16 février 2019

Le Coin des tendances du 16 février 2019 – la voiture et le travail, le rock’n roll revu et corrigé par Schumpeter et la slowbalisation

Fin de partie pour la globalisation ?

Depuis la première révolution industrielle, l’économie mondiale a connu deux grands processus d’internationalisation. Le premier est intervenu à la fin du XIXe siècle et a été stoppé par la Première Guerre mondiale et par la crise de 1929. Le deuxième s’est ouvert avec l’ouverture de la Chine en 1978 et pourrait s’être achevé en 2008 avec la crise financière, ou de manière plus certaine, en 2018 avec l’entrée en vigueur des sanctions commerciales américaines à l’encontre de la Chine.

L’ouverture économique mondial, une victoire de l’Occident

L’ouverture économique s’est imposée comme une marque de fabrique du monde occidental après la Seconde Guerre mondiale. Elle vise tout à la fois à éviter les errements du protectionnisme des années 30, à faciliter la reconstruction et à diffuser « l’American way of life ». Les États-Unis qui, dans le passé, n’étaient pas favorables au libre-échange y adhèrent sans nul doute, d’autant plus facilement qu’ils dominent l’économie mondiale. La menace soviétique constitue également un catalyseur pour la mise en place d’une économie reposant sur les échanges au sein de la sphère d’influence américaine. C’est dans cet esprit qu’est créé le FMI et que sont signés les différents accords du GATT permettant de réduire les obstacles tarifaires et non tarifaires pour les échanges internationaux. La libéralisation du commerce international est alors considérée comme un vecteur clef de la croissance des Trente Glorieuses. Elle a été façonnée dans un cadre multilatéral. Les accords bilatéraux ou ne concernant qu’un nombre réduit d’États (construction européenne, ALENA, etc.) n’étaient acceptés qu’à la condition de ne pas nuire aux échanges avec les autres États.

Ce paradigme économique s’impose progressivement à toute la planète. Après les échecs cuisants du Grand Bond et de la Révolution culturelle, la Chine opte pour un système de communisme de marché en 1978, sous la direction de Deng Xiaoping. Elle décide alors de suivre le modèle des dragons, Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Hong-Kong, en jouant la carte de l’exportation de biens de consommation grand public en lieu et place du développement par l’industrie lourde. La chute du Mur de Berlin en 1989 met définitivement fin au mythe du modèle de croissance soviétique et permet aux États d’Europe centrale et de l’Est de s’intégrer dans l’économie mondialisée.

De 1947 aux années 2000, le commerce international progresse trois plus vite en moyenne que le PIB mondial. En valeur, l’accélération du commerce international à partir de 2002 est impressionnante. Ce dernier est multiplié par trois en moins de 10 ans. Cette internationalisation de l’économie a été rendue possible non seulement par l’ouverture des pays mais aussi par le développement du transport maritime et en particulier des porte-conteneurs. Elle a été possible également par l’essor du système financier.

Le commerce mondial est passé de 39 % du PIB en 1990 à 58 % en 2018. Les avoirs et engagements internationaux ont atteint 401 % du PIB toujours en 2018 contre 128 % en 1990. Cette ouverture s’est également accompagnée d’une forte augmentation des migrations. Les migrants représentent 3,3 % de la population mondiale contre 2 % dans les années 70. La création de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1995 et l’adhésion de la Chine en 2001 ainsi que celle de la Russie en 2012 ont couronné cette mutation économique.

Au début des années 80, l’économie mondiale a dépassé le niveau d’intégration de 1914. Depuis, l’accélération du commerce international et l’éclatement des chaînes de production aboutissent à une interdépendance sans précédent d’un très grand nombre d’États. Certes, certaines parties du monde restent mal intégrées dans l’économie mondiale. Environ 1 milliard de personnes vivent dans des pays où le commerce représente moins du quart du PIB (Corée du Nord, Syrie, Soudan, mais aussi Brésil et Argentine).

En 2015, le stock mondial d’investissement direct a atteint 25 000 milliards de dollars contre 700 milliards de dollars en 1980 (Cnuced, World Investment Report). Le poids des transactions internationales sur titres explose de 1980 à 2008. Jusqu’au début des années 1980, les transactions courantes d’un pays comme la France représentaient chaque année environ deux fois la valeur des transactions financières. Quinze ans plus tard, la valeur des échanges enregistrés dans le compte courant est inférieure au quart de celle des transactions sur titres.

Jusqu’à la crise de 2008, la participation au commerce international est synonyme d’essor économique. La Corée du Sud en est le parfait exemple. Il y a 60 ans, ce pays était plus pauvre que le Soudan. Aujourd’hui, son PIB par habitant rivalise avec celui de la France ou du Royaume-Uni et est neuf fois supérieur à celui du Soudan. Ce fut également le cas pour le Japon, l’Allemagne ou même la France même si de manière épisodique, la libéralisation des échanges a entraîné des réactions négatives au sein de l’opinion publique, en particulier dans le domaine agricole ou culturel, sans pour autant remettre en cause son principe.

La « Slowbalisation » remplace la globalisation

Depuis une dizaine d’années, le tempo de la mondialisation a changé. Il se fait plus lent. Les contestations qu’elles soient d’ordre environnemental, culturel, social ou économique, se font de plus en plus pressantes. Nous serions passés de la globalisation à la « Slowbalisation », terme utilisé depuis 2015 par l’économiste néerlandais Adjiedj Bakas. Il n’y a pas de démondialisation, pas de déglobalisation mais pour le moment un ralentissement et une réorganisation du commerce international.

Depuis dix ans, le commerce international évolue sur un palier. Son poids au sein du PIB mondial est passé de 61 % en 2008 à 58 % en 2018. L’éclatement des chaines de production aboutissant à des expéditions de produits semi-finis entre plusieurs pays se ralentit très nettement. Les importations intermédiaires qui avaient augmenté rapidement jusqu’en 2008 sont en retrait. Elles sont passées de 19 % du PIB mondial à 17 % de 2008 à 2018. Les entreprises multinationales subissent tout à la fois la moindre progression des échanges mondiaux et la remise en cause de leurs pratiques d’optimisation fiscale. Ainsi, leur part au sein des bénéfices mondiaux des entreprises cotées est passée de 33 % à 31 % de 2008 à 2018. Les investissements transfrontaliers à long terme de toutes les entreprises, appelés investissements directs étrangers (IDE), sont également en baisse. Ils ont atteint 1,3 % du PIB en 2018 contre 3,5 % du PIB mondial en 2007. De leur côté, les prêts bancaires transfrontaliers sont tombés de 60 % du PIB en 2006 à environ 36 % l’année dernière. Les flux de capitaux bruts sont passés d’un sommet de 7 % début 2007 à 1,5 %. Échappent à ce ralentissement les échanges de données numériques, les envois de colis et les déplacements touristiques de personnes.

La rupture intervenue en 2008 repose sur une série de facteurs. Le commerce international a bénéficié d’une forte baisse des coûts de transports dans les années 80 et 90. Ce processus s’est interrompu depuis une dizaine d’années avec l’augmentation des charges liées à la sécurité, à l’énergie et à la masse salariale. Le commerce international pâtit également de la frilosité des banques qui, après la crise financière de 2008-09, exigent des garanties plus importantes. Avec la moindre progression des gains de productivité, le taux de rendement des investissements multinationaux tend à se contracter. Il est passé d’une moyenne de 10 % en 2005-2007 à 6 % en 2017. La concurrence s’est accrue du fait de la diffusion du progrès technique et de la montée des compétences. Des entreprises locales produisent à des coûts moins élevés que les multinationales, obligeant ces dernières à revoir leurs prix à la baisse. En manque de ressources financières après la crise de 2008, les États sont moins complaisants que par le passé vis-à-vis des multinationales en réclamant l’acquittement d’un minimum d’impôts.

Les économies émergentes peuvent désormais produire des biens finis qui seront consommés sur leur marché intérieur. Ainsi, la Chine peut aujourd’hui assembler les smartphones avec leurs propres intrants, ce qui leur permet de devenir autonomes et ce qui limite d’autant les échanges.

Le commerce international souffre également d’un changement de comportements chez les consommateurs qui privilégient de plus en plus les services au détriment des biens industriels. Plus un pays est riche, plus le poids des services consommés augmente. Il en est de même pour les pays où le nombre des plus de 60 ans progresse rapidement. Or, aujourd’hui, l’économie mondiale compte plus d’un milliard de retraités quand ils étaient 200 millions en 1970. La classe moyenne mondiale comprend 2 milliards de personnes et pourrait atteindre 5 milliards en 2030. Or, les services sont moins délocalisables que la production industrielle même si, avec Internet, cela a été grandement facilité. Il n’en demeure pas moins que, pour le moment, il est préférable d’avoir recours à un notaire ajaccien pour l’exécution d’un testament à Ajaccio.

Les tendances de fond du commerce international et des chaînes d’approvisionnement semblent suggérer une phase de saturation, la main-d’œuvre bon marché et les investissements multinationaux en actifs physiques ayant perdu de leur attractivité. L’aversion aux risques plus élevés du secteur financier pèse également sur les projets internationaux.

C’est dans ce contexte que la politique de Donald Trump intervient et conforte le processus de « Slowglobalisation ». La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, les deux premières puissances économiques mondiales (40 % du PIB mondial pour les deux pays) interfère par nature sur l’ensemble du commerce mondial. Les mesures prises par l’administration américaine ainsi que celles prises en rétorsion par les Chinois ont abouti à accroître les droits sur l’ensemble des biens échangés pour un montant de 1,3 % de toutes les importations. Si le Président américain mettait en œuvre l’ensemble de son plan, ce taux pourrait atteindre 3,4 %. Cela aboutit à effacer en grande partie les abaissements des droits enregistrés depuis 1978. Malgré tout, les droits sont inférieurs de 50 % à leur niveau des années 30. Au niveau financier et fiscal, les autorités américaines ont adopté des mesures visant à encourager les entreprises à rapatrier des avoirs détenus à l’étranger 650 milliards de dollars ont été ainsi transférés. En août 2018, le Congrès a également adopté une loi sur les investissements étrangers visant à protéger les entreprises de technologie américaines.

Les États-Unis ont décidé d’appliquer l’extraterritorialité de leur législation leur permettant de poursuivre des entreprises et des personnes qui y contreviennent, et cela même en dehors du territoire américain. C’est à ce titre que BNP PARIBAS fut contraint d’acquitter une amende de 8,9 milliards de dollars en 2015 pour avoir utilisé la devise américaine dans le cadre de transactions avec l’Iran soumis à un embargo. C’est au nom de cette règle que les entreprises sont obligées de renoncer au marché iranien avec la réinstauration de l’embargo par les autorités américaines. La règle de l’extraterritorialité eu des incidences récentes sur la gouvernance de Rusal et pourrait menacer à terme la firme chinoise Huawei qui est sous la menace d’une sanction pouvant déboucher sur une interdiction de faire des affaires en Amérique, ce qui signifie en fait l’impossibilité d’utiliser des dollars dans le monde entier. Les pratiques des États-Unis et leur refus croissant du multilatéralisme remettent en cause les fondements du commerce international. La multiplication des sanctions commerciales et financières, la sortie de l’accord de Paris sur le climat, la non ratification du traité de libre-échange asiatique ainsi que la remise en cause de l’OMC et de l’Autorité postale mondiale marquent un changement de cap notoire. De même, les nombreuses attaques de l’administration de Donald Trump contre la Réserve fédérale sapent la confiance des investisseurs financiers vis-à-vis du rôle de préteur en dernier ressort que joue la banque centrale américaine. En cas de crise financière mondiale, certains doutent que la FED puisse participer aussi librement qu’en 2009 à un plan de sauvetage.

La Chine tend à utiliser les mêmes armes que les Américains pour limiter l’intrusion sur son marché intérieur de firmes étrangères. Elle utilise la justice pour bloquer certaines opérations financières et ne se prive pas de jouer sur les prix et le taux de change pour orienter les marchés des biens et des matières premières. Le poids des investisseurs étrangers tend à diminuer. Ainsi, leur contribution au PIB chinois est passé de 20,3 à 18,8 % de 2007 à 2017. Dans le cadre de la Route de la soie, la Chine a recours également aux accords bilatéraux. Elle a ainsi signé des accords commerciaux avec la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie et la Hongrie en faisant fi du monopole en la matière dont dispose la Commission de Bruxelles. Elle a mis sur place une alliance avec 16 États de l’Union européenne situés à l’Est, ces derniers bénéficiant des aides structurelles. Est-il imaginable qu’un État étranger puisse pratiquer de la sorte avec 16 États fédérés des Etats-Unis ?

Une régionalisation des échanges, des avantages à relativiser

Les entreprises multinationales à défaut de produire local le font de manière régionale. Ainsi, il y a dix ans, un tiers des flux d’investissements directs dans les pays asiatiques provenaient d’autres pays d’Asie ; ce taux est de 50 % en 2018. Les entreprises asiatiques gagnent plus d’argent sur leur continent (Japon compris) que dans le cadre de leurs échanges avec les États-Unis. En Europe, environ 60 % des investissements directs proviennent de pays européens. Les entreprises du vieux continent se détournent de plus en plus des États-Unis du fait des contraintes qui pèsent sur les échanges et des menaces juridiques. L’exposition des entreprises américaines aux marchés étrangers de toutes sortes stagne également depuis une décennie.

Les cadres juridiques tendent à limiter les investissements étrangers hors zone régionale. Ainsi, Donald Trump a conclu une nouvelle version de la « Nafta », connue sous le nom de « usmca », pour renforcer les contrôles sur les investissements. L’Union européenne a annoncé en 2018 un nouveau régime de filtrage des investissements étrangers. La Chine qui, ces dernières années, a beaucoup investi en Europe et en Afrique, tend à réorienter ses investissements en Asie. La Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures participe au financement de la nouvelle route de la soie qui peine à dépasser la sphère asiatique mais dont une part croissante des prêts et prises de participation est centrée dans les pays voisins de la Chine.

Des initiatives sont prises en Russie, en Chine, en Europe pour renforcer leur indépendance financière. Les pays européens envisagent d’intégrer davantage d’activités sur les dérivés de Londres et de Chicago dans la zone euro après le Brexit, et encouragent une vague de consolidation entre les banques. La Chine ouvre son marché obligataire afin d’en faire le centre de gravité des autres marchés asiatiques. Sur le plan financier, les Américains disposent néanmoins d’atouts pour le moment non concurrencés. Le dollar reste la première monnaie pour les échanges (plus de 40 % des échanges sont réalisés en dollars). 67 % des réserves de change sont exprimées en dollars. Le marché financier américain possède une profondeur, c’est-à-dire un nombre de titres (entreprises, secteurs d’activité, etc. volume) dont aucun autre de dispose. Malgré leurs défauts, les États-Unis demeurent un État démocratique et relativement transparent. La zone euro manque d’unité et fait l’objet de critiques en son sein. La Chine n’est pas une démocratie. Elle est peu ouverte sur l’extérieur et peu transparente en matière de prise de décisions publiques. Les voisins de la Chine sont assez méfiants à son encontre. La Corée du Sud, le japon, la Mongolie, l’Inde et quelques autres éprouvent une sympathie mesurée à l’égard de leur puissant voisin.

Un monde régionalisé n’est pas la panacée. Les rapports entre blocs sont difficiles surtout si les déséquilibres commerciaux sont importants. Par ailleurs, les pays isolés sont alors les grands perdants et soumis aux diktats des grandes puissances. Cela pourrait concerner les États africains ou d’Amérique latine, voire de l’Europe. La régionalisation ne facilite pas la résolution de problèmes mondiaux tel le réchauffement climatique. La moindre concurrence au niveau international pourrait aboutir à une hausse des prix qui se retournerait contre les consommateurs, ainsi qu’à une diminution de la diffusion du progrès technique. Certains espèrent de la régionalisation du commerce internationale une amélioration de la situation sociale dans les pays avancés avec moins de destruction d’emplois. Les études sur le sujet sont assez contradictoires. La mondialisation a certainement entraîné des pertes d’emplois dans certains secteurs d’activité comme le textile, mais l’explication numéro 1 repose sur les gains de productivité générés par l’industrie. C’est la robotisation, la digitalisation qui sont à l’origine de la diminution d’emploi dans les secteurs exposés à l’innovation, plus que l’ouverture extérieur. Dans un passé même proche, toutes les tentatives de protectionnisme ont provoqué des pertes d’emploi. Quand Jimmy Carter décida de taxer l’acier importé afin de favoriser les sidérurgistes américains, l’industrie automobile de Detroit en pâtit. En effet, les entreprises américaines furent contraintes d’acheter un acier plus cher et de mauvaise qualité, ce qui fit le bonheur des concurrents japonais qui s’installèrent aux États-Unis et prirent des parts de marché substantiels sur l’ensemble de la planète.

 

La voiture bien souvent incontournable

Selon l’INSEE, en 2015, parmi les 23,2 millions de salariés habitant et travaillant en France (hors Mayotte), 70 % utilisent principalement leur voiture pour aller travailler. 16 % des salariés empruntent les transports en commun, 7 % marchent à pied et 4 % utilisent des deux-roues, motorisés ou non. Enfin, 3 % n’ont pas besoin de se déplacer pour exercer leur activité professionnelle.

En Île-de-France, les habitants de Paris et de la petite couronne privilégient les transports en commun pour aller travailler. Toutefois, la voiture est majoritaire dans la grande couronne. En province, parmi les villes-centres des pôles des aires urbaines de plus de 400 000 habitants, Lyon est la seule où les salariés se déplaçant en transports en commun sont plus nombreux que ceux utilisant leur voiture : en 2015, 41 % y ont recours, alors que 35 % utilisent la voiture. Dans toutes les autres villes-centres, la voiture est le mode de transport principal. Toutefois, elle concerne moins de 45 % des salariés à Grenoble, Strasbourg et Bordeaux, les trois villes où l’usage du vélo pour aller travailler est le plus développé, ainsi qu’à Lille, deuxième ville après Lyon où les transports en commun sont les plus utilisés. En province, dans les aires urbaines de plus de 400 000 habitants, la part de la voiture est de 50 % dans la commune centre, mais elle atteint 76 % dans le reste du pôle urbain et 86 % dans la couronne.

Huit salariés sur dix utilisent la voiture dans les territoires peu urbanisés. Dans le Cantal, la Creuse, la Lozère, la Vendée et le Gers, la proportion des salariés ont recours aux transports en commun est inférieure à 2 %.

Les salariés travaillant dans leur ville de résidence

Un tiers des salariés, soit 7,5 millions de personnes, vivent et travaillent dans la même commune. Dans 51 % des cas, le trajet domicile-travail est alors effectué en voiture. La marche à pied constitue le deuxième mode de déplacement (18 %), devant les transports collectifs (16 %). Les Franciliens utilisent nettement moins leur voiture que les autres salariés (22 % contre 57 % sur le reste du territoire national) et utilisent davantage les transports en commun.

Les salariés travaillant dans une autre commune que celle de leur lieu de résidence

Dès que les salariés doivent quitter leur commune de résidence pour aller travailler, la part de la voiture augmente fortement. Elle atteint 47 % pour les Franciliens et 89 % sur le reste du territoire. Dans un cas sur deux, les salariés parcourent en voiture plus de 15 kilomètres pour atteindre leur lieu de travail et dans un cas sur quatre, plus de 26 kilomètres. Les distances s’allongent pour les personnes habitant des territoires peu denses.

3,3 millions de salariés parcourent plus de 25 kilomètres en voiture pour aller travailler

En 2015, 14 % des salariés, soit 3,3 millions de personnes, prennent chaque jour leur voiture pour se rendre sur leur lieu de travail situé à plus de 25 kilomètres de leur domicile. Cette part varie fortement selon le département de résidence. Elle dépasse notamment 25 % dans l’Oise, l’Eure et l’Eure-et-Loir. À l’inverse, elle est inférieure à 5 % à Paris et dans la petite couronne. À un niveau géographique plus fin, cette proportion est particulièrement importante à la périphérie des grandes et moyennes agglomérations où elle peut localement dépasser 50 %.

Les cadres et les employés utilisent moins souvent leur voiture que les ouvriers

Parmi les différentes catégories professionnelles, les cadres et les employés utilisent moins la voiture : respectivement 63 % et 65 %, contre 75 % pour les professions intermédiaires et 78 % pour les ouvriers. Toutefois, les raisons sont très différentes. Les employés vont davantage travailler à pied. En effet, ils travaillent plus souvent que les autres salariés à proximité de leur domicile. De plus, 6 % d’entre eux n’ont pas à se déplacer, notamment les assistantes maternelles. Ainsi, plus de quatre employés sur dix travaillent dans leur commune de résidence. Pour chacune des autres catégories socio-professionnelles, moins de trois salariés sur dix sont dans ce cas.

À l’inverse, les cadres exercent plus souvent leur activité professionnelle loin de leur commune de résidence, mais ils utilisent davantage les transports en commun. En effet, leurs emplois sont plus concentrés dans les grands pôles, mieux desservis en moyens de transports. 65 % des emplois salariés de cadres sont concentrés dans les pôles des aires urbaines de plus de 400 000 habitants, contre 47 % pour les professions intermédiaires, 42 % pour les employés et 32 % pour les ouvriers.

 

La destruction créatrice schumpétérienne est-elle rock’n roll ?

Pour Schumpeter, l’innovation et le progrès technique sont les principaux ressorts des progrès économiques. Selon cet économiste, les innovations apparaissent par groupes, par grappes. Lorsqu’une innovation de rupture apparaît (machine à vapeur, électricité, Internet, biotechnologie), elle est suivie par un essaim d’autres inventions qui lui sont liées.

De nouveaux cycles économiques sont alors enclenchés s’accompagnant d’une redistribution des cartes. Des activités disparaissent et d’autres se développent au nom du principe de « la destruction créatrice ». Dans cette théorie, l’entrepreneur est au centre du système capitaliste. Il vient briser l’état stationnaire de l’économie par ses nouvelles techniques. Ces innovations doivent cependant vaincre les résistances pour pouvoir émerger et s’imposer. Tout frein à la diffusion des innovations pèse sur la croissance. Même s’il admettait que les innovations peuvent aboutir à la création de situations monopolistiques, Schumpeter considérait qu’elles étaient à la fois nécessaires et temporaires : nécessaires afin de pouvoir bénéficier des externalités positives des innovations ; temporaires car le jeu de la concurrence a vocation à un moment ou un autre à remettre en cause les monopoles ou les oligopoles.

La théorie schumpétérienne peut-elle s’appliquer à l’industrie musicale qui a connu une révolution profonde à partir des années 60 ? En quelques années, au Royaume-Uni, apparaît une multitude de groupes de rock qui contribueront un temps à l’équilibre de la balance des paiements courants avant que l’optimisation fiscale ne les amène à se délocaliser. Au départ, il y a une volonté de rupture, rupture sonore, rupture vestimentaire, rupture au niveau des paroles et des comportements, ainsi qu’une rupture technologique. Cette révolution initiée par les Beatles et les Stones s’appuie sur des précurseurs d’origine américaine comme Chuck Berry, Muddy Waters ou Elvis Presley. L’utilisation des instruments électriques et amplifiés intégrant des effets synthétiques génère de nouvelles sonorités. Des entreprises de haute technologie développent des instruments pour les groupes dans le cadre de leur programme de recherche. C’est ainsi que les Pink Floyd ont eu accès aux premiers synthétiseurs. À partir de la fin des années 60, le nombre de groupes, de musiciens, de chanteurs explose au Royaume-Uni. Les hits s’enchainent à très grande vitesse. Les radios se mettent à relayer cette créativité en adaptant leurs programmes. La télévision fait de même. Dans les années 80, des chaines thématiques comme MTV connaissent leur heure de gloire. Les compagnies de disques comme EMI, Atlantic, Warner, appelés les majors, dominent le marché et mettent sur pieds des politiques marketing. L’offre explose et créée sa demande. Ainsi, au début de l’année 1980, les groupes Pink Floyd, les Stones, Supertramp, Police, les Specials, les Madness, Genesis, Dire Straits, etc., se battent à coup d’albums pour être le numéro 1.

Cette haute créativité repose sur l’attractivité de la musique rock qui attire les meilleurs éléments de la jeunesse britannique ou du moins ceux qui ont de l’ambition et qui veulent rapidement s’enrichir. Quand un journaliste a posé la question à Mick Jagger, « pourquoi avoir choisi le monde musical ? » Celui-ci a répondu que c’était alors le domaine où il y avait le plus de chance de devenir riche et célèbre. En d’autres temps, ajoutait-il, il aurait certainement opté pour la politique ou les affaires. Malgré tout, Mick Jagger a fait des affaires à partir des années 70 et a toujours eu un œil sur la politique.

Le décollage économique d’un nouveau secteur d’activité dépend avant tout de sa capacité à attirer les meilleurs éléments et cela dans un laps de temps aussi court que possible. Dans les années 80 et 90, la mutation du système financier a débouché sur de multiples innovations. Elles ont été rendues possibles par l’évolution des techniques et aussi par l’arrivée de jeunes diplômés ambitieux souhaitant faire fortune. Depuis vingt ans, c’est au tour du digital de capter les jeunes talents. En France, jusque dans les années 80, l’administration et la politique ont été des secteurs tendance. Les meilleurs élèves souhaitaient faire l’ENA ou l’X et faire carrière dans les grands corps de l’État. En revanche, la musique n’a pas joué le même rôle qu’au Royaume-Uni.

La capacité à enclencher un cycle de croissance dépend donc de la capacité à attirer un grand nombre de jeunes actifs dynamiques et créatifs. Que ce soit aux États-Unis au Royaume-Uni ou en France, la concentration géographique des talents est fréquente : la Côte ouest et la région de Boston aux États-Unis pour la haute technologie, Londres et Paris pour la finance. La capacité d’un secteur, d’un domaine d’activité répond à une logique en triangle dont les trois points sont interdépendants : l’argent, la reconnaissance et l’intérêt du travail. Le créateur obéit à ces trois facteurs selon des proportions variables. Les groupes de rock des années 60/70 étaient à la recherche d’un confort matériel de vie, de la reconnaissance de leur public, et ils pouvaient trouver de l’intérêt dans leur travail. L’intérêt est tout à la fois d’ordre privé et général. Modifier la société est l’un des objectifs des créateurs. Mick Jagger, par son style, peut prétendre avoir créé la stature de la rockstar. Il a par ailleurs contribué à changer le modèle économique du secteur en jouant la carte du marketing et de la diversification (parrainage, concerts géants, vidéos, etc.). Ce triptyque concerne tous les secteurs tendance.

La thèse schumpétérienne selon laquelle le déclin suit une explosion d’innovations s’applique également à la musique rock. La digitalisation a banalisé cette musique, a réduit les sources de gains en permettant à un grand nombre de musiciens ou pas de rentrer sur le marché. L’industrie musicale survit grâce à la longévité de certains groupes des années 60 et aux concerts.  À défaut de nouveaux sons, la créativité de ce secteur tend à s’étioler même si certains ont espéré que le rap, issu des banlieues et des quartiers populaires, lui offrirait une seconde jeunesse.