les jeunes sont les plus nombreux (42 %) à juger qu’un déménagement peut permettre d’accomplir plus facilement ses projets de vie. 29 % personnes en recherche d’emploi sont également plus nombreuses à penser pouvoir trouver davantage d’opportunité pour la réalisation de leur projet ailleurs que les actifs en emploi. Il est à noter que 31 % Français titulaires de des bas revenus pensent qu’un déménagement leur donnerait des atouts supplémentaires pour réaliser leurs projets, contre 23 % des hauts revenus. Mais dans les faits, les catégories modestes sont beaucoup moins mobiles que les catégories les plus aisées.
Plutôt attachés à leur région d’origine ou à leur région de résidence, les Français sont néanmoins inquiets sur leur évolution. Les ruraux craignent l’isolement et la dévitalisation de leurs territoires mais ne se voient pas vivre au sein d’une grande agglomération. Les urbains rêvent de campagne afin d’échapper aux problèmes de logement, au manque d’espaces vert et à l’insécurité. L’étude du CREDOC démontre que l’Île-de-France n’a pas réussi depuis les années 60 à se construire une identité. Avec le redécoupage des régions, il n’est pas certains que les Français se retrouvent dans les nouvelles frontières régionales. L’attachement aux départements et aux régions géographiques voire aux terroirs reste fort.