Le Coin des Tendances du 26 mai 2018
Quand la consommation joue la proximité
Le développement d’un nouveau canal de distribution, la vente en ligne, modifie en profondeur les habitudes des consommateurs. Par ailleurs, la diminution des familles nombreuses et le vieillissement de la population influent sur les pratiques d’achat tout comme l’engorgement croissant des villes ainsi que les mesures prises à l’encontre de la circulation automobile.
Selon une étude réalisée par le CREDOC, les consommateurs placent comme premier critère de choix du magasin, la proximité. La présence d’un parking et la rapidité pour réaliser ses achats comptent parmi les facteurs les plus importants et priment sur la question du prix des articles. Les grandes surfaces et centres commerciaux mal desservis sont délaissés.
Le nombre de personnes par ménage tend à se contracter surtout au sein des grandes agglomérations. En quarante ans, le nombre de célibataires a été multiplié par deux.
Cette progression s’explique par l’espérance de vie plus longue des femmes conduisant à une surreprésentation des femmes seules après 65 ans, par l’augmentation continuelle du nombre de divorces et par le recul de la constitution des familles (le premier enfant arrive désormais après 30 ans). Par ailleurs, si durant les 30 Glorieuses, les courses étaient considérées comme une activité gratifiante voire un loisir, ce n’est plus le cas maintenant. Elles peuvent être vécues comme une contrainte, une perte de temps, une source d’énervement, de frustration. Néanmoins, avec l’éloignement de la crise économique, l’appétence à fréquenter les magasins augmente. Toujours selon l’étude du CREDOC, entre 2012 et 2017, le côté agréable du point de vente progresse. La recherche de produits de qualité, de produits bios augmente fortement, ce qui favorise le commerce de proximité. Cette tendance a été intégrée par les enseignes de la grande distribution qui se sont constituées des points de vente en centre-ville et qui comportent de nombreux rayons bios.
La recherche de produits de qualité incite les Français à fréquenter un plus grand nombre de magasins. Ainsi, en 2017, plus d’un Français sur deux (57 %) a fait ses courses dans plus de cinq circuits de distribution alimentaires contre 39 % en 2012.
Du fait de la priorité donnée aux commerces de proximité, les Français ont tendance à s’y rendre plus souvent et à acheter en plus petite quantité.
Le bio est en forte hausse selon les études de l’INSEE et du CREDOC. Près d’un Français sur trois visite un magasin bio au moins une fois par mois. En contrepartie, la fréquentation des magasins de surgelés diminue depuis 2012. Les consommateurs privilégient de plus en plus le frais.
Les achats en ligne représentent 10 % de la consommation totale. Les commandes sur Internet avec livraison à domicile ainsi que le « drive » continuent de progresser de 10 % par an. Le drive est plutôt plébiscité par les jeunes générations pour son côté rapide et pratique. Si la fréquentation du e-commerce alimentaire reste encore inférieure à celle des autres secteurs de la consommation, elle connaît depuis trois ans une forte croissance. Le « drive » se met à l’heure de la proximité avec le développement d’une formule spéciale piéton. Ainsi, Auchan, Leclerc ou Cora proposent des formules de point relais en centre-ville relié par une plateforme en périphérie urbaine. Le client commande sur le site Internet et retire ses courses au point relais. Le gain tarifaire par rapport à une supérette de quartier est de 5 à 10 %. Avec cette solution, l’hypermarché réinvestit le centre-ville et touche ainsi une clientèle qui le désertait.
La fréquentation des marchés forains diminue. Si en 2012, trois quarts des Français s’étaient rendus au moins une fois sur un marché, ils ne sont plus que 68 % en 2017. Les marchés sont pénalisés par les problèmes de parking et par leurs horaires contraignants, le matin. Par ailleurs, la question de l’affichage, de la traçabilité des produits et des délais d’attente constitue pour les consommateurs des freins. Avec le remplacement des générations, les changements des habitudes de consommation devraient s’accélérer. Tout le défi pour les plateformes de vente en ligne est de raccourcir le délai entre l’achat et la livraison.
Le e-commerce devrait continuer à prendre des parts de marché à la grande distribution. Les petites surfaces de proximité qui avaient été les grandes perdantes des années 70 et 80 connaissent un renouveau relatif. Le développement du bio et l’évolution des comportements des ménages leur sont favorables. Néanmoins, la très forte concurrence et le coût du foncier urbain mettent à la mal leur rentabilité.
L’inégale répartition des services de proximité, une inégalité croissante ?
La disparition des services en milieu rural est souvent mise en avant avec notamment les déserts médicaux. Le problème ne concerne pas que la France rurale, les banlieues de certaines agglomérations sont également confrontées à l’absence de services. L’INSEE a publié au courant du mois de mai une étude sur l’inégale répartition des services au sein du territoire.
La France compte 2,4 millions de points d’accès de services. Selon leur fréquence d’implantation et leur présence conjointe dans les communes, ces services ont été répartis, par l’INSEE, en trois ensembles appelés gammes (de proximité, intermédiaire ou supérieure).La gamme dite « de proximité » regroupe des services qui sont présents dans le plus grand nombre de communes. Elle se concentre sur seulement 27 services différents, mais aux implantations nombreuses (1,7 million de points d’accès). Y figurent par exemple les artisans du bâtiment, les boulangeries, les médecins généralistes, les terrains de grands jeux, etc. Les services des gammes « intermédiaire » et « supérieure » sont présents dans un moins grand nombre de communes. Ils comprennent, par exemple, pour la gamme intermédiaire, les banques, les laboratoires d’analyses médicales ou les piscines ouvertes au public et, pour la gamme supérieure, des commerces tels que les poissonneries ou les hypermarchés, les services d’urgences médicales ou les cinémas. Ils sont plus rarement implantés. Ils sont plus souvent situés dans les principales villes que les services de la gamme de proximité. En 2016, parmi les 35 885 communes françaises, 5 % (1 888 communes comptant 162 000 habitants) n’offrent aucun service de proximité et 33 % (12 000, hébergeant 2,5 millions de personnes) en possèdent entre 1 et 5.
Les services se concentrent sans surprise dans les pôles résidentiels et les communes touristiques. Ce sont les communes ayant connu les plus fortes augmentations de population qui sont les mieux dotés. En revanche, les territoires à la fois moins densément peuplés et moins fréquentés par les touristes proposent un éventail de services plus restreint. Ces territoires moins équipés sont plus présents dans le nord-est et le centre de la France ainsi que dans certaines zones rurales ou montagneuses des Alpes, des Pyrénées ou de Corse.
Le bâtiment et la restauration font de la résistance
Dans les communes les moins équipées en gamme de proximité, certains services sont présents de façon plus systématique. Ainsi, parmi les communes qui disposent de 1 à 5 services différents, les artisans du bâtiment et les restaurants sont les plus souvent présents. Les commerces alimentaires (boulangerie, boucherie, supérette) ne sont situés que dans des communes qui disposent aussi d’autres services : par exemple, parmi les communes ayant entre 1 et 3 services de proximité, seules 2 % hébergent une boulangerie.
Les services de santé (médecin généraliste, pharmacie, masseur-kinésithérapeute) sont principalement implantés dans les communes dotées d’une offre plus variée d’équipements (communes comptant au moins 15 services de proximité). Même les infirmiers, profession paramédicale de proximité, sont peu présents dans les 12 000 communes dotées de 1 à 5 services. Enfin, même quand les services de proximité deviennent nombreux (autour de 15), certains restent rares, comme les dentistes, les pharmacies, les masseurs-kinésithérapeutes, les fleuristes et les boucheries ; à l’inverse, d’autres se généralisent, comme les écoles élémentaires ou les terrains de grands jeux.
Le digital, la terre promise ?
Lors de son intervention jeudi 24 mai dans le cadre du salon Viva Technology organisé par Publicis et Les Échos, le Président de la République, Emmanuel Macron a réaffirmé sa volonté de faire de la France une « start-up nation » À la veille de la mise en place du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), il a également salué l’importance de la régulation pour « réconcilier la technologie et le bien commun ». Il a précisé que « je ne veux pas le modèle américain, qui n’est pas régulé, sans responsabilité politique », ni « que mon peuple, mes start-ups soient soumises aux régulations chinoises, un modèle très efficace mais hypercentralisé, organisé par le gouvernement, qui n’a pas nos valeurs sur les droits de l’homme et la vie privée ». S’il a défendu l’idée d’une Europe proactive, il n’a pas manqué de solliciter l’appui des grandes entreprises américaines du digital dont les représentants ont été conviés.
Le salon « Viva Tech » permet de souligner que si le secteur des start-ups en France est dynamique, il demeure encore de taille réduite et fragile. Le secteur des techniques de l’information et de la communication (TIC) est à l’origine de 4,3 % de la valeur ajoutée des entreprises françaises. Compte tenu du rythme de croissance, ce poids devrait atteindre, 5 % d’ici 2020.
La France compte plus de 10 000 start-up dont un grand nombre interviennent dans trois secteurs : le divertissement (Games, vidéo, musique, etc.), le marketing et le cloud. Le nombre de start-up en région parisienne est en forte progression et s’élevait en 2017 à 4 000 contre 6 000 à Londres. La valorisation globale est difficile à apprécier car toutes les start-ups ne sont pas cotées, loin de là. Néanmoins, en prenant en compte les critères de chiffre d’affaires et de rentabilité, leur valorisation dépasse désormais le milliard d’euros. Il n’en demeure pas moins que la valorisation des start-ups françaises est deux fois inférieure à celle de leurs homologues britanniques. L’investissement des entreprises dépendant des TIC demeure en revanche trop faible (0,5 % du PIB contre 1 % au Royaume-Uni et 1,5 % aux Etats-Unis). En revanche, les start-ups françaises exportent en réalisant plus de 54 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation.
Au CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas version 2018, 365 entreprises françaises étaient présentes, ce qui constitue un nouveau record. Un robot majordome, un radiateur intelligent avec batterie intégrée ou encore un mannequin connecté et modulable ont été primés au CES. Les start-ups françaises se distinguent dans de nombreux secteurs : santé, jeu, logiciel, objets connectés, agriculture énergie. Plus récemment, des fintechs (assurance, banque, finances) percent. Le bon niveau en mathématiques de nos ingénieurs et notre savoir-faire financier contribuent à cet essor. Le problème n’est pas l’innovation mais sa diffusion.
Si la France est distancée pour la valeur ajoutée et les emplois dépendant du numérique, en revanche, elle arrive en deuxième position pour les levées de fonds. En 2017, 2,56 milliards d’euros ont été levés dans l’Hexagone pour 605 opérations en capital-risque. Avec 18 % des montants levés en Europe, la France se situe, selon le cabinet EY, derrière le Royaume-Uni (40 %) mais devant l’Allemagne (12 %). L’Île-de-France est la première région d’accueil de ces investissements (77 %) suivie par la Auvergne-Rhône-Alpes (4 %) et PACA (3,9 %). Dans 25 % des opérations de levée de fonds, des grands groupes ont pris des participations en jouant ainsi leur rôle d’incubateur. Les start-ups françaises attirent de plus en plus les fonds étrangers, ce qui prouve leur potentiel de développement. En 2017, 52 levées de fonds concernant des start-up ont abouti à une prise de participation par des fonds étrangers. Ce sont essentiellement des fonds britanniques et américains qui sont intervenus.
Les entreprises du digital sont freinées par leur petite taille. Les levées de fonds françaises peinent à dépasser les 100 millions d’euros, contrairement aux start-ups britanniques (qui ont réalisé 8 opérations comprises entre 100 et 500 millions en 2017). La France compte peu de jeunes entreprises valorisées à plus d’un milliard d’euros quand elles sont une quinzaine au Royaume-Uni et une dizaine en Allemagne. En outre, les entrepreneurs français sont plus adeptes d’opérations patrimoniales que leurs homologues étrangers. Quand l’affaire commence à se valoriser, les propriétaires sont tentés de la vendre à une grande entreprise, souvent étrangère. La problématique des fonds propres et l’ex ISF contribuaient au rachat des start-up. Ce n’est pas spécifique à la France car cette tendance se retrouve aussi en Allemagne. Ainsi, aucune start-up européenne n’a pu se hisser au même rang que les GAFA. Les start-ups butent encore sur l’industrialisation de leur process. Par ailleurs, à la différence des États-Unis, le marché européen est segmenté, au niveau linguistique, au niveau financier, et au niveau fiscal.
Le secteur est également confronté à un problème de manque de compétences. Les établissements ne forment pas en suffisamment grand nombre des experts du digital. Certes, certaines filières sont reconnues à l’échelle internationale et leurs ressortissants s’arrachent à prix d’or à l’étranger générant une émigration de cerveaux. Néanmoins, nous souffrons d’un déficit de compétences comme en témoignent nos mauvais résultats aux différentes enquêtes réalisées par l’OCDE. La France arrive en 35e position pour les performances des enfants de CM1 en mathématique et en 34e position pour les performances des enfants de CM1 en compréhension écrite. Cette mauvaise formation se ressent également sur le niveau de l’ensemble des actifs. Les contraintes administratives constituent également des freins au développement des start-up.
La France, pays essentiellement tertiaire et de TPE, est moins ouvert à la haute technologie que les États-Unis ou les États d’Europe du Nord. Le nombre d’entreprises recourant à des systèmes informatiques (robots, cloud, gestion connectée des stocks, gestion connectée des flux) y est plus faible en France qu’au sein de nombreux autres pays membres de l’OCDE.
Pour le moment, le fourmillement de start-up ne modifie pas la situation macroéconomique de la France qui se caractérise toujours par une dégradation de sa balance commerciale et par un retard en matière d’intégration des nouvelles technologies. Les questions de financement et donc de croissance des start-up françaises peuvent également expliquer le léger décrochage de la France vis-à-vis des TIC. En règle générale, les phénomènes de rattrapage s’effectuent par à-coups. Une possible mise à niveau est donc attendue même si la question de formation des actifs constitue un réel handicap.