Le Coin des tendances du 2 décembre 2017
Les nouveaux chemins de la philanthropie
La philanthropie qui désigne l’amour du genre humain et , par extension,, les actions altruistes menées par des personnes et/ou des structures privées en faveur d’’autres individus, était une valeur tombé en désuétude en France. Depuis quelques années, le développement des Organismes Non Gouvernementales et des fondations l’a réhabilité.
La philanthropie a été pratiquée de tout temps. Longtemps, les églises ont joué en la matière un rôle important en menant des actions en faveur de l’éducation, de la santé, de la solidarité, de la culture, etc. L’apparition de la philanthropie moderne est concomitante avec la montée en puissance du capitalisme et de la démocratie. En France, le mot apparaît dans le dictionnaire de de l’Institut dès 1762. Les premières institutions philanthropiques sont créées au cours du XVIIIe siècle.
Aux États-Unis, dès la fin de la Guerre de Sécession, les détenteurs de grandes fortunes s’associèrent avec des représentants du monde politique, économique et culturel afin d’améliorer le niveau d’éducation de la population et d’instituer un minimum de protection sociale. Cette philanthropie s’est développée notamment grâce à un cadre juridique incitatif. La loi Tilden de 1893 permit l’émergence de la fiducie comme mode de gestion. Cette loi facilita la création des fondations qui prirent la forme de trustee. Ainsi, leur nombre est passé de 1915 à 1925 de 27 à plus de 200. Le fondateur de la Standard Oil, John Davison Rockefeller créa, en 1913, la Fondation Rockefeller doté alors de 250 millions de dollars. L’objectif qui lui avait été assigné était de « promouvoir le bien être de l’humanité à travers le monde ». D’autres industriels comme Andrew Carnegie, Andrew Mellon, créèrent également des fondations. La Première Guerre mondiale contribua à enraciner le don dans la société américaine. Les massacres humains, les destructions entraînèrent des mouvements de générosité.
En France, l’organisation de la philanthropie fut plus lente à se dessiner qu’aux États-Unis. Le décret d’Allarde du 2 et 7 mars 1791 et la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 en interdisant les corporations et les corps intermédiaires ont freiné l’émergence de structures philanthropiques tout comme l’opposition entre l’église et les gouvernements républicains sous la IIIe République. L’État joua le rôle premier en France dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. En 1885, Alexis de Tocqueville avait alors parfaitement résumé la situation, « les Américains sont enclins à se constituer en groupe pour résoudre leurs problèmes communs tandis que les Français se tournent plus volontiers vers l’État ». Il en fut ainsi jusqu’à la fin des années 60. Conscient que cette situation était préjudiciable au développement culturel français, André Malraux confia à l’un des membres de son cabinet, Michel Pomey, la mission d’étudier le fonctionnement des fondations aux États-Unis. Au retour de son voyage, fut décidée la création de la Fondation de France afin de catalyser la générosité du public. Cette fondation est assez originale car elle gère des missions philanthropiques qui sont confiées par des fondateurs, personnes physiques ou morales. En 2015, la Fondation abrite ainsi 828 fonds de dotation. Aujourd’hui, il existe, selon le Centre français des fonds et fondations, 53 fondations « abritantes » parmi lesquelles figurent la Fondation Caritas France, la Fondation du Judaïsme français, la Fondation du Patrimoine et l’Institut de France.
La loi du 23 juillet 1987 a institué un statut de fondation reconnue d’utilité publique. Ce statut contraignant prévoyait même jusqu’en août 2003 qu’un représentant de l’État siège au sein du conseil d’administration et du conseil de surveillance. La dotation minimale pour une fondation d’utilité publique doit être d’au moins un million d’euros ce qui limite les possibilités de création.
La loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie autorise la création de fonds de dotation. Ce nouveau statut se veut plus souple et plus proche de celui des associations.
En parallèle, des mesures d’incitations fiscales ont été instituées par la loi Aillagon de 2003 tant au profit des particuliers que des entreprises. La loi TEPA de 2007 a prévu une réduction d’impôt pour les contribuables assujettis à l’ISF en cas de versement au profit d’une fondation. La législation en vigueur figure parmi les plus attractives au sein de l’OCDE et a permis un rapide développement des fondations. À la fin de l’année 2016, la France comptait 630 fondations reconnues d’utilité publique, 374 fondations d’entreprise et 1 229 fondations abritées. Par ailleurs, 2 226 fonds de dotation sont dénombrés. Au total, notre pays comptait 4 546 fondations et fonds de dotation en 2016 contre 2 733 en 2011. Les fonds distribués par les dotations se sont élevés à plus de 2 milliards d’euros en 2016. Cette somme atteint 60 milliards de dollars aux États-Unis, pays qui compte plus de 85 000 fondations disposant d’une dotation totale de 865 milliards de dollars. Les dons aux particuliers représentaient en 2015 1,5 % du PIB aux États-Unis contre 0,6 % au Royaume-Uni, 0,15 % en Allemagne et 0,11 % en France.
En France, près de 40 % des créateurs de fondations ont entre 50 et 65 ans et 72 % ont plus de 50 ans. Avec l’émergence de la Net-économie, un rajeunissement est en cours, surtout aux États-Unis.
Dans ce pays, ces dernières années, un renouveau de la philanthropie est constaté. Plusieurs titulaires de grandes fortunes dont certaines liées à la montée en puissance du numérique sont à l’origine de fondations visant à lutter contre la pauvreté, à favoriser l’éducation ou à contribuer à l’amélioration des conditions de vie. La fondation de Melinda et Bill Gates créée en 2000 dispose d’une dotation de 40 milliards de dollars et a distribué, en 2015, pour 4,2 milliards de dollars de concours. Warren Buffet a décidé de contribuer au budget de cette fondation sous la forme d’un don annuel de 1 à 2 milliards de dollars. Bill Gates et Warren Buffet ont lancé, en 2010, un appel, « the giving pledge », aux milliardaires afin qu’ils s’engagement à donner la moitié de leurs actifs de leur vivant ou à leur mort. À la fin du premier semestre 2017, 170 milliardaires avaient accepté de relever le pari pour un montant dépassant 365 milliards de dollars. Mark Zuckerberg et son épouse ont ainsi décidé de donner à terme 99 % des actions qu’ils détiennent dans Facebook à une fondation qui a pour objectifs l’amélioration du potentiel humain et de l’accès à l’éducation ainsi qu’à la santé. Elle a également comme mission de faciliter la recherche scientifique et la transition énergétique.
Selon les études de Marc Abélès et Jérôme Kohler, la philanthropie prend des formes différentes en Europe et aux États-Unis. Dans ce dernier pays, les personnes ou les entreprises à l’origine des fondations mettent en avant leur savoir-faire professionnel. Leur fondation est une vitrine de leur réussite. Elle décline les méthodes qui ont fait leur succès quand en Europe, la discrétion est de rigueur. Les fondations françaises ne mettent guère en avant les entreprises ou les femmes et les hommes qui en sont les créateurs. Elles sont des vecteurs d’image. Néanmoins, une inflexion est en cours. De plus en plus, les fondations françaises déclinent les points forts des entreprises dont elles sont l’émanation (développement durable, valeurs humaines, etc.). Ainsi, la fondation d’entreprise AG2R LA MONDIALE pour l’autonomie et le vivre ensemble reprend des thèmes chers au groupe en intervenant en faveur de l’autonomie par l’éducation, l’entrepreneuriat des jeunes, l’économie sociale et solidaire ou la solidarité entre les générations.
Aux États-Unis, les créateurs de fondation veulent changer le monde quand, en Europe, ils privilégient les actions plus ponctuelles, plus proches du terrain. Cette différence est évidemment liée à la différence de taille mais aussi des rôles respectifs des États de part et d’autres de l’Atlantique. Aux États-Unis, les fondations viennent, en partie, suppléer la défaillance dans certains domaines des structures publiques quand,, sur le vieux continent, elles interviennent en supplément. La philosophie des fondations européennes repose sur le mécénat quand, pour les Américains, elle est de nature messianique.
Les fondations reposent sur un ou plusieurs sponsors identifiés et sur des structures organisées. L’émergence des plateformes collaboratives bouscule les canaux classiques de la philanthropie. Sur le modèle des campagnes électorales américaines, des plateformes appellent les Internautes à réaliser des dons en vue de financer des actions humanitaires. Ainsi, l’humoriste, Jérôme Jarre, qui dispose de plus d’1,5 million d’abonnés sur Twitter et de plus de 2 millions sur Facebook a décidé de lancer « Love Army », pour venir en aide notamment au Rohingyas en Birmanie. En utilisant l’arme des tweets, il entend mobiliser l’opinion publique et les entreprises en faveur de ce peuple en proie à des difficultés avec le pouvoir birman. Sa démarche est appuyée par des vedettes du cinéma et de la blogosphère (Omar Sy, Dj Snake, Mister V, etc.). En quelques jours, Jérôme Jarre a collecté plus de 1 million de dollars pour les Rohingyas. En mars dernier, il avait réussi à acheminer plus de 60 tonnes de vivres en Somalie, touchée par la famine. Au mois de septembre, il a réussi à mobilier 1,3 million de dollars en faveur des victimes du tremblement de terre qui a frappé le Mexique. Ces nouvelles formes d’actions humanitaires sont-elles éphémères ? Ne sont-elles que des opérations médiatiques ou peuvent-elles s’affirmer dans les prochaines années ? Les acteurs traditionnels soulignent que ces plateformes arrivent, pour le moment, à lever des fonds importants mais qu’elles ne disposent pas des structures de gestion et d’action pour en faire bon usage. Par ailleurs, la nouveauté est toute relative. Les opérations Téléthons ou Sidactions ressemblent aux initiatives de Jarre / Omar Sy.
Des jeunes en quête de reconnaissance
Le CREDOC et l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) ont réalisé une étude sur le comportement et les attitudes sur 4 500 personnes âgées de 18 à 30 ans. Cette enquête couvre l’ensemble du territoire y compris les territoires ultramarins (La Réunion, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique).
Cette population comprend deux sous parties, les jeunes de 18-24 ans et les 25-30 ans. Les premiers sont majoritairement étudiants (51 %), célibataires (55 %), sans enfants (88 %) quand les seconds sont le plus souvent en emploi (69 %), en couple (62 %). Plus d’un tiers ont déjà des enfants (39 %). Un peu plus de la moitié des 18-24 ans (58 %) ont un niveau bac ou plus, quand ce taux atteint 64 % chez lesdes 25-30 ans. Les plus jeunes vivent fréquemment chez leurs parents et se restreignant moins que leurs ainés, 55 % contre 62 %. Les dépenses de logement expliquent en partie cet écart.
Le nombre de jeunes Français se déclarant « optimiste » reste faible (20 %) mais est en net progrès par rapport à 2016 (11 %). Cette évolution ne doit pas masquer le fait que dans le même temps, le nombre de jeunes affirmant être inquiets est passé de 15 à 19 %. 4 % se disent même perdus (+ 2 points en un an). Sur un plan plus personnel, les jeunes se déclarent moins « heureux et épanouis » en 2017 qu’en 2016 (9 % contre 21 %). La part des jeunes se considérant comme « triste » progresse en un an de 3 points.
L’état d’esprit des jeunes reste positif mais de peu, 48 % contre 42 % qui sont dans un état d’esprit négatif. En un an, le part de ceux déclarant être dans un état d’esprit négatif progresse de 11 points chez les jeunes garçons contre 7 points chez les jeunes femmes. Néanmoins, ces dernières sont plus nombreuses à être dans cet état d’esprit (47 % contre 37 %). Les 18-24 ans sont les plus nombreux à être négatifs avec une forte progression entre 2016 et 2017 (+13 points). Les non-diplômés ont un regard sombre et expriment un fort pessimisme sur leur avenir. En revanche, les jeunes qui sont en couple avec une personne qui vit dans le même logement et ceux qui ont des enfants résistent mieux au basculement dans un état d’esprit négatif.
Malgré tout, en 2017, 61 % des jeunes sont confiants dans leur avenir ; parmi eux, 10 % sont même très confiants quand 31 % sont inquiets et 8 % sont très inquiets. Par rapport à 2016, le taux des confiants a augmenté de 4 points. Sans surprise, la confiance dans l’avenir est d’autant plus grande que le niveau de diplôme est élevé : 71 % des diplômés du supérieur sont confiants dans leur avenir, alors qu’ils sont 64 % parmi les titulaires du baccalauréat, 54 % parmi les titulaires du CAP/BEP et 48 % parmi les jeunes ayant un brevet des collèges au maximum. L’obtention d’un emploi est une valeur clef pour se déclarer « confiant dans son avenir ». Plus des deux tiers des jeunes ayant un emploi sont dans cette situation. Les jeunes en intérim ou en emploi aidé sont naturellement plus sceptiques sur leur avenir (55 % se déclarent néanmoins confiants).
Toujours selon l’étude du CREDOC, les jeunes se déclarant sont majoritairement (60 %) satisfaits de leur vie actuelle. En période de sortie de crise et quand une légère embellie économique se profile, les attentes et les frustrations ont tendance à s’accroître. En 2017, cette tendance est observée chez les jeunes qui sont moins satisfaits (62 points) qu’en 2016. Après plusieurs années difficiles, les jeunes considèrent ne pas bénéficier des premiers fruits de la croissance à la hauteur des sacrifices passés.
Malgré tout, l’enquête Conditions de vie et aspirations de 2017 du CREDOC souligne que la situation des moins de 30 ans s’améliore sur plusieurs points. Ils sont moins nombreux qu’en 2016 à s’imposer des restrictions sur leur budget (-5 points), à souffrir de nervosité (-7 points) ou encore d’insomnies (-2 points). L’écart entre amélioration des conditions de vie et appréciation de leur situation témoigne d’une progression de leurs attentes vis-à-vis de la société dans un contexte de reprise économique. Depuis plusieurs années, les revendications des jeunes ne se sont pas traduites par des manifestations d’ampleur comparable à celles intervenues par le passé. Pour le moment, le changement des règles d’admission dans les universités n’a pas donné lieu à une réelle contestation. Pour autant, les jeunes considèrent ne pas être réellement associés à la vie de la société. Ainsi, plus d’un jeune sur deux (55 %) estime que son avis ne compte pas réellement au sein des espaces dans lesquels il évolue (entreprise, école, université, association, club de loisir ou de sport, etc.). 30 % estiment que ce défaut d’écoute est lié à leur âge. Ce taux s’accroît depuis plusieurs années. 76 % des jeunes estimaient que la société française n’accorde pas une place aux jeunes.